Bolat a un truc

Dans la dernière ligne droite du championnat, le Standard a lancé un gardien de 20 ans, qui a découvert un entraînement  » bien plus dur et engagé qu’à Genk « .

S inan Bolat (20 ans) était le successeur tout désigné de Logan Bailly au Racing Genk. Jeune de la région, il a été formé au club dès l’âge de sept ans. Grand et fort, il débordait de talent. En avril, Genk a eu une pénurie de gardiens et a même dû en placer un de seize ans ! Or, pendant le mercato hivernal, il s’est défait se ses  » joueurs à problèmes « , Bolat et Bailly. Depuis, ce dernier tente de maintenir le Borussia Mönchengladbach en Bundesliga et a déjà conquis l’Allemagne. Quant à Bolat, il a évincé Aragón Espinoza du but du Standard alors que les Rouches se livrent à un mano a mano avec Anderlecht pour reconduire leur titre.

 » Quand Laszlo Bölöni décida de lancer Sinan dans le bain, il était prêt « , dit Jean-François Lecomte (ex-gardien de but de Liège, de Saint-Trond et de Charleroi) qui entraîne les portiers du Standard.  » Au premier coup d’£il, je me suis dit qu’il était un… copié-collé de Bailly. C’est la patte de la formation des gardiens à Genk. Sinan a tissé calmement ses automatismes avec notre défense. Cette sérénité et le soutien des autres gardiens (Espinoza, Antony Morris ou Jesse Soubry) ont accéléré sa mise en place mais ses atouts sont nombreux :

-il est solide mentalement, dégage présence et ambition ;

-un de ses grands atouts réside dans le jeu au pied. C’est important : en cas de problème ou de pressing sur un arrière, le gardien ne peut pas être mis en difficulté par une passe ;

-sans être spécialement grand (1,87m), il est terriblement explosif, que ce soit sur sa ligne où dans ses sorties face à un attaquant adverse ;

-il se distingue par un très gros volume de travail.

Son dialogue avec la défense ne peut que s’améliorer. Sinan progresse aussi très vite en français et a parfaitement digéré le passage de Genk au Standard. Or, c’était loin d’être évident. Il devait gérer aussi le fait d’être un équipier mais aussi un concurrent d’Espinoza dont on connaît l’impact et l’harmonie avec ses défenseurs. Il y a réussi et il fallait le faire. « 

 » Son départ constitue un péché mortel et une des pires déceptions de ma carrière de ne plus voir Sinan dans la cage de Genk « , reconnaît Roland Breugelmans, le coordinateur des jeunes du Racing. Il a assisté au transfert de Bolat, à l’âge de sept ans, de Melo Zonhoven au grand club limbourgeois :  » Sinan a effectué toutes ses classes chez nous, des catégories d’âges aux professionnels. Il nous conférait un excellent sentiment. Il a satisfait ses différents entraîneurs. Jamais il ne nous a posé problème. Finalement, c’est un conflit entre son agent et l’ex directeur technique Willy Reynders qui est à l’origine de son départ. C’est triste. Cette polémique était inutile. Je ne pense pas que nous devions reprocher quoi que ce soit à Sinan.  »

 » Bailly est le meilleur gardien de Belgique « 

La polémique a éclaté à la fin de saison passée, quand Genk et Bolat ont négocié une prolongation de contrat de quatre ans. Kismet Eris, qui est aussi l’agent de Sébastien Pocognoli et de Christian Benteke, a voulu retirer le maximum pour son poulain. Le moins qu’on puisse écrire, est que sa relation avec Reynders n’était pas chaleureuse. Le directeur technique a alors déclaré à la presse que Bolat refusait de signer si le club ne lui offrait pas une BMW X5. Et sportivement le joueur se voyait relégué au poste de troisième gardien pendant la préparation, derrière Bailly et Davino Verhulst.

 » J’ai compris que le chapitre Genk se refermait « , commente Bolat en revenant à cette période.  » Si j’avais resigné, j’aurais été titulaire à l’entame de la saison, m’avait-on promis. De toute façon, Logan était absent pendant les quatre premiers matches puisqu’il devait participer aux Jeux Olympiques. Pensez-vous vraiment que j’aurais laissé passer une telle chance pour une voiture ? Le fait que j’ai été rétrogradé numéro trois est éloquent… La direction ne me soutenait plus. J’ai compris que je devais partir. Pourtant, je me suis toujours senti bien au sein du club. Je pensais y avoir un avenir. La manière dont on a détruit ma réputation dépasse tout. Je ne suis pas un garçon à problèmes : interrogez les gens au Racing ! Logan, avec lequel je me suis toujours bien entendu et qui est, selon moi, le meilleur gardien de Belgique, a été très déçu par le comportement de la direction. Il estimait lui aussi que cette histoire de BMW n’avait pas sa place dans les journaux. « 

Bolat préfère ne pas s’appesantir sur le thème de la X5 :  » Je le regrette pour les nombreuses personnes auxquelles je dois quelque chose, comme Guy Martens, qui m’a formé au poste de gardien. Nous nous téléphonons encore chaque semaine avant le match. Je lui serai éternellement reconnaissant de ce qu’il a fait pour moi. Il m’a aidé pendant 13 ans.  »

Coup de main au kebab

Il n’y a pas de BMW X5 devant la maison familiale de Bolat à Zonhoven mais une Mercedes CLS noire, flambant neuve. L’immense gardien du Standard nous y attend, en compagnie de ses deux frères, Savas (24 ans) et Baris (22 ans). Ils vivent encore chez leurs parents. Leur s£ur Hikkmet a quitté le nid familial. Mariée, elle habite un peu plus loin. Savas et Baris ont veillé sur leur frère cadet, selon la tradition turque. Ainsi, Baris n’a pas encore manqué le moindre match de Sinan, même pas quand celui-ci jouait avec les Réserves de Genk, au premier tour. Bien malgré lui, Savas a dû prendre congé à plusieurs reprises. Il travaille dans le resto kebab du père Bolat, un établissement situé à Brecht, également ouvert le samedi soir.

 » J’essaie de trouver un remplaçant quand Sinan joue le samedi soir « , explique Savas.  » Normalement, nous sommes ouverts de 16 à 23 heures mais le week-end, nous ne fermons qu’à 4 heures du matin… « 

Baris sait aussi ce que le travail signifie. Pendant trois ans, il a fait partie de l’équipe 6-2 chez Ford Genk, jusqu’à ce que la crise frappe, il y a deux mois. Baris donne donc aussi au coup de main à son père, de temps en temps. Le seul à n’avoir pas encore mis la main à la pâte est Sinan. Il est vrai que les mains d’un gardien de but professionnel valent de l’or. Sinan :  » Mon père exploite ce kebab depuis sept ans. J’y ai peut-être mis les pieds cinq ou six fois mais si mon père me demandait de l’aider, je le ferais sans hésiter. Je ne sors pas de la cuisse de Jupiter, hein « 

 » Pourquoi les Turcs sont-ils si nombreux à ouvrir un kebab ? ». Baris répète notre question.  » C’est simple : quand vous voyez d’autres Turcs rouler dans de belles voitures, vous vous demandez comment ils les ont obtenues. La famille compte trois fils, notre père était donc sûr de trouver facilement de l’aide en cas de nécessité… Dans ce cas, pourquoi ne pas essayer ? »

 » Et c’est mieux que de travailler dans une usine « , enchaîne Savas.

Yasak Bolat a émigré dans les années 70 pour travailler à la mine. Sinan :  » Il vivait et travaillait à Heusden avec notre grand-père. Il nous parle parfois de cette époque. C’était une vie très dure.  »

Baris :  » Il a vu beaucoup de collègues souffrir de problèmes respiratoires. Heureusement, il n’a jamais été en mauvaise santé. « 

Yasak est ensuite retourné au pays, à Kayseri, sa ville natale, dans le centre de la Turquie. C’est une région de travailleurs, un peu comme le Limbourg. Ses enfants sont nés là-bas. Sinan :  » Nous sommes retournés en Belgique quand j’avais quatre ans. Je dois reconnaître que c’était la meilleure des décisions car ici, nous avions un avenir. Nous nous sommes intégrés sans problèmes à Zonhoven. Au début, la langue a constitué un obstacle mais un enfant apprend vite. Je me suis fait beaucoup d’amis à l’école. Il n’y a pas beaucoup de familles turques aux alentours, mais cela n’a jamais posé problème. « 

Baris :  » Nous jouions tout le temps au football. A la maison entre les chaises, dans le garage ou dans la plaine de jeux en face de la maison. Nous sommes calmes tous les trois. Je ne pense pas que nous ayons ennuyé les voisins. « 

Les trois frères ont commencé à jouer au club local, Melo Zonhoven. Sinan était le plus talentueux et il a été rapidement transféré au Racing Genk. Baris joue bien aussi. Il a signé un contrat à Runkst, en 1re Provinciale. Savas, le plus calme du trio, a raccroché :  » J’ai trop peu de temps.  » Baris et Sinan éclatent de rire. Sinan :  » Il était tout simplement moins motivé. Avant, nous allions souvent courir dans les bois pour améliorer notre condition. Par nous,… j’entends Baris et moi. « 

Les trois frères sont inséparables. Savas :  » Par rapport aux familles belges, nous sommes plus attachés. C’est sans doute un aspect typique de la culture turque.  » On dirait qu’ils n’ont besoin de personne d’autre. Ils regardent les matches de Ligue des Champions ensemble, prennent leurs vacances en Turquie de concert et se rendent tous les vendredis à la mosquée de Houthalen.  » Aucun d’entre nous n’a de mauvaises fréquentations « , commente Sinan.  » Nous ne fumons ni ne buvons, nous ne consommons pas de drogue. C’est une question d’éducation. Notre père était très sévère. « 

Baris :  » Il ne nous punissait pas vraiment, mais quand nous revenions de l’école avec des mauvais points, il donnait de la voix. « 

Sinan :  » Papa m’a toujours soutenu, y compris dans ma carrière footballistique. « 

Baris :  » Je me souviens que quand il jouait à Melo, Sinan dégageait mal. Qu’avons-nous fait ? Nous nous sommes exercés tout un après-midi sur le terrain d’en face. Sinan dégageait et nous récupérions le ballon. Tout tournait autour de Sinan, en fait, mais nous ne nous en offusquions pas car son talent était manifeste. D’ailleurs, vous êtes en bonne voie quand vous jouez en équipe fanion de Genk à 15 ans. « 

Savas :  » De toute façon, dans notre culture, chacun veille sur le cadet de la famille. « 

Sinan :  » L’inverse est vrai aussi. Si je peux faire quelque chose pour mes frères ou mes parents, je n’hésiterai pas. « 

La tirade de Bölöni

Bolat et Benteke ont rejoint le Standard ensemble, pendant la trêve hivernale. Bolat est directement entré en concurrence avec Espinoza. Ce n’était pas une situation sans issue car le style peu orthodoxe de l’Equatorien ne plaisait pas au staff technique Rouche. En plus, son contrat prend fin à l’issue de la saison et Benfica s’intéresse à lui.

Bolat a reçu sa première chance lors du match crucial de Coupe UEFA contre le Sporting Braga mais, blessé, il a dû quitter le terrain au repos. Peu après, il a reçu une nouvelle chance. Le 5 avril, il a été titularisé contre le Germinal Beerschot. Depuis, il n’a plus quitté le but du Standard et son statut ne devrait plus changer.  » Placer un jeune gardien au profit d’un plus chevronné, qui a toujours bien joué, est un fameux signe de confiance, en pleine lutte pour le titre « , sourit Sinan.

Pourtant, la première semaine du gardien au Standard a été difficile. Laszlo Bölöni s’est fendu d’une belle tirade à l’égard des deux transferts de Genk. Sinan rit :  » Il a dit que nous avions encore beaucoup à apprendre. Il a raison. Je remarque à plusieurs détails que le Standard recèle plus de talent. A l’entraînement comme en match, l’entraîneur exige de la discipline et une concentration optimale. En dehors du terrain, il est plus décontracté. Les entraînements sont plus durs et plus engagés qu’à Genk. Chacun se bat pour sa place et nous avons de véritables leaders, comme Steven Defour, que j’ai connu à Genk. Il est de 1988, comme moi, mais quelle personnalité ! Il est un patron à l’entraînement, en match et dans le vestiaire. Au Standard, un gardien joue différemment. J’ai beaucoup moins de travail mais je dois intercepter les deux ou trois tirs dangereux que l’adversaire parviendra à placer. Evidemment, j’ai devant moi la meilleure défense du pays. C’est utile.  »

Le Standard a mis à sa disposition une petite villa à Liège. Il le partage avec son compatriote Mehmet Sarper Kiskaç (18 ans), un jeune talent originaire d’Ankara.  » J’essaie de l’aider car il ne maîtrise pas encore nos langues mais je ne réside pas souvent à Liège. Je préfère retourner à Zonhoven, dans ma famille. Ma mère me prépare à manger. Je ne passe la nuit à Liège que quand nous avons entraînement le matin ou que nous revenons tard d’un match.  »

Bolat ne souffre pas de la pression qui va de pair avec la lutte pour le titre.  » Avoir remporté le championnat la saison dernière a apaisé le club. Naturellement, nous voulons encore gagner mais nous oublions la pression dès l’entame du match. « 

Pour un jeune, Bolat voit clair. D’ailleurs, dès les premiers contacts pour cet interview, il nous avait dit :  » Anderlecht a peut-être un programme plus facile, sur papier, mais que nous a appris le championnat ? Que les ténors perdent plus de points contre les petits. Donc… « 

par matthias stockmans – photos: reporters

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire