Blindés!

Anciens équipiers à Coventry, amis dans la vie, ils seront adversaires le week-end prochain.

Ils s’étaient connus à La Gantoise et en équipe nationale Espoirs, puis à Coventry. Le week-end prochain, ils seront adversaires au stade Tondreau. Amis dans la vie, Cédric Roussel et Laurent Delorge se sont retrouvés avec plaisir en prélude à cet affrontement.

Maintenant que vous êtes de retour en Belgique, que gardez-vous comme souvenir de votre expérience anglaise?

Roussel: Ma première saison à Coventry, en 1999-2000, fut sans doute la plus belle de ma carrière. Aujourd’hui encore, je me demande comment j’étais parvenu à jouer à un tel niveau. J’étais sur le banc à La Gantoise. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé dans la peau d’un titulaire en Premier League. La deuxième saison, des blessures se sont déclarées. Robbie Keane, mon compère de l’attaque, est parti et la situation s’est dégradée. J’ai été transféré à Wolverhampton. Une mauvaise option.

Delorge: J’ai joué de malchance à Coventry. Je me suis fracturé le péroné lors de mon premier match avec l’équipe Réserve. Par la suite, alors que j’essayais de réintégrer l’équipe Première, j’ai encore souffert de diverses blessures musculaires. Quinze mois de galère. Seul à l’étranger, en étant blessé, j’ai vécu un calvaire. La première saison, j’avais pu compter sur la présence de Philippe Clement, mais lui aussi fréquentait davantage l’infirmerie que le terrain. L’arrivée de Cédric, au cours de la deuxième saison, fut un soulagement. Si je suis malgré tout resté quatre ans à Coventry, c’est parce que Gordon Strachan n’a jamais cessé de croire en moi. Il s’est opposé à mon départ. Voici deux ans, j’étais venu passer un test à Anderlecht, mais physiquement diminué, je n’avais pas pu plaider ma cause avec bonheur. J’ai accompagné Coventry en FirstDivision, l’équivalent de notre D2, où j’ai disputé 30 matches la saison dernière. Cette saison, de graves problèmes financiers ont obligé le club à réduire sa masse salariale. Un accord a été trouvé pour me libérer. Mais comme je ne pouvais pas être transféré avant janvier, j’ai dû me contenter d’entraînements de septembre à décembre. Au départ, je pensais vivre un conte de fées en partant en Angleterre. J’avais disputé une dizaine de rencontres de D1 avec La Gantoise. J’avais été visionné à plusieurs reprises, notamment lors d’une rencontre face à Westerlo durant laquelle j’avais inscrit un but, délivré un assist et provoqué un penalty. Lorsqu’on m’a averti qu’un club étranger était intéressé, j’avais d’abord pensé à un club hollandais. En apprenant qu’il s’agissait d’une formation de Premier League, je n’en avais pas cru mes oreilles.

A l’époque, on avait beaucoup critiqué votre choix. Selon certains observateurs, vous étiez trop jeune pour tenter une telle expérience. Aujourd’hui, à 23 ans, peut-on dire que vous revenez plus fort qu’avant, avec votre avenir financier assuré et encore tout votre avenir sportif devant vous?

Delorge: Lorsqu’un club de Premier League vous contacte, c’est difficile de refuser. Cela n’a pas tourné comme je l’espérais en Angleterre, mais j’ai beaucoup appris là-bas. Y compris avec les blessures. Mentalement, aujourd’hui, je suis fort. Car c’est dur, dans les îles. Les noyaux sont très larges, il faut se battre tous les jours et apprendre à encaisser les coups. En Belgique, je n’avais connu que les bons côtés: la D3, puis la D1 pendant trois mois.

Roussel: Je pense, moi aussi, être revenu plus fort qu’avant. En Belgique, il arrive souvent que les joueurs se plaignent. Je leur conseillerais simplement d’aller faire un tour en Angleterre pour qu’ils constatent la différence. Cela gueule tout le temps: en match, à l’entraînement. Si vous ne courez pas, on vous botte le cul. Les footballeurs anglais sont sans doute moins doués techniquement que les français, les italiens ou les espagnols, mais quelle ardeur à l’ouvrage! Si l’on demande à un jeune de s’entraîner trois fois par jour, il le fera sans sourciller. Après un entraînement très exigeant, beaucoup se rendent encore à la salle de musculation, de leur propre initiative. Techniquement, on fait moins dans la dentelle, mais pour jouer à un tel rythme, il faut une première touche de balle de qualité. C’est elle qui fait la différence. J’ai beaucoup amélioré cet aspect-là dans mon jeu. A La Gantoise, j’étais un joueur puissant et rapide, qui avait l’instinct du buteur. En Angleterre, j’ai moins travaillé ma vitesse, mais j’ai appris à conserver le ballon, à jouer en pivot et à utiliser mon corps. Le rectangle est devenu mon domaine. Foot parfait

C’était un football qui vous convenait à merveille, non?

Roussel: Tout à fait. L’entraîneur demande simplement de mouiller son maillot. Pas de tactique alambiquée. Sur le terrain, les attaquants bénéficient de beaucoup d’espaces, qu’il convient d’exploiter. C’est ce qui a permis à Thierry Henry d’exploser en PremierLeague, alors qu’en Italie, il était bloqué. Mais c’est un football qui aurait dû convenir à Laurent également. Avec sa vitesse, il aurait pu déborder à sa guise. D’autant que la plupart des défenseurs anglais sont assez lourds. Il n’a pas eu de chance, c’est tout.

Delorge: Je pense, effectivement, que le jeu anglais aurait dû me convenir. Physiquement, je suis moins costaud que Cédric, mais mes jambes sont solides. Malheureusement, suite à mes blessures, je n’ai jamais pu utiliser ma pointe de vitesse, qui est mon principal atout. J’ai aussi eu le tort d’avoir voulu brûler les étapes pour revenir. Là-bas, après une blessure, on ne prend pas le temps d’effectuer une rééducation progressive. On recommence directement à 100 à l’heure. Souvent, les blessures se réveillent. Lorsque j’ai débarqué au Lierse, on m’a soumis à un test physique et on a déterminé mon programme en fonction des résultats de celui-ci. Je n’avais plus été soumis à un test physique depuis ma période gantoise. En Angleterre, on ne connaît pas cela. On court beaucoup en résistance, très peu en endurance. Lorsque je disputais un match, après trois ou quatre sprints, j’étais sur les genoux. Je ne parvenais pas à récupérer. Grâce au programme qu’on m’a concocté au Lierse, je retrouve la fraîcheur que j’avais perdue dans les îles.

C’est un autre point commun entre vous: en revenant en Belgique, vous avez dû travailler pour retrouver une condition physique acceptable…

Roussel: C’est logique, je m’étais laissé aller lors de mes derniers mois en Angleterre. J’avais traversé une période très difficile, aussi bien dans le football que dans la vie privée. La manière dont j’avais été traité à Wolverhampton m’avait dégoûté et la rupture avec ma copine n’avait rien arrangé. J’en ai déjà parlé. L’appel du pied de Mons est venu à point nommé. Dans ma ville natale, entouré des miens, j’ai retrouvé le goût de l’effort physique. J’étais dans une condition physique déplorable, mais Marc Grosjean était persuadé que je pouvais revenir. J’ai été soumis à des entraînements individuels pendant lesquels j’ai sué sang et eau. J’ai couru des heures et des heures, tout seul. Une blessure, durant la période de préparation, a retardé mon retour en forme. Le match contre le Standard, où j’ai inscrit le but de la victoire, a constitué le déclic. Depuis lors, je goûte avec délectation chaque moment passé sur les pelouses. Ce qui me fait râler, c’est que Wolverhampton va gagner des millions sur mon dos, alors que Mons les aurait mérités cent fois plus. Je dois une fière chandelle aux Montois: à l’entraîneur, aux joueurs, aux dirigeants, aux supporters. Jamais ils ne m’ont sifflé, jamais ils ne m’ont mis la pression lorsque je tardais à retrouver la condition. Je n’ai qu’un désir: rester au stade Tondreau. Mais je crois que financièrement, ce sera impossible. L’Albert n’est pas maître du jeu.

Delorge: Au Lierse aussi, on m’a laissé le temps de revenir. Je n’avais pratiquement plus joué depuis la saison dernière. Emilio Ferrera m’a clairement expliqué que je ne devais pas m’imposer d’emblée. J’ai signé jusqu’en 2006 et je représente d’abord un pari sur l’avenir. Le premier mois, j’ai beaucoup couru. J’ai travaillé mon endurance. Au départ, mon rythme cardiaque s’emballait au moindre effort. Après quatre ou cinq semaines, cela allait déjà beaucoup mieux. Aujourd’hui, je commence seulement à retrouver le niveau qui était le mien à La Gantoise. Chez soi

C’est dur de se retremper dans le championnat de Belgique lorsqu’on a connu l’Angleterre?

Delorge: Malgré tout, on revient dans son pays. On retrouve facilement des points de repère. Pourtant, paradoxalement, je découvre les stades belges. Je n’avais encore jamais joué à Charleroi, ni affronté Anderlecht. C’est le monde à l’envers: je connais mieux les stades anglais. Je suis rentré pour retrouver la joie de jouer. Et elle revient progressivement. Voilà encore une chose que j’ai comprise: si l’on éprouve pas de plaisir sur un terrain, on ne peut pas être performant. Aujourd’hui, lorsque j’entre dans un vestiaire, je rigole. Cela ne m’était plus arrivé depuis longtemps. Je me réjouis d’avoir signé pour trois ans et demi dans un club stable. Si l’on m’avait proposé six mois avec option, je me serais mis une trop forte pression. Lorsque j’ai marqué à Charleroi, j’ai eu l’impression que beaucoup de gens m’ont redécouvert. Précédemment, des journalistes m’avaient demandé si je comptais encore jouer cette saison. Ils croyaient sans doute que j’étais mort ou que je vivais sous perfusion.

Roussel: Le championnat de Belgique n’est pas aussi faible qu’on le pense. Si l’on voit régulièrement des émissaires de clubs étrangers dans les tribunes, ce n’est pas un hasard. Il y a moyen de faire de bonnes affaires ici. Parce que les joueurs belges ne sont pas chers, mais aussi parce qu’ils ont du talent… et souvent une bonne mentalité, ce qui est tout aussi important.

Vos entraîneurs respectifs sont tous les deux des étoiles montantes de la corporation…

Delorge: Emilio Ferrera m’avait lancé en équipe Première au RJ Wavre, alors que j’avais 17 ans. Il n’a pas changé. Ou plutôt, si: il a encore gagné en expérience. Tactiquement, c’est un maître. Il n’est jamais pris au dépourvu par le dispositif de l’adversaire.

Roussel: Je dois ma renaissance à Marc Grosjean. Je ne saurai jamais assez l’en remercier. Humainement, c’est un type formidable. Il a su souder le groupe, trouver un système de jeu auquel il ne déroge jamais et désigner ses leaders sur le terrain. Cela aussi, c’est important. Il traite ses joueurs en adultes, sans veiller sur eux 24 heures sur 24. C’est bien d’avoir ainsi de jeunes entraîneurs belges qui démontrent leurs capacités.

Voyez-vous toujours votre après-carrière en Angleterre?

Roussel: Les choses ont un peu changé en ce qui me concerne. Avec une compagne anglaise et un fils né dans les îles, il était normal que je songe à m’établir là-bas définitivement. Ma vie privée a basculé. Je suis toujours amoureux de l’Angleterre, dont j’adore la mentalité, mais ma famille et mes amis sont en Belgique. Je viens d’acheter une fermette à Bray, mon village. Cela ne signifie pas que mon parcours footballistique ne m’emmènera pas, un jour, dans un autre pays.

Delorge: Ma copine étudie toujours en Angleterre, mais elle est Hollandaise. Elle me rejoindra lorsque ses études seront terminées. Je n’ai pas de plan de carrière. C’est beaucoup trop aléatoire. Je pensais découvrir le paradis en Angleterre et j’y ai trouvé l’enfer. Désormais, je prends les choses comme elles viennent. Mes seuls objectifs sont de retrouver mon meilleur niveau et la joie de jouer. La saison prochaine, je disputerai peut-être en Coupe d’Europe avec le Lierse. Il y a quelques mois, je n’aurais jamais osé en rêver.

Daniel Devos

« Je suis toujours amoureux de l’Angleterre… » (Cédric Roussel)

« Je découvre la Belgique » (Laurent Delorge)

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