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BRUGES DOUBLE FACE

15 sur 15 en championnat, mais une élimination précoce sur la scène européenne. Les premiers mois d’Ivan Leko à la tête du Club de Bruges posent beaucoup de questions.

« C’est une honte, j’en suis malade.  » Le président Bart Verhaeghe n’a pas mâché ses mots, vendredi, pendant le vol qui ramenait la délégation brugeoise d’Athènes. La veille, quelques heures après l’élimination européenne, le président du Club ne s’était pas éternisé au drink d’après-match, à l’hôtel. Il s’est rapidement éclipsé pour se réfugier au calme, dans l’intimité de sa chambre. Le coup était dur à encaisser.

En septembre 2013, Preud’homme a succédé à Juan Carlos Garrido, qui avait très bien débuté dans le championnat de Belgique (17 sur 21), mais s’était loupé sur la scène européenne face au Slask Wroclaw. Lors de son analyse, après l’élimination, l’entraîneur espagnol s’était un peu égaré. Il avait mis l’accent sur la faiblesse du noyau et s’était étonné que la direction brugeoise accorde autant d’importance à la qualification pour la phase de poules. Garrido a laissé entendre que la direction souhaitait peut-être offrir de beaux voyages aux partenaires commerciaux, mais que l’équipe avait peu à gagner en effectuant ces city-trips. C’était mal connaître l’ADN européen du Club. Peu de temps après, il a pu faire ses valises. Doit-on faire une analyse sportive similaire du noyau actuel ?

Transition difficile

Contrairement à l’Espagnol, Ivan Leko ne connaît que trop bien l’ADN européen du Club. En septembre 2007, le Croate était monté au jeu à deux reprises contre Brann Bergen, lorsque l’aventure européenne s’était terminée après un seul petit tour. C’est tellement rare que le Club soit éliminé après un tour (préliminaire) que tout le monde se souvient encore du nom des adversaires lorsque c’est arrivé : Slask Wroclaw, Brann Bergen…

C’est le 9 juin que le Croate a été officiellement présenté comme le nouvel entraîneur de Bruges. À l’époque, lorsqu’il a posé sur la photo officielle, il était beaucoup moins tendu. Preud’homme avait régné avec une main de fer sur les BlauwenZwart. De longues semaines de travail, des entraînements intensifs, une pression qui ne se relâche jamais, des exigences très élevées. Une attitude qui se répétait au fil des jours. Durant cette période, il n’était pas rare que les joueurs passent deux ou trois nuits par semaine à l’hôtel, en mise au vert, pour faciliter la concentration. Pas d’alcool dans le bar, pour personne, même pas pour les membres du staff. Si le match était programmé à l’autre bout du pays, le bus amenait les joueurs sur place la veille de l’affrontement. Un régime de spartiate qui a permis de conquérir des trophées : un quart de finale européen et une Coupe de Belgique lors de la deuxième saison, un titre lors de la troisième, une Coupe de Belgique et une deuxième place au classement final lors de la quatrième. Le citron a été pressé, il n’y avait plus d’essence dans le réservoir, chez personne.

Leko a donc entamé un nouveau cycle, avec un effectif rajeuni, des forces fraîches, et quelques joueurs qui envisageaient plutôt leur avenir ailleurs : BjörnEngels, JoséIzquierdo, StefanoDenswil… Dans leur dos, quelques jeunes tentaient de pousser, comme HelibeltonPalacios, DionCools, AhmedTouba, EthanHorvath. Preud’homme les a peut-être trop longtemps négligés, estime-t-on en interne. Le patron estimait qu’ils n’étaient pas prêts. Tout le monde ne partageait pas cet avis.

À Bruges, on reconnaît que le passage vers l’équipe Première ne s’est pas opéré aussi facilement qu’espéré. La post-formation constitue un gros problème à Bruges.  » Nous ne pouvons pas nous permettre d’acheter une deuxième équipe « , avance Verhaeghe.  » Et le projet d’autoriser l’équipe des Espoirs à jouer en championnat n’est pas soutenu par la fédération.  » Il faut donc chercher des alternatives. Sous forme de prêts, comme celui de SanderCoopman à Zulte Waregem, ou la saison dernière de Brandon Mechele à Saint-Trond. N’aurait-il pas été utile de laisser Vanlerberghe plus longtemps à Malines ? Non, estime-t-on à Bruges. Le Club avance de bonnes raisons pour cela et préfère assurer lui-même le développement du jeune talent. Même si son temps de jeu doit en souffrir.

Tirage dirigé

Mercredi, quelques heures avant le dernier entraînement, le président s’est encore senti obligé de lâcher ce qu’il avait sur le coeur. Le tirage dirigé, et la répartition en poules préétablies, peuvent parfois déboucher sur des situations bizarres. Avec AEK-Bruges, on retrouvait deux équipes qui, deux semaines plus tôt, luttaient encore pour une place en Ligue des Champions. L’UEFA ne veut pas entendre parler de tirage intégral. Et, visiblement, ce n’est pas négociable. La fédération européenne veut voir le plus de pays possibles représentés en phase de poules, même des pays d’Europe de l’Est qui ne pèsent pourtant pas bien lourd sur le plan économique. Le fait que son président soit un Slovène n’est sans doute pas étranger à cet état de fait.

Mercredi soir, dernier entraînement avant le match. Dans la fraîcheur nocturne – lorsque le soleil s’est couché, on ressent la brise marine dans le stade – Leko a pris place entre ses joueurs et apporte des corrections lorsqu’il constate des erreurs. Il encourage aussi ses joueurs, amicalement. Un tout autre style de management, une rupture avec le passé. En matière de football également. Le Croate veut que le Club joue différemment, avec un jeu plus posé qui se base moins sur les duels, mais pour l’instant, cela ne fonctionne pas (encore). La transition entre le nouveau Club et l’ancien n’est pas encore totalement accomplie, à quelque niveau que ce soit. Le Croate travaille en étroite collaboration avec son assistant, selon une méthode qu’il avait déjà appliquée à Saint-Trond, et insiste sur d’autres points que son prédécesseur. Tout le monde n’a pas encore trouvé ses marques.

 » Je ne suis pas un entraîneur qui porte des oeillères « , déclarera-t-il quatre jours plus tard, lors de la conférence de presse qui a suivi la plantureuse victoire 4-0 contre le Standard. Il faisait référence au système de jeu utilisé, et au retour au 3-5-2. À Athènes, il a – exceptionnellement – utilisé le 4-3-3 d’autrefois, avec un couloir droit libre, et JelleVossen dans le dos d’AbdoulayeDiaby comme variante. En pure perte.

Leko avait donc fait machine arrière,  » en partie à la demande des joueurs « , a expliqué le CEO VincentMannaert après le match. À l’exception des nouveaux venus MarvelousNakamba et BonaventureDennis, les joueurs pouvaient donc se reposer sur leurs anciens automatismes. Hans Vanaken, transparent jeudi mais brillant dimanche, a tenu à apporter quelques nuances après le match contre le Standard :  » Le retour à l’ancien système ne s’est pas effectué à notre demande, mais en concertation avec tous ceux qui s’occupent de la gestion sportive à Bruges. Même si  » la décision finale appartient toujours à l’entraîneur « , a précisé Mannaert.

Trop court pour l’Europe ?

Leko est donc un entraîneur qui ne porte pas d’oeillères. Mais aussi un entraîneur qui laisse circonspect et, malgré un parcours parfait en termes de points en championnat, confronté aux doutes qui surgissent à propos de la qualité du jeu. Deux solutions s’offrent à lui : soit il reste fidèle à ses idées, et continue à expliquer en long et en large ce qu’il souhaiterait voir, en essayant de convaincre les joueurs et la direction du bien-fondé de sa philosophie, soit il trouve une solution alternative, à mi-chemin entre sa propre philosophie et les aspirations des autres.

À Athènes, Leko a opté pour la deuxième solution. Plutôt que de s’entêter dans ses convictions, et d’imposer ses vues de manière dictatoriale, il a cédé aux souhaits d’une partie du groupe. Il a cherché un compromis. Mal lui en a pris.

Le compartiment arrière a failli, et ce n’est pas la première fois cette saison. Pourtant, Leko était revenu au dispositif qui avait permis au Club de remporter le titre, en surclassant les PO1 avec seulement neuf buts encaissés en dix matches. À l’époque, Denswil et Engels avaient été loués pour leurs prestations et les rapports de scouting étaient tous positifs. De quoi assurer un joli pactole au Club, en cas de départ de ces joueurs.

Mais la Ligue des Champions a débouché sur une cruelle désillusion. Engels n’a quasiment joué aucun match en raison d’une blessure à l’épaule, et Denswil a commis plusieurs erreurs, sous la pression. Cette saison, l’Europe n’a pas davantage souri à ces joueurs. Engels a disputé trois des quatre matches européens, mais en livrant des prestations plutôt pâlottes. Denswil a été impressionnant contre les Turcs de Basaksehir à domicile, mais a laissé trop d’espaces à Istanbul et a sombré avec le reste du groupe contre l’AEK. Car toute l’équipe s’est, malheureusement, mise au diapason : Vormer, Vanaken, Vossen, Diaby… Tous brillent en Jupiler Pro League, mais montrent leurs limites sur la scène européenne.

Les leçons

Le Club est-il trop court pour les rencontres européennes, avec cet effectif ? Depuis la bonne première campagne sous Preud’homme, qui avait vu les BlauwenZwart échouer en quart de finale face au Dnipro Dniepropetrovsk, Bruges a disputé 20 matches européens. Mais il n’en a gagné que deux : à domicile contre le Panathinaikos (3-0) et contre le Legia Varsovie (1-0). Il a subi 14 ( ! ) défaites. Dans le vol de retour d’Athènes, Mannaert a tenu à nuancer ces chiffres, en faisant référence à l’Ajax Amsterdam, éliminé au même stade de la compétition que le Club alors qu’il était encore finaliste la saison dernière. Il y a deux saisons, Bruges était encore bien placé pour passer l’hiver, jusqu’à la sixième journée. Mais un match nul concédé à domicile contre Midtjylland a réduit ce projet en cendres. Les Danois se sont finalement qualifiés, ce que jamais un club n’avait réussi en Europa League avec un aussi maigre total de points. Et l’an passé, comme cette saison contre Basaksehir, il est apparu que le Club n’avait pas assez de qualité pour participer à la Ligue des Champions. À Athènes, le Club n’a pas pesé bien lourd face aux Grecs. Déjà, lors du match aller, les BlauwenZwart n’avaient tiré qu’une fois au but, en plus d’une reprise de la tête de Mechele. Au retour également, ils n’ont tiré qu’une fois au but. Lorsqu’en plus, la grinta et l’engagement font défaut, l’histoire se termine en tragédie… grecque, forcément.

Et maintenant ? Pour Leko et les joueurs, l’aventure européenne est terminée. Ils se consoleront avec ce 15 sur 15 en Jupiler Pro League, parfois surnommée la pintjesliga sur Twitter. 15 sur 15, et 15 buts inscrits également. Sur la scène nationale, le Club se crée des occasions et les concrétise. Pourtant, dimanche, Leko était le premier à nuancer ces chiffres. Car la qualité du jeu n’est pas encore à la hauteur. Le Croate a l’honnêteté de le reconnaître. Après tout, il est peut-être trop honnête.

La possession du ballon ne dit pas tout, d’autant que le Club a disputé trois de ses cinq matches en déplacement et qu’il avait déjà souffert hors de ses bases sous Preud’homme également, mais à Courtrai, à Waregem et même à domicile contre le Standard, Bruges n’a eu que 45 % de possession du ballon. La construction depuis l’arrière et la recherche d’un joueur libre laissent aussi à désirer. Maintenant que les joueurs ont acquis la base physique indispensable et qu’ils seront bientôt débarrassés de tous les doutes qui entourent la période de transferts, ils pourront s’atteler à perfectionner le système tactique. Leko devra les convaincre du bien-fondé de ses principes, et espérer qu’ils jouent tous la même partition. Car le Club est encore loin d’être un orchestre symphonique, même s’il compte déjà un avantage appréciable sur Anderlecht et Gand, les deux rivaux historiques, et si le soutien du public était perceptible, dimanche. En interne, les dirigeants craignaient le pire, mais le départ sur les chapeaux de roue en championnat a apaisé les esprits.

par Peter T’Kint à Athènes et Bruges – photos Belgaimage

La transition entre le nouveau Club et l’ancien n’est pas encore totalement accomplie.

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