Big Bisous

Le traditionnel saut de joie, poings serrés, est passé de mode quand on marque un but. On préfère désormais échanger des bisous avec ses coéquipiers.

Jamais encore on n’a échangé autant de bisous sur les terrains belges. Les Anderlechtois sacrifient même à ce rituel au début de chaque mi-temps. Le phénomène n’est pas nouveau mais il attire l’attention depuis la saison passée. Jürgen Cavens et François Sterchele, alors frères d’attaque, lui ont conféré une nouvelle dimension en en instaurant une variante : les baisers volants. Joyeux drille, François a imaginé une parade à une différence communautaire. Sterchele :  » Les Flamands peuvent jouer ensemble pendant des années, ils continueront à se serrer la main. Les Wallons sont plus enclins à embrasser. J’ai donc trouvé ce compromis avec Jürgen. Je lui donnais trois baises mais sans le toucher « .

Cavens s’en souvient très bien :  » Embrasser un coéquipier était nouveau pour moi. Jamais je ne l’ai fait dans mon cercle d’amis et je ne le fais toujours pas. Pourtant, je pense qu’en Flandre aussi, les hommes commencent à s’embrasser : je le remarque dans les rues d’Anvers. Initialement, c’était une coutume latine. Elle est courante en Wallonie et parmi mes coéquipiers, ce sont surtout les Brésiliens et les Argentins qui échangeaient des bises « .

C’est exact, même si on a aussi recours à cette méthode en Extrême-Orient, pour féliciter un coéquipier. Même s’il n’était pas tout à fait inédit, le baiser a été placé sous les feux de la rampe au Mondial 1966. A la surprise générale, la Corée du Nord s’était qualifiée pour les quarts de finale. Battus à ce stade par le Portugal d’ Eusebio (5-3), les Asiatiques ne s’en sont pas moins embrassés trois fois chacun.

No kissing !

Le baiser le plus célèbre a été échangé le 15 juillet 1996. Ce jour-là, Diego Maradona et Claudio Caniggia ne se sont pas embrassés sur la joue mais sur la bouche, sans le moindre doute. Boca Juniors venait de battre River Plate, son voisin et rival, sur le score de 1-4.

Cette manifestation labiale inhabituelle s’inscrivait dans un contexte particulier. Pour commencer, Maradona et Caniggia sont des amis intimes. Ils forment un duo redoutable sur le terrain et en dehors. Tous deux ont été suspendus pour usage de drogue. Personne n’a donc été vraiment surpris par ce baiser. Avant le début de cette saison-là, Maradona avait d’ailleurs annoncé, dans une interview, que Cani et lui célébreraient leurs buts ainsi. El Pibe réagissait à la déclaration de DanielPassarella qui, lorsqu’il avait repris l’équipe nationale en 1994, avait annoncé qu’il ne sélectionnerait pas les joueurs homosexuels. N’imaginez pas que Maradona ait ainsi exprimé sa sympathie à l’égard des homosexuels. Joueurs, Passarella et lui étaient rivaux, voire ennemis. L’un était le patron de la défense de River Plate, l’autre le pilier offensif de Boca Juniors. Passarella a été capitaine de l’Argentine, championne du monde en 1978, Maradona portait le brassard en 1986. Une personne au moins n’a vraiment pas apprécié le fameux baiser : Madame Caniggia, qui n’est autre que l’ancien mannequin Mariana Nannis :  » Mes enfants méritent le respect. C’est un mauvais exemple pour eux. Ils peuvent continuer à s’enlacer mais plus s’embrasser « .

Francisco Gallardo, joueur du FC Séville, franchit un pas supplémentaire en 2001. Il n’a pas vraiment embrassé Antonio Reyes, qui venait de marquer. C’était plutôt une morsure, pour jouer. Il ne visait ni la bouche ni la joue de Reyes mais son pénis. Gallardo pensait que son geste passerait inaperçu, dans la cohue, mais les caméras espagnoles ont immortalisé ce geste plutôt inhabituel. La fédération espagnole n’a pas apprécié et l’a menacé d’une suspension. Gallardo a plaidé l’innocence :  » Cela ne représentait rien, je l’avais déjà oublié à la fin du match. Me suspendre pour cela serait ridicule « . La victime n’a pas été traumatisée non plus.  » J’ai surtout craint les moqueries de mes coéquipiers « , a déclaré Reyes.

Alliances et fractures du nez

La célébration des buts est devenue une discipline en soi et des observateurs avertis comme les journalistes hollandais Henk-Jan Grotenhuis et Tim Duyff ont mis en avant, dans un livre de 285 pages ( Het grote juichen) trois phases de jubilation dans le triomphe en football : la phase individuelle, la collective et la réalité. Le tout premier but de Wesley Sonck pour le Club Bruges illustre très bien la première phase.

Sonck marque de la tête sur un coup de coin. Ses coéquipiers veulent immédiatement le fêter mais Wesley leur signale qu’ils doivent patienter. Il effectue d’abord son traditionnel salto. C’est la phase individuelle. A peine atterri, il a été enlacé par ses partenaires, et parfois embrassé. C’est donc la phase collective. Enfin, l’entraîneur ou, dans le cas de Sonck, l’arbitre, met fin aux festivités et invite les joueurs à reprendre le match. La réalité reprend ses droits.

On peut donc s’embrasser pendant la phase collective. Ce n’est pas sans danger, comme Kristof Snelders l’a expérimenté jadis au Germinal Beerschot. Snellie voulait féliciter Marc Degryse, peut-être même l’embrasser, qui sait, mais Degryse était toujours en pleine phase individuelle. Il sautait devant les supporters et il a rejeté sa tête vers l’arrière. Résultat : une fracture du nez pour Snelders.

On propose donc quelques alternatives plus sûres à ceux qui souhaitent malgré tout embrasser : envoyer des baisers ou embrasser l’emblème du maillot, même si ce geste n’est pas non plus dénué de risques. Dieumerci Mbokani a confondu le logo du fabricant des maillots avec l’emblème du Standard, ce qui est plutôt grotesque, et la saison dernière, Andriy Shevchenko s’est attiré les foudres des supporters milanais en embrassant le lion bleu de Chelsea lorsqu’il a marqué son premier but pour le club londonien. Raul Gonzalez joue la sécurité. Il se contente d’embrasser son alliance lorsqu’il a marqué. Pourtant, les alliances s’avèrent parfois dangereuses aussi.

Le Portugais Paulo Diogo en sait quelque chose. Après un but, il avait escaladé un grillage en fer et quand il en sauta, il y laissa un morceau de doigt : l’anneau s’était coincé dans le grillage. En outre, l’arbitre lui montra la carte jaune pour avoir célébré son but avec trop d’ostentation.

par jan-pieter de vlieger

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