Brigitte vs Marcel

« Ta Brigitte m’a répondu ! « , hurla Marcel depuis le corridor, la main droite chargée de tout le courrier, la gauche lui servant de support pour décrypter le verso d’une enveloppe en particulier.

En hâte, il man£uvra du pied droit la porte entrouverte de la cuisine puis, d’une talonnade délicate, la replaça contre le chambranle. Via deux touches rapides du pied gauche, il attira vers lui le pied de la chaise faisant face à sa femme et s’y affala dans la foulée pour décacheter fiévreusement l’enveloppe. Georgette avait observé sans mot dire toute cette coordination instinctive, son barbon de mari n’avait rien perdu de sa souplesse de chevilles,… il venait de contrôler un ballon sans en avoir et sans s’en apercevoir : comme si le foot resterait inscrit, ad vitam, dans son code génétique !

–  » Brigitte a bien du mérite, et en tout cas du temps à perdre « , commenta Georgette sèchement.  » Les courriers des vieux machos de ton acabit, ça devrait voler poubelle après seulement trois lignes de lecture !  »

B rigitte Vieillefille était chroniqueuse à Foot, ma copine, nouvel hebdo féministe axé sur le foot féminin. Georgette venait de s’y abonner, Marcel le feuilletait chaque semaine avec toute la mauvaise foi dont il était capable. Un mois plus tôt, Vieillefille avait évoqué George Weah en l’appelant Le Sierra Léonais et Marcel avait bondi, ricanant de félicité : Weah était Libérien, cette fille n’y connaissait décidément rien au foot, il fallait le lui signifier par écrit !

Ainsi, dans ce courrier de Marcel qu’avait lu mais n’avait pu censurer Georgette, se côtoyaient lamentablement l’injure phallocrate, les fautes d’orthographe, une délicatesse pachydermique… et ni plus ni moins qu’une accusation de racisme : car Marcel allait jusqu’à prétendre qu’être journaleuse de foot tout en ignorant la nationalité d’une star comme Weah, c’était mépriser le peuple noir dans son ensemble !

– » Foot, ma copine quel titre de sotte ! « , grinça Marcel.  » Elle n’a pas été à l’école, ta Brigitte ? Elle se donne un genre, mais elle ignore le genre du mot football : on dit LE football, ma cocotte !  »

– » Vois-tu, vieil homme « , moussa Georgette qui n’avait jamais apprécié le son du mot cocotte,  » si tu t’intéressais un peu au vrai monde, plus vaste que celui qui englobe ton ballon rond de merde, je ne devrais pas tenter de t’expliquer la finesse de l’allusion : féminiser le mot football, c’est précisément lutter pour que le foot sorte du ghetto des mâles bornés duquel tu fais partie ! Ou duquel fait partie cet immonde Pauleta qui, voici quelques semaines au PSG, a osé traiter de pouffiasse une brave jugesse de ligne ! Quel savoir-vivre !  »

– » Faut admettre que les arbitresses foutent le bordel « , s’entêta Marcel.  » Au Brésil, l’une d’elles a validé le but qu’un ramasseur de balle avait inscrit quand elle avait le dos tourné. Le gamin a pénétré sur le terrain, expédié dans ses filets le ballon que le gardien allait dégager sur coup de pied de but, puis s’est esquivé : ni vu ni connu !  »

– » … Et donc, cette appellation Foot, ma copine c’est pile la même démarche que cette phrase archi-connue, même d’un ignare comme toi : – J’ai rencontré Dieu : elle est noire ! Mais… j’implore ton pardon de l’avoir citée : je suppose que tu vas me taxer d’humour raciste ? », acheva Georgette en soupirant.

– » Le racisme dans les stades est un problème grave, on ne blague pas avec ça « , déclama Marcel d’un ton péremptoire, tout en se plongeant dans la réponse de Brigitte Vieillefille.

– » Un problème, mais dont tu te sers pour calmer ta crise actuelle de misogynite aiguë ! Et je vais te dire à quoi elle est réellement due, ta crise : tu ne supportes pas que les albums Panini, dont ta collection est la fierté de ta vie, se soient ouverts aux footballeuses !  »

– » Je l’admets « , concéda Marcel persifleur.  » Avoir 30 ans de vécu Panini derrière moi et devoir me mettre à coller des vignettes de bonnes femmes pour garder ma collection complète, ça me fait mal aux seins !  »

– » T’es raciste avec les femmes footballeuses, Marcel, c’est pas mieux qu’avec les hommes noirs. J’espère que Brigitte Vieillefille te donne une bonne leçon. Alors, tu me la lis, sa réponse ?  »

(A suivre)

par bernard jeunejean

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