BLADE (RUNNER) GUNNER

Le 3 mars, le procès de l’athlète paralympique et olympique sud-africain s’ouvre à Pretoria. Il y a plus d’un an, celui-ci a abattu son amie, Reeva Steenkamp. Accident ou meurtre ? Immersion dans l’âme d’une icône et de toute une nation.

« Pourquoi ? Pourquoi ma petite fille ? Pourquoi a-t-il fait ça ?  » Ce sont les paroles de June, la mère de Reeva Steenkamp, au Times sud-africain, quatre jours après que son ami, Oscar Pistorius, l’a abattue, le jour de la Saint-Valentin. Elle a cherché des réponses à ses questions, sans jamais en obtenir. Une batterie d’avocats négocie une indemnité, qui irait de 140.000 à 200.000 euros, mais un an après cette nuit dramatique dans la villa de Pistorius, June pleure toujours :  » Ma vie est ravagée à tout jamais.  »

Ce qui la taraude surtout : était-ce un accident ou un crime commis de sang-froid ? Pistorius a déclaré que c’était un malheureux accident quand, sept jours après les faits, les juges ont délibéré sur sa remise en liberté provisoire. Il a expliqué s’être réveillé au milieu de la nuit en entendant du bruit dans la salle de bains.

 » J’ai pensé à un cambriolage, j’ai saisi le pistolet qui se trouvait en dessous de mon lit, j’ai sautillé jusqu’à la porte de la salle de bains et crié qu’ils – les cambrioleurs – devaient sortir. Rien ne se produisant, j’ai tiré à travers la porte et crié à Reeva d’appeler la police puis je suis retourné dans notre chambre, dans l’obscurité.

J’ai vu que mon amie n’était pas au lit. J’ai pensé que Reeva était peut-être aux toilettes. J’ai ouvert la porte avec un club de cricket et je l’ai vue, baignant dans son sang. Elle vivait encore… J’ai appelé les secours mais elle est morte dans mes bras peu après.  » Et d’ajouter :  » Nous nous aimions, nous ne pouvions être plus heureux.  »

Un fou du volant

Le ministère public a donné une autre version de cette tragique nuit.  » Pourquoi un cambrioleur s’enfermerait-il dans une salle de bains ? Non. Pistorius a pris une arme et a tiré sur Mademoiselle Steenkamp à travers la porte. Trois des quatre balles l’ont touchée. La veille, le couple s’était disputé, comme l’ont précisé deux voisins qui ont également mentionné des problèmes antérieurs.  »

Pistorius a été libéré sous caution mais ensuite, une fuite a révélé que la police avait trouvé un club de cricket présentant des taches de sang, alors que son amie présentait de graves blessures au crâne. Y a- t-il un lien ? Est-ce le sang de Pistorius ou de Steenkamp ? Le procès, qui s’ouvre le 3 mars à Pretoria, devra fournir une réponse à cette question. C’est une affaire d’Etat. MultiChoice, la principale chaîne sud-africaine, va diffuser des nouvelles du procès 24 heures sur 24, pendant 17 jours, sur sa chaîne pop-up. C’est une primeur sur le continent noir mais elle est compréhensible : Blade Runner est un héros, le modèle ultime.

Pistorius est fou de vitesse. Son addiction est célèbre. En 2009, son hors-bord a heurté le quai : fracture des deux côtes, de la mâchoire et de la pommette, 172 points de suture au visage. Une autre fois, à moto, il a heurté de plein fouet une porte. Une de ses jambes artificielles a volé dans des fils barbelés. Pistorius relativise :  » C’était marrant. Pour une fois, ne pas avoir de jambe était un avantage.  »

Michael Sokolove, un journaliste du New York Times qui a passé quelques jours en sa compagnie en décembre 2011, a décrit Pistorius comme  » un chouette hôte  » mais aussi  » un type plus que fou « . Surtout en voiture.  » La première fois que je suis monté en voiture avec lui, j’ai vu le compteur à 250 km/h. Rouler avec lui en Nissan GTR était… spécial.  »

Son comportement effraie son entourage mais nul ne peut le ramener à la raison. Peet van Zyl, son manager :  » Oscar est ainsi fait.  » Accro à l’adrénaline, avide de profiter de chaque moment. Comme durant cette nuit à New York, quand il emprunte le métro, sans but, pénètre dans un salon de tatouage et fait apposer un verset de l’épître aux Corinthiens, 9 : 26-27, sur son épaule gauche.

Moi donc, je cours, non pas comme à l’aventure ; je frappe, non pas comme battant l’air. Mais je traite durement mon corps et je le tiens assujetti, de peur d’être moi-même rejeté, après avoir prêché aux autres.

Un maniaque des armes

Le début de la saison est un calvaire. S’entraîner, manger et dormir, c’est bien trop lassant pour le Sud-Africain.  » Que puis-je faire, dans ma chambre d’hôtel, à part regarder de bêtes vidéos sur YouTube ou lire Google ?  » Corps et esprit se livrent un combat permanent. Il a avoué avoir un jour retiré la télévision de sa chambre pour ne plus regarder des films pendant des heures et avoir programmé son smartphone de façon à ne plus pouvoir envoyer de sms après une certaine heure.

Parfois, comme il l’a confié au New York Times, il roule vers le stand de tir, en pleine nuit. Car Pistorius aime les armes. Le 28 novembre 2011, il a parlé de sa précision mortelle sur Twitter :  » Had a 96 % head-shot over 300 meter from 50 shots ! Bam ! «  En traduction libre : 50 coups de feu à 300 mètres de distance et 96 % des balles sont arrivées en pleine tête… Ses armes sont à portée de main dans sa chambre : un club de cricket et une batte de baseball derrière la porte, un pistolet près du lit, un fusil sur l’appui de fenêtre.

 » Il a été stupéfait d’apprendre que je n’avais jamais tiré et il m’a emmené au stand de tir « , écrit le journaliste.  » Oscar était un bon maître. Quand il a vu que j’avais été presque parfait sur quelques tirs, il m’a dit : – Situt’entraînais, tupourraistuer. Sa remarque l’a fait rire…  »

En mars 2012, à quelques mois des Jeux olympiques de Londres, il raconte à une télévision sud-africaine qu’il essaie de canaliser sa passion pour la vitesse. Il a troqué sa Nissan contre une lourde BMW, il a vendu le bateau avec lequel il s’est crashé et onze motos. Skis, snowboards, gants de boxe et vélos sont restés au garage.

 » J’ai du mal à m’en passer. Mes motos me manquent beaucoup. J’ai grandi avec elles. J’ai commencé à rouler en compétition à six ans.  » Un de ses plus anciens souvenirs remonte à une colline dans les environs de la maison familiale à Sandton, Johannesbourg. Avec son frère Carl, d’un an son aîné, il descendait la colline en go-kart des dizaines de fois par jour.

 » Carl est encore plus fan d’action que moi. Quand nous allions trop vite, il se servait d’une de mes prothèses pour freiner.  » Son handicap n’a jamais constitué un tabou, pas plus que sa famille, issue de la classe moyenne, ne s’est apitoyée sur son sort. Il se souvient des paroles de sa mère, alors qu’elle attendait le bus de ramassage scolaire avec Carl et lui.  » – Carl, enfile tes chaussures. Et toi, Oscar, prends tes jambes et file.  »

Promis à un destin spécial

Oscar Pistorius, le deuxième fils de Sheila et de Henke, est né le 22 novembre 1986. Sans tibias. Les médecins ont conseillé une amputation complète en-dessous des genoux. Les parents ont suivi leurs conseils avant le premier anniversaire d’Oscar. Plus de vingt ans après, quand il parle de sa jeunesse, Pistorius ne se remémore que des bons moments.

 » Je n’avais pas six ans quand j’ai gagné un combat de lutte gréco-romaine et j’ai commencé à boxer à neuf ans. Je pouvais tout faire.  » Waterpolo, tennis, triathlon, cricket, rugby…  » Il s’entraînait depuis six mois quand j’ai remarqué qu’il n’avait pas de jambes. Il était un gamin tout à fait normal « , explique Jannie Brooks, le propriétaire de la salle de gym où Pistorius s’entraîne toujours.

Ses parents divorcent quand il a six ans. La mère élève les trois enfants – Carl, Oscar et leur petite soeur Aimee. Pistorius déclare qu’il lui doit sa motivation. Il conserve comme une relique la lettre qu’elle lui a écrite quand il avait onze mois et qu’il allait être opéré, une lettre qu’elle ne lui a donnée que beaucoup plus tard.

 » Le perdant n’est pas celui qui passe la ligne d’arrivée en dernier. Non, le perdant est celui qui ne participe pas et ne se donne pas la peine de se battre.  »

Sa mère ne sous-estime jamais ses possibilités. Elle est persuadée qu’il est promis à un destin spécial.

 » Son amour et son refus des conventions, mais surtout son refus de me voir d’un autre oeil que les autres, m’ont insufflé l’assurance requise pour retirer le maximum de ma vie. C’est Dieu qui m’a donné mon talent. Je dois donc être modeste et l’exploiter de mon mieux.  »

Pistorius perd sa mère à l’âge de quinze ans. Elle meurt d’une réaction allergique à des médicaments.  » Dans son testament, elle a écrit que nous devions être reconnaissants du temps passé ensemble.  » Après sa mort, il fait tatouer sa date de naissance et de mort sur son bras, en chiffres romains. LVIII V VIII – II III VI (8 mai 1958, 6 mars 2002).  » Ma mère ne me quitte jamais.  »

Des prothèses qui font débat

Oscar Pistorius raffole du rugby mais en juin 2003, à seize ans, il se déchire les ligaments du genou gauche. Les médecins l’envoient au High Performance Centre de Pretoria. Sur la piste d’athlétisme, Ampie Louw remarque sa rapidité. Il boucle le 100 mètres en 11.72, pendant une compétition scolaire.  » J’ai remarqué qu’il battait le record paralympique « , explique son père, avec lequel il n’a plus guère de contacts de nos jours. Après six mois d’entraînement, il bat Brian Frasure, champion du monde à onze reprises, sur 200 mètres. Trois mois plus tard, il enlève le bronze aux Paralympiques d’Athènes, sur 100 et 200 mètres.

Il a réussi sa reconversion mais il en veut plus. Il remporte ses premières médailles en catégorie T44 (amputation simple) alors qu’en fait, il pourrait participer aux épreuves de T43, réservées aux athlètes amputés des deux jambes. Mais il ne se sent pas amoindri.

En 2005, Blade Runner est sixième du 400 mètres au championnat d’Afrique du Sud. Il commence à rêver des vrais Jeux olympiques mais ses prothèses en forme de J, les Flex-Foot Cheetah, sont sujettes à polémique dans le milieu de l’athlétisme. En janvier 2008, il effectue des tests à l’université de Cologne, chez le Dr Peter Brüggeman. L’IAAF tranche : Pistorius ne peut participer ni aux JO ni aux meetings de l’IAAF.  » Il économise 25 % d’énergie, ce qui constitue un avantage énorme.  »

La décision ravive des souvenirs douloureux. Comme cette course durant laquelle ses premières blades, conçues par un ingénieur local, se sont brisées. Les modèles d’Össur, une firme islandaise, sont durs et résistants mais également inconfortables. En plus, ils diminuent son équilibre.  » Impossible de les employer tous les jours pour marcher.  »

Pistorius et ses avocats vont en appel devant le TAS, qui rend son jugement le 16 mai 2008 – à quelques mois des Jeux de Pékin.  » Le Professeur Brüggeman n’a effectué que des tests en ligne droite et son rapport ne mentionne pas les inconvénients liés à la procédure de départ et à la difficulté d’accélérer en course.  »

Pistorius poursuit sa quête mais il doit reporter ses ambitions sur Londres 2012.  » J’ai eu trop peu de temps et trop peu de courses dans des meetings normaux. Je vais donc aux Paralympiques, pour tout gagner.  » Il n’exagère pas : trois courses, autant de médailles d’or.  » Dans quatre ans, je n’aurai que 27 ans. L’âge idéal pour combiner les JO et les Paralympiques…  »

Une rage de vaincre incroyable

Ampie Louw, qui recèle trente ans d’expérience dans l’entraînement, et Pistorius s’entourent de spécialistes.  » Il est animé par une rage de vaincre incroyable et il met tout en oeuvre pour assouvir ses ambitions « , déclare le coach début 2012, alors que Pistorius s’impose un régime spartiate. Quelques mois plus tôt, il est devenu le premier athlète invalide à remporter une médaille d’argent au Mondial de Corée du Sud, en 4 x 400 mètres.

Neuf heures de sommeil, lever à sept heures, gym et exercices de stabilisation jusqu’à onze heures, obligations de sponsoring (Chevron Oil, Nike, Oakley, Nedbank, Volvo, Nashua…) et interviews jusqu’à 15.30 heures, le moment d’affûter sa vitesse sur piste. Tout se déroule sous l’oeil approbateur du Team Oscar – manager, kiné, diététicien, spécialiste de la motricité, entraîneur et psychologue. Vers 18 heures, il se rend au gymnase, où il brûle des calories sur un vélo pendant une demi-heure.

C’est aux Jeux qu’il devient une icône en Afrique du Sud, un pays obsédé par l’inégalité. Lui, l’athlète sans jambes, a surmonté son handicap pour rivaliser avec les meilleurs athlètes du monde. Sa couleur de peau n’a pas d’importance. Comme Nelson Mandela, Oscar Pistorius est au-dessus de tous les groupes sociaux et raciaux. Pistorius, symbole de l’espoir, se détache du passé trouble de son pays. Ou, comme l’éditorialiste noir Justice Malala l’a dit :  » Nous l’aimons tous. Pour nous, Sud-Africains, il est impossible de regarder une course d’Oscar sans fondre en larmes de bonheur.  »

Jusqu’au 14 février 2013, quand il abat son amie Reeva Steenkamp, mannequin et star TV dont il a fait la connaissance quatre mois plus tôt. Le jour même, on enlève des rues les affiches géantes qui montrent Pistorius grandeur nature. L’amour inconditionnel que portent les Sud-Africains à Oscar s’est mué en haine. L’Afrique du Sud bat sa coulpe. Elle ne faisait qu’un avec Pistorius. Oscar était la preuve vivante que les hommes sud-africains ne parvenaient pas à se contrôler et qu’ils battaient, violaient et tuaient les femmes qu’ils aiment. Oscar était pourri, l’Afrique du Sud aussi.?

PAR CHRIS TETAERT – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Oscar était stupéfait que je n’aie jamais tiré et m’a emmené au stand. – Si tu t’entraînais un peu, tu pourrais tuer aussi.  » Michael Sokolove, The New York Times

 » Nous l’aimons tous. Pour nous, Sud-Africains, il est impossible de ne pas fondre en larmes en voyant une course d’Oscar.  » Justice Malala, journaliste sud-africain

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