BON PROFIL

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Le directeur sportif du Club respire : la première victoire sous Ferrera éloigne un peu l’ombre de Ceulemans et fait un peu retomber la pression.

Club Bruges – Zulte Waregem : 2-1. On oubliera les quelques banderoles favorables à Jan Ceulemans viré quatre jours plus tôt, les énormes erreurs défensives des Bleu et Noir en première mi-temps, les deux occasions 18 carats ratées par Ibrahim Salou qui auraient pu inverser la donne, le quasi assist de l’arbitre sur le but de la victoire, le poteau qui a sauvé Stijn Stijnen à quelques minutes du terme et la fin des sympathiques ambitions européennes de Zulte Waregem.

On retiendra plutôt que le Club reste maître de son sort dans la course à l’UEFA, le retour en grâce de Gaëtan Englebert, souvent ignoré par Ceulemans, la première victoire brugeoise en trois matches contre la bande à Francky Dury et la réaction positive du public en fin de rencontre.

Plusieurs personnalités de notre foot jouaient gros dans ce match. Fort critiqués par la presse (surtout flamande) pour avoir licencié Ceulemans, le président Michel D’Hooghe et le directeur sportif Marc Degryse en auraient encore pris pour leur grade si le Club n’avait pas empoché les trois points. Et on n’aurait pas manqué de demander où était l’effet-Ferrera.

C’est sûr qu’il faudra du temps pour balayer définitivement l’ombre du Caje, dans les rangs des supporters brugeois. Virer Ceulemans, c’est Mozart qu’on assassine, l’enfant du pays qu’on jette aux oubliettes. D’Hooghe semblait marqué comme jamais quand il a annoncé la nouvelle. L’adjoint Franky Van der Elst n’a pu retenir quelques larmes en public. Et Degryse (40 ans) avoue qu’il a pris la première décision douloureuse de sa jeune carrière de dirigeant :  » Le jour le plus noir de ma nouvelle vie. Pour la première fois, j’ai dû trancher face à un vrai problème sportif. Dans n’importe quel club, un limogeage d’entraîneur fait mal à beaucoup de monde. Mais ici, ça touchait un homme que je connais depuis 25 ans. Après notre période commune de joueurs au Club, nous sommes toujours restés en contact. C’était une vraie amitié « .

Vous craignez qu’elle disparaisse ?

Marc Degryse: Tout dépendra de Jan. Je ne sais pas comment il va digérer notre décision. Pour le moment, il ne peut pas la comprendre ou l’accepter, c’est normal. Tout est encore trop frais, trop émotionnel. De mon côté, rien n’a changé au niveau des sentiments que j’ai pour lui. Je le considère toujours comme un ami. S’il est raisonnable, il comprendra avec le recul que je devais prendre la décision de le mettre dehors. Il faut savoir scinder vie professionnelle et vie privée : j’assume. Je suis payé pour juger des joueurs et des entraîneurs. Si j’avais été plus coulant avec Ceulemans sous prétexte que c’était un ami, j’aurais commis une grosse faute professionnelle.

Et le solide Franky a pleuré…

Pour tout le monde au Club, ce fut un moment très chargé émotionnellement. Personne ne m’a vu pleurer, mais ça ne veut pas dire que derrière les murs… On a tous une grande gueule mais un petit c£ur.

 » Jamais ridicule comme le Club à Gand  »

Ceulemans ne s’attendait pas à cette décision ?

Non. Il a pris un gros coup quand nous lui avons annoncé son limogeage. En général, quand un entraîneur est menacé, ça se ressent partout : dans le club, dans la presse, dans le public. Mais à Bruges, nous avons l’habitude de travailler dans la discrétion. Depuis plusieurs semaines, nous nous demandions s’il était encore raisonnable de continuer avec lui mais seuls les dirigeants étaient au courant de ces interrogations, de l’éventualité de le remplacer en cours de championnat. La presse a été prise au dépourvu et c’est sans doute pour cela que l’affaire a fait un tel foin.

Quand avez-vous commencé à discuter de limogeage ?

Nos premières interrogations sont apparues le soir du match retour de Coupe de l’UEFA à Rome. Je ne veux pas donner de détails, mais ce fut un premier déclencheur. Quelques jours avant ce match, nous étions toujours bien placés pour le titre. Mais nous avons été éliminés par Rome, puis nous n’avons pas su battre le Standard et ensuite les mauvais résultats se sont enchaînés. Mais le plus grave, c’est que nous ne décelions aucune progression dans le jeu. Et à Gand, nous avons vraiment touché le fond du trou. L’équipe a été complètement ridicule. C’était intolérable. Je ne sais pas comment j’aurais réagi si j’avais été sur le terrain. Je n’ai jamais été ridicule comme ça et je ne l’aurais jamais accepté. Mais ce n’était même pas la première fois, cette saison. Notre deuxième mi-temps à Beveren avait été indigne, notre prestation à Mouscron aussi. Tout le monde avait fermé les yeux parce que nous avions gagné ces deux matches-là. mais la direction était consciente qu’il y avait un gros problème. Après Gand, il était urgent de faire quelque chose.

N’auriez-vous pas viré Ceulemans plus tôt si le Club n’avait pas poursuivi sa saison européenne en UEFA ?

Je ne pense pas. Nous voulions lui donner du temps. Il avait des circonstances atténuantes : l’équipe avait été renouvelée, il y avait beaucoup de blessés au premier tour. Mais le progrès que nous attendions après le retour des blessés, n’est jamais venu. Les résultats étaient décevants, c’était une chose, mais nous constations surtout que l’équipe ne s’améliorait pas après la trêve. Et ça, c’était fort inquiétant. Aujourd’hui, nous sommes obligés de faire un parcours presque parfait jusqu’à la dernière journée si nous voulons prendre le même nombre de points au deuxième tour qu’au premier. Ce n’est pas normal. Et après la défaite à Gand, nous avons compris que ce serait irréalisable si nous ne changions pas d’entraîneur.

 » Choisir le Caje était populaire mais erroné  »

Pourquoi avez-vous aussi licencié René Verheyen, un adjoint de Ceulemans ?

Je ne tiens pas à donner de détails. Nous avons simplement estimé qu’il fallait un gros changement dans le staff.

Quelle tristesse quand une caméra faisait un gros plan du banc avec Ceulemans, Verheyen et Van der Elst ! Ils étaient amorphes, résignés.

Le dynamisme, sur le terrain et en dehors, doit aussi venir de l’entraîneur. Ceulemans a la réputation de savoir entretenir une ambiance dans un vestiaire, mais chez nous, ce ne fut jamais le cas. A cause des résultats, sans doute.

On parlait beaucoup du staff 100 % brugeois mais il vient d’exploser !

En début de saison, quand les résultats ne suivaient pas, on a critiqué ce banc d’amis. Maintenant, on va nous reprocher de l’avoir détruit. Mais bon, quand on fait ce boulot, on doit s’attendre à être continuellement critiqué.

Le scanning de Jan Ceulemans avait-il été suffisant ?

Peut-être pas. Nous avions pris une décision populaire. Avoir obéi à nos émotions plutôt qu’à la raison, c’est une erreur qu’on peut nous reprocher. Passer de Westerlo où il y a un noyau de 18 joueurs dont 13 ou 14 sont pratiquement sûrs de jouer, à Bruges où 25 gars de qualité revendiquent une place dans l’équipe, c’est un fameux changement. Ceulemans a aussi sous-estimé la progression enregistrée par le Club depuis son départ, il y a près de 15 ans : plus de presse, plus de pression, etc. Il a admis entre-temps qu’il n’était pas préparé à ce changement.

Le contraste n’était-il pas trop frappant entre Trond Sollied et Jan Ceulemans ?

Probablement.

 » Ne pas oublier le bilan financier des transferts  »

La direction avait mal réagi à un de nos reportages en début de saison : nous signalions que les méthodes de Ceulemans étaient trop différentes de celles de Sollied, que Ceulemans ne donnait pour ainsi dire aucune consigne tactique, que ses entraînements ne ressemblaient pas à grand-chose, qu’il gérait mal les conflits dans le groupe, qu’il y avait un nombre anormalement élevé de blessés, etc.

La décision que nous venons de pren dre confirme sans doute que cette analyse était la bonne…

Nous mettions aussi le doigt sur le fait que Bruges était un des rares clubs belges à ne pas disposer d’un préparateur physique spécifique et que cela expliquait sans doute le nombre élevé de blessures.

C’est encore une leçon que nous tirerons de cette saison. Dès l’été prochain, nous aurons un préparateur physique. Vous savez, on apprend tous les jours, dans tous les métiers. Je suis directeur sportif depuis deux ans et demi, j’apprends comme j’apprenais à mes débuts de footballeur professionnel. J’ai commis des erreurs, comme celle de trop écouter à gauche et à droite au moment d’engager Ceulemans. Dans ma fonction, il faut plutôt se démener pour essayer de faire passer sa propre idée.

Vos transferts sont aussi remis en cause.

Ce n’est pas évident de s’imposer comme nouveau joueur dans une équipe qui ne tourne pas. Sollied avait eu plus d’une saison pour mettre les transferts dans son moule. Les gens ne doivent pas oublier non plus que, depuis mon arrivée, le Club a vendu pour deux fois plus que la somme consacrée à des achats. Il n’y a pas de miracle. Je rappelle que le Club perdait chaque saison entre 3 et 4 millions d’euros (sans tenir compte des recettes d’une coupe d’Europe) et qu’il était urgent de remettre de l’ordre. Ces déficits ont évidemment eu une incidence sur le recrutement. Depuis trois ans, nous sommes presque systématiquement en équilibre.

 » Seul Ferrera était capable de nous redresser  »

Emilio Ferrera sera donc l’homme de la situation ?

S’il y avait un seul entraîneur capable de nous faire remonter la pente très vite, c’est lui. Il a un profil entièrement différent de celui de Ceulemans. Or, il fallait justement créer un changement radical. Mais surtout, nous sommes convaincus que Ferrera est capable de mettre très vite une organisation dans l’équipe. De lui imposer une ligne de conduite, un schéma de jeu reconnaissable. Il n’y avait plus aucune cohésion depuis plusieurs semaines, c’était le point le plus urgent à régler. Ferrera a mis des équipes en place dans des clubs aux moyens limités. Et tous les présidents qui l’ont employé disent qu’il était trop pro pour eux, qu’il était fait pour un grand club. C’est ce qu’affirment aussi des joueurs qui ont travaillé avec lui. Je ne veux pas tenir compte des résultats bruts qu’il a collectionnés depuis le début de sa carrière. Il faut toujours s’intéresser au matériel disponible. Prenez Frank Rijkaard, qui brille avec Barcelone après être descendu en D2 avec le Sparta Rotterdam. S’est-il transfiguré du jour au lendemain ? Non, mais il travaille aujourd’hui dans un tout autre contexte.

C’est parce que vous êtes tellement convaincu par les qualités de Ferrera que vous lui avez offert un contrat jusqu’en juin 2007 ?

Cela n’aurait pas été correct de ne lui donner une chance que pour les cinq derniers matches de ce championnat. Un entraîneur a besoin de plus de temps pour montrer ce qu’il a dans le ventre. Même si Ferrera n’échappera pas à un premier jugement dès le mois de mai.

Dans ses clubs précédents, il n’a pas eu la possibilité de montrer qu’il pouvait proposer un beau football, mais ce sera sans doute une exigence à Bruges ?

Il faut avoir cette ambition à l’avenir : on peut combiner les résultats et la manière. Pas d’ici la fin de cette saison, évidemment. Au cours des quatre derniers matches, une seule chose comptera : le résultat final.

 » Je ne me suis amusé qu’en coupes d’Europe  »

On compare Ferrera à Sollied… dont vous critiquiez le jeu triste.

Qu’on le laisse mettre son équipe en place. Après cela, il sera encore temps de penser à un style attractif.

Vous lui voyez des points communs avec Sollied ?

Certainement. Il insiste beaucoup sur les répétitions.

Alors que Ceulemans se contentait essentiellement de petits matches…

(Evasif). Oui…

Vous êtes-vous déjà amusé à des matches du Club cette saison ?

Oui. En coupes d’Europe. Contre Valerengen, la Juventus, le Bayern, le Rapid Vienne, Rome. Dans ces occasions-là, nos joueurs ont démontré qu’ils avaient du talent. Par contre, ils ont rarement été dominants en championnat.

Comment expliquez-vous ces deux visages ?

Je n’ai pas d’explication. C’était souvent fort juste à domicile et très mauvais en déplacement, c’est tout ce que je peux constater. Comme tout le monde. Et dans ces cas-là, on attend de l’entraîneur qu’il analyse le malaise et trouve des solutions.

PIERRE DANVOYE

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