En suivant Brésil-Turquie, l’international Espoirs belge d’origine turque a évoqué ses ambitions sans oublier La Louvière.

Pour suivre la demi-finale de la Coupe du Monde qui opposa le Brésil à la Turquie, entre deux entraînements du Standard, Onder Turaci invita deux amis chez lui sur les hauteurs du Sart-Tilman.

Le jeune joueur (21 ans) avait tout prévu: une peu de tarte au riz, une cafetière d’arabica. Pas de baklava, ce délicieux gâteau turc enrobé de sucre et de miel. Il rit: « Je ne savais pas que vous connaissiez cette spécialité. C’est riche en calories, un peu lourd pour des sportifs en phase de préparation d’une saison… »

Excellent cet espresso même si un vrai café turc a aussi du goût. Onder et ses deux copains rigolent. Yoldas Muhamet joue parmi les Espoirs de Genk. Hasan Kocak poursuit des études d’architecture à Liège et s’intéresse de près au design des stades de la Coupe du Monde. Chez les Turaci, quelques détails rappellent la Turquie: une photo, le texte d’une prière, des autocollants.

Kim Milton Nielsen donne le coup d’envoi du match à 13 heures 30 pétantes. Tout le monde est d’accord: la Turquie est une des révélations de la World Cup avec ses stars, son football technique et inventif, son envie de bien jouer au football. « Elle apporte quelque chose et cette montée en puissance n’est pas accidentelle car elle repose sur beaucoup de travail », affirme Onder Turaci.

Avec ses amis, il approuve les propos de Michel Lecomte qui assure le commentaire du match à la RTBF. L’entraîneur allemand et ex-sélectionneur de la Mannschaft, Jupp Derwall, a été un des pionniers de cet essor tandis que beaucoup de vedettes turques sont nées en Allemagne et y ont fourbi leurs premières armes dans les équipes de jeunes de clubs de la Bundesliga. C’est le round d’observation sur le terrain. Onder est né à Liège. Sa famille est originaire de Konya, une ville de plus de 600.000 habitants au sud d’Ankara, en Anatolie.

L’histoire rappelle qu’un poète et grand mystique y fonda l’ordre des derviches tourneurs au 13e siècle. Son père consacra pourtant sa vie à sainte Barbe (protectrice des gueules noires) en s’installant en Belgique. Sa femme résidait déjà en Belgique, à Burenville, près de Liège.

Le grand-père du Standardman travaillait dans les mines du Limbourg, à Genk, et son papa en fit de même pour gagner sa vie. Le football fit tout de suite partie de l’existence d’Onder Turaci: il y avait un terrain près de la maison et tous les gamins du quartier s’y retrouvaient du matin au soir. Le Standard observait déjà ces mômes qui se tournaient d’abord vers le FC Tilleur voisin qui, plus tard, se maria avec un FC Liégeois sans toit.

Brésil-Turquie,un bon quart d’heure de jeu, personne ne fait la différence. Hakan Sükür joue malgré sa méforme et son élongation à la cuisse. Dans son pays, le « Taureau du Bosphore »est une légende et, critiques ou pas, beaucoup comprennent que le coach turc, Senol Gunes, fasse appel à lui. D’ailleurs, il est mieux en jambes que contre le Sénégal.

Le mal du pays liégeois

« Les études, c’était quand même pas terrible dans mon cas », dit Onder Turaci. « J’ai vite compris que le football était mon truc ». Il était encore en Pré-minimes quand ses parents décident de rentrer en Turquie. « Après un an, il a bien fallu se rendre à l’évidence: nous souffrions tous du mal de la Belgique », dit-il avec de l’amusement dans la voix. Phénomène connu: la terre d’accueil était progressivement devenue leur horizon, leur nouvelle patrie, leur vrai « chez eux ». Les Turaci sont alors revenus à Liège. Un peu plus tard, Onder était recruté par les Rouches de Sclessin.

C’est la mi-temps à Saitama et toujours pas de but au marquoir de Brésil-Turquie. Un bon match. On note quand même que les Cariocas se manifestent beaucoup sur les ailes via Cafu et Roberto Carlos. En jouant en 3-5-2, les Turcs n’ont pas deux verrous pour bloquer les flancs. Hasan Sas est un zeste moins frais et n’enchaîne pas aussi facilement ses dribbles. « J’ai admiré le Sénégal mais, sans médire du tout de Fadiga et de ses amis, le Brésil, c’est encore autre chose au niveau de la classe », avance Onder Turaci. « Hasan Sas a normalement plus de difficultés afin de s’exprimer ». Michel Lecomte l’appelle plusieurs fois Hakan Sas avant de se reprendre. A la télé, on voit plusieurs fois le drapeau tunisien à la place de celui de la Turquie qui lui ressemble. Les amis d’Onder ont noté l’erreur…

Les jeunes Turcs de la périphérie liégeoise ont préparé un immense étendard qu’ils avaient déployé dans le centre de Liège après la victoire contre le Sénégal. Une manifestation de joie sympa qui se déroula en même temps, et sans problème, que la fameuse City Parade. Onder déplore, en même temps que ses potes, les trucs et ficelles, la comédie et les simulations de Rivaldo: « Franchement, il n’a pas besoin de cela et, quelque part, c’est tristounet d’en arriver là quand on a un tel potentiel ».

Ronaldo bat Rüstü

Un peu après le début de la deuxième mi-temps, à la 49e minute de jeu, Ronaldo perce le centre de la défense turque. Il tire de façon inattendue. Rüstü, le gardien de but de Fenerbahce, est battu. Le dernier rempart a-t-il eu la main un peu molle dans cette intervention? Onder et ses amis ne le pensent pas. Ils soulignent à raison que Rüstü a été un des meilleurs derniers remparts de la Coupe du Monde avec Oliver Khan (Allemagne), suivi par Roberto Reis Marcos (Brésil), et Tony Sylva (Sénégal), qui n’était que le troisième portier de Monaco.

« Le Sénégalais ne cirera plus le banc des réservistes la saison prochaine », dit Onder Turaci.

La Turquie se lance à la poursuite du Brésil qui ne perd jamais le nord. Les contres des Auriverde sont précis et font mal à la défense turque. Onder Turaci a déjà vécu des moments délicats lors de sa carrière. Tomislav Ivic l’avait repéré dans l’armada des jeunes de Christian Labarbe. Il nota sa taille (1,86m), son élégance pour un arrière central et sa force de travail. Il s’entraîna avec le noyau A avant que les Standardmen ne prêtent des jeunes, dont Turaci, à Visé. Ils y redressèrent le cours des choses même si le club de la Cité de l’Oie plongea tout de même en D3 au terme de l’exercice.

A la fin de cette campagne, Turaci fut approché par de nombreux clubs mais le Standard préféra le garder dans son écurie en se disant qu’il y avait là de l’excellente farine. Il ne manquait qu’un peu de levain pour faire du bon pain. L’expérience est la levure des carrières. Turaci en a acquis au Tivoli. « Il y a deux ans, j’ai encore pris part à la Coupe Intertoto avec le Standard avant de signer à La Louvière », affirme-t-il. « A mon avis, les jeunes ont tout à gagner quand ils sont prêtés à des clubs où ils auront plus de chance de jouer qu’au Standard, à Anderlecht ou à Bruges. Je dois beaucoup aux Loups et je ne les oublierai jamais. Grâce à eux, j’ai découvert la D1, la pression afin d’éviter le retour un étage plus bas, la présence de la presse ».

A Saitama, la Turquie ne trouve pas la parade afin d’égaliser contre le Brésil, qui entrevoit une nouvelle présence en finale de la Coupe du Monde. C’est la revanche de Ronaldo qui avait eu tant de pépins de santé avant la finale contre la France il y a quatre ans. Le Brésil et l’Allemagne n’ont jamais croisé le fer à un tel niveau. Bastürk, Sas, Erdem, Sükür et les autres ont beau se démener, Marcos ne se retournera pas.

International Espoirs grâce aux Loups

La Louvière avait fait preuve de la même rage de vaincre pour rester en D1. Il y a deux ans, Marc Grosjean céda rapidement le témoin à Daniel Leclercq. Un épisode qui échappa un peu à Turaci car il s’occupait avant tout de lui. « J’aimais bien Marc Grosjean et c’est lui qui insista, je crois, pour me faire venir au Tivoli », dit le jeune Liégeois. « Il fit la même analyse de mon potentiel que Christian Labarbe. Je me sens plus à l’aise dans l’axe que sur le flanc d’une défense. Quand Domenico Olivieri est arrivé, je me suis défini de mieux en mieux. Il avait du métier, avait tout vécu à Genk et se fit un plaisir d’aider les jeunes. C’était une présence rassurante et j’ai progressé sous sa direction. Le départ de Marc Grosjean m’a étonné mais cela fait partie, me semble-t-il, de la vie d’un club. Dès son arrivée, Daniel Leclercq nous apporta beaucoup. Il avait son approche à lui, très psychologique, à la française, avec un très grand souci du détail. La Louvière s’en est sortie grâce à lui. Les Loups se sont sauvés à Gand et Leclercq a plié bagage, la saison suivante, après une défaite chez le même adversaire. Je me suis toujours bien entendu avec Leclercq. Sur un plan tout à fait personnel, je n’ai rien à lui reprocher. Il ne m’a pas mesuré sa confiance alors que je n’avais pas de passé dans le cadre de la cadre de la D1. Grâce à la Louvière, je suis devenu international Espoirs. Je ne sais pas si cela aurait été possible en jouant trop longtemps en Réserve au Standard ».

Quand Tivolix claqua la pote avec fracas, le président Gaone fit appel à Ariel Jacobs. « Ce fut une nouvelle ère », confie Onder Turaci. « Il y a eu un retour vers un style plus belge. La Louvière soigna son jeu de position et, sur le terrain, l’équipe fut finalement plus froide, plus réaliste, plus défensive. Jacobs estimait que La Louvière n’avait pas les moyens d’aligner une défense à quatre en ligne. Thierry Siquet devint stopper, comme moi, devant Olivieri. C’était le choix qui s’imposait car le club se releva et se sauva sans problème. Il est vrai que tout le groupe avait été rééquilibré avec l’arrivée de De Oliveira (Genk) sur le flanc gauche. Je continuerai à suivre les résultats de La Louvière. Quand j’aurai le temps, je me rendrai même au Tivoli où je n’ai que des amis ».

La page verte est cependant tournée. Onder Turaci n’a plus qu’une seule préoccupation: le Standard. Ce sont les Rouches qui ont exprimé le désir de le ramener au bercail. La semaine passée, il a entendu parler de l’arrivée de Jacky Peeters, auréolé de son bon Mondial. Au centre de la défense, il y a du beau monde avec Eric Van Meir, Afolabi et Okpara. « Je n’ai jamais pensé à tout cela et je ne le ferai jamais », dit-il. « Je pars de mes qualités, de mon ambition de devenir un bon joueur et de réussir une carrière, de mon désir de bien travailler. C’est ce qui compte et c’est sur cela qu’on me jugera. Quand on m’a dit que le Standard voulait que je revienne, cela m’a fait plaisir et, il ne faut pas me cacher, c’est le rêve de tous les jeunes joueurs du cru prêtés à d’autres clubs ».

Il pourra imiter quelques anciens qui émigrèrent aussi durant leurs jeunes années avant de s’imposer à Sclessin: Guy Vandersmissen (Waremme), Didier Ernst (Boom). Tous deux se sont ensuite révélés sous la gouverne de… Robert Waseige. Un bon présage pour Onder Turaci qui vivra le même film: à lui de mériter une place au prochain générique. « Quand Daniel Van Buyten débarqua au Standard, ils n’étaient pas nombreux ceux qui croyaient en lui. C’était dur pour Big Dan au début mais il a fini par faire son trou avant d’aller plus loin », commente-t-il. « S’il y a un exemple à suivre, c’est bien celui de Van Buyten. Je ne revendique rien. J’ai toutefois l’intention de tout faire pour mériter ma place. Il y a deux ans, avant mon passage à La Louvière, je ne savais pas si cette ambition était dans mes cordes. Maintenant, je devine que je peux y arriver mais ce n’est pas une garantie. Je suis au début de ma carrière. Le reste, il faudra le mériter tous les jours. Mon père n’a jamais joué au football. Il m’acependant encouragé tous les jours. Si cela marche pour moi, c’est aussi grâce à lui ».

Belge et Turc, Turc et Belge à la fois

La Turquie abandonne ses espoirs de finale la tête haute. Brésil-Turquie: 1-0. Ronaldo a fait la différence, Hakan Sükür n’a pas marqué un seul but lors de la Coupe du Monde. Les amis d’Onder Turaci sont certains que la Turquie (qui n’avait plus pris part à une phase finale depuis 1954) n’en restera pas là: elle confirmera rapidement son nouveau statut de grand du football mondial.

Onder a passé récemment des vacances à Antalya avec sa copine, Cynthia, afin de lui monter les richesses du pays de ses parents. Mais son avenir, sa Byzance sportive à lui, c’est Sclessin. Il y a quelques années, il avait été approché par un club d’Ankara. C’était trop tôt, Belge et Turc, Turc et Belge à la fois, mélangeant le turc et le français avec ses amis, il n’avait pas envie de quitter sa patrie liégeoise. Un jour, Onder Turaci aura peut-être la chance de jouer contre la Turquie en Coupe du Monde: diable de rêve…

Pierre Bilic

« La montée en puissance du football turc n’est pas accidentelle »

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