Big in Japan

D’abord considéré comme une curiosité, le Japonais émerge à Feyenoord.

Bert van Marwijk, le coach de Feyenoord, en a marre du cirque médiatique qui entoure Shinji Ono, le médian japonais de 22 ans qui a déjà le statut d’une star dans son pays natal. L’été passé, quand Ono a été transféré à Feyenoord et amené en hélicoptère au Kuip, pendant la Journée des Supporters, une horde de journalistes japonais a suivi les moindres faits et gestes de son compatriote, avec une passion et un sens du détail jamais vu dans nos contrées. Plusieurs fois par jour, inlassablement, ils demandaient à Van Marwijk ce qu’il pensait d’Ono et notaient avidement la moindre de ses paroles. Ils décrivaient en détail tous ses mouvements sur le terrain et un but marqué à l’entraînement faisait les titres dans les journaux. Au début, il n’était pas rare de voir 40 journalistes suivre Ono.

Six mois plus tard, Feyenoord est en stage aux Canaries. L’équipe batave y prend le relais du PSV dans le tournoi de Maspalomas, qui est désormais connu en Extrême-Orient aussi, grâce à Ono. Même si la fièvre des premiers jours est retombée, seuls quatre journaux japonais ont dépêché un envoyé spécial. Eline Swevels travaille pour le principal. Tirage: 2.000.000 d’exemplaires. Un journal sportif qui comporte aussi des nouvelles du show-bizz et une nana dévêtue. Elle a épousé un Japonais, parle la langue et le journal l’a engagée pour réaliser des reportages sur les faits et gestes d’Ono. Jusqu’à présent, son principal haut fait a été son but en Coupe d’Europe contre Fribourg. Une nouvelle digne de la une.

Ono est big in Japan. Il paraît qu’il ne peut se promener en rue sans être reconnu. Une vedette, pas encore de la même envergure que Nakata, qui joue en Italie, mais quand même une star en devenir. Il a une technique brillante, un excellent toucher de balle, ses mouvements sont intéressants, comme nous l’avons vu lors du match d’ouverture du tournoi, contre Kaiserslautern. A cause de la concurrence de Jon Dahl Tomasson, il n’est pas le meneur de jeu qu’on annonçait et il arrive rarement près du but adverse. Ses passes intelligentes causent toutefois quelques problèmes aux Allemands, dans une rencontre médiocre. Van Marwijk l’aligne à gauche du triangle médian, mais il n’est pas un ailier: son dribble n’est pas suffisant.

Son intégration se déroule bien, affirme Shinji Ono, qu’il s’agisse de la vie aux Pays-Bas comme du football. Il faut dire que Feyenoord a tout fait pour qu’il y parvienne. Ono est venu avec son amie et Feyenoord a confié à un bureau l’accompagnement permanent du couple: médias, emplettes, formalités administratives.

Ono: « C’est difficile quand on ne maîtrise pas la langue mais ma situation a un avantage. Quand on réside longtemps quelque part, on commence à en déceler les aspects négatifs. Ici, tout est nouveau et je découvre aussi les aspects agréables de la vie. J’apprécie beaucoup de côtoyer des joueurs d’autres pays ».

Confiance augmentée

Philippe Troussier, le sélectionneur français du Japon, a conseillé à Ono de s’exiler en Europe pour améliorer son jeu.

Ono: « Je ne peux pas vraiment dire que j’ai progressé dans tel ou tel domaine mais ma confiance a grandi. J’ai davantage de ballons dans l’entrejeu et c’est génial. Qui sait, si Tomasson quitte le club à la fin de la saison, ma situation changera aussi. J’aimerais jouer en vrai numéro dix. J’en suis capable mais l’entraîneur prendra la décision qu’il estime la meilleure. Moi, je fais de mon mieux, où qu’on m’aligne ».

Les footballeurs japonais ne discutent pas de leur vie en-dehors du football. Toutefois, Ono est trop poli pour ne rien dire: « J’ai reçu une éducation normale, comme tous les autres jeunes. J’ai toujours beaucoup joué. Mes parents travaillaient dans une entreprise. Ce sont des gens simples, normaux ».

Il ne trahira pas le nom de la société.

Maradona était son idole: « Je ne sais pas pourquoi je le trouvais si fantastique. Pour moi, le football est rapidement devenu une passion. J’ai donc commencé à jouer, bien que chez nous, le baseball reste le sport-roi ».

Sa carrière est déjà impressionnante. Ono a commencé à jouer à huit ans. A la fin de ses études, il n’avait que l’embarras du choix. Les 16 clubs de J-League lui proposaient un contrat professionnel. Il a choisi Urawa Red Diamonds, en décembre 1997. Il a traversé l’année 1998 comme une comète. Il a effectué ses débuts professionnels le 1er mars et le 1er avril, il était déjà international A, face à la Corée. Il a été sélectionné pour la Coupe du Monde et il est entré au jeu contre la Jamaïque. A la fin de l’année, il a été élu meilleur jeune de l’année et a été repris dans le meilleur 11 de l’année. En avril 1999, capitaine des Espoirs, il a gagné avec son équipe la médaille d’argent au Nigeria. Là aussi, Ono a été repris dans le dream-team du tournoi.

Tout cela explique l’attention des médias: « J’essaie de répondre aux espoirs placés en moi. Ça me plaît, mais je ne me considère pas comme une vedette. Chacun est libre de son opinion sur moi. Je commence à être vraiment fatigué de vous tous. Non, ce n’est pas ce que je veux dire. Ça me permet en tout cas de mesurer l’importance du prochain Mondial ».

Poisse olympique!

Shinji Ono a déjà au sa part de poisse. Il a notamment été blessé au genou gauche, ce qui lui a coûté sa participation aux Jeux Olympiques de Sydney: « Je n’ai vraiment été indisponible que trois mois mais il m’a fallu deux ans pour retrouver mon niveau ».

Le Borussia Dortmund a été le premier club européen à se manifester. Il a préféré les Pays-Bas, car le football physique le rebutait quelque peu, après sa blessure: « J’ai pensé qu’un football plus léché me conviendrait mieux. Comme tous les Japonais, je suis petit (1m75) et au début, les duels étaient pénibles. Tactiquement, par contre, j’ai tout compris assez vite ».

Ce doit être l’année du Japon. Il a essuyé trois défaites à la Coupe du Monde 1998 mais il s’agissait d’une expérience. Ono: « Nous n’étions pas en Europe depuis suffisamment de temps pour évoluer. Ce futquand même une bonne expérience. Nous n’avons pas mal joué mais nous marquions difficilement. Nous y parvenons plus aisément. Les individus et l’équipe ont progressé. Reste à voir si ça nous permettra d’engranger des résultats ».

Il l’a déjà constaté en regardant la télévision: un match de Coupe d’Europe a une autre dimension que le championnat néerlandais et une Coupe du Monde est un plus gros morceau qu’une victoire contre la Yougoslavie en Kirin Cup ou qu’une défaite 1-0 face à la France en Coupe des Confédérations… Le Japon a gagné ses matches de poule contre le Cameroun et le Canada avant de faire match nul contre le Brésil. En demi-finales, il s’est étonnamment imposé face à l’Australie (1-0).

Ono: « Le fait que plus de Japonais évoluent en Europe est positif. Notre équipe est tout à fait convenable: athlétique, rapide, technique. Mais je le répète, de là à savoir ce que nous récolterons… »

Le Japon dispute son match d’ouverture contre la Belgique: « Je suis heureux de commencer devant mon propre public. Ça peut être un bon match. Pour nous, en tout cas, ce sera une rencontre très difficile. Le public nous soutiendra, peut-être nous donnera-t-il des ailes. C’est aussi une arme à double tranchant. Toutefois, nous sommes en confiance et nous pouvons supporter cette pression. La seule chose qui nous fasse défaut, c’est la compétition. La Russie, la Belgique, la Tunisie ont toutes dû se battre pour se qualifier, dans leurs poules respectives. C’est un avantage. Nous, nous avons le soutien du public et nos ambitions individuelles ».

Selon Ono, beaucoup d’internationaux japonais rêvent de faire carrière en Europe. Un bon Mondial leur permettrait de se mettre en évidence. C’est d’autant plus important que la J-League, après un début prometteur, accuse un certain recul. Moins de monde, moins de sponsors, moins d’étoiles.

Ono: « Pour les nôtres, voir au Japon tous ceux qu’ils admirent à la télévision est fantastique. Le football va être très populaire. reste à voir si cette euphorie aura une suite » .

Peter T’Kint, envoyé spécial aux Canaries

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