BLACK STAR

Ce qu’on ne savait pas sur l’acteur principal de la saison de D2, entraîneur de l’année : Mister John Bico ! Portrait décalé d’un agitateur.

On appellera ça l’autorité naturelle. Qui s’explique en partie par une taille et une carrure hors normes. Notre première rencontre avec John Bico remonte à la fin de l’année 2011. Il nous a booké une interview avec son poulain Eden Hazard dans un hôtel de prestige au coeur de Lille. Il assiste évidemment à l’entretien et guide Hazard sur certaines réponses, par exemple sur le thème du hamburger dévoré en plein match au Heysel, quelques mois plus tôt.

Bico et Hazard viennent juste d’arrondir les angles avec Georges Leekens, dans le plus grand secret, et l’agent ne veut surtout pas remettre de l’huile sur le feu. Et il ne veut rien dévoiler de leur entrevue :  » Ça ne regarde que nous.  »

Il demande à lire le texte de l’interview avant parution. A lui envoyer sur sa boîte mail, son adresse commence par misterjohnbico… Pendant tout un week-end, il apporte des corrections, corrige à nouveau certaines adaptations, c’est un jeu sans fin. Pas tellement sur le fond mais il y en a énormément sur la forme.

AUTORITÉ NATURELLE

Exemple. Eden Hazard nous a dit :  » Qu’est-ce que j’ai kiffé Thierry Henry quand il était à Arsenal !  » Dans la version finale, ça devient :  » Qu’est-ce que j’ai admiré Thierry Henry quand il était à Arsenal !  » Pas question pour l’agent que son protégé donne l’impression de s’exprimer comme un rappeur de banlieue. Autorité naturelle.

On revoit John Bico pour une nouvelle interview d’Eden Hazard quatre mois plus tard au centre d’entraînement du LOSC, à Luchin. C’est un entretien commun avec la RTBF qui a envoyé un journaliste, un cameraman et un preneur de son. Il y a un photographe. Et l’attachée de presse du club. Bico est là aussi, évidemment.

Ça fait beaucoup de monde dans une pièce exiguë et le temps de Hazard est compté parce qu’il doit être dans le vestiaire une demi-heure plus tard. Ça grouille dans tous les sens, tout le monde a son boulot à faire, et ça énerve John Bico. Il se fâche un peu sur le photographe et l’équipe télé qui ne bossent pas assez vite à son goût.

Finalement, Sport Foot Magazine n’a pas eu le temps d’interview promis. L’agent trouve une solution :  » Après l’entraînement, vous viendrez en voiture avec Eden et moi. Il me reconduit à la gare TGV parce que je remonte sur Paris, vous profiterez du trajet pour continuer votre interview.  » En BMW avec Eden et Mister Bico, donc. A la sortie de Luchin, des gendarmes d’humeur bougonne font un contrôle de routine.

Ils reconnaissent Hazard mais ça ne leur donne même pas le sourire :  » Coupez le moteur !  » John Bico, qui est au volant, leur explique que ça pose problème. La batterie de la caisse du joueur est fatiguée, il a fallu brancher les câbles au moment de quitter le centre d’entraînement. Les keufs acceptent que le moteur ne soit pas coupé… Autorité naturelle.

Nouvelle rencontre en mars de cette année. Le Camerounais est entre-temps devenu le patron / investisseur / entraîneur du White Star. Quand on arrive au stade pour faire son interview, il est en pleine gueulante contre ses joueurs, ils ont la queue entre les jambes, aucun d’eux n’ose riposter. Bico nous accueille :  » Attendez-moi dehors s’il vous plaît. J’en ai encore pour cinq minutes.  » Autorité naturelle.

PASSÉ RECOMPOSÉ

Dans un championnat de D2 sous-médiatisé à l’extrême et en panne de personnalités, John Bico a animé toute la saison. Son animosité envers l’Antwerp, son conflit larvé avec le RWDM, la commune et sa bourgmestre Françoise Schepmans qu’il compare à Cléopâtre pour son côté autoritaire, l’affaire Seraing / White Star, la remontée dingue du White au classement et les limites de ce club (finances, public, problèmes de stade, licence) ont contribué à mettre la série sous les spots. Et à faire dire au boss de la D2 :  » Le White Star est un drame pour le football.  »

Qui est vraiment John Bico ? Mis à part son passé d’homme de confiance des frères Hazard et son arrivée inattendue sur le banc d’un White Star qu’il avait repris à quelques jours d’une mise en liquidation, on n’en sait pas énormément sur lui. Voici des clés pour comprendre l’agitateur de l’année, ses confidences sur sa drôle de vie, ses révélations sur ses différents métiers, sur les virages inattendus qu’il a parfois pris.

Le raisonnement n’appartient qu’à lui mais il a le mérite d’exister et d’être tranché :  » Le niveau général a fortement baissé par rapport à l’époque où j’étais footballeur. Je le dis parfois à mes joueurs, pour les taquiner, les provoquer. Pour moi, ça saute aux yeux. Si j’avais aujourd’hui l’âge, les qualités et la forme que j’avais à ce moment-là, je pense que je serais professionnel. Mais c’était impossible parce que les exigences étaient plus hautes que maintenant. Oui, ça fait un peu vieux con quand je parle comme ça, mais je sais ce que je dis. Et c’est surtout pour ça que je n’avais aucune chance de passer professionnel.  »

Pour illustrer ses propos, il prend carrément l’exemple des Bleus d’hier et d’aujourd’hui.  » Je vois dans l’équipe de France actuelle des gars qui, de mon temps, n’auraient même pas été dans une présélection très élargie de 30 ou 50 hommes. Des joueurs de l’époque, qui n’osaient même pas rêver d’être sélectionnés, seraient aujourd’hui des vedettes internationales.  »

AGENT PAR HASARD

John Bico nous apprend qu’il n’avait  » pas la fibre d’un agent de joueurs.  » C’est dans ce rôle que le monde du foot l’a découvert (il s’est occupé de la carrière de Franck Ribéry dans un premier temps) mais c’est parti d’un simple concours de circonstances.

 » Les gens qui ne me connaissent pas pensent que j’ai arrêté d’être l’agent des frères Hazard pour devenir dirigeant puis découvrir le métier d’entraîneur au White Star. Ils ont tout faux. Ceux qui me connaissent savent que j’ai arrêté le job d’entraîneur pour devenir agent. C’est fort différent et c’est révélateur : j’ai plus la fibre d’entraîneur que des dispositions d’agent de joueurs.

Je ne dirigeais pas un noyau pro, je m’occupais de jeunes, et j’ai eu une opportunité pour faire le boulot d’agent. J’ai essayé. Et… malheureusement, ça a vite fonctionné. Malheureusement, j’avais fait quelques études, et c’est la période où le métier d’agent a commencé à se développer, donc j’ai continué. Je peux vous dire que ça faisait rire les gens qui me connaissaient bien.

Ils étaient étonnés que je change de job parce qu’ils savaient à quel point j’adorais entraîner. Aujourd’hui, le grand public pense que John Bico est un agent reconverti en entraîneur. Ce n’est donc pas la vérité. John Bico est un entraîneur qui a toujours voulu entraîner et qui a fait une parenthèse comme agent.

Je peux comprendre que certaines personnes disent : -Quelle mouche l’a piqué pour reprendre subitement l’équipe du White Star alors qu’il était dirigeant ? Ça peut faire penser à un mauvais film, j’en suis conscient, et si je ne connaissais pas ma propre histoire, je raisonnerais comme ça, moi aussi. Je suis retourné à ma vocation, tout simplement.  »

Sans regrets, en tout cas pour l’instant.  » Avant de prendre une décision, je réfléchis. Ça ne veut pas dire que je ne me trompe pas, mais c’est raisonné. Aujourd’hui, il est trop tôt pour que j’aie des regrets par rapport à mon changement d’orientation. J’en aurai peut-être plus tard, quand je pèserai le pour et le contre à tête reposée.

Passer des portes ne m’a jamais fait peur, je prends ces changements de métiers comme des défis. J’avais fait celui de sauver le White Star, de le relever, d’en faire un club respecté dans le monde professionnel. J’ai mis mes mains dans le cambouis, ce n’était pas une lubie de ma part.  »

AVEC LE SOURIRE

Quand John Bico s’est installé sur le banc en fin d’année 2013, ça a pas mal jasé. Il se souvient et dit :  » Si ces critiques m’avaient touché à l’époque, je serais en train de jubiler aujourd’hui. Mais je ne jubile pas, parce que les attaques ne m’avaient pas atteint. Simplement, j’ai décidé à l’époque de faire les choses moi-même parce que ça ne marchait pas avec les coaches qu’on avait choisis.

J’ai la prétention de penser que j’ai au moins un discours et une méthode. Un journaliste m’a questionné à ce moment-là : -Vous pensez pouvoir réussir après avoir usé autant d’entraîneurs ? Je lui ai répondu : -John Bico n’a pas usé beaucoup d’entraîneurs mais il y a beaucoup d’entraîneurs qui ont usé John Bico. On s’amusait à écrire un peu partout que je faisais l’équipe. Donc, j’ai fini par vraiment la faire moi-même !  »

Toujours sur le thème des critiques et des railleries, il ajoute :  » Je remercie celui qui m’a dit un jour que même le meilleur chasseur ne pouvait pas viser deux cibles en même temps. Il faut choisir un objectif, se concentrer sur une seule chose : les critiques ou un but. J’ai choisi un but, sportif et financier. Mon objectif n’a jamais été de gagner la Star Ac ou de devenir échevin, ou bourgmestre de Molenbeek. Je n’ai jamais cherché à obtenir les votes du public.

Taper 1 si vous êtes d’accord avec John Bico, taper 2 si vous n’êtes pas d’accord avec lui, c’est un jeu qui ne m’intéresse pas. Je préfère que le monde du football me juge à l’aune de mes résultats.  » Encore un événement de la saison qui l’a amusé :  » On a rigolé de notre effectif, j’ai lu un jour que le White Star avait une cinquantaine de joueurs. C’est vrai, on ne savait pas que le foot se joue à onze. Heureusement que ces gens-là ont été là pour nous le rappeler.  »

RETOUR DANS L’OMBRE

Notre D2 restera toujours une série de bourrins qui vont gaiement au duel. Et le White Star ?  » Du respect s’est installé par rapport à notre jeu « , signale John Bico.  » C’est peut-être ma plus grande fierté. Le football que nous pratiquons a suscité pas mal de commentaires positifs. On a vécu quelque chose d’extraordinaire en Coupe de Belgique à Malines, cette saison.

Mon équipe a été battue 1-0 sur une erreur de jeunesse, et à la fin du match, les supporters adverses ont appelé mes joueurs pour les applaudir. Ça a été une communion fantastique, le club de Malines a mis ces images sur son site. C’est un de mes plus beaux souvenirs depuis que je suis au White Star.  »

On revient à l’autorité naturelle de l’homme. Forcément, il y a parfois des étincelles à l’entraînement.  » Je suis dur mais aussi honnête, je crois. Je pense que si j’étais joueur, j’aurais parfois du mal à travailler avec un coach comme John Bico… Mais je me dirais sans doute : -Il me casse les pieds mais c’est pour mon bien.  »

Aujourd’hui, l’heure de la fin de son aventure d’entraîneur a sonné.  » J’ai beaucoup de défauts mais je suis réaliste. Cela fait trois ans que je travaille avec ce groupe, je ne peux pas lui apporter plus. J’ai l’impression d’être arrivé au bout de mon boulot avec eux.  »

Il va maintenant travailler dans l’ombre, utiliser ses réseaux pour continuer à faire grandir le White Star. Et il termine sur un clin d’oeil :  » Certains joueurs vont sans doute déboucher le champagne pour fêter mon départ du poste d’entraîneur.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » J’étais entraîneur, j’ai eu une opportunité pour faire le boulot d’agent, et malheureusement, ça a vite fonctionné.  » JOHN BICO

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