Bonjour la pression

Il fait enfin son trou dans le football français mais ne parvient pas à se détacher de Bruges.

A Auxerre comme à Liège, à Lommel ou à Bruges, c’est « Khali ». Le même sourire généreux. La même démarche nonchalante. Et surtout la même classe de footballeur. Khalilou Fadiga (26 ans) a quitté notre championnat en août dernier et il est vite devenu un des piliers d’Auxerre. Il a abandonné le flanc gauche pour une place derrière les attaquants. « J’ai beaucoup de liberté, j’en ai besoin », reconnaît-il. Guy Roux dit de lui: « Un magnifique joueur, mais il faut le tenir… »

Khalilou Fadiga: Pendant trois ans à Bruges, je m’étais habitué à jouer pour le titre, ou au moins pour une qualification européenne. Nous commencions chaque match avec l’ambition de le gagner. Pour Gerets et Sollied, un nul était inadmissible. Ici, j’ai dû réapprendre à perdre, et la transition n’a pas été facile. J’ai été fort perturbé au début parce que je déteste perdre. Quand nous jouons sur le terrain des meilleures équipes, nous essayons d’abord de tenir le nul. Prendre un point à Monaco, par exemple, c’est fêté comme une victoire.

Auxerre reprend du poil de la bête après un premier tour difficile.

Je sens une nette progression dans notre jeu depuis le mois de janvier. Gagner 0-4 en Coupe de France au PSG, ce n’est pas un petit exploit. Il nous arrive encore de rater complètement l’un ou l’autre match, mais c’est de plus en plus rare. L’état d’esprit a changé. En début de saison, nous étions complexés par le fait que nous avions l’équipe la plus jeune du championnat. Nous avons mené 0-1 puis 1-2 à Lyon, mais nous n’avons finalement pris qu’un point. Avec un peu plus d’expérience, nous n’aurions jamais laissé revenir notre adversaire. Aujourd’hui, nous n’entamons plus nos matches avec la peur de nous faire manger. Nous ne sommes pas loin de l’Europe, et une qualification est tout à fait envisageable. Les atouts de notre jeunesse paient depuis quelques mois: nous affichons une plus grande envie, et davantage de spontanéité.

L’ombre de Guy Roux plane-t-elle toujours sur le noyau?

Bien sûr. Nous la sentons au quotidien. Chaque fois qu’un joueur a un petit problème, il est là. Il fait un peu office de confident. Il vérifie les terrains d’entraînement, il rebouche les trous, il vient nous parler dans le vestiaire, etc. J’ai l’impression qu’il s’occupe encore plus de moi que des autres joueurs. Sans doute parce qu’il est venu lui-même me chercher en Belgique. Il m’appelle parfois quand nous avons congé, pour savoir ce que je fais. Quand il m’a vu partir avec vous, il m’a fait comprendre que je devais aller faire une sieste après l’interview (il rit). Il n’est plus sur le devant de la scène mais il s’occupe toujours autant des joueurs.

Daniel Rolland, son successeur, a hérité d’une mission très compliquée. On ne remplace pas facilement un monument comme Guy Roux?

Sa chance est d’avoir travaillé durant plusieurs années avec Guy Roux dans ce club, en tant que responsable du centre de formation. Ils ont les mêmes méthodes, et les joueurs qui ont connu Guy Roux comme entraîneur ne voient pas de grands changements avec Daniel Rolland. C’est le même moule : l’école auxerroise. La principale différence, c’est que Daniel Rolland est évidemment loin de posséder le même charisme que Guy Roux. Pour les joueurs, c’est une bonne chose. Avant, Auxerre, c’était Guy Roux. Maintenant, quand le club fait de bons résultats, on souligne les mérites des joueurs avant de dire que l’entraîneur a bien travaillé. Nous nous sentons plus libérés. Si Guy Roux était encore notre entraîneur, chaque exploit serait porté à son crédit.

Vous revenez régulièrement en Belgique: cela veut-il dire que vous ne vous plaisez qu’à moitié à Auxerre?

Il n’y a aucun problème au niveau du football. C’est plus technique qu’en Belgique et ça me convient. Avec Bruges, c’était parfois difficile de jouer contre des murs, des gars qui n’avaient qu’une envie: battre les dikke nekken du Club. S’ils gagnaient contre nous, leur saison était réussie.

J’ai le niveau pour jouer dans l’équipe d’Auxerre et tout se passe bien. Avec les supporters aussi, même s’ils me mettent parfois une pression énorme. Je suis un des transferts les plus coûteux de l’histoire du club. Auxerre n’a pas l’habitude de faire des folies pour un joueur. Alors, on attend beaucoup de moi. Quand je suis arrivé, les supporters venaient à l’entraînement pour voir qui était ce Fadiga qui avait coûté aussi cher. On ne me permet pas d’être simplement moyen une fois de temps en temps. On m’a directement demandé de justifier l’investissement du club et de faire des miracles. Ce n’était pas simple, surtout que l’équipe ne tournait pas à l’époque.

Dans la vie de tous les jours, l’adaptation est très difficile. Pour tout dire, on ne s’adapte pas du tout! Auxerre, ce n’est pas Paris, Liège ou Bruges. Ce n’est pas vraiment un problème pour moi car je suis à Paris en une heure et je peux y retrouver tous mes potes. Mais pour ma femme, c’est beaucoup plus difficile à vivre. Toute sa famille est en Belgique. Ici, il n’y a rien. Elle ne peut pas bouger, aller faire du shopping, etc.

Cela pourrait-il remettre en question votre contrat de quatre ans?

Certainement. Si ma femme ne s’intègre pas mieux, je réfléchirai à la fin de cette saison. Si ça ne va pas, j’en parlerai à Guy Roux. Ce n’est de toute façon pas à Auxerre que je terminerai ma carrière. L’idéal pour moi serait de refaire un jour un petit crochet par le PSG, où je suis passé brièvement autrefois, puis de partir encore plus haut.

En quittant Bruges pour Auxerre, vous n’avez pas nécessairement fait un pas en avant sur le plan sportif?

Je ne suis pas d’accord. Bruges est une magnifique équipe. Ça joue au football. Mais Auxerre n’est pas moins fort. Ce n’est toutefois pas cet aspect-là qui a fait pencher la balance. J’ai quitté Bruges pour gagner plus d’argent. C’est normal quand on est professionnel. Si l’argent ne comptait pas pour moi, je serais à Paris et je jouerais dans la rue avec mes potes. Je me plaisais beaucoup à Bruges. Si le Club m’avait proposé le même salaire qu’Auxerre, j’y serais d’ailleurs resté. Je ne me serais pas cassé la tête à déménager, m’adapter, etc. Mais je ne pouvais pas refuser l’offre qu’on m’a faite.

Sollied vous a reproché de ne pas viser plus haut qu’Auxerre.

On a dit que Bordeaux, Tottenham et le Celtic étaient intéressés. Mais je n’ai jamais parlé avec ces clubs-là. S’ils avaient vraiment souhaité me transférer, ils auraient fait ce que Guy Roux et le président d’Auxerre ont pris la peine de faire: venir me voir quatre fois en Belgique, discuter et me proposer des chiffres concrets. Sollied m’a effectivement dit qu’il ne comprenait pas mon choix. Il estimait qu’avec mon potentiel, je pouvais aller ailleurs. Il m’appréciait beaucoup. Les dirigeants du Club aussi, apparemment. Ils m’ont dit plusieurs fois qu’ils allaient me proposer un nouveau contrat, mais je n’ai jamais rien vu venir. J’en ai tiré mes conclusions. Mais j’ai été très honnête dans l’histoire. J’étais sous contrat jusqu’à la fin de cette saison. J’aurais pu attendre tranquillement puis toucher le pactole. Mais cela n’aurait pas été correct vis-à-vis d’un club qui m’a vraiment révélé. Bruges a touché 120 millions sur mon transfert, je me suis amélioré financièrement: tout le monde est content.

Vous avez dû attendre l’âge de 26 ans pour enfin jouer en D1 française: considérez-vous que vous prenez aujourd’hui votre revanche?

C’est sûr que je rêvais de jouer dans ce championnat. Je suis arrivé en France à 5 ans, c’est normal. A la Coupe du Monde, j’étais dans la tribune pour la demi-finale et la finale, avec mon maillot des Coqs. Mais je n’en veux à personne et je ne regrette rien de mon parcours. Quand j’étais au Red Star, en D2, j’ai voulu signer un contrat professionnel. A 18 ans. On m’a dit que j’étais trop jeune. Je n’avais pas envie d’attendre et je me suis cassé. Les gars du Red Star ne me comprenaient pas: -Mais tu es malade? C’est quoi la Belgique? Les gars qui mangent des frites, là-haut? J’ai pris le train et je suis parti. Aujourd’hui, même Guy Roux me dit que j’ai eu raison. Il me fait remarquer que les gars que j’ai connus au centre de formation du Red Star ne sont nulle part. Il n’y en a qu’un seul qui est mieux que moi: Steve Marlet, de Lyon.

J’ai été dans l’équipe-type du week-end quand nous avons battu le PSG chez nous en championnat. Et là-bas en Coupe, j’ai mis deux buts. Je suppose que cela suffit à faire taire tous ceux qui m’ont critiqué quand je suis parti chez les petits Belges. Je serais d’ailleurs curieux de voir plus de joueurs français tenter leur chance en Belgique. Je suis sûr qu’il n’y en a pas plus de cinq sur dix qui tiendraient la distance, physiquement. Ils ne sauraient pas être patients comme je l’ai été et ils reviendraient ici après six mois. L’avis des Français sur le foot belge change un peu grâce au parcours d’Anderlecht en Ligue des Champions, mais le processus est lent.

Il y a quand même un monde de différence entre les deux championnats…

La seule grosse différence, c’est la formation. Les Français ont tout compris; les Belges, rien du tout. Les clubs belges vont acheter des Brésiliens de troisième zone qui jouent dans les divisions inférieures dans leur pays. Il y en a à Beveren, mais que valent-ils? C’est n’importe quoi. Les Brésiliens de France, c’est Anderson, Christian et quelques autres du même calibre.

Quand j’étais au centre de formation à Paris, j’ai appris à me prendre en charge, j’ai été obligé de me responsabiliser. Je devais me débrouiller pour tout, je faisais ma lessive moi-même. Tous les jeunes joueurs étaient ensemble du matin au soir. En Belgique, on place un jeune Russe dans une famille d’accueil et il est perdu. Avec qui parle-t-il quand il rentre après l’entraînement? Ici, on a un Polonais qui est là depuis cinq mois et qui parle déjà français parce qu’il est entouré par des gars de son âge et qu’ils font un tas d’activités ensemble. La mentalité est complètement différente de ce qui se fait en Belgique. Que ce soit dans les centres de formation ou chez les adultes. Pendant toutes mes années en France, je n’ai jamais reçu un compliment de mes entraîneurs. Quand j’étais au centre, on nous traitait sans arrêt de nuls. C’était parfois difficile à vivre parce qu’un encouragement de temps en temps fait du bien. En Belgique, mes entraîneurs me félicitaient souvent. Mais aujourd’hui, je retrouve l’approche française: ce n’est jamais assez bon. C’est sans doute la meilleure manière pour faire progresser un joueur.

Vous retournez régulièrement en Afrique pour jouer avec le Sénégal et cela n’est pas toujours bien accepté à Auxerre.

Je comprends que ça ennuye le club. Mais j’ai rarement dû faire un choix entre une rencontre internationale et un match important avec mon club. Le plus souvent, je rentrais au Sénégal quand Auxerre devait jouer un match amical ou de Coupe de la Ligue. Nous sommes qualifiés pour la Coupe d’Afrique, qui aura lieu en fin d’année au Mali. Et nous sommes en tête de notre groupe éliminatoire en Coupe du Monde, à égalité avec le Maroc et l’Egypte. C’est le groupe de la mort, l’Algérie en fait aussi partie. Le Sénégal n’a jamais participé à une phase finale de Coupe du Monde. Ce sera la folie dans tout le pays si nous allons au Mondial 2002. Chaque joueur aura une rue à son nom (il rit).

Vous avez hésité à jouer pour l’équipe nationale belge?

Non, même pas. On me l’a proposé du temps de Leekens. J’ai dit que j’étais flatté, mais c’était inconcevable. Je me sens beaucoup plus sénégalais que belge, même si ma femme et mon fils sont belges, et si j’ai pris cette nationalité. Et le Sénégal a sûrement beaucoup plus besoin de moi que la Belgique, non?

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Pierre Danvoye, envoyé spécial à Auxerre

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