BIG Ouali

Il y a un an, le Franco-Algérien ne se voyait plus pro et bossait dans un fast-food.

Il y a un an, si vous vouliez trouver IdirOuali, vous deviez le chercher dans le nord de la France où il travaillait dans un établissement de restauration rapide.

Ouali :  » Chez Flashburger, pour être précis. Quatre personnes, dont un membre de ma famille, s’étaient associées en 2006 pour lancer cette affaire. Mon meilleur ami, Ali, y travaillait déjà et je l’avais rejoint pour occuper mes journées, puisque le noyau B ne s’entraîne que le soir. J’étais derrière le comptoir, je prenais les commandes, je préparais les plateaux et j’encaissais l’argent. Il y avait une bonne ambiance de travail, et un peu comme dans une équipe de foot, on se lançait des défis : qui serait le plus rapide pour servir les clients, qui ferait les meilleurs chiffres ? Ce n’était pas désagréable, et ce qui me plaisait surtout, c’est que je pouvais aménager mes horaires en fonction des entraînements et des matches. Mon employeur était assez souple, et pour le reste, je m’arrangeais avec les collègues. Généralement, je commençais vers 10 heures et je terminais vers 15 heures. Après, je me préparais pour me rendre à l’entraînement des Espoirs, qui débutait vers 17 h 30 ou 18 heures. Il y avait aussi quelques joueurs des -19 ans. C’était des entraînements d’un très bon niveau pour tous ces jeunes, mais pas suffisamment pour me hisser vers l’équipe Première.  »

L’envers du décor

Quand on travaille dans un fast-food, forcément, on a tendance à y manger également.  » Il n’y avait pas que des hamburgers et des frites « , se défend Idir.  » On servait aussi des salades. Tout comme on pouvait boire de l’eau, on ne servait pas uniquement des boissons gazeuses des marques bien connues. Mais je dois être honnête : j’ai parfois craqué pour un hamburger au fromage. Je savais que ce n’était pas un menu diététique pour sportifs, mais tant que je n’abusais pas… Cette expérience m’a permis de connaître un peu l’envers du décor, d’avoir une idée de la vie que mène le commun des mortels et sans doute de comprendre davantage aujourd’hui que je suis un privilégié. « 

Si Idir en était arrivé là, c’est parce que MarcBrys l’avait relégué dans le noyau B.  » En juillet 2007, j’avais été intégré au noyau professionnel et participé au stage d’avant-saison à Spa. Mais, au terme de celui-ci, l’entraîneur anversois a estimé que le groupe était trop étoffé et j’en ai fait les frais. Je peux comprendre sa décision : il y avait effectivement beaucoup de joueurs, dont sept attaquants. DembaBa était toujours là, et il y avait aussi des garçons comme MickaëlNiçoise, BertinTomou, AdnanCustovic, AliouneKebe, AlexisAllart (aujourd’hui à Sedan) et CarlosCoto, si on considère l’Espagnol comme un attaquant. Je n’en veux pas à Brys de m’avoir écarté. Je me rendais parfaitement compte que si un attaquant devait sauter, c’était moi. J’étais un cran en-dessous des autres, et physiquement à plat. C’était la première fois que j’étais soumis à une préparation pareille, avec deux ou trois séances quotidiennes, et j’avais dû puiser dans mes réserves. Suite à cette décision, j’ai perdu confiance. Lors des premiers matches avec la Réserve, je suis encore parvenu à tirer mon épingle du jeu, mais au fil du temps, je me suis enfoncé. C’était la chute, due probablement au mental qui ne suivait plus. La règle des quatre étrangers autorisés en Réserve (et j’en suis un) m’a aussi été préjudiciable. Lorsque je me suis retrouvé réserviste en Réserve, j’ai pris un coup sur la tête. Le principal reproche que j’adresserais à Brys n’est pas de m’avoir écarté, mais de ne plus jamais avoir pris de mes nouvelles par la suite. Il ne m’a jamais fait comprendre qu’il croyait en moi. Mais, si un jour nos routes devaient à nouveau se croiser, je ne pense pas qu’il y aurait des problèmes. Je serais prêt à retravailler avec lui, si le destin le voulait.  »

8 mars 2008 : une nouvelle vie commence

Le père d’Idir, lui, était plombier.  » J’avais, moi aussi, commencé une formation en plomberie, chauffage et sanitaire, et j’aurais pu également travailler dans cette branche-là, mais les horaires étaient moins souples et j’aurais sans doute dû faire une croix définitive sur le foot. Or, je continuais à croire malgré tout en ma bonne étoile. « 

A raison, puisque 2008 marquera pour lui un véritable tournant :  » Il n’y a pas de honte à faire des petits boulots pour gagner sa vie, mais cela n’a rien de comparable avec ce que je vis actuellement. Je m’apprêtais à mener la vie de Monsieur Tout-le-monde, celle du gars qui travaille en journée, qui s’adonne à certains hobbies (dont le football) en soirée et tente d’un peu s’amuser en dehors. Aujourd’hui, j’ai fait de mon hobby, un métier. Mais il s’en est fallu d’un cheveu. En 2007, je m’étais donné un an pour réussir. En cas d’échec, je me serais résolu à abandonner le football définitivement et à travailler à temps plein dans un autre domaine. On avait évoqué cette perspective lorsque la famille s’est retrouvée pour le Nouvel An. Mes proches comprenaient parfaitement que le football était ma passion, mais ils m’ont dit que si je ne m’imposais pas, cela ne servait à rien de continuer à m’apitoyer sur mon sort : il faudrait envisager d’autres solutions. « 

Curieusement, c’est lors d’un tournoi de… mini-foot disputé avec des amis pendant la trêve hivernale qu’Idir a retrouvé confiance :  » Je me suis bien amusé, j’ai inscrit quelques buts, et en rentrant à la maison le soir, je me suis senti transfiguré. Je me suis remis à croire à un avenir dans le football, et à la reprise, j’ai retrouvé le chemin du Canonnier avec plus d’enthousiasme. En janvier, j’ai refait des bons matches avec la Réserve. A deux reprises, j’ai réalisé un doublé, et cela n’a pas échappé à EnzoScifo, qui était confronté au manque de réalisme de ses attaquants et connaissait des débuts difficiles à l’Excel. Il devait trouver d’autres solutions, et GeertBroeckaert, qui avait appris à me connaître depuis deux ans, l’a sans doute définitivement convaincu de m’offrir une chance. Celle-ci m’a été offerte lors de la visite de Bruges, le 8 mars. Une semaine plus tôt, Scifo m’avait demandé si mes horaires de travail me permettaient de venir m’entraîner de temps en temps avec le noyau A. Je me suis libéré le plus souvent possible. Le vendredi, j’ai appris que j’étais convoqué pour le match du lendemain. Pour autant, je ne m’attendais pas du tout à débuter. Je ne l’ai su que le jour même. A l’exception des habitués des matches de Réserve, personne ne me connaissait. Ni les Brugeois, ni la plupart des Mouscronnois probablement. Les joueurs de ma propre équipe ne me connaissaient que de nom, ils ignoraient de quoi j’étais capable. Ils m’ont toutefois rassuré, ont essayé de me mettre en confiance en me disant que je n’avais rien à perdre. Ce statut de titulaire m’a gonflé à bloc. Il m’offrait la certitude de pouvoir au moins m’exprimer une mi-temps, pas simplement dix minutes lorsque le match était joué. C’était une véritable chance et je pense l’avoir saisie. J’ai inscrit le premier but, et BastienChantry a mis le deuxième d’une frappe d’anthologie dont il doit encore rêver la nuit. Ce match contre Bruges a été le véritable tournant de ma carrière. Si je m’étais planté, je serais probablement toujours derrière le comptoir du Flashburger, actuellement.  »

La saison de la confirmation

Dans la foulée, Idir a signé un premier contrat pro et a entamé la saison 2008-2009 – celle de la confirmation, que l’on considère souvent comme la plus difficile – en concurrence avec JayceeOkwunwanne,  » Je ne me suis pas mis de pression supplémentaire à l’entame de cette saison « , affirme Ouali.  » J’espère jouer le plus de matches possibles, c’est tout. Je suis conscient que j’ai encore beaucoup à apprendre. Après tout, je n’ai encore que 20 ans. Je dois encore mieux soigner mes appels, sentir quand je dois garder le ballon ou au contraire le remettre directement. Ce sont des choses que l’on apprend au fil des années, en jouant des matches. Il est clair qu’on attend davantage de moi cette saison, je le ressens parfaitement. Je ne suis plus le débutant qui n’a rien à perdre. Mes cinq buts de la saison dernière, en dix matches seulement, m’ont conféré une certaine réputation. Les adversaires connaissent aussi mon style de jeu et s’adaptent. C’est à moi à trouver la parade pour déjouer les pièges des défenseurs adverses. Quant au choix entre Jaycee et moi, il est du ressort de l’entraîneur. Au départ, Scifo avait donné la préférence à Jaycee. J’ai été titularisé une première fois lorsque mon nouveau coéquipier est revenu assez fatigué de ses obligations internationales avec le Bahreïn. Scifo a été confronté à un dilemme après mes trois buts contre La Gantoise, alors que Jaycee n’avait pas démérité. Il a choisi de me titulariser pour le déplacement à Westerlo. Jaycee l’a accepté, comme je l’avais fait moi-même lors des matches précédents. Ce qui est bien avec Enzo, c’est qu’il nous donne des explications. Il justifie son choix auprès du joueur évincé. Il le fait pour Jaycee et moi, mais aussi pour ChristopheLepoint et JonathanWalasiak par exemple. Je ne vais pas être hypocrite : se retrouver sur le banc, ce n’est agréable pour personne. Même si on s’efforce d’arborer un large sourire devant la caméra lorsqu’on nous pose la question, en notre for intérieur, on râle. Mais, en discutant avec nous, l’entraîneur démontre qu’il se préoccupe de notre sort et qu’il croit toujours en nous pour l’avenir. On sait très bien qu’il ne peut titulariser que 11 joueurs par match.  »

Et un seul attaquant de pointe, puisque Scifo choisit généralement d’aligner son équipe en 4-5-1.  » Lors du match à Anderlecht, la plupart des observateurs ont remarqué que j’étais fort esseulé en pointe, mais il ne faut pas perdre de vue qu’Adi Custovic était suspendu. Même s’il évolue sur le flanc droit, le Bosniaque remplit un rôle de deuxième attaquant et m’est d’un apport précieux. Il m’offre beaucoup de solutions en pointe. Il est d’ailleurs arrivé, lors de certains matches, qu’on alterne nos positions respectives. Même si je préfère malgré tout jouer devant, cela ne me dérange pas de jouer sur le flanc droit ou même sur le gauche, car ma pointe de vitesse peut également m’être utile pour déborder. « 

Le joueur aux deux visages

Ouali a déjà montré plusieurs visages cette saison. Entre l’Idir qui a loupé deux occasions toutes faites contre Malines, et celui qui a planté trois roses dans les filets de BojanJorgacevic, faut-il chercher son vrai visage entre les deux ?  » Le football veut que la vérité d’un jour ne soit pas nécessairement celle du lendemain « , constate-t-il.  » Et c’est encore plus vrai pour un attaquant que pour un autre joueur. Lors de certains matches, on se retrouve sous les feux des projecteurs, et en d’autres circonstances, on est invisible. Pour en revenir à ces deux occasions quatre étoiles loupées contre Malines, j’en rigole parfois encore moi-même. C’était plus difficile de les manquer que de les concrétiser. Pourtant, je n’avais pas fait un mauvais match : j’étais bien présent dans toutes les actions, mais il a manqué la touche finale. Heureusement, cela n’a pas porté à conséquence, sinon je n’en aurais pas dormi. Contre Gand, en revanche, tout m’a réussi. Il suffit de regarder mon troisième but : en réalité, je veux adresser une passe à Walasiak, mais un défenseur s’interpose et le ballon me revient. Je n’ai plus qu’à le pousser au fond. Voilà comment, du zéro qu’on était 15 jours plus tôt, on devient un héros.  »

Ouali se rend compte, malgré tout, qu’il est en train de franchir un palier.  » J’ai davantage confiance en moi et j’ai pris conscience en mes capacités. J’ai aussi six mois d’expérience de la D1 et un fonds physique que je n’avais pas. Je suis plus présent dans les duels, je reste debout sur mes jambes après un contact et j’ai bien supporté la préparation, alors qu’elle était plus dure qu’avec Brys. Tout cela, je le dois à mon statut de pro. J’ai pris l’habitude de m’entraîner deux fois par jour, j’ai appris à me ménager des plages de repos également, à mieux gérer mes efforts. Car, auparavant, je n’avais connu que le football amateur : quand on joue un bon match, on fait la fête et parfois on ne s’entraîne plus jusqu’au match suivant… « 

par daniel devos – photos: reporters/ gouverneur

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