Bouffer du Lyon

L’entraîneur du volcan de la L1 veut mettre le foot français en éruption.Pour ça, il n’y a qu’une solution : Ohème champion !

L e Bruce Willis de la Canebière : c’est un des surnoms de l’homme qui nous attend près de son bureau à la Commanderie, le splendide centre d’entraînement de l’Olympique de Marseille. Si l’acteur américain a déjà rangé l’Emmy et le Golden Globe dans son armoire aux trophées, le coach de l’OM possède un palmarès aussi long qu’un apéro sans pastis.

En moins d’une saison, Eric Gerets est devenu un personnage incontournable de la L1, une gueule qui en impose, un lutteur qui en a vu assez d’autres pour ne pas craindre les contre-courants. Ce baril d’énergie et d’émotion a totalement requinqué un club pas comme les autres, attachant ou fou, populaire mais dangereux, volcanique et jamais indifférent. Quand le bosseur limbourgeois débarqua au Vieux Port, l’Ohème était moribond, juste bon pour la culbute en L2. A la fin de la saison, les Marseillais possédaient leur billet pour la Ligue des Champions. Le Belge jouit d’un respect immense au bord de la Grande Bleue.

Gerets apprécie un cigare tandis que son chien, Georges, un magnifique danois, s’installe à deux pattes de lui. Cette impressionnante créature est désormais aussi connue à Marseille qu’à Istanbul où ses apparitions étaient très attendues. Georges n’a-t-il pas attiré le regard des caméras de 30 millions d’amis, l’émission animalière de France 3 ? Dominique Cuperly, l’adjoint de Gerets est plongé dans ses dossiers. L’OM et le Lion de Rekem foncent vers leur destin.  » Je veux le titre « , avance Gerets.  » Et si nous n’y arrivons pas, il n’y aura qu’un seul responsable : moi…  » Georges ne grogne pas. Il approuve même…

Quel fut le secret de votre réussite la saison passée ?

Eric Gerets : Il n’y a pas de recette miracle : le travail paye, c’est tout. On a bossé tous les jours avec, d’entrée de jeu, un rendez-vous à Liverpool en Ligue des Champions. Pour moi, ce n’était pas un voyage au bout de l’impossible mais bien un cadeau du ciel. La pression n’existait pas car le favori était connu. L’OM ne pouvait espérer qu’un jour sans des Reds. Et c’est ce qui est arrivé à Anfield Road où, de plus, nous avons bien maîtrisé nos intentions tactiques. Je n’étais pas venu à Marseille sans me renseigner sur les valeurs de l’effectif.

Et que saviez-vous ?

En tout cas que les joueurs étaient capables de faire beaucoup mieux que ce mauvais début de championnat. A Liverpool, on n’a pas évolué à l’anglaise. Quand on accepte le combat avec leurs armes habituelles, on est souvent dévoré tout cru. Il fallait proposer du jeu, du calme et de la maîtrise technique au niveau de la ligne médiane. Ce secteur a été étoffé et Mathieu Valbuena (auteur de notre but) a bien soutenu notre attaquant de pointe. L’axe défensif de Liverpool était embêté par notre dispositif. Même si ce 0-1 a été accueilli avec joie, je savais qu’on ne pouvait pas guérir en 90 minutes. La preuve : quelques jours plus tard, j’ai vu un autre Marseille en championnat face à Saint-Etienne. En championnat, l’équipe gérait mal la pression, surtout à domicile. J’ai expliqué, via la presse, que les supporters devaient faire bloc avec leur équipe. Et, les résultats aidant, il y a eu symbiose entre le public et les joueurs.

 » A Galatasaray, la pression était bien plus forte « 

Ce n’est évidemment pas aussi simple que cela…

Simple non, mais je connais quand même le métier. Je suis venu en cours de saison et je n’avais pas composé cet effectif. Mais il était riche. L’équipe était cependant souvent coupée en deux avec un no men’s land entre l’attaque et la défense. Marseille devait retrouver la cohésion, l’esprit de corps. Tous les joueurs avaient l’obligation de faire plus pour le collectif, d’être présents offensivement et défensivement. Il y avait du respect à mon égard. Un palmarès, ça compte. Mon passage en Turquie m’a aidé. A Galatasaray, la pression était quand même bien plus forte qu’à Marseille. Je rigole parfois quand on parle de tension et d’énervement ici. En France, la presse est plus neutre et plus objective qu’en Turquie.

A Istanbul, la concurrence médiatique est telle qu’on lit des couillonnades : c’est un certain Eric Gerets qui l’a dit, n’est-ce pas ?

C’était un lecteur bien informé en tout cas. Je me suis régalé en Turquie. Chaque expérience à l’étranger me façonne, m’apporte beaucoup car on donne et on reçoit énormément. A Marseille, on a tout de suite vu dans mon comportement que je ne panique jamais. Cela m’est arrivé au début de ma carrière à Liège. J’étais jeune dans le métier. J’y ai commis des erreurs mais le temps et le travail ont fait leur oeuvre. Je ne panique plus. Ce long chemin est devenu une richesse.

Vous avez instauré le déjeuner obligatoire pour les joueurs : c’était tellement important ?

Au début, oui. Ici, il fait chaud, ce sont des stars. La discipline laissait à désirer. Je ne dis pas que c’était la catastrophe mais on n’en était pas loin. Je les obligeais à être dans le vestiaire 45 minutes avant le début de l’entraînement. Il y a eu pas mal d’amendes. Puis, cela s’est arrangé. Cette saison, on a banni les sanctions. Et je remarque que cela fonctionne : le vestiaire est animé par un grand professionnalisme. Je ne suis pas un tyran : je ne me manifeste pas souvent dans le vestiaire. Quand je passe par là, c’est le plus souvent pour me servir une tasse de café un peu plus loin.

Il y a parfois 150 joueurs dans le vestiaire…

Ah, je vois ce que vous voulez dire. Quand nos Africains poussent la musique à fond, j’ai l’impression qu’ils sont très nombreux. J’écoute leurs tubes à distance. C’est leur domaine, leur chez eux. J’adore mes joueurs. S’ils bossent bien, je ne permettrai jamais à personne de leur adresser des reproches. Je les protège. Si Marseille n’est pas champion ou 2e cette saison, ce sera de ma faute. Cela fait baisser la pression de 50 % au moins. Il m’arrive de me tromper dans le feu de l’action. Je m’excuse, on se serre la main, c’est fini. J’avais deviné une légère crainte au début. Après trois semaines, ils ont vu que je ne triche pas. Pour moi, il n’y a pas de noms. Je suis juste, j’aligne ceux qui méritent le plus leur place sur le terrain. Si les vedettes ne sont pas à la hauteur des attentes, je leur réserve une place sur le banc, c’est aussi simple que cela.

Comme ce fut le cas de Djibril Cissé…

Cissé et d’autres. Il a compris, il m’a donné raison et j’ai retrouvé le Cissé d’avant durant la deuxième partie du championnat.

En tant que symboles marseillais de la saison passée, que choisiriez-vous comme références entre la victoire à Liverpool et les deux succès contre Lyon ?

J’opte pour Lyon. Je l’ai dit : Liverpool était dans un jour sans et l’OM fut parfait. Les Reds ont retrouvé leur vraie dimension au retour, chez nous. Ils étaient trop forts et ce monstre de Steven Gerrard aurait servi des passes précises à 200 m s’il le fallait. Après trois semaines de travail, j’ai senti que la sauce prenait. Cela n’a pas cessé d’aller crescendo, sauf contre Carquefou en Coupe de France.

N’est-ce pas contre Carquefou qu’il y a eu un problème avec Karim Ziani ?

Oui, je l’ai retiré en changeant de système. Au repos, il a voulu me donner son point de vue…

Et cela s’est mal passé…

Non, je n’avais pas le temps. Il est revenu à un autre moment et le ton est monté. Il n’était pas souvent bon la saison passée. Maintenant, ça va, il a compris et je ne suis pas rancunier. Mais le poids de cet échec nous a embêtés toute la saison. Lyon ouais : ce sont des points de repères, nos balises. Si un effectif est capable de réaliser cela, il peut viser plus haut. A Lyon, l’OM fut prudent et intelligent. Chez nous, notre jeu fut agressif et le groupe a senti les bons coups.

La clé d’OM-Lyon a résidé dans votre 4-2-3-1 : est-ce votre système tactique préféré ?

Ce n’est pas le seul mais j’aime bien. J’ai joué en 4-4-2 mais le plus souvent en 4-2-3-1. Le losange offensif offre une large palette de possibilités.

Quelle a été votre plus belle satisfaction ?

La remontée de l’avant-dernière à la 3e place en championnat. Ce retour a été accompagné par des déclics individuels. Vous me dites que Valbuena vaudrait désormais 17 millions d’euros sur le marché des transferts. Je lui ai fait confiance mais c’est surtout lui qui a saisi sa chance. Je lui ai dit de travailler et de bien s’amuser. Il a compris le message.

Avez-vous choisi les renforts marseillais ?

Oui. Ce sera différent pour moi. En septembre 2007, j’ai travaillé avec les outils en place. Cette fois, j’ai fait mes choix, en mettant des accents ou je voulais. J’assume mes options. Si cela s’avère être un échec, ce sera pour ma… pomme. Mais ce ne sera pas le cas. Je désirais renforcer la défense, favoriser le jeu sans ballon devant et disposer d’un plus gros potentiel technique afin de mieux nous débrouiller face aux défenses renforcées. Là, il faut surprendre, s’infiltrer, etc. La saison passée, c’était bon quand Cissé partait en profondeur. Mais, malgré une grande technicité, l’OM avait du mal à s’infiltrer dans les petits espaces. Valbuena et Mamadou Niang y parvenaient mais il fallait accentuer nos atouts dans le jeu court, là où il faut éliminer deux adversaires dans un mouchoir de poche. Le recrutement a été fantastique car on m’a offert tout ce que je voulais. Il y a de la concurrence partout, c’est bien.

A-t-il été facile de convaincre Hatem Ben Arfa ?

Oui, j’ai pris le temps de lui expliquer les raisons de mon choix. Il devait savoir pourquoi j’optais pour lui et pas pour un autre. Je l’ai fait pour tous les nouveaux. Ma priorité numéro 1, c’était Bakari Koné. Je ne désirais personne d’autre. S’il ne venait pas, j’ai dit à la direction que je continuais avec Elliot Grandin. Quand Koné a entendu cela, il a fait une croix sur le PSG. L’ancien joueur de Nice est toujours limite hors jeu, a le sens du but. Ce sont des armes importantes dans le football moderne.

Pour en revenir à Ben Arfa : n’est-ce pas un cas, une personnalité du genre ingérable ?

Je ne voyais pas d’autre joueur en France pour assumer les responsabilités auxquelles je pensais. Je connais son caractère. Avant qu’il signe, je lui ai dit que nous allions souvent nous battre. Pour moi, c’était une certitude qui ne m’effrayait pas. Lui non plus, je crois. Je sais qu’on peut fameusement progresser ensemble. Il a tout à gagner à Marseille et Marseille a tout à gagner avec lui. Les joueurs talentueux sont souvent difficiles. Ils ont quelque chose de magique et ils le savent. Il faut les motiver pour que leur travail en perte de balle soit fait. On doit leur botter les fesses de temps en temps, c’est sûr et certain. J’ignore pourquoi Lyon le lâche. Pour moi, ce n’est pas important : le nouvel entraîneur de l’OL a peut-être d’autres idées, mais je ne me suis pas posé la question.

 » Je peux parler d’amour avec le public marseillais « 

Vous avez trouvé les mots pour attirer Ben Arfa mais pas ceux pour retenir Nasri…

Impossible. L’appel de l’Angleterre était trop important. Il va connaître ce qui se fait de mieux. La Premier League, c’est le max du spectacle et de l’émotion.

Un des problèmes du football français ne réside-t-il pas dans son obsession défensive ? On ne marque pas beaucoup en L1. Or, la défense n’était-elle pas votre talon d’Achille ?

Je ne suis pas tout à fait d’accord. En France, le jeu est technique et surtout bien organisé. Les enjeux sont énormes et quand une équipe vient au stade Vélodrome, elle ne veut pas en prendre plein la gueule. Les mécanismes sont bien huilés, on se replie, la ligne médiane est touffue, il ne reste qu’un attaquant en phase de récupération. Pour émerger, il faut alors être patient et rusé et chercher. Moi, j’aime bien ça. Notre défense n’était pas mauvaise mais je n’ai pas pu jouer quatre fois de suite dans la même composition. Il y a eu une cascade de blessures, surtout dans l’axe. Marseille n’a pas oublié de renforcer ce secteur avec Hilton, Elamin Erbate, etc.

Il a souvent manqué un rien pour que l’OM remporte la montre en or : le dernier titre date de 1992 : il y a un siècle…

Je sais. On espère que ce sera la bonne année.

Lyon possède une culture du succès que l’OM n’a pas…

Ah, oui : on verra. L’aventure de Lyon doit se terminer un jour quand même. Sept titres, c’est assez. Aucune équipe n’aligne 15 titres à la queue leu-leu. Cela suffit. Je veux être champion. C’est le cas de Laurent Blanc avec Bordeaux mais il ne veut pas le dire. Moi, on me pose 25 fois la question par conférence de presse. Alors, je ne cache pas mon ambition et je suis tranquille. Je me suis toujours régalé avec mes titres : j’imagine ce que ce sera ici si nous y arriverons. Nous nous battrons pour y arriver. Marseille et Bordeaux sont plus forts que la saison passée. Il faudra aussi se méfier du PSG et de Saint-Etienne.

J’ai lu quelque part que le stade Vélodrome était désuet : est-ce votre avis ?

C’est un endroit de légende mais ce n’est pas un vrai stade de football. Il y a 60.000 spectateurs et on devrait entendre le bruit jusqu’à Lyon. Une partie de l’ambiance s’évapore à cause de la forme de l’enceinte. J’aime ce public. Je peux parler d’amour entre nous. J’ai besoin d’éprouver de tels sentiments avec l’effectif. Ce sont un peu mes enfants. C’est difficile pour moi d’obtenir des résultats dans une atmosphère plus froide ou réservée.

Est-ce le football a changé du tout a tout en 20 ans ?

Oui et non. Il y a plus d’athlètes qu’avant. Tout va plus vite. La préparation physique est plus poussée et cela me fait parfois… chier. Je voudrais plus de jeu et de ballon à l’entraînement mais il est indispensable de tout savoir et cela passe par des tests, des fiches, etc. Mais les grands joueurs seraient encore de grands joueurs à l’heure actuelle car ils s’adapteraient.

Vous parle-t-on encore de Goethals à Marseille ?

Oui, c’est sympa. Je n’oublie pas son art et son humour. Guy Thys a été important pour moi. J’aurais donné ma vie pour lui. Il était vraiment malin. Guus Hidding travaillait un peu comme lui et était un fin psychologue. Guus, c’est la gloire.

Tout va bien à 54 ans ?

Pas de problème.

Il y a quatre ans que vous auriez dû arrêter…

Je vis au jour le jour et j’ai encore faim de coaching. On verra où cela me mènera mais je pourrais vivre sans football. Je regarde devant moi. Ce qui m’intéresse, c’est aujourd’hui. Le passé, ça ne sert à rien. Ma vie familiale a changé. Sans cela, je me serais arrêté.

Quelle blague belge !

Non, non…

Votre ferme est retapée. Que pourriez-vous faire ?

Travailler à la ferme, c’était un plaisir. J’adore maçonner, gâcher du ciment, etc. Quand je bosse comme çà, j’oublie tout. J’aimerais rénover la maison de mes parents à Rekem, là où j’ai grandi. Pas question de tout démolir. Ma soeur ne le permettrait pas. J’ai des idées et des plans en tête pour en faire un bijou. En attendant, je vis en…

En Provence…

Exactement.

Il en a de la chance Georges…

J’adore les animaux et Georges me suit partout.

par pierre bilic – photos : reporters

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