BIG ROM’

Plongée au centre d’une région touchée par la crise et à l’intérieur d’un club familial pour cerner la renaissance de l’ancien buteur d’Anderlecht.

En inscrivant le premier but face à Swansea (2-1), le week-end passé, Romelu Lukaku a encore affolé les statistiques de la Premier League anglaise. Cela faisait 14 ans qu’un teenager (joueur de moins de 20 ans) n’avait pas marqué autant de buts. C’était en 1999 et il s’appelait Michaël Owen qui avait trouvé le chemin des filets à 18 reprises. En inscrivant son treizième pion, Lukaku effaçait des tablettes des joueurs comme Nicolas Anelka (13 buts en 1999), Robbie Keane (12 en 2000). Il faisait mieux que Wayne Rooney (11 en 2005) ou Jermaine Defoe (10 en 2002). Un an après une saison délicate à Chelsea, Lukaku a donc parfaitement rebondi au coeur de l’Angleterre : un but toutes les 106 minutes avec à la clé le titre honorifique de meilleur buteur de -20 ans dans les cinq championnats majeurs pour cette campagne 2012-2013. Sport/Foot Magazine est parti analyser le phénomène Lukaku.

Direction Birmingham, en plein centre de l’Angleterre. Deuxième aire urbaine après Londres, la ville des Midlands compte avec ses voisines de Wolverhampton et de Walsall plus de trois millions d’habitants. Birmingham, à elle seule, en accueille plus d’1 million. La ville, sorte de juxtaposition de buildings bétonnés, de parkings hideux et de centres commerciaux imposants, ne présente aucun charme. La faute, en grande partie, aux bombardements de la dernière guerre (1977 alertes aériennes et 365 bombardements !) et à un plan de reconstruction bâclé et irréfléchi. Sa population constitue finalement son seul attrait. Ce magma de nationalités, attirées par la révolution industrielle, en a fait à une époque  » l’atelier du monde « . Les manufactures tournaient à plein régime et rien ne semblait arrêter Birmingham. Aujourd’hui, quelques bâtiments, rongés par la végétation, témoignent encore de ce passé industriel florissant que la dernière crise économique semble avoir définitivement mis au tapis.

Contrairement à des villes comme Manchester ou Liverpool, Birmingham ne vit pas au rythme du foot. Ici, tout est plus mesuré. Pas de maillots qui pendent aux aubettes de rues, pas de boutiques aux couleurs de Birmingham City ou de WBA dans le centre-ville. Seul Aston Villa possède son magasin. Pourtant, quatre clubs se partagent le terreau local. Aston Villa et Birmingham City (aujourd’hui en Championship) pour le centre, WBA qui se situe à 10 kilomètres et Wolverhampton (également en Championship) à 28 kilomètres pour la banlieue. Quatre clubs mais un maître. Ici, c’est Aston Villa qui règne. Question de palmarès sans doute. Les Villains comptent sept titres de champion, sept Cups, cinq coupes de la Ligue et surtout une Ligue des Champions. Face à l’ogre claret and blue, WBA tente de se faire une place. Silencieusement et délicatement. Un drôle de nom pour un drôle de club. C’est, du moins, ce qu’a dû penser notre compatriote Romelu Lukaku lorsqu’il quitta le glamour de Chelsea pour l’ombre de WBA.

 » Le public aime Lukaku car il voit en lui le contraire d’une star  »

Notre premier rendez-vous nous conduit à ce qui constitue désormais le symbole de Birmingham : le centre commercial du Bullring, et l’imposante façade en aluminium du magasin Selfridges. C’est là que nous rencontrons Peter Lansley, correspondant dans les Midlands pour le vénérable Times.  » Vous venez pour Lukaku ? Ce qu’il réussit à WBA est vraiment étonnant. On savait qu’il disposait de ce potentiel physique détonant mais quand il est arrivé en début de saison, il manquait encore de maturité. Il courait beaucoup et dans tous les sens mais toujours avec un temps de retard. Il perdait beaucoup d’énergie dans des courses vaines et il n’arrivait donc pas à être efficace. Steve Clarke a tout de suite vu qu’il devait encore polir ce diamant. Il lui a préféré Shane Long, un joueur plus expérimenté, qui sait davantage protéger son ballon, dos au but. WBA envoyait des ballons dans ses pieds, et lui, créait l’espace dans lequel s’engouffrait Peter Odemwingie. Lukaku rentrait souvent au jeu à 20 ou 30 minutes de la fin et son physique faisait très mal aux défenses adverses fatiguées. Il savait se battre et n’avait pas besoin de beaucoup d’occasions. Puis Long s’est blessé et Lukaku en a profité. Il avait mûri et sa confiance s’est accrue au fil des rencontres. Il a appris à conserver son ballon et à défendre. Ses buts ont conquis le public qui voit en lui le contraire d’une star.  »

Quelques heures plus tard, on prend la direction de WBA. Du centre de Birmingham à West Bromwich (petite ville qui a donné son nom au club), on passe d’abord devant des immeubles désertés avant de traverser Handsworth qui fleure bon l’Asie. Les magasins de sari et les banques indiennes succèdent aux temples sikhs ou bouddhistes. Quelques kilomètres plus loin, on pénètre dans le comté de Sandwell où commence le Black Country et où auparavant se concentraient toutes les industries. C’est là que se trouve West Bromwich, petite cité au milieu de laquelle trône fièrement The Hawthorns, le stade de WBA. La grille principale, ornée d’une représentation de Jeff Astle célébrant son but victorieux en finale de la Cup 1968, dernier trophée du club, est garnie de quelques bouquets de fleurs, en mémoire de ce buteur légendaire décédé à 60 ans en 2002.  » Il s’agit du stade de Premier League situé le plus haut au-dessus du niveau de la mer « , explique l’attaché de presse, John Simpson.  » Sur ce point-là, au moins, WBA est en tête ! « . L’humour local, sans doute…

 » Il ne se contente pas d’être footballeur pro. Il veut devenir le meilleur  »

C’est là que nous avons rendez-vous avec Steve Clarke qui réalise un boulot formidable à WBA pour sa première saison comme manager. Avant cela, cet ancien international écossais (8 sélections) avait été cantonné à des rôles d’adjoint (José Mourinho, Bryan Robson ou Kenny Dalglish).  » J’ai été surpris de voir à quelle vitesse Clarke s’est adapté à WBA « , nous explique Phil Barnett, journaliste à la Press Association.  » Il a attendu cette opportunité pendant longtemps et il l’a saisie pleinement. Il est très calme et ne perd jamais son sang-froid. Il ne sourit pas beaucoup mais ne crie jamais non plus. Ce n’est pas le style de manager à montrer ses émotions. Sa philosophie consiste à mettre la balle au sol. Il ne prône cependant pas la possession de balle. Il développe plutôt un jeu rapide en deux-trois touches.  »

En conférence de presse d’avant-match, la plupart des questions portent sur le futur de Lukaku.  » On connaît le deal depuis le début. Je ne peux pas spéculer et me dire qu’il sera là la saison prochaine « , lance Clarke.  » Chelsea nous l’a prêté et on a eu la chance qu’il demeure avec nous jusqu’au bout de la saison. C’est le principe du système de prêt. On connaît les conditions depuis le début et toutes les parties en ont pleinement profité. Pour moi, en été, il retourne à Chelsea.  » Après les journalistes anglais, il nous consacre quelques minutes.  » Je ne peux pas le dire à la presse anglaise mais pour moi, il ne doit pas retourner à Chelsea pour rester sur le banc. Et je sais que les dirigeants de Chelsea pensent la même chose. Ce serait une perte de temps pour lui.  » En résumé, si Lukaku retourne à Londres, ce sera dans la peau d’un titulaire !

Clarke est donc l’entraîneur qui a fait de Lukaku un joueur de Premier League.  » Il est arrivé ici après une saison décevante à Chelsea. Il n’avait reçu que quelques minutes de jeu. Il était anxieux, il voulait devenir un joueur de Premier League et démontrer ses qualités. Mais il y avait beaucoup d’enthousiasme chez lui. On sentait une volonté de bien faire. On a décidé de l’incorporer petit à petit à l’équipe. Au fur et à mesure de l’avancée de la saison, il a pris de plus en plus confiance en lui et désormais, il réalise les performances dignes d’un joueur qui a couté 20 millions d’euros. Certains pensaient qu’il était trop court pour le championnat anglais. Pas moi. Il fallait simplement lui redonner espoir et confiance après sa saison blanche.  »

 » Il ne se contente pas d’être footballeur pro. Il veut devenir le meilleur  »

Mais Steve Clarke reconnaît que derrière ses prestations actuelles, il n’y a pas qu’une question de confiance.  » Il s’est amélioré durant toute la saison. Il a toujours été puissant derrière les défenseurs mais désormais, il sait aussi garder le ballon et attendre que la deuxième ligne vienne lui prêter main forte. Un exemple parmi d’autres : lors du match contre Swansea, on le voit contrôler le ballon et donner une passe formidable dans l’espace pour Chris Brunt. Ça, il ne le faisait pas assez en début d’année. Il ne crée plus seulement des occasions pour lui-même mais également pour les autres. Sa palette s’est donc complétée. Si vous me demandez s’il a encore des défauts, je dirais qu’il a surtout besoin d’expérience. S’il retourne à Chelsea, il doit savoir qu’il va avoir affaire à des défenses plus resserrées. Il doit améliorer son jeu dans ces conditions afin de trouver de l’espace. A WBA, la question ne se pose pas encore car le jeu est plus ouvert. Mais comme c’est un travailleur, quelqu’un qui écoute et ne rechigne pas au travail, je ne me fais pas trop de soucis. Il saura résoudre ce problème.  »

Car, derrière le joueur, il y a également l’homme. Clarke est ravi d’avoir travaillé avec un élément comme Lukaku.  » Pour un jeune joueur, son attitude est rafraîchissante. Beaucoup de jeunes veulent simplement profiter du fait d’être footballeur professionnel. Pas Romelu qui travaille dur pour devenir le meilleur. A la fin des entraînements, il en veut toujours plus. Parfois, c’est moi qui dois le pousser hors du terrain pour qu’il aille prendre sa douche. Principalement, c’est pour exercer sa finition car il reste un attaquant qui doit marquer mais il travaille tous les aspects du jeu. Dans ma carrière, je ne crois pas avoir entraîné un autre joueur de cet âge-là possédant sa taille et sa force.  »

Dans le vestiaire, Lukaku a donc fait son trou. Il a d’ailleurs récolté le surnom de Big Rom’, faisant à la fois référence à sa taille mais également à l’histoire du club et au manager Ron Atkinson qui avait conduit WBA à la troisième place en 1978-1979 et en quart de finale de Coupe UEFA la saison suivante. Celui-ci avait écopé du surnom de Big Ron…  » C’est un tank « , a reconnu il y a quelques semaines le gardien international Ben Foster dans les colonnes du Birmingham Mail.  » On a douté de son talent la saison dernière mais quand un club dépose 20 millions pour toi, c’est que tu possèdes des qualités. Il est en train de les montrer !  »

 » Chelsea peut continuer à nous fourguer ses déchets s’ils sont tous comme Lukaku  »

Lukaku a donc séduit tout l’entourage de WBA.  » On a tout de suite senti qu’on avait affaire à un joueur intelligent « , affirme Lansley.  » Directement, il a demandé à la presse de ne plus le comparer à Drogba. Il a enlevé la pression qui pesait sur ses épaules et je crois que venir dans un club familial comme WBA où tu es moins exposé qu’ailleurs lui a fait énormément de bien.  »  » Quand on a vu qu’il parlait sept langues, on a tout de suite senti qu’on avait affaire à quelqu’un qui ne correspondait au profil du footballeur-type « , ajoute Barnett.

Quant au supporter de WBA, il en redemande.  » Grâce à Lukaku, on fait peur à toutes les défenses « , sourit Rod, croisé au fan-shop.  » Tout le monde a été surpris car les fans de Chelsea avaient l’habitude de le chambrer. Nous, on a récupéré un joueur fort, puissant et rapide qui déménage tout sur son passage. Aujourd’hui, c’est nous qui charrions les fans de Chelsea. Ils peuvent encore nous fourguer leurs déchets s’ils sont tous comme Lukaku (Il rigole) « .

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Quand il est arrivé à WBA, il a tout de suite demandé à la presse qu’on ne le compare pas à Didier Drogba.  » (Peter Lansley, The Times)

 » Il réalise des performances dignes d’un joueur qui a coûté 20 millions d’euros.  » (Steve Clarke, manager de WBA)

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