BRUGES, CONNAIS PAS

Le défenseur français de 23 ans est enfin titulaire dans une équipe performante.

Que de sourires, larges et contagieux, le jeudi matin à l’entraînement au siège de Trigoria. La veille, la Roma a décroché sa huitième victoire d’affilée en battant Cagliari (4-3) Un record porté à neuf le dimanche après le succès à Sienne : le précédent avait été arraché sous la direction de Fabio Capello, qui en 2000-2001 et en 2003-2004, avait enregistré deux séries de sept rencontres victorieuses. Les joueurs craignaient cette rencontre à domicile disputée à huis clos au stade Manlio Scopigno de Rieti et donc sans le soutien du public. Une fois de plus, l’équipe a prouvé qu’elle était consciente de ses qualités et de ses défauts. 25 goals marqués pour cinq encaissés en neuf matches, 28 points sur 30 depuis la reprise, six victoires en déplacement : la qualification pour la Ligue des Champions est de nouveau envisageable.

Grâce aux résultats, le groupe est redevenu plus solidaire mais quels sont les motifs de cette renaissance ? Tous les joueurs parviennent-ils à donner le maximum ? Quel est le rôle de l’entraîneur ? Fallait-il simplement donner le temps au temps ?

Un an et demi après son arrivée, le défenseur central français Philippe Mexès a finalement conquis les supporters romains. Et le défi était de taille : changer de championnat, assimiler de nouveaux systèmes de jeu sans oublier que cinq entraîneurs se sont succédé sur le banc lors de sa première saison. Les obstacles ne manquaient pas sur le chemin de ce jeune joueur qui, voici deux ans, a décidé de rompre le contrat le liant à son club formateur, Auxerre, pour mettre le cap sur l’Italie. Malgré la longue bataille juridique pour son affiliation, l’interdiction faite à la Roma de réaliser des transferts entrants et la suspension qui l’empêcha de jouer pendant un mois et demi, le défenseur français ne baissa pas les bras. Une fois, le contentieux avec Auxerre clôturé, il s’est libéré d’un blocage psychologique. Au début de la compétition, il était réserve, une déchirure à la cuisse gauche contractée en août l’ayant handicapé. Il ne fit sa première apparition que lors de la septième contre Empoli, un match qui s’est soldé par une lamentable défaite. Mais voilà trois mois qu’il a pris l’ascendant sur Samuel Kuffour qui, revenu de la CAN, doit se contenter d’une place sur le banc. Une fois le cauchemar FIFA terminé, Mexès a eu un rendement allant crescendo. Il a inscrit deux goals qui ont permis à la Roma de gagner contre Ascoli et Messine. Enfin, il a fait étalage d’une grande assurance. Du coup, la direction romaine se dit qu’il valait bien les sept millions que le TAS l’a obligée à verser à Auxerre en trois versements.

Intégration réussie

Par rapport à quelques mois d’ici, vous semblez tout autre. Les attaquants qui viennent dans vos parages ne s’amusent pas beaucoup. Votre intégration est-elle donc achevée ?

La longue affaire, qui a débuté le 19 juin 2004 m’a influencé, je ne peux pas le nier. Je n’oublierai pas la date du 5 décembre 2005, jour où le TAS a mis fin à un an et demi de batailles juridiques. Tout ce raffut et ces procédures m’ont fatigué. Pendant toute cette période, j’ai essayé de ne pas y penser mais ce n’était pas facile. Lors de mon deuxième match officiel, je me faisais exclure en Coupe d’Europe contre Kiev. J’écopais de deux matches de suspension et mon club se voyait contraint de jouer à huis clos ces deux prochaines rencontres à domicile. Comme début de campagne, je pouvais rêver mieux. Il y a eu la suspension de six semaines confirmée par le TAS le 16 février 2005 et qui m’a obligé à rester sans compétition jusqu’au 30 mars, jour de mon 23e anniversaire. J’avais beau me dire que c’était moins long que les quatre mois réclamés par Auxerre et que c’était moins grave qu’une fracture du tibia comme celle dont a été victime Djibril Cissé, je ne pouvais pas faire le vide. Il y a eu aussi le va-et-vient des entraîneurs ainsi que la contestation des supporters. Quand les choses allaient mal, ils critiquaient même ma manière de m’habiller. Depuis quelques mois, je me sens beaucoup mieux sur le plan psychologique et je suis plus sûr de moi. Je pense qu’il est normal que tout cela se remarque sur le terrain. J’ai manifestement tourné la page.

Et dire que, jusque-là, vous aviez plusieurs fois déclaré que vous aviez eu de la chance, dans votre parcours vers le professionnalisme.

J’ai toujours été conscient du fait que lorsque j’étais Pupille ou Minime, il y avait d’autres excellents joueurs. J’étais loin d’être au-dessus du lot. Je n’allais pas trois fois plus vite, je ne tapais pas trois fois plus fort. J’ai eu la chance qu’on me fasse confiance, et la chance de réussir mes matches quand il le fallait. J’ai été surclassé en sélection chez les moins de 15 ans, ça s’est bien passé, ça s’est enchaîné et tout ça m’a servi. Je pense que c’est de la chance. Ça aurait pu arriver à moi comme à quelqu’un d’autre. C’est tombé sur moi. Tant mieux, je ne vais pas me plaindre.

Une discipline totale

Avez-vous assimilé le fait que dans le championnat d’Italie, le pragmatisme compte plus que tout et que c’est le monde de l’exigence ?

Je savais que le championnat d’Italie était le plus dur d’Europe. Il faut rester concentré pendant 95 minutes à tous les coups. Car quand tu joues contre Andriy Shevchenko, tu te donnes à fond parce que tu connais la valeur de l’opposant mais gare si tu te relâches la semaine suivante. Tu te retrouves face à un inconnu qui est, peut-être, plus rapide que l’Ukrainien. Ici j’ai appris que la première mission d’un arrière est de défendre. Il n’est pas question de prendre le ballon et de partir à l’aventure. Si tu le perds, le contre part instantanément et si ton équipe encaisse, tu es classé. Et comme le jeu est plus rapide ici qu’en France, il vaut mieux être prudent et éviter les relances négligées. Il faut être efficace et jouer simple. J’ai donc discipliné mon jeu. A Auxerre, j’étais plus libre, plus foufou. Je montais, faisais des chevauchées, je voulais marquer, aller mettre ma tête : tout ça c’est fini. Il faut parfois laisser le plaisir au vestiaire. J’ai amélioré mon jeu de position, j’ai mis de la rigueur dans mon jeu et j’ai appris à mettre le pied. Je suis plus dur sur le contact. Avant j’étais un peu nonchalant..

Aujourd’hui, vous êtes considéré comme un des meilleurs défenseurs centraux du Calcio. On vous dit courtisé par Milan, obligé de reconstruire sa défense vieillissante, et Lyon. On prétend que différents clubs anglais suivent votre ascension de près. Enfin, il y a aussi la Roma qui serait prête à vous proposer un nouveau contrat.

Tout d’abord, je suis sous contrat avec l’AS Rome jusqu’en 2008 et on verra dès que le moment sera venu. Cela me fait plaisir que Milan et d’autres clubs s’intéressent à moi mais si je marche bien c’est parce que je suis à l’image de l’équipe qui tourne bien aussi.

Pour le moment, comme tous mes équipiers, je suis concentré sur le fait d’éablir la plus grande série de victoires possible, vu que nous avons établi le nouveau record du club.

Ce que je sais, c’est que je veux choisir ma future destination et que ce ne soient pas des gens extérieurs à mon entourage qui décident. C’est ma vie, ma carrière et j’entends la mener comme je l’entends. C’est mon choix et pas celui d’une personne qui ne regarde pas le bien du joueur, mais celui de son club et surtout de ses finances.

Les premiers mois, toute l’équipe semblait accuser un retard de préparation. Pourquoi craquait-elle toujours après le repos ?

Franchement, on s’est posé la question et on n’a pas trouvé de réponse. La préparation a été dure et s’est bien déroulée. Alors que l’année précédente, nous avions disputé des matches amicaux sur tous les continents, l’été dernier nous avons effectué un stage plus classique. Ce qui, sur le plan physique, est meilleur pour les joueurs que les tournées internationales. Lors de la préparation, on a bien bossé donc ce ne pouvait être un problème physique même si de nombreux joueurs se sont occasionnés des déchirures. Dans mon cas, elle est arrivée juste avant la reprise du cham- pionnat. Après chaque match, on s’est remis en question mais les trois quarts du temps, on ne trouvait pas d’explication. La raison devait être d’ordre psychologique.

Une équipe qui marque

L’équipe étant jeune, on pourrait avancer qu’elle connaissait un blocage mental. Mais ne s’agissait-il pas d’un problème d’ambiance dans le vestiaire : la série positive a coïncidé avec le départ de Cassano. Est-ce vraiment une coïncidence ?

Oui, parce qu’Antonio n’a pas pu s’exprimer comme il l’aurait désiré. Il n’avait pas son meilleur rendement mais, chaque fois qu’il a joué, il a marqué.

Pourtant, certains joueurs se sont dits contents de le voir partir.

C’est vrai mais des frictions, il y en a dans tous les vestiaires. Il valait sans doute mieux pour lui qu’il parte puisqu’il avait envie de changer d’air. Le Real, c’est peut-être une drôle de destination tant il y a des attaquants mais avec le club espagnol, il y a toujours moyens de trouver de bonnes tractations et il pourrait être prêté à la Juventus ou dans un club de ce style.

Depuis que vous jouez sans centre-avant vous êtes l’équipe qui a marqué le plus de goals. N’est-ce pas paradoxal ?

Cette équipe avait besoin d’un peu de confiance. Le niveau technique du noyau ne se discute pas. Nous avons évidemment modifié notre manière d’évoluer. Nous, les défenseurs, nous étions contents car nous allions avoir moins de pression, l’écart entre les lignes étant resserré. Actuellement, nous respectons bien les consignes et tous les joueurs se meuvent sans donner de points de repère aux adversaires. La défense tient bien le coup. Les qualités de nos médians nous permettent de développer notre jeu offensif et surtout de finaliser nos actions. La preuve, treize joueurs différents sur les 20 joueurs de champ alignés ont marqué en championnat.

Francesco Totti s’est octroyé un rôle spécial : un peu meneur de jeu, un peu attaquant en retrait, un peu médian récupérateur…

Il a un tel sens du placement qu’il peut jouer à toutes les places, y compris défenseur. Peut-être pas au gardien. C’est sans aucun doute le joueur moteur de l’équipe. Ce n’est pas un hasard si les adversaires le serrent de près. Pour le moment, il se plaint des chevilles et, avec la succession des matches, il ne peut se soigner convenablement. Les adversaires sont conscients de ses ennuis et certains visent carrément ses chevilles. En plus, ils savent qu’il est capable de réagir Personnellement, quand je vois le nombre de coups qu’il prend, je comprends qu’il puisse péter les plombs. C’est un homme après tout.

Trophées en tête

L’année dernière, vous avez connu cinq entraîneurs. Merci pour la stabilité ! Quel rôle a joué Luciano Spalletti ?

Il m’a fait sentir comme un titulaire même quand je ne l’étais pas. C’est clair que l’année dernière, il n’y a pas eu de continuité. Cinq entraîneurs en une saison, ce n’est pas banal. Ça change d’Auxerre ! Cesare Prandelli était un entraîneur respecté et apprécié pour ses qualités humaines et sportives. Malheureusement, il a démissionné avant le début du championnat pour des raisons personnelles, son épouse étant malade. Rudi Völler est arrivé à un mauvais moment, Enzio Sella a assumé un intérim d’une semaine avant de laisser la place à Luigi Del Neri. Dans un premier temps, celui-ci a stabilisé la situation en redonnant plus de sérénité mais il a quitté le navire, laissant sa place à Bruno Conti. Ces nombreux changements, chaque coach ayant ses méthodes, ont sans doute eu une incidence sur notre mauvais début de saison. Avec Spalletti, on travaille plus dans la continuité.

La quatrième place qualificative pour la Ligue des Champions, la Coupe d’Italie et la Coupe de l’UEFA, la Roma ne court-elle pas trop de lèvres à la fois ?

Non, cette équipe est lancée et elle peut envisager lutter pour le titre la saison prochaine si elle persévère sur cette voie. Nous devons croire en nos possibilités car, au moment d’entamer notre série victorieuse, nous avions 12 points de retard sur le quatrième classé. Maintenant, nous n’en avons plus que deux sur la Fiorentina et six sur Milan. Nous subirons encore des défaites, c’est un fait. Je ne connais pas le Club Bruges. Je n’ai vu que quelques images à la télé. Personnellement, je n’ai pas d’objectif prioritaire car ce n’est qu’en allant jusqu’au bout de tous les défis que je peux escompter retrouver l’équipe nationale.

Du coup, songez-vous à retrouver l’équipe de France ?

J’ai une chance sur deux de figurer dans la sélection pour le Mondial. En fait, je paye le contrecoup de l’affaire Mexès. En France, je suis considéré comme une personne qui a créé du bordel et qui s’en est allé uniquement pur l’argent. En fait, il n’en est rien. Je ne suis pas le vilain comme certaines personnes ont souhaité le faire croire. Guy Roux voulait bien que je parte mais dans le club qu’il voulait, dans celui qui lui donnait le plus d’argent. Le n£ud du problème était que je voulais simplement que l’on respecte ma volonté. Alex Ferguson était intéressé mais il y avait trop de défenseurs à Manchester. Chelsea, c’était du vent ! Je n’avais pas envie d’aller dans un club où je ne n’aurais pas eu ma place. Je voulais partir pour jouer et à la Roma, j’avais d’autres garanties sportives. Je ne me sens coupable de rien. Enfin, si : de mon exclusion en Ligue des Champions le 15 décembre 2004 contre le Dynamo Kiev car elle a provoqué le jet d’un briquet sur l’arbitre Anders Frisk et que le match a été interrompu. Je n’aurais pas dû répliquer au coup de coude que Maris Verpakovskis m’a donné. L’arbitre a vu mon coup de pied et m’a mis le rouge. Cet épisode, a joué contre moi mais je ne suis pas un voyou.

NICOLAS RIBAUDO

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