BOUSSINHO

Bruno Govers

Le pocket-player marocain s’impose déjà comme la nouvelle coqueluche des inconditionnels du Sporting.

Six semaines à peine après son arrivée au Parc Astrid, Mbark Boussoufa (21 ans) a d’ores et déjà fait l’unanimité autour de son nom dans son nouvel environnement. La preuve : quelque 70 % des maillots vendus au fanshop du RSCA depuis le début de l’été sont floqués au patronyme du jeune Marocain qui, dans ce hit-parade spécifique, devance de loin deux autres récents transfuges : Lucas Biglia et Ahmed Hassan. Un plébiscite dont Boussinho – le sobriquet que lui ont conféré ses équipiers anderlechtois – est légitimement fier.

Mbark Boussoufa : De même que chaque être humain a besoin de se sentir aimé, tout footballeur qui se respecte aspire à la reconnaissance du public. A cet égard, j’ai été gâté depuis ma venue en Belgique car tant à La Gantoise qu’à présent, au Sporting, les fans ne m’ont jamais marchandé leur soutien. Dès la journée portes ouvertes, j’ai compris que les sympathisants du RSCA m’avaient manifestement à la bonne. Ce sentiment s’est traduit de plus belle, par la suite, lors du match de Supercoupe contre Zulte Waregem et, dernièrement encore, face au Germinal Beerschot. Cette reconnaissance me fait chaud au coeur et me donne des ailes sur le terrain, je ne le cache pas.

Au moment de botter le premier coup de coin de la partie devant les Anversois, vous aviez levé les deux bras au ciel en direction de l’assistance afin de l’inviter à donner de la voix. Un message qui avait d’ailleurs été reçu 5 sur 5 puisque les encouragements fusèrent tant et plus dès cet instant.

Pour vaincre, il faut veiller à mettre le plus possible d’atouts dans son jeu. Et les supporters, de ce point de vue-là, constituent un adjuvant appréciable. Si nous nous sommes finalement imposés, face aux Kielmen, c’est dans une grande mesure grâce à leur précieux apport. Quand nous avons été réduits à dix suite à l’exclusion d’Anthony Vanden Borre, ils ont compensé ce manque par leurs encouragements incessants. Dans pareil cas de figure, les joueurs se subliment toujours. Comme Daniel Zitka, qui a livré un match absolument dantesque ce soir-là. S’il s’est transcendé, c’est sans doute pour une bonne part en raison du soutien des gens. Ils ont réellement officié comme un douzième homme. Ou plutôt comme un onzième puisque pendant un peu plus d’une mi-temps, nous avions dû nous débrouiller à dix (il rit).

Les mauvaises langues prétendent que c’est l’arbitre, Laurent Colemonts, qui a fait office de douzième homme dans ces mêmes circonstances ?

A l’entente et à la lecture des commentaires, je me rends parfaitement compte que le penalty sifflé à l’entame de la deuxième mi-temps, pour une poussée d’Igor Lolo sur moi, a fait énormément jaser. En revoyant les images à la télévision, j’admets que nous avons bénéficié de la mansuétude du directeur de jeu sur cette phase. S’il y avait bel et bien une poussée du défenseur ivoirien, l’équité commande de dire qu’elle avait eu lieu en dehors de la surface de réparation. Nous aurions donc dû bénéficier d’un coup franc et non d’un penalty. Je puis dès lors comprendre la déception des Anversois. Mais ils doivent aussi faire la part des choses en admettant qu’ils ont loupé l’immanquable à plus d’une reprise après le repos. Et la responsabilité du referee ne peut être mise en cause sur ces actions-là.

 » Je suis un footballeur et non un comédien  »

Certains adversaires vont ont également traité de comédien après votre écroulement suite à un prétendu coup de boule du même garde-chiourme en cours de seconde période ?

Je ne dis pas que c’était une agression pareille à celle commise par Zinédine Zidane sur Marco Materazzi, loin s’en faut, mais j’ai été clairement touché à la tête par ce joueur. Logiquement, il aurait dû être exclu car son geste était beaucoup plus grave que les deux interventions fautives qui avaient valu à Anthony Vanden Borre d’être renvoyé prématurément au vestiaire. Il n’en a rien été sous prétexte que ni l’homme en noir ni ses assistants n’avaient vu la scène. L’équipe a été clairement lésée dans ce contexte mais il faut pouvoir l’accepter. Ces détails font partie du jeu. Parfois, on en tire profit, parfois pas. En fin de compte, tout s’équilibre toujours. Le nombre de coups de réparation flagrants non sifflés sur moi équivaut à peu de choses près, à cet effet, au nombre de cartes jaunes que j’ai reçues pour des simulations qui n’en étaient pas. Je suis avant tout footballeur et non comédien (il rit).

Anderlecht caracole en tête avec 6 sur 6 et a déjà creusé l’écart face aux autres candidats au titre que sont le Club Bruges et le Standard. Mais pour le même prix, l’équipe aurait fort bien pu comptabiliser 1 ou même 0 point au bout de ses deux premiers matches ?

Vous avez tout à fait raison. A Saint-Trond, nous avions eu fort à faire pour renverser une situation longtemps compromise. Sans les coups de patte de Mémé Tchité mais aussi, il n’est pas inutile de le préciser, notre jusqu’au-boutisme, tout porte à croire que nous serions revenus les mains vides de ce déplacement. Face au Germinal Beerschot, la trame aura pour ainsi dire été semblable. A cette nuance près qu’en dépit de notre infériorité numérique, nous étions parvenus à préserver notre avance au marquoir. Encore une fois, c’est à l’énergie que nous avions pris, in extremis, le meilleur sur l’opposant. A l’analyse, ce n’était peut-être pas plus mal. Au départ de cette saison, beaucoup avaient leurs apaisements quant à la valeur technique du RSCA mais moins sur les capacités de ses joueurs à réagir dans l’adversité. Aussi bien à Saint-Trond que devant le club anversois, nous avons prouvé que l’effectif a du caractère également. Le jour où nous couplerons ce répondant-là à nos qualités intrinsèques de footballeurs, c’est sûr que nous ferons mal.

Pourquoi, à qualités athlétiques égales, le surplus de potentialités footballistiques ne fait-il toujours pas la différence ?

Peut-être parce que parmi les nouveaux venus, qui forment quand même la moitié des joueurs de champ, la plupart, jusqu’à présent, attendent toujours des directives en lieu et place de prendre résolument leurs responsabilités. Le match contre le Germinal Beerschot est éloquent à ce sujet. Durant les 45 premières minutes, nous avions alors éprouvé pas mal de difficultés, sur base d’un 4-3-3 initial, pour contrecarrer les actions d’un adversaire déployé en 4-5-1. Dans cette configuration, notre entrejeu était plus souvent qu’à son tour submergé par la ligne médiane anversoise. Ahmed Hassan et moi, qui étions appelés à occuper les flancs, n’avions dès lors guère hérité de bons ballons. La logique aurait voulu que l’un d’entre nous décroche afin d’équilibrer un peu plus les forces à ce niveau et d’apporter une touche de créativité supplémentaire, nécessaire pour déjouer une arrière-garde arc-boutée en nombre devant le but de Luciano. Mais ni l’Egyptien ni moi-même n’avions eu le réflexe de nous replier, entendu que l’entraîneur nous avait demandé d’écarter tant et plus le jeu. Ce n’est qu’à la mi-temps, suite à ses directives, qu’Ahmed Hassan est régulièrement venu prêter main forte à cette charnière. Nous avons davantage su monopoliser le ballon dès cet instant.

 » Ahmed Hassan est mon grand frère  »

En première mi-temps, par contre, Anderlecht n’était guère parvenu à poser et imposer son jeu, procédant par de longues balles à suivre. Etonnant, quand même, pour une équipe dotée désormais d’habiles techniciens ?

J’avoue ne pas avoir compris moi-même cet empressement à alerter immédiatement les attaquants, en snobant les hommes du milieu. Face aux armoires à glace anversoises, des petits formats comme Mémé Tchité, Ahmed Hassan et moi n’en menions pas large, dans ces conditions. Cette tactique peut à coup sûr s’avérer payante avec le concours d’un attaquant élancé, comme Nicolas Frutos. Son rétablissement devrait en tout cas nous permettre d’exploiter cette arme-là. En attendant, il n’en faut pas moins composer avec les aptitudes de ceux qui sont titularisés devant et force est de reconnaître que nos arguments sont complètement différents de ceux de l’Argentin (il rit). Mémé Tchité et moi aimons être servis en profondeur tandis qu’Ahmed Hassan n’apprécie rien tant que d’hériter d’un ballon dans les pieds. Lors des 45 dernières minutes face aux Anversois, il a d’ailleurs été sollicité la plupart du temps de cette manière et chacun a pu se rendre compte de son utilité pour le collectif.

On sent manifestement une grande complicité entre l’Egyptien et vous. A quoi est-elle due ? A votre statut de nouveaux venus ? A vos origines nord-africaines ? A votre culture ?

Un peu de tout, sans doute (il rit). Ahmed Hassan, c’est à la fois, à mes yeux, le grand frère et le modèle à suivre. Il a dix ans de plus que moi et excipe d’une très grande expérience sur la pelouse. D’autant plus qu’il a tout de même roulé sa bosse chez les Pharaons ainsi que dans un club de la trempe du Besiktas Istanbul en Turquie. Je suis réellement sidéré par ses qualités, sur tous les plans. Et positivement impressionné par son sang froid, en toutes circonstances. A 10 contre 11, il fallait quand même avoir du cran pour botter un penalty probablement lourd de conséquences face au Germinal Beerschot. Avant le match, personne n’avait d’ailleurs été désigné pour s’acquitter de cette tâche. Celui qui se sentait le mieux était tout bonnement chargé s’exécuter. Ahmed Hassan s’est proposé, le plus naturellement du monde, et c’est d’un calme olympien qu’il est en définitive parvenu à tromper Luciano. Rien que ce péno, c’était déjà la toute grande classe. Et ce n’est là qu’un début. Pour le voir à l’oeuvre à l’entraînement, tous les jours, je prédis qu’il va encore épater souvent la galerie.

Vous faisiez chambre commune lors du stage de préparation. L’arabe parlé au Maroc se rapproche-t-il de celui pratiqué en Egypte ?

Détrompez-vous, il y a autant de différences entre les deux qu’entre le néerlandais et le danois (il rit). Nous nous comprenons par bribes mais de temps à autre, c’est par le biais de l’anglais que nous conversons. Je dois reconnaître aussi que ma connaissance du néerlandais est meilleure que celle de la langue du pays dont je suis originaire. Ce n’est pas tout à fait anormal, dans la mesure où ma scolarité s’est faite en néerlandais. En Hollande, je ne parlais arabe que chez moi, à la maison, ou avec des amis marocains. Mais les trois quarts du temps, j’utilisais le néerlandais. Dans de telles conditions, on comprendra qu’il y a un décalage entre les deux. D’ailleurs, au moment d’effectuer mes premiers pas avec les Lions de l’Atlas, cet été, je trouvais beaucoup plus facilement mes mots en faisant la causette avec les Marocains ayant grandi aux Pays-Bas, comme moi, plutôt qu’avec ceux restés au pays. Il n’empêche que pour faciliter mon intégration, j’ai insisté pour partager invariablement la chambre de l’un ou l’autre international qui évolue toujours au Maroc.

 » Débuter devant le public marocain, c’est un événement  »

Lors de la remise du Soulier d’Ebène 2006, dont vous étiez lauréat, vous aviez longuement discuté avec votre voisin de table qui n’était autre que le Standardman Oguchi Onyewu. Avait-il été question, entre vous, de vos futurs débuts internationaux avec les Lions de l’Atlas, face aux Etats-Unis précisément ?

Il avait essentiellement été question de l’ultime journée de compétition qui restait encore à disputer à cette époque. Dans la foulée, c’est vrai, le défenseur américain des Rouches m’avait effectivement demandé si j’allais disputer cette rencontre amicale à Kansas City. Au moment même, je n’en savais encore strictement rien. Je m’étais prononcé pour mon incorporation en sélection marocaine, mais il n’était pas encore acquis que l’entraîneur fédéral, M’hammed Fakhir me retiendrait déjà pour cette rencontre. En définitive, j’ai bien accompli mes premiers pas chez les Lions de l’Atlas devant les Etats-Unis. Et, en guise de grande première, je me suis donc retrouvé face à Oguchi Onyewu, qui était chargé de me museler (il rit). Les retrouvailles furent chaleureuses, en ce sens qu’on avait eu tout loisir de sympathiser lors de la remise du fameux trophée à Bruxelles. Et, pour la deuxième fois, j’étais sorti vainqueur de notre confrontation puisque le Maroc avait battu les Etats-Unis par 1 à 0.

Ce mercredi 16 août constitue une autre date importante pour vous puisque, face au Burkina Faso, vous allez jouer votre tout premier match devant le public marocain à Rabat ?

Jusqu’à présent, je compte effectivement deux caps : la première face aux Etats-Unis, à Kansas City, et la deuxième contre la Colombie à Barcelone. Si tout se passe bien, je devrais donc débuter cette fois devant le public marocain. C’est, bien sûr, un événement pour moi ainsi que pour toute ma famille. Non seulement pour mes proches, qui habitent toujours à Amsterdam, mais surtout pour les autres qui vivent à Goulimine, une petite ville située à deux heures de route au sud d’Agadir. C’est là d’ailleurs que je vais me ressourcer chaque année. Au départ, seuls les miens ainsi que quelques amis et connaissances étaient au courant de mes activités de footballeur. Au fil du temps, pas mal de choses ont évidemment bougé et on me reconnaît aussi, à présent, à Casablanca ou à Rabat. Il est vrai que la saison 2005-06, marquée par ma désignation comme Jeune Pro et Footballeur Pro de l’Année, m’a valu une belle publicité.

Désormais, vous briguez le Soulier d’Or ?

Les sacres individuels ne laissent personne indifférent. Mais ce qui me plairait, par-dessus tout, ce sont des récompenses collectives : un titre, une Coupe de Belgique. Ou pourquoi pas les deux ? J’ai cru comprendre que le dernier doublé du RSCA remonte à 1994. Douze ans, c’est long pour un club de la dimension du Sporting.

Le tirage au sort de la Ligue des Champions se profile à l’horizon. Qui aimeriez-vous défier dans cette épreuve ?

Pour moi, un nom se détache : le FC Barcelone, avec cet artiste incomparable qu’est Ronaldinho. Pour le reste, tout est bon. Je n’ai pas de préférence. J’ai plutôt hâte de découvrir cette compétition, histoire de savoir où se situe exactement le Sporting à l’échelon européen. Et moi aussi, bien entendu (il rit).

 » Le numéro 21 de Pär Zetterberg ne devrait plus être attribué  »

De La Gantoise à Anderlecht, qu’est-ce qui a changé pour vous ?

Mon rôle sur le terrain. Chez les Buffalos, Georges Leekens me demandait en priorité de mettre mon talent au service du collectif. Ici, en revanche, on attend surtout de moi que j’entreprenne ou que je mène à bien des actions. A Gentbrugge, j’étais quasiment le seul dépositaire du jeu. Au Parc Astrid, plusieurs joueurs peuvent s’acquitter de cette mission : Bart Goor, Ahmed Hassan, Lucas Biglia et d’autres encore. Dans ce cas, cette attribution différente me paraît logique.

Vous portez aujourd’hui le numéro 11 qui était aussi celui, jadis, d’un ailier magique qui avait fait ses classes à Amsterdam, comme vous : Robby Rensenbrink.

Je n’en savais rien mais on me l’a rapporté. Moi, ma seule préoccupation consistait à ne pas hériter du numéro 21 de Pär Zetterberg. On me l’a proposé mais, par respect envers ce joueur d’exception, je ne le voulais pas. Personne, au demeurant, ne se l’est approprié après coup. C’est normal, car j’estime que ce numéro ne devrait plus être attribué, en hommage précisément au Suédois. Un peu à l’image du 6 de Franco Baresi à l’AC Milan.

Par respect, vous n’entendiez pas non plus, sous aucun prétexte, porter les couleurs du Club Bruges ?

Exact. Il y a toujours eu une grande rivalité entre les sympathisants des Buffalos et ceux du Club. A l’image de ce qui se passe en Wallonie entre les inconditionnels du Standard et ceux de Charleroi. Opter pour les Bleu et Noir eût été à la fois une provocation et une trahison. Je n’aurais jamais voulu infliger un tel affront à des gens qui m’ont soutenu admirablement pendant deux ans. C’eût été plus fort que moi.

Preuve de votre attachement aux Bleu et Blanc : vous habitez toujours Gentbrugge pour l’instant.

J’habite chez ma s£ur mais, sous peu, je vais déménager dans la périphérie de la capitale. J’ai lu que Bruxelles ne me disait rien qui vaille mais c’est complètement faux. J’aime cette ville et je compte m’y épanouir pleinement comme je l’avais fait à Gand. Je me suis déjà lié d’amitié avec quelques Marocains du cru. Je ne suis donc nullement dépaysé comme l’ont écrit certains de vos confrères. Et au Sporting, je suis ami avec tout le monde. La vie est belle, que demander de plus ?

L’un de vos meilleurs potes au RSCA est, semble-t-il, Nicolas Frutos. Qu’est-ce qui vous rapproche de lui ?

Son français est aussi approximatif que le mien (il rit). Pour le reste, c’est un gars génial qui m’a invité à l’accompagner en Argentine dès que l’occasion se présentera afin que je puisse saluer personnellement celui qui a toujours été mon idole : Diego Maradona. A ce niveau, j’ai déjà été gâté depuis que je porte la vareuse anderlechtoise car lors de notre joute amicale face à l’Olympiacos, en Autriche, j’avais déjà pu saluer Rivaldo. Lui-même ne s’en souvenait évidemment pas mais je lui avais serré la main quand j’étais encore ramasseur de balles à l’Ajax. J’étais évidemment loin de me douter, à ce moment-là, que je croiserais sa route sur un terrain. C’est là tout le charme du football.

BRUNO GOVERS

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