BLEU de travail

Pierre Bilic

Le médian des Dragons n’est pas un rêveur. L’ex-Anderlechtois a fait un choix réaliste en signant au Tondreau.

A 22 ans, Junior a la tête bien accrochée sur les épaules. Ce jeune homme n’est pas du style à gamberger, à s’accrocher à des  » si  » ou à des  » peut-être  » dans l’espoir de se faire une place au soleil. Même si la ligne médiane d’Anderlecht a pris un sacré coup de vieux, il ne regrette pas d’avoir loué sa jeunesse à Mons jusqu’à la fin de la saison.

Sans une blessure au genou, en 2003, ce gamin des rues d’Evere se serait probablement installé pour de bon devant la défense des Mauves. Après sa rééducation et six mois passés en Réserve, il a changé son fusil d’épaule. A Mons, il se charge de la récupération aux côtés de Marc Schaessens. Le Bruxellois découvre une autre vie avec pondération, réalisme, humour et dignité.

Si je vous dis 41, que répondez-vous ?

Junior : Cela ne me dit absolument rien. En humanités que j’ai faites au Collège Saint-Louis à Bruxelles, j’étais pourtant assez fort en mathématiques.

(a + b)3= ?

a3 + b3 + 3a2b+3ab2

Exact, c’est un bon début pour cet examen. Et 41= quoi ?

Mystère. Cela va faire rire tout le monde, mais je voulais même devenir ingénieur industriel. Je me suis même renseigné auprès d’une école supérieure mais il était impossible de combiner les cours avec mon horaire du noyau A à Anderlecht. Je me suis concentré sur le football tout en sachant que ce choix est toujours délicat. Durant mon enfance, je n’avais jamais pensé à une carrière de footballeur professionnel. Je jouais au football dans les rues de mon quartier d’Evere, avant de m’affilier à Anderlecht, et cela suffisait à mon bonheur. Tout est souvent très hypothétique sur un terrain. Il suffit d’une blessure afin de tout compliquer. Mais 41, non, cela ne me dit rien…

C’est le numéro du maillot de votre frère, Floribert, à Manchester United : l’aviez-vous oublié ?

Non, bien sûr : je n’y pensais pas. Il est très heureux là-bas et est le gardien de l’équipe réserve en attendant sa chance. Je lui ai déjà rendu visite en Angleterre. C’est un autre monde où le football est une religion.

Vous êtes pour six mois à Mons United…

Mons United ? Amusant. Je suis très heureux d’être ici. Je suis très réaliste. J’avais constaté que mon univers d’expression était de plus en plus limité à Anderlecht pour ne pas dire inexistant. Je perdais mon temps en Réserve en n’ayant plus guère d’espoir de retrouver une chance dans le noyau A.

 » A 22 ans, je ne suis plus un gamin  »

Mais si vous aviez été patient, le départ d’Hugo Broos, remplacé par Franky Vercauteren, chantre des jeunes, n’aurait-il pas été salutaire pour vous ?

Qui peut répondre à cette question ? Il est un fait que Franky Vercauteren responsabilise vite les jeunes. Il croit en eux, c’est une bonne chose mais on entre à nouveau dans le monde des hypothèses, des supputations, des éventualités. Et, de toute façon, à 22 ans, je ne suis plus un gamin. On peut attendre, patienter et rêver à 16 ou 17 ans, pas à 22 ans. De toute façon, quand j’ai pris ma décision, il n’était pas question d’un départ d’Hugo Broos. Je m’étais décidé dès la fin octobre et j’en ai parlé à mon agent, Marc Talbut.

Ah, le fils de John Talbut ?

Je ne connais pas de John Talbut…

Zéro pointé en histoire du football. John Talbut fut un solide arrière central anglais du FC Malinois : son fils peut vous en parler…

Encore un examen de passage. Physiquement, j’étais au point. J’ai eu la malchance de passer totalement à côté de mon match à Mouscron. J’ai foiré et Anderlecht a perdu toute la mise lors de l’ouverture de cette saison. Je n’ai plus eu ma chance. J’ai longtemps été le deuxième choix. Quand Besnik Hasi était à son top, il était la solution A et moi la B. Les choses étaient claires. Mais il y a eu un… Z ensuite et j’ai trouvé que tout devenait plus flou pour moi.

C’est à vous de me donner un cours d’algèbre. Il n’y a qu’un Z à Anderlecht : Zetterberg. Que vient-il faire dans cette équation ?

Rien. C’est pas lui. Peu importent les lettres mais quand Yves Vanderhaeghe se remit de sa blessure, je suis rentré encore un peu plus dans le rang. Je n’ai pas de problèmes avec les choix d’un coach. C’était clair. Je n’entrais pas dans les plans d’Hugo Broos. Il m’était impossible de ne pas constater cette réalité. A la longue, cela ronge. Dans ces conditions, on s’entraîne et on travaille pour ne pas se blesser sans se soucier de la qualité de son jeu. J’avais donc un gros problème. J’en ai parlé à Hugo Broos et à Franky Vercauteren. En novembre, je me suis entretenu avec la direction qui a repoussé la possibilité d’un transfert définitif ou d’une location. Anderlecht était alors engagé dans de batailles sur plusieurs fronts. Cela peut expliquer le refus mais cela ne faisait pas mon affaire. En décembre, j’ai entendu parler d’un intérêt de La Louvière et de Mouscron mais je n’ai rencontré que les dirigeants de Mons. Le discours de Jos Daerden m’a plu.

En plein stage d’hiver, vous passez de l’hôtel d’Anderlecht à celui de Mons : la transition fut-elle facile ?

Oui parce que c’était ce que je désirais. Je suis parti en bons termes avec tout le monde. Le staff et mes anciens équipiers m’ont tous souhaité bonne chance. La formule choisie est une location sans option. Je touche le même salaire. Je ne sais pas qui paye quoi : ce n’est pas mon problème. J’ai faim de jeu et j’ai la possibilité d’assouvir ce besoin à Mons. J’ai tout à gagner dans cette aventure. Avec du temps de jeu, je sors de l’anonymat, je prouve que je vis encore. Et, c’est exact, j’apparais plus dans les médias qu’en étant enterré à Anderlecht. Le mercato d’hiver est une aubaine pour les joueurs qui, comme moi, sont scotchés sur place. Cela concerne autant les jeunes que les anciens. Marc Schaessens a une longue carrière derrière lui mais tire profit aussi du mercato d’hiver. Sans cette dernière période de transferts, j’aurais perdu six mois de plus. J’ai été chaleureusement accueilli à Mons où j’ai découvert un chouette groupe, de bonnes installations, etc.

 » Mons a plus d’atouts techniques que les autres équipes du bas de classement  »

Mais n’était-ce pas un choix risqué dans la mesure où Mons n’était plus qu’un oiseau pour le chat ?

Non, tout le monde sait que tout va très vite avec la victoire à trois points et nous l’avons démontré d’entrée de jeu. Mons a su imposer son ambition à St-Trond, c’était une obligation, mais c’est surtout à Beveren que nous avons avancé dans notre mission. Ce fut une belle confirmation. Beveren a été mené 0-3 et fut dominé dans tous les secteurs de jeu. Gand nous a posé d’autres problèmes. Mais nous avons su patienter jusqu’à ce magnifique centre de Marco Ingrao magnifiquement transformé par Nicolas Goussé. A Ostende, nous avons été confrontés à une équipe qui a tout misé sur l’engagement physique. J’ai d’ailleurs été touché. Ce fut une bataille éprouvante. Je ne leur adresse pas de reproches : c’est un constat. Mon match référence reste le voyage à Beveren où l’équipe était bien en place. Mon entourage était sceptique quand j’ai opté pour Mons. Je n’ai jamais eu le moindre regret. Ce sera également le cas lors de la visite d’Anderlecht au stade Tondreau le 25 février, même si je ne serai pas qualifié pour ce match remis du premier tour. Mons n’est pas le Real Madrid mais c’est un club normal où le travail est agréable.

Pouvez-vous comparer Hugo Broos et Jos Daerden ?

Les contextes ne sont pas du tout les mêmes. Jos Daerden est plus expressif que l’ancien coach d’Anderlecht. Mais peu importent les caractères : il faut d’abord, je crois, que les choix soient faits. Les vestiaires n’aiment pas l’incertitude. Je n’ai pas à m’exprimer sur les responsabilités d’Hugo Broos. Je constate tout simplement que c’est le même groupe que la saison passée. Il fut champion. Est-ce l’usure du pouvoir ? Peut-être mais je pense que ce groupe ne s’est jamais remis de son zéro en Ligue des Champions. Cela a laissé des traces dans les têtes. Je ne veux pas regarder derrière ou devant moi. J’ai mon travail à Mons, c’est ce qui compte. En 2003, j’aurais pu croire que la vie était rose. Tout s’est arrêté lors d’un bête tacle à l’entraînement : genou en compote, opération, six mois d’arrêt, dix mois sans match, etc. Ce ne fut pas toujours évident à vivre. Les journalistes me disent souvent que je pourrais rebondir à Mons comme Pär Zetterberg le fit à Charleroi. On verra…

A Mons, il faut mettre son bleu de travail. Est-ce facile alors qu’Anderlecht joue (jouait ?) souvent en smoking ?

Je sais qu’on en sortira par le travail. Cela ne me dérange pas mais je sais aussi que Mons a plus d’atouts techniques que les autres équipes du bas de classement. Notre attaque est un gros plus. Je ne vois pas d’Aliyu Datti, de Nicolas Goussé ou de Babatunde chez nos adversaires directs. Il y a de la diversité dans la ligne médiane avec, entre autres, Marc Schaessens, Marco Ingrao, Jean-Pierre La Placa, moi-même. La défense est sécurisée par Berthelin, un gardien qui a du vécu. Il y a aussi du beau monde sur le banc. J’ai une mission défensive. Je profite des conseils de Marc Schaessens et je peux mettre le nez à la fenêtre. J’admire Schaessens qui après tout son vécu reste positif et enthousiaste : chapeau. Mons peut s’adapter, accepter la pression des autres mais aussi aller harceler le porteur du ballon dans le camp adverse. Je vois plus de richesses collectives que dans pas mal d’autres clubs. Si on y ajoute du rendement, ce sera une formule gagnante.

Gabriel Ngalula Mbuyi, avez-vous encore des contacts au Congo ?

Oui, j’ai encore de la famille là-bas : des oncles, des tantes, etc. je n’y suis plus retourné depuis 1996. Mon père était un militaire. Il est mort d’un cancer alors que j’avais neuf ans. Il était constamment obligé de changer de caserne. Ma mère s’est établie la première en Belgique et nous avons suivi. Elle a un emploi à la commune d’Evere.

Un autre fils du Congo a remporté le Soulier d’Or : est-ce un sujet de fierté pour vous ?

Tout à fait. C’était mérité. Quand un talent est aussi éclatant, cela doit réjouir tous les amateurs de football.

Pierre Bilic

 » Le mercato d’hiver est UNE AUBAINE POUR LES JOUEURS scotchés sur place « 

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