Ses parents dévoilent le secret d’une réussite basée sur une grosse tolérance à la douleur.

C’est l’hiver 1988. Dans le jardin d’une maison banale de Balen, une tente. A l’intérieur, Tom Boonen, âgé de huit ans, se réchauffe les mains, avec son petit frère Sven et ses voisins Anneke et Tim. Il fait froid, dehors, le vent souffle et les enfants ont gardé leur anorak. Tom trouve ça chouette, un feu de camp dans une tente en nylon.

Quelques secondes plus tard, panique : Agnès Melis, sa mère, évacue les enfants. Le petit Tom ne comprend pas.  » Je suis arrivée juste à temps. Imaginez que la tente ait pris feu. Les enfants auraient brûlé vifs. C’est typique de notre Tom : – Venez, les gars, j’ai une idée. Nous allons nous réchauffer. Nos enfants n’ont jamais été plaqués devant la télévision. Le soir, il fallait les rappeler à la maison. Nous avions deux solides petits gaillards avec des joues respirant la santé « .

André Boonen, le père :  » Leur camp était là. Dès huit ou neuf ans, jusqu’à ce que Tom commence à rouler. Un ferrailleur habitait derrière la maison. Il achetait des trucs de l’armée. Il fournissait Sven et Tom : pantalons, casquettes, sacs à dos, tout le tralala. Cela commence par une gamelle et ça finit par une grande tente « . Elle a été plantée de l’autre côté de la rue sur un terrain vague. Rapidement, une question s’est posée : pouvaient-ils passer la nuit là avec les voisins ?

Agnès :  » Je ne voulais pas qu’ils dorment seuls, donc André était obligé de rester avec eux. Le lendemain, il était cerné ! Les enfants avaient décidé de monter la garde la nuit et notre Sven était mort de peur « .

André :  » Il se relayaient d’heure en heure. A peine étais-je assoupi qu’un autre se levait « .

Agnès :  » Nous avons toujours été les compagnons de jeux de nos enfants. En vacances, quand il pleuvait, nous jouions aux legos toute la journée. Lors des anniversaires, André et moi nous maquillions en Indiens. Une fois, je me suis couchée avec ce maquillage, tant j’étais vannée. Je viens d’une famille de neuf enfants, où on jouait tout le temps « .

Le meilleur coureur belge pesait 3,480 kg à sa naissance, après un travail de 25 heures.  » Sans épidurale !  » C’était le 15 octobre 1980, le lendemain du Prix Putte-Kapelle.  » André devait le courir mais je suis restée à la maison. Je ne me sentais pas bien. Les douleurs ont commencé à dix heures et demie mais je n’ai accouché que le lendemain après-midi, à 14 heures. L’accouchement a été long parce que Tom était de travers. Deux semaines auparavant, j’étais tombée lors d’une course, en donnant à boire à André. Juste sur le ventre. C’est à cause de ça que l’accouchement a été si long. On a eu recours aux forceps et il avait une drôle de tête. Il était tout bleu. Nous nous sommes demandé ce que nous avions fabriqué là « .

Sociable et toujours de bonne humeur : c’est le souvenir que son entourage garde du jeune Tom Boonen. Agnès :  » Récemment, son institutrice maternelle m’a fait un beau compliment. Elle m’a dit : – Quand je vois Tom à la télévision, je me dis qu’il est resté le même petit Tommeke qu’avant. Il est toujours entouré, il rigole et bavarde. Tom a toujours été très sociable. Parfois, je lui demande s’il a des nerfs. Il me répond : – Je fais de mon mieux. Tom vit au jour le jour sans se tracasser « .

André :  » Je ne pense pas qu’il ait jamais été bouleversé. Ce qui est passé est passé, bon ou mauvais. Le Tour des Flandres et ParisûRoubaix appartiennent au passé, pour lui. Il n’a même pas regardé la vidéo. Il se focalise sur son prochain objectif, le maillot vert au Tour. Il place toujours la barre haut pour se motiver : je veux ça et je vais faire ça. « .

Agnès :  » Quand il a de la poisse, comme au début du Tour l’année passée, il ne faut pas lui poser de questions car il s’emporte sans réfléchir et sort ce qui lui passe par la tête. Mais quand tout est sorti, même en public, il referme le chapitre « .

Le danger, notion abstraite

Pour le petit Tom, le danger était une notion abstraite, comme l’ont constaté ses parents au fil des années. Les cicatrices qui le marquent n’ont pas toutes été provoquées par d’héroïques chutes en course, loin s’en faut.

 » Où que nous allions, Tom cherchait ce qu’il y avait de plus haut, de plus rapide et de plus dangereux « , raconte André.  » Nous sommes allés à la plaine de jeux d’Averbode, un jour. On pouvait louer des vélomoteurs. Tom a foncé droit dans la clôture en bois. Un poteau a entaillé son ventre. Le goût des vélomoteurs lui est vite passé « .

Agnès :  » Et ce filet de tennis ? »

André, manifestement tout fier :  » Nous allions à la mer, à Flessingue. Des connaissances y faisaient du camping tout près d’un terrain de tennis. L’auto était à peine à l’arrêt qu’il courait vers le terrain pour sauter au-dessus du filet mais ses pieds se sont coincés et il est tombé sur la tête « .

Agnès :  » Il s’est aussi cassé une dent en jouant au sabre avec les voisins. Il pleurait dans le fauteuil : – Je n’oserai plus sortir, je ne peux plus rire. Il paniquait parce que ses belles dents étaient abîmées. Un peu plus tard, d’un camp, il nous a écrit : – Téléphonez au dentiste car j’ai perdu ma dent dans le bras d’An. C’est recousu mais ça va. En fait, il était tombé, la mâchoire sur le coude d’An et y avait laissé le morceau de dent que le dentiste venait de lui remettre « .

Ses parents ont eu la peur de leur vie en 1989. Agnès avoue :  » Je suis une mère poule, toujours anxieuse. Un jour, nous sommes allés dans un magasin de tapis. Devant, il y avait un château gonflable. Je voulais d’abord faire mes achats mais Tom m’a implorée : – Maman, nous sommes assez grands. Comme une barrière les empêchait d’aller sur la route, j’ai accepté. Nous étions dans le magasin depuis dix minutes quand on a annoncé : – Les parents de Tom Boonen sont attendus au château gonflable « .

André :  » Tom avait escaladé une des tours, sans se rendre compte qu’il allait voler à terre si les autres gosses sautaient. Il est tombé la tête la première sur l’asphalte et a perdu connaissance. Tom était tombé dans une flaque d’eau et comme il saignait, on avait l’impression qu’il gisait dans une mare de sang. Epouvantable. A l’hôpital, on lui a mis une attelle au cou. Il n’a plus senti ses jambes tout un temps, suite au choc « .

Agnès :  » J’ai culpabilisé, puisque je les avais laissés seuls, ce que je ne faisais jamais « .

Tom a heureusement un seuil de douleur élevé.

Agnès :  » Un vrai dur. Il peut se faire plomber une dent sans anesthésie. Après les Trois Jours de La Panne, sa main était toute gonflée et enflammée mais il n’y a pas prêté attention. Il ne se plaint jamais quand il est malade. Simplement, il reste assis tranquillement. L’année dernière, quand il a été hospitalisé pour ses problèmes intestinaux, il ne s’est pas plaint mais il ne supportait pas plus de deux personnes à son chevet et elles devaient se taire. Il gisait là, tout calme. Nous avons vraiment eu peur. Le dimanche, nous avons dit aux médecins qu’il déclinait de jour en jour. Il est apparu qu’il s’empoisonnait lui-même parce que son intestin était bloqué. Je ne veux plus revivre ça. A la fin de la saison, Tom doit subir une opération bénigne : la cicatrice est abîmée car il a forcé trop tôt « .

Gamin, Tom n’a pas pratiqué de sport en particulier. Il passait son temps dehors. Jusqu’en 1993. A 13 ans, Tom est revenu de l’école en agitant un formulaire d’inscription.

André :  » Du cross scolaire de Zolder. Il voulait à tout prix y participer. J’avais arrêté le cyclisme en 1985 et depuis, on n’avait plus jamais prononcé le mot course. Tom ne se souvient d’ailleurs pas de cette période. Depuis, je travaillais chez Ridley et je lui avais apporté un vélo. Il a gagné. Quelques mois plus tard, il a remis ça à Genk. C’était parti. Nous l’avons affilié chez les aspirants du club de Balen. Un an plus tard, le cyclisme était toute sa vie « .

Il n’a jamais été poussé

André et Agnès l’ont toujours soutenu sans le pousser.  » Mieux vaut courir que passer son temps au café. Mais je ne lui ai jamais dit : -Tom, on est jeudi, tu dois faire autant de kilomètres. Aller à l’école en vélo et s’entraîner le mercredi après-midi avec le club suffisait. Nous n’avons jamais établi de programme d’entraînement. Comme les autres, Tom passait un examen médical par an et c’était tout. Nous ne faisions pas de prises de sang ni rien de tout ça. A 13 ans, on a toujours des carences. C’était la mode des pulsomètres mais il n’a jamais roulé avec ça quand il était jeune. Mieux vaut apprendre à écouter son corps « .

Agnès :  » Quand ça n’allait pas, André le forçait à se reposer alors que beaucoup de parents auraient dit : -Tu ne t’es pas bien entraîné « .

André :  » Nous avons eu la chance que tout se passe bien. Quand il perdait, c’était sa faute : il avait encore été trop généreux dans ses efforts. Il a gagné sa première course au bout de quelques semaines chez les débutants puis plus rien. Pendant toute une année. Il a collectionné les places d’honneur. Il ne s’en affligeait pas. L’année suivante, tout le monde pensait qu’il allait voler de victoire en victoire. Il était toujours en tête mais ne gagnait rien. Tous ses copains avaient déjà remporté une course. Nous sommes allés à Waanrode. Je lui ai dit : -Tom, si tu veux gagner aujourd’hui, tu dois m’écouter. Tu vas rester calme et faire ce que je te dis. Je savais que la course s’achèverait en sprint massif. Je lui ai donc interdit de mener le train. Plusieurs autres ont démarré mais il ne pouvait pas les suivre. Il est devenu nerveux ! A la fin, il y a eu un sprint massif. Tom a été si rapide qu’il a pris dix secondes à son dauphin. Il m’a dit : -Dorénavant, je ferai ce que tu me diras. Après le Tour des Flandres et ParisûRoubaix, beaucoup de gens ont dit que le Tom d’antan était de retour : rouler, rouler, jusqu’à ce qu’il ne sache plus d’où il venait, comme dans le temps. Que de courses n’a-t-il pas perdues ainsi « .

André Boonen savait malgré tout que son fils pouvait aller loin :  » Tom a toujours été grand mais il a longtemps conservé un visage de bébé. En Juniors, d’autres avaient déjà de la barbe et le battaient souvent. Ses poils ont poussé vers 18 ou 19 ans. Il avait une large marge de progression « .

Pour ce casse-cou, rester dans un peloton énorme n’était pas évident.

André :  » Lors d’un championnat provincial pour débutants à Hoogstraten, ils étaient 150 au départ. Tom était tout au bout. Je lui ai dit de ne pas le regretter : sur ce parcours, il allait vite remonter. Il a haussé les épaules. Après 500 mètres, nous l’avons vu man£uvrer vers l’avant, sur l’herbe. Quelques kilomètres plus loin, il était parmi les dix premiers. Nous avons vraiment compris qu’il pouvait faire son métier du cyclisme après le Mondial de San Sebastian. Tom était 17e et a participé au contre-la-montre des Juniors. Nous sommes partis juste après la course pour pouvoir l’accueillir. Dans le hall des arrivées, pas un bonjour. Seulement : -Je vais devenir coureur. A l’hôtel, il avait été dans la chambre de JohanMuseeuw et de tous ces grands. Il avait tâté de la vie de pro et il était tenté « .

Agnès :  » A 18 ans, nous l’avons autorisé à tout miser sur le cyclisme pendant un an. Il a obtenu le statut de sportif d’élite, pour être en règle. Ensuite, il a pu effectuer un stage chez US Postal. C’était parti. Il a terminé troisième de Paris û Roubaix dès sa première saison chez US Postal « .

André :  » Il aurait pu poursuivre ses études. Il fréquentait l’école professionnelle de Mol, en mécanique. L’école reportait ses examens pour qu’il puisse courir. Tom a encore fait une année de spécialisation en électronique. Il a obtenu 75 % sans jamais ouvrir un livre « .

Agnès :  » Il devait étudier et quand on s’approchait en silence de lui, on voyait qu’il dessinait des vélos de course. J’aurais préféré qu’il étudie encore mais à la longue, j’ai jeté l’éponge. Il a quand même décroché un diplôme et a la chance d’exceller dans ce qu’il fait « .

Bousculé par Armstrong

André :  » Les parents pensent toujours au revers de la médaille. Tom gagne bien sa vie avec le cyclisme mais imaginez qu’il soit victime d’une grave chute « .

Agnès :  » André aussi a été pro. Ce furent les plus belles années de sa vie mais après, il a dû travailler à l’usine et il est tombé dans un trou noir « .

André :  » Maintenant, il est le nouveau dieu mais quand il arrêtera, c’en sera fini. On lui fera signe de loin. La plupart des sportifs ont du mal à redevenir des hommes normaux « .

Tom habite toujours chez ses parents. Il se décrit fièrement comme un fils à sa maman et a déclaré qu’il resterait encore chez ses parents cinq ans. Agnès sourit :  » Sven et Tom vivent toujours avec nous. C’est un hôtel, ici. Je m’occupe de la lessive, du repassage, des repas, de l’agenda, et le soir, ils vont dormir chez leur amie. Je ne suis jamais plus heureuse que quand nous sommes tous réunis à table et que nous bavardons. J’adore ça. J’apprécie d’autant plus ces moments qu’ils sont rares, puisque Tom est souvent parti. Il téléphone tous les jours, parfois deux fois. Je dois aussi lui envoyer un sms avant une course : -Sois prudent, bonne chance. Il y attache beaucoup d’importance. Si je ne le fais pas, il me demande tout de suite si je n’ai rien oublié. Tom est attaché à notre foyer « .

André :  » Avec US Postal, il passait beaucoup de temps en Amérique. Il avait le mal du pays et a cassé son contrat pour son équipe actuelle. Les longs déplacements qu’il effectuait seul lui pesaient. Nous étions opposés à son départ d’US Postal. Etre dans une telle équipe à 19 ans ! N’importe qui aurait signé des deux mains mais il avait l’impression d’être la cinquième roue de la charrette « .

Agnès :  » Ce n’était pas une question d’argent. Tom a pris sa décision seul, en connaissance de cause. Nous en avons discuté : que représente une année dans une vie ? Nous lui avons conseillé d’achever cette année de contrat avant d’entamer une autre page. Il a dit : -Croyez-moi, ce sera une année perdue. Beaucoup de gens lui ont tenu rigueur d’avoir fait ça à son âge. Tom n’était pas heureux. J’ai passé des nuits blanches avec cette affaire « .

André :  » C’est dans de tels moments qu’on voit comment les gens sont. Lance Armstrong lui a envoyé un e-mail… On ne s’attendrait pas à ça d’un homme pareil. C’était… américain. Plus tard, avant une course, Tom s’est dirigé vers lui, la main tendue. Armstrong a continué son chemin. Tom a essayé de renouer le dialogue pendant la course mais Armstrong a détourné la tête « .

Agnès :  » Cela vous poursuit et vous fait peur, quand on blesse ainsi votre enfant. Armstrong avait écrit des trucs du style : -Sais-tu à qui tu t’attaques ? Tom avait les larmes aux yeux « .

André :  » Son contrat chez US Postal n’avait rien à voir avec Armstrong. Comme sprinter, il n’aurait jamais eu de place dans l’équipe, puisqu’elle ne visait que le classement général « .

Agnès :  » George Hincapie et ses autres coéquipiers n’ont jamais été méchants. Seul Armstrong l’a été « .

André :  » Tom avait demandé qu’on embauche un Belge pour ne pas toujours devoir voyager seul mais US Postal ne voulait pas. Evidemment, l’équipe ne pouvait pas savoir que la progression de Tom allait être fulgurante. Beaucoup se sont trompés à son égard. Moi aussi. Je pensais qu’il serait en mesure de gagner de grandes courses un jour mais pas avant trois ou quatre ans « .

Parents terrassés par l’émotion

 » Les sentiments qui m’ont envahie quand mon fils a gagné le Tour des Flandres ont été indescriptibles « , poursuit Agnès, qui ne regarde pas la moindre arrivée, même à la télévision.  » Je ne supporte pas cette pression. Nous avions un laissez-passer pour suivre le Ronde mais nous avons dû nous ranger sur le côté, après avoir malencontreusement heurté la main d’un agent de police. Nous n’avons pu continuer qu’après le passage du drapeau vert et nous ne sommes pas arrivés à temps. Nous pouvions cependant voir Tom sur une petite télé dans l’auto. Nous avions le nez collé dessus et une connaissance hurlait dans l’auto : -Il l’a ! Il l’a !

Une semaine plus tard, Paris – Roubaix a été une autre source d’émotions. Staf van Genechten, son premier entraîneur, était terriblement ému. C’est magnifique de voir les émotions que votre fils provoque. Je suis très, très fière mais j’ai aussi peur : que va-t-il arriver, maintenant ? Pendant deux jours, j’ai dû débrancher le téléphone « .

 » Nous avons eu PEUR QUAND TOM ÉTAIT À L’HôPITAL. Il était couché, sans parler  » (sa mère)

 » Tom n’a jamais roulé avec un pulsomètre quand il était jeune. IL FAUT APPRENDRE À SUIVRE SON INSTINCT  » (son père)

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