« BROOS SE DEMANDAIT OÙ IL ÉTAIT TOMBÉ « 

Qui de mieux que Steve Dugardein pour évoquer l’histoire des Hurlus ? 27 années de maison et près de 350 matches en D1, respect !

On demande à Steve Dugardein de composer une équipe idéale avec des coéquipiers qu’il a eus à Mouscron.  » Francky Vandendriessche dans le but. En défense, AlexTeklak, MichalZewlakow, Gordan Vidovic, Marco Casto. Au milieu, Frédéric Pierre, Stefaan Tanghe, Tonci Martic, Yves Vanderhaeghe, Dejan Mitrovic. Devant, Mbo Mpenza.  » Il n’a oublié personne ?  » Oui, je sais, mais il y a tellement de choix. Je dois sacrifier des gars comme Jonathan Blondel, Demba Ba, Nenad Jestrovic, Koen De Vleeschauwer, MarcinZewlakow, Emile Mpenza, Dominique Lemoine, Christophe Grégoire…  » Pour coacher, il hésite entre Hugo Broos et Georges Leekens.

Cette abondance résume les grands moments foot à Mouscron depuis la première montée en D1, en 1996. Ce week-end, on va revoir un match de la plus haute division au Canonnier. Visiteur : Waasland Beveren. Un retour dans la lumière après les années sombres consécutives à la faillite déclarée fin 2009. Bon, ce n’est plus l’Excelsior Mouscron, c’est le Royal Mouscron Péruwelz. Bref, passons. Les gamins ne savent probablement rien de l’histoire, certaines personnes d’âge mûr doivent avoir zappé des passages.

Pour rappeler le passé glorieux, Steve Dugardein est la personne indiquée. Ancien capitaine, Hurlu le plus capé en D1 avec près de 350 matches. Et 27 années dans la maison, où il avait débuté à 6 ans. De 1980 à 2008, il est resté dans la place, avec seulement une parenthèse d’une saison à Caen. Il entraîne aujourd’hui des étudiants d’écoles de sport à Mouscron et vient de reprendre du service au club comme entraîneur des U19 nationaux. Rencontre au Futuro, magnéto.

Eté 1996 : première montée en D1

 » Rien que de parler de ce tour final, j’en attrape des frissons… On a arraché la montée sur le terrain de Courtrai. Pour rentrer, on est montés sur le toit du bus. Un moment, le chauffeur a dû s’arrêter, il fallait passer un pont, c’était trop juste… On est descendus, puis remontés directement après ce pont. Plus on approchait de Mouscron, plus il y avait du monde au bord de la route. On se serait crus dans une grande ascension au Tour de France. Et sur la grand- place, c’était la folie avec la grosse caisse et tout le bazar. Je suis rentré à 7 heures du matin, puis la fête s’est prolongée pendant une semaine. Et dire que ça aurait pu tomber à l’eau… à cause du professionnalisme d’Emile Mpenza. Il était encore à Courtrai pendant le tour final mais avait déjà signé à Mouscron, Mbo aussi. Dans ce match décisif, il a marqué : 1-0, c’était compromis. C’était notre troisième tour final et on a cru que ça allait encore mal se terminer. Quand Emile a marqué, on a tous pensé la même chose : -Mais qu’est-ce que tu nous fabriques ? Il condamnait peut-être sa future équipe à rester en D2. En fait, il ne faisait que son boulot. On a finalement émergé. Jean-Pierre Detremmerie, notre bourgmestre, notre président, avait engagé Leekens un an plus tôt avec un projet de montée sur deux saisons. On a pris un an d’avance.  »

Saison 1996-1997 : podium

 » On avait un triangle d’or : Lemoine, Emile et Mbo. Lemoine était notre architecte, il donnait des ballons calibrés à nos deux flèches. Autour du triangle, on avait d’excellents ouvriers, par exemple Laurent Dauwe ou Claude Verspaille. Leekens avait l’art de gérer différemment ses vedettes et les autres joueurs. Il savait avec qui il pouvait être dur et avec qui il devait être coulant. Certains avaient besoin qu’on leur tape sur la tête de temps en temps, ça leur permettait de rester concentrés. Lemoine avait un caractère bien trempé, il fallait parfois le laisser tranquille.

Après notre premier tour extraordinaire, on a cru que tout allait s’effondrer quand l’Union Belge est venue voler Leekens. Notre parcours de feu, on l’a vite payé cher. Après Leekens, Lemoine est parti à l’Espanyol Barcelone alors que le championnat n’était pas encore terminé. Et on parlait déjà des Mpenza au Standard. On considérait Mouscron comme un tout petit, certains étaient prêts à nous faire n’importe quoi, les plus sales coups. Emile et Mbo avaient signé pour plusieurs saisons mais subitement, on a parlé de transferts C, de changements de signatures. Le Standard voulait les prendre pour presque rien. L’Excel se faisait piller, on s’attaquait à nos bijoux de famille. A cause de tout ça, par moments, on avait l’esprit plus en dehors du terrain que dessus. Mais on a sauvé l’essentiel : avec Gil Vandenbrouck, qui avait remplacé Leekens, on a fini à la troisième place. Devant Anderlecht !  »

Eté 1997 : Coupe d’Europe

 » On a éliminé Limassol puis on a logiquement trébuché contre Metz en Coupe de l’UEFA. L’Europe, c’était nouveau pour presque tout le monde. Les seuls qui connaissaient, c’étaient Broos, Verspaille qui avait joué des matches internationaux avec Bruges et DonaldVanDurme qui était sur le banc d’Anderlecht pour la finale contre la Sampdoria. Pour Broos, ces rendez-vous étaient surtout des matches de préparation. Il a débarqué avec des méthodes radicalement différentes de ce que nous avions toujours fait. Il a décidé d’introduire la défense en zone, c’était une révolution pour nous.

En décembre, on était très mal au classement. C’était la première grosse crise que je connaissais depuis que je jouais à Mouscron ! Personne ne tapait du poing sur la table, on n’avait pas de grandes gueules, pas de joueurs qui auraient osé demander à Broos pour revenir au marquage individuel. De toute façon, il n’aurait rien changé. Broos mourra avec ses idées. Et il avait l’appui total de Detremmerie, qui voulait en faire le Guy Roux de Mouscron.  »

1997-2002 : les années Broos

 » On pouvait s’étonner que Broos se soit engagé dans un petit club comme le nôtre alors qu’il venait de passer six saisons et de gagner des trophées avec Bruges. Mais Detremmerie avait un argument fort : il lui donnait les pleins pouvoirs et les vannes financières étaient ouvertes. Au début, il a eu du mal à s’adapter. Je me souviens d’une soirée dans un club de supporters. On avait mis une ambiance dingue, on était tous torse nu, Teklak s’était installé à la batterie. Broos se demandait où il était tombé. Mais il a changé au fil du temps, et à la fin, il n’était pas le dernier à boire son verre après l’entraînement !

Le président avait des projets pharaoniques. Je l’entends encore dire qu’il visait un budget d’un milliard de francs, 25 millions d’euros. Je me disais : -Là, il y a un problème… Il voulait concurrencer Anderlecht, il voyait la Coupe d’Europe. Il nous offrait parfois des surprimes. Si on demandait 30 invitations pour un match, on les recevait. Le Canonnier était l’endroit où il fallait être vu. Les journalistes se seraient battus pour nous accompagner en stage parce que tous les frais étaient pris en charge par le club et c’était la grande vie. Le Tout-Mouscron était là : des personnalités, des sponsors, des supporters. Tous invités par l’Excel. On a séjourné dans des hôtels fantastiques. Parfois, c’était tellement beau qu’on n’osait pas se laver les dents, pour ne pas salir… On est allés à Malte, à Barcelone, à Marbella où on s’est retrouvés avec le Bayern !

C’est une période où on a eu des joueurs extraordinaires comme Vidovic, ZoranBan, Mitrovic, FrédéricPierre, Jestrovic, les Zewlakow. Et moi, le petit Dugardein, je me retrouvais au milieu de tous ceux-là. Dans certains matches, ça partait dans tous les sens, le danger venait de partout, on avait entre-temps assimilé le système Broos, ça rappelait le grand Bruges de l’époque LorenzoStaelens, FrankyVan der Elst, GertVerheyen.  »

2002 : finale de Coupe (1)

 » On s’est retrouvés en finale de la Coupe contre Bruges. Pour la première fois, on avait le droit de courir sur l’herbe du Stade Roi Baudouin… Et il était bondé. Tu sens que quelque chose se passe. Tu découvres le protocole, tu mets les pieds dans une autre dimension. On s’est préparés dans un grand hôtel de Bruxelles puis notre bus a été escorté jusqu’au stade en traversant des flots de supporters déchaînés. Bruges était favori. Je retiens la polémique du penalty. Marcin Zewlakow s’est écroulé dans le rectangle, on estimait que la faute était indiscutable, l’arbitre Quaranta n’a pas sifflé, on a perdu notre temps à discuter, Bruges en a profité pour partir en contre et marquer, c’était fini pour nous. 3-1 et leurs trois buts par AndrèsMendoza. On a quand même fait une fête gigantesque. On s’est d’abord arrêtés dans un café à l’entrée de Mouscron, et en partant, on y a laissé notre car pour monter dans un bus découvert. Une vraie troisième mi-temps à la mouscronnoise. Si on avait gagné, j’y serais encore !  »

2005 : premiers soucis financiers

 » Sur un plan financier, j’ai connu deux périodes : avant et après ma saison à Caen, en 2004-2005. Quand je suis revenu, on a commencé à avoir des retards de paiement, jusqu’à deux mois. En tant que capitaine, je devais tenir le groupe, calmer les gars qui se rebellaient, qui voulaient faire grève. Alex Teklak et Olivier Besengez m’aidaient. Detremmerie répondait toujours la même chose : -Ça va arriver. Et ça finissait toujours par arriver. A ceux qui voulaient se mettre en grève, j’expliquais qu’ils devaient respecter les supporters et surtout faire gaffe à leur étiquette. Le footballeur qui ne veut plus jouer est directement considéré dans le milieu comme un fouteur de merde et il risque d’avoir beaucoup de mal à se recaser.  »

2006 : finale de Coupe (2)

 » Ce n’était pas comme la finale contre Bruges : cette fois, on avait nos chances sur le papier. Zulte Waregem, c’était jouable. Malheureusement, l’ambiance était très tendue, toujours à cause des soucis financiers. Le groupe était fragile, plusieurs joueurs ne pensaient plus qu’à leur propre avenir, il y avait des clashes. Le public le ressentait et le Stade Roi Baudouin n’était qu’à moitié rempli. Mouscron était en pleine régression à tous les niveaux. Je n’ai pas dormi, mon fils est né pendant la nuit ! Le matin, je suis passé au supermarché pour acheter quelques bouteilles de champagne, j’avais des yeux comme ça… Gil Vandenbrouck m’a demandé si j’étais en état de jouer, je lui ai répondu que ça irait mais je n’ai pas fait une grande finale. On a été battus, 2-1. Après le match, j’ai proposé de payer un verre à tous les joueurs, il n’y en a que cinq qui sont venus, ça voulait tout dire. A notre retour, il n’y avait rien dans le centre de Mouscron. Pour tout t’avouer, je ne me souviens même pas si on est repassés sur la grand-place.  »

Fin 2009 : faillite

 » J’avais arrêté un an avant la fin du club, j’étais parti à Louvain. Cette faillite, on la sentait venir, on savait que l’Excel allait dans le mur. Les entraîneurs avaient défilé, il n’y avait plus aucune stabilité : Paul Put, Ariel Jacobs, Marc Brys, Enzo Scifo, Miroslav Dukic. Même chose avec les présidents : Edward Van Daele, Francis D’Haese, Philippe Dufermont, son cousin Jean-Pierre, à nouveau Philippe. On a parlé d’investisseurs kazakhs, des joueurs espagnols sont arrivés, ça partait dans tous les sens et le club avait une mauvaise presse alors qu’il avait longtemps eu une image sympathique. Evidemment, les retards de paiement ne faisaient qu’empirer. La faillite était donc un aboutissement logique.  »

A partir de 2010 : Péruwelz, Lille, D1

 » Les gens ont râlé quand Mouscron a fusionné avec Péruwelz, ils ont encore tiqué quand Lille est devenu actionnaire majoritaire. Je peux comprendre, mais maintenant, il faut ouvrir les yeux. Si le LOSC n’était pas venu, on n’aurait jamais revu un club de D1 chez nous. Il faut tourner la page, regarder devant. On doit arrêter de vivre avec le passé, arrêter de râler. Ça fait cinq ans que l’Excel n’existe plus, c’est maintenant le RMP soutenu par Lille, point à la ligne.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : BELGAIMAGE

 » On a séjourné dans des hôtels fantastiques, c’était tellement beau qu’on n’osait pas se laver les dents. On s’est retrouvés avec le Bayern.  »

 » Si le LOSC n’était pas arrivé, on n’aurait jamais revu un club de D1 au Canonnier.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire