Bonnes leçons

L’analyse de Filip Dewulf : « Les Williams ont encore privé la Belgique d’un succès mais nos joueuses ont suscité l’admiration ».

Cet Open d’Australie n’a pas laissé les amateurs de tennis sur leur faim. Il a commencé par une joute héroïque, précédée d’échanges verbaux, entre Henin et Davenport. Il a été suivi par une demi-finale palpitante entre Clijsters et Serena Williams. Chez les messieurs, entre-temps, El Aynaoui et Roddick avaient miraculeusement réussi à ne pas quitter le court à genoux après un match de plus de cinq heures tandis qu’ Agassi se frayait un chemin avec une sérénité qui mérite un coup de chapeau. Mais les finales ont été de trop, avec une énième réunion de famille côté féminin et un manque de suspense côté masculin.

Le dénouement était prévisible. Agassi était dans une telle forme que ses adversaires, le vétéran Wayne Ferreira et le méritant Rainer Schuettler, n’auraient jamais pu briguer le sacre. Agassi est comme le bon vin. Son timing et sa touche de balle restent parfaits. La façon dont il s’est défait, dans chaque joute, de son adversaire, était un régal pour l’oeil. Il n’a perdu qu’un seul set en Australie. Nul ne s’était jamais imposé en Australie avec autant de panache que le mari de Steffi Graf.

Pas de jeuneschampions!

Plusieurs joueurs confirmés ont atteint les quarts de finale et le changement de génération connaît quelques hiatus. Younes El Aynaoui a 31 ans, est père de deux enfants, demi-bruxellois et super sympa. Le Marocain est peut-être le plus professionnel du circuit et il en recueille les fruits. Des opérations à la cheville l’ont relégué deux ans sur la touche mais le revoilà, plus frais que jamais. Son match contre Hewitt a été d’une perfection rare. Avec 70% de premiers services dont 33 aces, il a utilisé l’arme fatale pour renvoyer l’ami de Kim dans les tribunes. Quelques jours plus tard, il a encore été du match du tournoi. Face à Andy Roddick, il a disputé un match aussi passionnant que surréaliste, conclu sur un score rare. Roddick se dépense sans compter, ce qui lui joue des tours. On se doutait que A-Rod paierait le contrecoup de ses efforts en demi-finales, face à l’Allemand Rainer Schuettler, très opportuniste.

Agé de 26 ans et résidant en Suisse, Schuettler a profité du forfait de Safin au troisième tour puis il a balayé ses concurrents, grâce à son tennis destructeur. S’il reste méconnu du grand public, ce travailleur forcené est redouté par la moitié du circuit. Son atout: son jeu de jambes. En hiver, il l’entretient en s’adonnant au taekwondo. Même en Allemagne, Schuettler est peu connu, Haas et Kiefer ayant les faveurs de leurs compatriotes. Des trois, c’est pourtant lui qui exploite le mieux ses qualités. Schuettler est un peu comparable au football allemand: il n’est pas agréable à voir ni à affronter mais il est terriblement efficace. Sa performance est bienvenue alors que le tennis allemand est en crise: la fédération de tennis et les tournois de Hambourg et Berlin ont évité de justesse la faillite, suite à la diminution drastique des droits tv et de l’intérêt du public et des sponsors.

Malheureusement, la finale féminine s’est résumée, pour la quatrième fois d’affilée dans un tournoi du Grand Chelem, en un affrontement entre les Williams. Serena a surpassé sa soeur aînée. Leur confrontation a été plus émotionnelle que l’année dernière et la différence moindre. Elles ont serré des poings et le numéro un mondial a parfois eu du mal à conserver le contrôle de la partie mais elle a fini par l’emporter. Serena devient ainsi la neuvième femme à inscrire à son palmarès quatre grands événements. Il ne lui reste plus qu’à tenter de réussir cet exploit en une seule année pour entrer dans la légende.

Kim a craqué

Kim Clijsters a raté une occasion en or de briser l’hégémonie des Williams. La seule chose qu’elle puisse se reprocher, c’est qu’au moment où Serena a décidé de jouer plus haut, en assumant plus de risques, elle n’a pas suivi le mouvement, en reprenant l’initiative. Evidemment, c’est un choix difficile à faire à chaud, d’autant que sa tactique passive lui avait réussi jusque-là. Cette demi-finale a d’ailleurs valu davantage par son suspense que par sa qualité, à cause du style dévastateur de Williams et de ses 66 fautes inutiles. Mais Kimmie, comme on la surnomme en Australie, a eu peur de l’échec. Elle n’a pas voulu l’admettre mais ses deux doubles fautes, à un moment crucial,interpellent.

Clijsters a quand même réussi son début de saison. Elle a encore amélioré sa condition. Elle se meut encore mieux qu’avant et est parfaitement capable de résister aux bombardements des Williams et autre Davenport. Kim a également mûri tactiquement, sans doute grâce à son coach, Marc Dehous. Cet atout rare chez les femmes a été particulièrement frappant face à Anastasia Myskina. Celle-ci est la plus talentueuse des 13 jeunes filles alignées par la Russie. On lui prédit une place dans le top-dix, ce qui n’a pas empêché Kim de la prendre souvent à contre-pied. Kim était vraiment prête à remporter son premier Grand Chelem. Il ne lui a manqué qu’un brin de réussite dans la phase décisive. La leçon est dure mais profitable.

A la volée Justine

Justine Henin a beaucoup appris aussi. Elle a fait preuve de caractère, comme Lindsay Davenport peut en témoigner, mais elle doit rester concentrée, même quand elle mène confortablement. Après le match de sa pouliche face à l’ancien numéro un mondial, Rodriguez n’a pas été tendre à son égard. Emportée par son éternel besoin d’assurer la victoire le plus vite possible, elle perd de vue sa tactique. Elle ne reprend ses esprits que quand elle est menée. Peut-être sa victoire contre Davenport fera-t-elle figure de déclic. Son entraîneur a tiré des leçons de la demi-finale aussi. Justine doit compenser son manque de puissance face à Williams par un jeu plus agressif: elle doit attaquer, ce qui implique un travail de volée. Une autre solution serait de récupérer la balle le plus vite possible, pour solliciter la vitesse de son adversaire. Mais ça requiert un jeu de jambes fantastique, que seule Kim Clijsters possède, actuellement.

Quoi qu’il en soit, nos deux filles ont été excellentes. Elles ont prouvé qu’elles méritaient leur classement -numéros trois et quatre. A l’avenir, elles devront mieux exploiter leurs aptitudes. Roland Garros constitue une excellente occasion: la terre battue, plus lente, constitue un handicap pour le powertennis tout en mettant la mobilité en valeur. Rendez-vous Porte d’Auteuil, donc.

Filip Dewulf

Les deux doubles fautes de Kim à un moment crucial interpellent

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire