BREX-HILL

 » On ne réussit pas un heptathlon parfait tous les jours « , avait prévenu Nafi Thiam avant Rio, pour tempérer les attentes. Celles des observateurs et celles de son coach, Roger Lespagnard, qui estimait que la Namuroise pouvait  » être huitième aussi bien que première « . Si elle a obtenu l’or, à la surprise générale, à commencer par la sienne, ce n’est pas un hasard.

Une heure avant le concours crucial, le lancer du javelot, Rob Maul, un journaliste britannique du Sunday Express, nous interroge :  » Tell me : who is Nafi Thiam ? We don’t know her.  » Quand nous lui expliquons qu’elle étudie la géographie et ne s’entraîne qu’une fois par jour, il est stupéfait.  » Really ? !  » Pourtant, Maul ne croit pas que Thiam puisse battre la tenante du titre olympique, Jessica Ennis-Hill.  » Jess est trop rapide sur 800 mètres. Si ça arrivait, croyez-moi, ce serait un choc en Grande-Bretagne. D’une amplitude égale au Brexit. Tous les journaux ont retardé leurs éditions jusqu’à quatre heures du matin pour pouvoir titrer sur l’or de Mo Farah en 10.000 mètres, de Greg Rutherford en longueur et de Jessica. Si jamais elle est battue par une Belge inconnue…  »

Un collègue anglais mieux informé l’interrompt :  » Thiam n’est pas vraiment une inconnue, certainement pas dans le milieu des épreuves multiples. Brianne Theisen Eaton(médaille de bronze, ndlr) avait prédit qu’elle lutterait pour l’or. Rob Maul répète :  » Really ? !  »

Les observateurs étaient unanimes : Nafi Thiam était capable de conquérir une médaille olympique, certainement à Tokyo, en 2020. Ses managers ont même inclus une clause dans ses contrats de sponsoring, au cas où elle y parviendrait avant, à Rio. Car elle est dotée de gènes fabuleux.  » Elle est explosive, sa détente est formidable, elle mesure 1m84. Un corps parfait pour l’heptathlon « , estime Wim Vandeven, l’ex-coach de Tia Hellebaut, qui a pratiqué l’heptathlon avant de s’orienter vers le saut en hauteur.

SELF PLAYING PIANO

 » Nafi est un self playing piano, un tel talent qu’un entraîneur ne doit pas apporter beaucoup de modifications. Je l’ai vue réussir des sauts inouïs en stage. Elle possède un potentiel gigantesque, qui s’exprime maintenant « , poursuit Vandeven. C’était avant la dernière épreuve, le 800 mètres…

Dix minutes plus tôt, la Namuroise a effectué un lancer crucial au javelot, à 53,13 mètres, dès le premier essai. C’est étonnant car depuis qu’elle s’est blessée aux ligaments du coude droit, aux championnats de Belgique fin juin, Nafi Thiam n’a touché le javelot qu’une fois avant son heptathlon. Pour ménager l’articulation mais aussi pour ne pas être influencée mentalement par la douleur qu’elle ressentirait. Johan Bellemans, l’orthopédiste responsable du staff médical du COIB, l’avait prévenue avant l’heptathlon : le lancer du javelot serait particulièrement douloureux mais, avec une technique parfaite, ce serait  » relativement sûr « .

Crucial, donc, ce premier lancer, qu’elle a brillamment réussi : jusqu’à présent, seules deux lauréates olympiques de l’heptathlon ont fait mieux. Et Roger Lespagnard de souligner par la suite :  » Sans cette blessure, elle aurait lancé à 56 ou 57 mètres.  » Sa protégée a d’ailleurs essayé. Elle a bravé le conseil de Bellemans et, après avoir renoncé au deuxième essai, elle a lancé le dernier – à 46 mètres. Typique : petite, Nafissatou pleurait de joie quand elle améliorait un record personnel mais échouait à la tentative suivante. C’est sa motivation ultime, bien plus que la volonté de gagner des médailles : se surpasser.

GÖTZIS, LE TOURNANT

Mentalement, le 800 mètres du meeting de Götzis, en mai dernier, a été crucial. Toutes les heptathloniennes redoutent cette épreuve, la Namuroise plus encore que les autres : il lui est déjà arrivé d’en faire des cauchemars. Ce n’est pas non plus un hasard si c’est dans cette ultime épreuve qu’elle a souvent perdu des places dans les précédents grands tournois.

A Götzis, pour la première fois, elle a couru en toute décontraction, en acceptant la souffrance, et elle a amélioré son record personnel de trois secondes, alors qu’elle avait failli chuter après 150 mètres. Mentalement, un tournant. Donc, à Rio, Lespagnard était convaincu que son athlète ne céderait pas à la pression, ni pendant le double tour de piste, ni avant, au javelot.

Nafi Thiam n’a pas craqué. Au contraire : avant son premier lancer, elle piochait paisiblement dans une boîte de bonbons en rigolant avec la Française Antoinette Nanadjimou. C’était peut-être l’image de la soirée. Elle rappelait une petite phrase de la jeune femme à Lanzarote, au stage du COIB, en novembre :  » En toutes circonstances, j’essaie de garder les yeux ouverts et de ne pas paniquer sans raison.  »

Le 1er juillet, quelques jours après sa blessure au coude, elle a twitté une phrase d’un philosophe américain :  » Si vous ne devez franchir aucune barrière ni lutter contre un démon, comment parler de succès ?  »

VERS LES 7.000 POINTS ?

Cette mentalité a permis à Nafi Thiam de franchir la barrière en or olympique, une semaine avant ses 22 ans. Avec quatre ans de moins que la moyenne (26,11) des neuf autres dames du top dix – seule la Cubaine Yorgelis Rodriguez, septième, est plus jeune, de cinq mois. Cette moyenne correspond aussi à l’âge moyen des huit précédentes championnes olympiques (25,37 ans depuis l’introduction de l’heptathlon en 1984) et des dix dernières championnes du monde (25,20).

L’exploit n’est toutefois pas unique : Carolina Kluft avait 21 ans, six mois et 19 jours quand elle est devenue championne olympique à Athènes. La Suédoise avait même un an de moins, en 2003, quand elle a conquis son premier titre mondial avec 7.001 points, soit 191 de plus que notre compatriote à Rio.

Elle en totalise 6.810. Quinze athlètes seulement ont déjà fait mieux. Or, elle possède encore une belle marge de progression, surtout en course : elle a couru le 200 mètres en 25.1, le temps le plus lent des médaillées olympiques. Même si elle a battu son record personnel en 800 mètres (2’16.54) et en 100 mètres haies (13.56), seules quatre et cinq des 24 heptathloniennes médaillées ont couru plus lentement.

 » Si elle peut améliorer sa course ainsi que sa technique dans les disciplines techniques et gagner encore en puissance, elle se rapprochera très vite de la frontière magique des 7.000 points « , précise Vandeven.  » Et alors, son avenir sera encore plus brillant que son présent.  »

PAR JONAS CRETEUR À RIO – PHOTOS BELGAIMAGE

Quinze athlètes à peine ont fait mieux que les 6810 points totalisés par Nafi Thiam.

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