Bonheur partagé

Patrick Haumont

A 51 et 48 ans, ils se retrouveront à Liège cette fin de semaine, au Country Hall, dans le cadre d’un tournoi des légendes, qui nous replongera dans les années 70-80. Peut-être les plus belles du tennis masculin…

Il est des noms mythiques dont la simple évocation plonge l’amateur de sport dans des souvenirs émus et sans fin. Il en va ainsi de Fangio, de Pelé, de Stenmark, de Lewis, de Muhammad Ali et, bien sûr, de Björn Borg. Parfois, la profondeur de l’empreinte laissée par ces sportifs devenus légendes n’est pas directement proportionnelle à leur palmarès. Fangio, par exemple, a été dépassé par Schumacher sans pour autant que l’expression  » rouler comme un Fangio  » ne soit remplacée par  » rouler comme un Schumacher « . Pour Borg, c’est pareil. Son tableau de chasse est certes impressionnant mais les plus jeunes seront sans doute surpris d’apprendre que le Suédois n’a gagné que deux tournois du Grand Chelem. Plus exactement, disons qu’il a gagné six fois Roland Garros et cinq fois Wimbledon mais qu’il n’a jamais triomphé à Melbourne, ni à New York. En tout, il n’a d’ailleurs remporté  » que  » 61 titres, ce qui le place en dehors du Top 20 des joueurs les plus titrés.

Qu’importe, Borg est bel et bien l’un des tennismen les plus importants de l’histoire. D’une part, il a bénéficié d’un contexte extraordinairement favorable. C’est vers le milieu des années 70 que, sous l’impulsion de Philippe Chatrier, président de la fédération française de tennis puis de la fédération internationale, Roland Garros et le tennis mondial ont connu une première sur-médiatisation. Pour la première fois, aussi, la télévision française couvrit les Internationaux de France de manière quasi constante, le duo Jean-Pol LothHervé Duthu devenant, pour les Français et les Belges, les chantres des exploits parisiens de ce diable de froid Suédois. En réalité, Borg s’est autant nourri du contexte que le contexte ne s’est nourri de lui. Fin 70, il était d’ailleurs avec Ali le sportif le plus populaire du monde.

D’autre part, Borg développait un tennis atypique et son caractère avait un côté à la fois déstabilisant et troublant. Atypique car le Scandinave lança la mode des joueurs frappant leur revers à deux mains et imprimant à leurs envois un lift sécuritaire qui engendrait des matches d’une longueur inouïe. Borg ne lâchait jamais sa proie, ne commettant pour ainsi dire aucune faute directe. Ce jeu basé sur la régularité était soutenu par une force morale hors du commun, Borg ne laissant pas apparaître la moindre émotion ; sauf sans doute à la toute fin du dernier match d’un tournoi du Grand Chelem, quand il s’agenouillait sur le gazon de Wimbledon.

Mais une légende sportive ne peut se construire seule. Ali a pu compter sur George Foreman pour asseoir définitivement sa notoriété internationale. Borg, lui, a fait mieux encore puisque son caractère froid (ou plutôt contenu) a été confronté à trois des plus bouillants joueurs de l’histoire : Ilie Nastase, le clown roumain et, surtout, ces diables d’Américains que sont Jimmy Connors et John McEnroe.

L’éblouissant McEnroe ! De trois ans le cadet de Borg, il le rencontrera pour la première fois en 1978, en demi-finales du tournoi de Stockholm. Et, du haut de sa morgue de jeune loup aux dents acérées, il infligera une première défaite à celui qui était alors deuxième mondial derrière… Connors. Mais le duel que tout le monde a encore en mémoire remonte à la finale de Wimbledon en 1980. Si on s’en souvient, c’est du fait que le tennis était à son apogée médiatique et que la rivalité entre les deux adversaires était exacerbée par le comportement du jeune Américain (il n’avait que 21 ans). Même Luc Varenne avait commenté en direct à la radio le tie-break le plus marquant de l’épopée tennistique. Dans le quatrième set de cette finale, McEnroe gagna le jeu décisif par 18-16 avant de finalement s’incliner 8-6 dans l’ultime manche. Nombreux sont ceux qui pensent que l’Américain avait gagné ce match-là. Ils se trompent, Big Mac s’imposera en fait en 1981 face au même Borg.

Tout les opposait

Borg et McEnroe se sont croisés à 14 reprises dans des tournois officiels. Ils ont eux gagné chacun 7 de leurs confrontations. Lesquelles, répétons-le, ont fait le régal des spectateurs et téléspectateurs. Diable, tout opposait les deux champions. La faconde, on l’a dit, avec un Borg taiseux et réservé et un McEnroe bouillant, irascible, tempétueux, vindicatif, démonstratif et colérique. Le jeu, aussi, avec un Borg basant sa tactique sur la régularité et des envois calibrés avant tout pour ne pas perdre le point alors que McEnroe recherchait sans cesse la trajectoire magnifique, celle qui surprend autant qu’elle ne suscite l’émerveillement.

Borg restait le plus souvent sur sa ligne de fond alors que McEnroe était attiré par le filet comme une mouche par le miel. En dehors du terrain, les différences se marquaient également, l’Américain pouvant être parfois fantasque, parfois disert, toujours fascinant, le Suédois demeurant calme, peu loquace, souvent ennuyeux.

Bref, Borg – McEnroe est l’un des chapitres les plus captivants du roman de la balle blanche devenue jaune de leur temps. Lequel, chapitre, se termina en finale de l’US Open 1981, lieu de leur dernière confrontation, remportée par le joueur local. Trois ans plus tard, Borg quittera le circuit qu’il ne fréquentait quasiment plus depuis sa dernière victoire, glanée à Genève en cette même année 81. McEnroe, lui, jouera encore dix années, non sans succès mais toujours en recherchant un adversaire digne de celui qui restera à jamais son préféré.

A vrai dire, avec un peu de chance (ou de malchance), McEnroe aurait encore pu rencontrer Borg. Ce dernier tenta en effet un come-back de 1991 à 1993. Bilan de ce retour : 11 matches et… 11 défaites. De courageuse, cette tentative de retrouver un niveau valable se transforma en épisode pathétique. Borg était tellement déconnecté de la réalité tennistique qu’il réapparut dans un premier temps avec une raquette en bois à petit tamis alors que la technique moderne fournissait à ses rivaux des cadres en matériau composite et à grand tamis.

Ce retour aussi triste que manqué ne faisait que confirmer l’état psychologique désastreux de la légende Ice Borg. Autant, sur le terrain, ce dernier était capable de contrôler ses émotions et ses adversaires, autant, dans sa vie privée et professionnelle dès la retraite, il manqua à la fois de sens des affaires et de discernement. Si sur le court, il choisissait toujours la bonne option, en dehors il donnait l’impression de chaque fois opter pour la mauvaise.

Des pères de familles nombreuses

Contradiction fatale qui lui valut moult problèmes financiers et quelques mariages destructeurs du point de vue affectif et économique. A tel point qu’en 1990, on le retrouva dans un hôpital de Milan, dans un état psychique effrayant laissant croire (il l’a toujours nié) qu’il avait attenté à ses jours. Il est vrai qu’en quelques années, Borg, arnaqué entre autres par l’un de ses meilleurs amis, multiplia les échecs économiques tout en cherchant le bonheur hypothétique dans une vie de jet-set qui le verra partager la vie d’une top modèle suédoise ( Jannike Björling) et d’une chanteuse pop rock italienne ( Loredana Berté). Cela dit, il semblerait que Borg, contrairement à ce qu’affirmaient les rumeurs, n’ait jamais eu de soucis d’argent et qu’il aurait au contraire habilement placé une grande partie de ses gains. Reste que, pendant 20 ans, il nourrissait davantage les colonnes des faits divers que celle des contes de fées.

Pendant que Borg cherchait sa nouvelle voie, le bouillant McEnroe continua donc à jouer et, ensuite, à engranger les succès non tennistiques. Son talent de commentateur est tel qu’il est le seul consultant américain à pouvoir se produire sur deux chaînes rivales. Mais il n’est pas que commentateur tennistique. On le réclame à cor et à cri dans des émissions jeux qu’il anime (comme Zone rouge) tant aux States qu’en Australie ou en Angleterre. Il joue aussi de la musique rock (il est marié à la chanteuse Patti Smith) et gère sa galerie d’art new-yorkaise et sa fortune colossale, aidé en cela par son père, avocat new-yorkais. McEnroe, aussi, est un bon père de famille nombreuse.

Les valeurs, on le lit, se sont inversées. Si constant sur le court, Borg a vécu une première partie de post-carrière calamiteuse alors que McEnroe, si imprévisible raquette en mains, a construit une vie solide et équilibrée. Heureusement, il semblerait qu’après 26 ans d’errance, le Suédois ait retrouvé ce que l’on a pour habitude d’appeler le bon chemin.

 » Cela m’a pris 20 ans « , confiait-il récemment au Figaro,  » Heureusement, il y a six ans, j’ai rencontré Patricia, une Suédoise de 31 ans qui jouait au tennis pour s’amuser dans le même club que moi, à Stockholm. Elle était agent immobilier, mariée et avait déjà deux enfants. Je l’ai quand même invitée à dîner et cela a fait smash. Je me lève à six heures. Je prépare le gröt (bouillie de flocons d’avoine suédoise) pour toute la famille. À 7 h 45, je dépose nos enfants, Bianca (13 ans), Kasper (11 ans) et Léo (4 ans), chacun à son école. Je joue ensuite une heure au tennis pour rester en forme, puis je file à Stockholm, au bureau, avant de récupérer les petits à 16 h. Le week-end, on file en bateau dans l’archipel et on fait des balades avec notre golden retriever Lipton  » Les bonnes nouvelles n’arrivant jamais seule, il a également monté une affaire florissante, dans le domaine de la lingerie masculine et féminine.

Patrick Haumont

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