Entraîneur de l’Année avec Courtrai puis champion avec La Gantoise, voici l’histoire d’un personnage des plus volubiles de notre football.

N’ayez aucun doute : Hein n’est pas un saint. Après avoir vu un film de kungfu, jadis, il a imité quelques mouvements de jambes, sous le nez de son père. Jusqu’à se rapprocher trop, par malheur. Hein était spécial. Excentrique. Il aimait se faire remarquer. Jouer les premiers rôles. Pendant sa puberté, il a peint  » Van Halen  » et  » ACDC  » sur ses pantalons et vestes de jeans. Il arborait une longue veste hippie bordée de laine. Il était interdit d’amener de la musique au collège mais ça ne l’empêchait pas d’avoir toujours un enregistreur dans son sac. La nuit, il lui arrivait de rentrer chez lui, en catimini, en escaladant la gouttière. Hein Vanhaezebrouck était un garçon spécial. Il débordait d’assurance, il parlait bien et il était inventif. Par exemple, dans le living, il utilisait les tiges en métal sur lesquelles sa mère pendait le linge pour changer de chaîne, sans quitter son fauteuil – il n’y avait pas encore de télécommande. Il n’ouvrait pas le moindre livre scolaire, ce qui ne l’empêchait pas d’obtenir de bons résultats à l’école. Il a obtenu sans peine son diplôme d’enseignant. Comme il était l’aîné d’une fratrie de cinq enfants, on l’appelait  » Le Grand « . Henk, Dieter, Ruth et Helmut étaient toujours dans son ombre et ça n’allait jamais changer.

Lauwe-Tournai

Les Vanhaezebrouck ont grandi à Lauwe. La vie tournait autour du football. Le père entraînait les jeunes tout en étant secrétaire du White Star local, les cinq enfants jouaient au football et la mère s’occupait de la lessive. Hein n’avait que sept ans quand il s’est assis pour la première fois à côté de l’entraîneur, sur le banc, pendant un match de l’équipe première. Au repos et après le match, il l’a accompagné dans le vestiaire. Fou de football, il était fasciné par ce qu’il voyait et entendait. Plus âgé, il a commencé à changer les studs et les lacets des joueurs et parfois, il échauffait le gardien. Il était déjà entraîneur.

En catégories d’âge, il est libéro et le leader de l’équipe. La défaite ? Il n’en tient pas compte. Un revers signifie des problèmes avec Hein car il est alors fâché, très fâché. Parfois sur lui-même mais souvent sur les autres. A la fin de ses études primaires, il organise un match entre les classes A et B, dans la cour. L’enjeu, une coupe que son père avait gagnée au billard. La coupe n’a jamais été attribuée. La classe de Hein a perdu à cause d’un penalty injustifié, selon lui, et il a ramené la coupe à la maison, puisque le match ne s’était pas déroulé correctement. Hein est très mauvais perdant. Il ne supporte pas l’injustice et veut toujours avoir raison. Il semble que ce soit un trait familial : les discussions vont bon train chez les Vanhaezebrouck, dès qu’ils sont réunis, le ton monte régulièrement. Heureusement, au White Star Lauwe, Hein se trouve dans une génération douée, qui gagne souvent et joue le titre. A seize ans, il effectue ses débuts en équipe fanion, en première Provinciale. D’emblée, il s’érige en patron d’une équipe qui est sacrée championne et accède à la Promotion. Hein a vingt ans quand il signe un contrat au Racing Tournai, pensionnaire de D3.

Courtrai-Lauwe-Harelbeke

Un an plus tard, il rejoint Courtrai, en D1, pour un an avec option. Il arrive au premier entraînement avec la jambe droite dans le plâtre. Deux semaines avant le début de la préparation, il n’a pu résister à la tentation de participer à un tournoi de mini-foot et il s’est déchiré les ligaments de la cheville. Finalement, il sera repris en équipe première à 18 reprises. Toutefois, le club ne lève pas l’option de 4 millions de francs (100.000 euros) et Gille Van Binst le convainc de revenir au White Star Lauwe. Il y reste trois saisons avant de rejoindre le Racing Harelbeke, avec lequel il remonte parmi l’élite en 1995. Dix ans après avoir effectué ses débuts en D1 avec Courtrai, il retrouve donc le plus haut niveau. Libéro doté d’une belle vista et d’une bonne technique de frappe, il prouve qu’il y a sa place.

Après une interview critique accordée à Sport/Foot Magazine sur le fonctionnement du club, l’entraîneur, Henk Houwaart, place la direction devant un dilemme :  » C’est Vanhaezebrouck ou moi !  » L’entraîneur qui sommeillait en Hein se révoltait souvent mais cette fois, il y a plus : Vanhaezebrouck est devenu coordinateur des jeunes. Il a accompagné le manager commercial pour négocier le sponsoring maillot et matériel avec Kappa et manifestement, il a empiété sur le terrain de l’entraîneur principal. Vanhaezebrouck est renvoyé et il touche le fond. Peu après, son petit frère est victime d’un accident de voiture. Il est plongé dans le coma pendant trois semaines et reste paralysé, cloué dans une chaise roulante. Le football devient accessoire. Hein devient un coach de vie, qui prône l’optimisme, insuffle courage à sa famille et cherche des solutions.

Lokeren-Harelbeke-Lauwe

Le football reste sa vie. Il ne demande qu’une chose : jouer tous les jours. A 34 ans, il signe au Sporting Lokeren, où il achèvera sa carrière de joueur et entamera celle d’entraîneur. L’équipe exerce un pressing élevé et Willy Reynders mue le libéro à l’ancienne en défenseur central qui pratique une couverture en zone. Hein vit donc un bel automne sportif, jusqu’à ce que son genou s’en mêle. Georges Leekens l’intègre dans le staff technique. Hein a joué pendant vingt ans en équipe première et il a été le patron pendant vingt ans, partout. Le moment est venu de devenir progressivement un patron le long de la ligne.

Leekens lui confie des missions de scouting. Il lui demande de présenter au groupe l’analyse de l’adversaire et parfois, il l’autorise à dispenser une partie de l’entraînement. Hein est également devenu responsable de la formation au Sporting. Il y développe sa vision du football dans les moindres détails et il la traduit en exercices pour chaque catégorie d’âge. Il se demande comment faire découvrir aux jeunes la manière de se mouvoir en fonction les uns des autres, pour que leur jeu soit simple et complique celui de leur adversaire. Plus tard, il citera, parmi ceux qui l’ont inspiré, ses entraîneurs de l’époque. Cette séquence de sa carrière constitue une expérience si précieuse que depuis, il estime que tout entraîneur principal doit avoir travaillé avec les jeunes.

Ses ambitions vont bien au-delà du poste d’entraîneur adjoint et de responsable des jeunes. Il s’avère que Paul Put et lui ne sont pas complémentaires. Il retourne donc au stade Forestiers du KRC Harelbeke, qui a sombré à cause de la gestion qu’il avait fustigée. Il devient entraîneur en chef d’Ingelmunster, pensionnaire de D2. Mais il touche à nouveau à quelques icônes du club et est limogé. Il retourne à ses sources : à Lauwe, qui évolue en Promotion, puis, trois ans plus tard, à Courtrai, alors en D2.

Courtrai

Il devient analyste, d’abord pour Sport/ Foot Magazine puis pour Canal+, la chaîne payante. Le poste lui convient à merveille. Il suit le Mondial allemand de 2006 pour la chaîne flamande VT4. Ensuite, il commence à se faire un nom comme entraîneur. Il dispute le tour final avec Courtrai dès sa première saison et il est champion un an plus tard. Sous sa direction, le club de D2 atteint à deux reprises les quarts de finale de la Coupe de Belgique, après avoir pris la mesure de clubs de D1. Son 3-4-3 attire enfin l’attention. Hein Vanhaezebrouck se distingue en développant un football dominant même contre les équipes de format supérieur. Il fait souffrir ses adversaires en induisant une supériorité numérique dans l’entrejeu tout en lançant des infiltrations par les ailes comme dans l’axe. L’analyse et les séances tactiques sont son dada. Sa première saison d’entraîneur parmi l’élite lui vaut des éloges pour la qualité de son football mais après un bon début, Courtrai est à la peine au second tour. Vanhaezebrouck se manifeste sur le site du club avec une compilation vidéo de décisions arbitrales désavantageant son équipe. Courtrai se maintient de justesse. Vanhaezebrouck est bien plus ambitieux que le club et rompt son contrat pour rejoindre le Racing Genk, avec lequel il compte gagner des prix.

Genk

Genk n’est pas le meilleur choix à ce moment-là. Dès le premier jour, il déborde d’enthousiasme, de sagesse et il travaille sans compter ses heures mais il vit un calvaire. Quand il sent que la situation ne correspond pas à ses attentes, il commence à se défendre dans la presse et fait savoir au public ce qu’il mérite de savoir, d’après lui : le Racing n’a pas tenu les promesses de transferts qu’il lui a faites parce qu’il n’a plus d’argent, ayant trop dépensé ou à cause de mauvais investissements les années précédentes. Il incite les supporters à cesser de rêver pour regarder la réalité en face. A Courtrai, il s’en serait peut-être tiré sans casse mais à Genk, il se heurte à un jeune président. Celui-ci critique publiquement sa tactique et ses sélections, il estime son 3-4-3 irréaliste et lui reproche de ne pas pratiquer l’autocritique. Vanhaezebrouck mène un combat qu’il ne peut gagner. Il est limogé le 29 novembre. Ça le ronge. Plus que jamais, il trouve sa consolation auprès de sa femme et de ses deux enfants.

Une fois en paix avec lui-même, il effectue son mea culpa dans nos colonnes. Il reconnaît avoir mal communiqué, avoir été trop analyste dans sa version des faits. Il sait qu’il doit apprendre à mieux gérer sa déception et à voir les choses sous un autre angle. Il ne doit pas toujours être sur la défensive ni entrer en conflit avec les autres, pas plus qu’il ne doit fustiger tout ce qu’il n’estime pas bon. Il ne doit pas vouloir avoir toujours raison. Surtout, il doit éviter les discussions inutiles. Il ne doit pas être constamment à la disposition de la presse, ses analyses doivent être plus courtes et plus positives. Avant tout, avant de signer dans un club, il doit mieux en analyser les possibilités et veiller à ce que les promesses soient tenues. Il retourne à Courtrai pour mettre toutes ces bonnes résolutions en pratique. C’est le club qu’il connaît le mieux, un club qui l’accepte tel qu’il est.

Courtrai

Hein reste Hein mais son évolution est perceptible et elle se poursuit jusqu’à nos jours. Il pète les plombs de temps en temps, quand tout ne vas pas comme il le voudrait mais globalement, sa communication est plus soft, plus stratégique. Il fait plus facilement des compliments et reconnaît même parfois ses erreurs. Son plus beau compliment, c’est son élection par les joueurs de D1 au titre d’Entraîneur de l’Année, en 2012. Au même moment, il connaît une profonde déception : Courtrai perd la finale de la Coupe de Belgique face à Lokeren alors que son équipe a joué en supériorité numérique pendant 75 minutes. La défaite est adoucie par de bons PO1, marqués notamment par des victoires à domicile contre le Club Bruges et Anderlecht et une en déplacement au Parc Astrid.

Gand

En mai 2014, Vanhaezebrouck signe à La Gantoise. Après quatre saisons à Courtrai, cinq ans après avoir quitté ce club pour Genk, il estime venu le moment de franchir un palier supplémentaire. A la trêve hivernale, son équipe est de justesse dans le top six mais il contredit vivement les journalistes qui pensent que le titre va se jouer entre Anderlecht et le Club Bruges. Est-ce là sa grande gueule qui se manifeste encore ? Le fait est que La Gantoise achève le championnat régulier à la deuxième place, à quatre unités du Club. Et qu’à la huitième journée des PO1, elle s’impose au stade Jan Breydel pour devancer le Club de cinq points. Elle gagne le match suivant contre le Standard : pour la première fois de son histoire, La Gantoise est championne de Belgique.

Hein est devenu un grand. Enfin. Mais il développe toujours le football qu’il prônait en équipes d’âge à Lokeren. Du football de gosses en Pro League. Il est excentrique, il se fait remarquer. Il est Hein Vanhaezebrouck, à 100 %.

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE

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