BRASSAGE DES CARTES

L’Algérie est la grande favorite de la 30e édition de la compétition continentale africaine, qui débute le 17 janvier à Bata en Guinée Equatoriale.

Ça y est, tout est prêt – ou presque – pour accueillir les seize participants au festin continental, deux ans après l’édition remportée par le Nigeria en Afrique du Sud. Il y a deux mois à peine pourtant, le microcosme du football africain était en ébullition. Le Maroc, prévu de longue date pour abriter le tournoi 2015, avait décidé contre toute attente de jeter l’éponge, en mettant en avant la crise sanitaire liée à l’expansion inquiétante du virus Ebola sur le continent africain. Le royaume chérifien demandait son report pur et simple. La Confédération africaine (CAF) lui opposa un refus catégorique. S’en suivit un bras de fer qui dura de longues semaines. Au bout du compte, la CAN a été  » sauvée  » quand la Guinée Equatoriale du dictateur Teodoro Obiang a accepté de se substituer au Maroc alors que le Qatar se tenait prêt à pallier une absence de candidats inquiétante… Ouf de soulagement pour la CAF, pour laquelle la vente des droits audiovisuels de la CAN est absolument vitale dans son économie.

Comme en 2012 – mais elle avait relevé le défi en compagnie du Gabon – la Guinée Equatoriale, seul pays hispanophone du continent africain, joue les hôtesses du tournoi. Il y a trois ans, on avait découvert Malabo la capitale (sur l’île de Bioko) et Bata sur le continent. Le grand public devra se familiariser avec Ebebiyin et Mongomo (la ville du président Obiang), deux sites qui disposent de stades de moyenne capacité et d’un minimum d’infrastructures pour accueillir la  » grande caravane  » de la CAN, celle des accompagnateurs, techniciens, médias et supporters. Ce pays méconnu et souvent considéré comme l’un des moins  » chaleureux  » du continent accueille donc l’Afrique et toutes ses stars. Toutes ? Enfin presque, puis l’Egypte de Mohamed Salah (Chelsea) a encore raté le coche pour la 3e édition de rang. Idem pour les Super Eagles du Nigeria. Sacrés champions 2013 à Johannesbourg, les hommes de Stephen Keshi se sont fait éconduire par l’Afrique du Sud et le Congo Brazzaville de Claude Le Roy dans leur groupe. Un échec retentissant pour les huitièmes de finaliste de la CM 2014 au Brésil (0-2 face à la France) qui a provoqué le départ du légendaire défenseur central d’Anderlecht.

Groupe de la mort

Pour nombre d’observateurs, l’édition 2015 doit consacrer l’émergence d’une équipe, l’Algérie. Qualifiée après quatre matches, el-Khedra (la verte) a parfaitement vécu la transition – depuis son huitième de finale historique contre l’Allemagne en CM (2-1 a.p.)- de Vahid Halilhodzic et l’arrivée du Français Christian Gourcuff (ex-Lorient) sur le banc. Séduisante et ambitieuse dans le jeu, l’Algérie est sans surprise la nation africaine N°1 au classement FIFA. Elle a tout pour elle : une organisation sans faille sur et en dehors du terrain, des individualités de qualité comme Yacine Brahimi (FC Porto), Sofiane Feghouli (Valence) ou encore son exceptionnel keeper Raïs Mbolhi (Philadelphia Union, MLS). Cela suffira-t-il dans un groupe considéré comme celui de la mort, avec l’Afrique du Sud, le Sénégal et le Ghana ? Très décevants au Brésil (éliminés au 1er tour), les BlackStars du Ghana, toujours placés dans le dernier carré depuis 2008, ont été poussifs en éliminatoires. L’arrivée récente sur le banc du très discuté Avram Grant (ex-Chelsea) confirme les intentions du pays de remporter une cinquième couronne. La dernière remontant à…1982 ! Captain Asamoah Gyan (Al-Aïn, Emirats), la machine à buts, est en forme, comme le prouve son récent titre de Meilleur joueur étranger de la Confédération asiatique (AFC). L’Afrique du Sud revient aussi à un niveau acceptable sous la direction du coach local Ephraïm  » Shakes  » Mashaba. Ce dernier a écarté Thulani Serero de l’Ajax, mais dispose d’un onze  » commando  » solide défensivement, emmené par le White CaptainDeanFurman (Doncaster). Le Sénégal d’Alain Giresse, qui a créé la polémique à Dakar en ne retenant pas Demba Ba, complète cette poule qui donne des migraines aux pronostiqueurs ! Sur ce qu’ils ont démontré en éliminatoires, les Lions de la Teranga, finalistes 2002, peuvent aussi se mêler à la lutte pour les quarts.

Becker, Put, Jorge Costa

Ailleurs, les chances du pays hôte, la Guinée Equatoriale, paraissent limitées. A la base, cette équipe re-qualifiée en tant qu’hôte, suite au  » forfait  » du Maroc, avait été disqualifiée par la CAF après avoir aligné un joueur (Thierry Fidjeu, né Camerounais) qui selon elle ne satisfaisait pas aux critères des binationaux. Le Nzalang Nacional (la foudre) est un mix composite de joueurs camerounais, ivoiriens, brésiliens et colombiens auxquels ont été adjoints quelques vrais  » nationaux « . Fin décembre, le sélectionneur espagnol, ( » boucher  » de Maradona) Andoni Goikoetxea a été démis de ses fonctions et remplacé par l’Argentin Esteban Becker dix jours avant le début de tournoi. Esteban Becker qui était jusqu’alors sélectionneur… des féminines équato-guinéennes. Quart de finaliste en 2012, le pays hôte aura du mal à sortir d’une poule qui comprend le Gabon, le Congo Brazzaville et les Etalons du Burkina Faso, finalistes 2013, toujours dirigés par notre compatriote, Paul Put. Invaincues en éliminatoires et à ce titre considérées comme une surprise potentielle pour le dernier carré, les Panthères du Gabon – voisin peu apprécié de la Guinée Equatoriale- disposent d’une solide colonne vertébrale avec le gardien d’Ostende DidierOvono, le stoppeur Ecuele Manga et le binôme offensif EvounaAubameyang (Borussia Dortmund). Et d’un coach, Jorge Costa (ex-Porto et Standard), néophyte dans ce tournoi. Ce ne sera pas le cas du Congo Brazzaville de Claude Le Roy. Le Français établit un nouveau record (8 participations, une victoire en 1988) et a réussi à qualifier un pays absent depuis 2000. Le monde va découvrir le talent de l’attaquant Thievy Bifouma (Almeria, ESP), l’abattage du milieu de Reims Prince Oniangue et un gardien sans complexe, Christoffer Mafoumbi, qui évolue dans le foot amateur français, au Pontet.

Leekens face au Congo

Le groupe d’Ebebiyin comprend la Zambie (lauréate 2012) et le Cap Vert, issus du même groupe éliminatoire, la Tunisie, sacrée en 2004, et la RD Congo (championne 1968, 1974). Les Chipolopolo zambiens ne bénéficient plus de l’effet de surprise de 2012 quand ils s’étaient imposés avec Hervé Renard à leur tête. Le méconnu Honour Janza, l’un des trois coaches locaux à cette CAN (avec Mashaba de l’Afsud et Florent Ibenge de la RDC, NDLR) aura du mal à sortir d’une poule promise à la Tunisie de Georges Leekens. Celui qui avait qualifié l’Algérie pour le tournoi 2004 (sans y aller) va enfin vivre une CAN. Ses Aigles de Carthage sont réputés très solides. Ils comptent quelques talents (Msakni, Chikhaoui, F. BenYoussef, recruté par Metz) mais Leekens est un réaliste qui s’appuie sur un onze discipliné tactiquement, plutôt que sur le grain de folie de ses joueurs. Il se méfiera particulièrement des Requins Bleus du Cap Vert. Deuxième participation après 2013 où les coéquipiers du Lillois Ryan Mendès jouèrent en quart (0-2) contre le Ghana. Et surtout, premier pays qualifié (après quatre matches) pour 2015… Sans surprise, la RD Congo présente le contingent de  » Belges  » le plus important, à l’instar de la révélation Junior Kabananga (Cercle Bruges). Derniers qualifiés au titre de meilleur troisième, les Congolais sont managés par le modeste Florent Ibenge, l’homme aux deux casquettes. Ibenge est en effet le boss de l’AS Vita Club de Kinshasa, finaliste de la dernière Ligue des champions d’Afrique. Celui qui fut -pour quelques semaines seulement – le coach de Nicolas Anelka en Chine (Shanghaï Shenhua) a donné en l’espace de six mois un style fluide et résolument offensif à cette équipe qui a dynamité la Côte d’Ivoire à Abidjan (4-3) en octobre dernier. Sans pression aucune, les Léopards – qui comptent un autre as du dribble, Yannick Bolasie (Crystal Palace), le jeune cousin de Trésor Lua Lua – joueront crânement leur chance.

L’après Eto’o-Drogba

Le dernier groupe, celui de Malabo, est baptisé  » poule des francophones  » avec le Mali, la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Cameroun, ces deux derniers étant issus du même groupe éliminatoire. Les juvéniles Aigles maliens s’appuient toujours sur le capitaine et vétéran Seydou Keita (AS Roma) mais n’ont pas convaincu en éliminatoires. La Côte-d’Ivoire dispose certes d’un coach qui a remporté la CAN (Hervé Renard) mais la transition est difficile depuis la retraite que s’est imposée Didier Drogba. Le Mondial 2014 fut sans relief, et l’équipe actuelle, si elle compte de grands talents – Yaya Touré, Gervinho et Wilfried Bony – est d’une fébrilité défensive inquiétante. Bref, on doute de sa capacité à s’immiscer dans le dernier carré. Le Cameroun en revanche, a su gérer l’après Samuel Eto’o. La CM au Brésil, désastre collectif, a servi de point de départ à l’Allemand Volker Finke pour rebâtir. Mission accomplie. Du neuf dans toutes les lignes : nouveau gardien, nouveaux latéraux, nouvel état d’esprit autour du capitaine Mbia. En éliminatoires, on a été séduits par le trio Njié (Lyon)-Aboubakar (Porto) et Choupo-Moting (Schalke), qui est lui le véritable taulier du jeu. Ça sent la rédemption pour les Lions Indomptables qui peuvent viser loin. Reste le cas du Syli de Guinée. Un pays ravagé par Ebola, interdit de jouer chez lui les éliminatoires. Malgré tous les obstacles, les hommes du taiseux Michel Dussuyer ont validé leur billet grâce à un état d’esprit conquérant et un jeu éblouissant sur le plan offensif. Ils débarquent en Guinée-Equatoriale sans complexe et peuvent ambitionner de bousculer la hiérarchie.

Vous l’aurez compris, cette CAN 2015 paraît plus ouverte que jamais. Peut-être parce que l’Afrique des sélections vit un brassage permanent des cartes depuis quelques années qui ne profite plus aux traditionnelles nations majeures…

PAR SAMIR FARASHA – PHOTOS: BELGAIMAGE

Leekens reste un réaliste qui s’appuie sur un onze discipliné tactiquement, plutôt que sur le grain de folie de ses joueur.

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