BIENVENUE DANS LA JUNGLE

Ce n’est pas une plaisanterie : dès ce 1er avril, la licence FIFA imposée aux managers disparaît. Les agents établis en perdent le sourire, l’Union Belge ne bronche pas. Elle se fait peu de soucis :  » La loi continue à protéger les joueurs.  »

Les managers ont toujours existé mais leur nombre a longtemps été restreint. Jusqu’à la dérégulation du marché TV au début des années 90. D’un coup, les satellites ont permis de voir tous les matches dans le monde entier. La naissance de la télévision payante a induit une croissance spectaculaire des rentrées des clubs. La Premier League a été mise sur pied, rapidement suivie par la Ligue des Champions, avec l’intention de retirer davantage d’argent du nouveau paysage médiatique. Les salaires des joueurs ont augmenté, comme leurs possibilités financières. Les agents ont gagné en importance pour gérer tous ces aspects, surtout pour les jeunes footballeurs. La FIFA a décidé de réguler cette profession. Elle a mis en place le système des licences en 1994. Pour devenir manager de football, il suffisait de se soumettre à un entretien, de verser une garantie bancaire de 200.000 francs suisses (160.000 euros) et de produire un certificat de bonnes vie et moeurs.

L’arrêt Bosman de décembre 1995 a encore renforcé la tendance. Les joueurs ont obtenu plus de liberté, les contrats sont devenus plus longs et plus complexes, le nombre de transferts internationaux a augmenté de manière exponentielle, comme le bataillon des managers. La FIFA a estimé qu’il fallait des règles plus strictes pour distinguer les professionnels des types louches. La nouvelle réglementation a vu le jour en 2001. Elle imposait des examens : il fallait 14 réponses positives au QCM de 20 questions et une assurance en responsabilité civile pour prétendre au titre d’agent de joueurs. La FIFA a introduit de nouvelle restrictions en 2008 : renouvellement des licences tous les cinq ans, obligation pour les clubs de ne travailler qu’avec des agents agréés, restriction de la durée maximale d’un contrat de représentation d’un joueur à deux ans.

L’été 2009 a marqué un tournant, au congrès annuel de la FIFA aux Bahamas, dans un resort paradisiaque. Jérôme Valcke, le secrétaire général, a jeté un chiffre sur la table : seuls 25 % des transferts effectués dans le monde entier l’étaient par un agent FIFA. En d’autres termes, les trois quarts des transferts étaient réalisés par des figures illégales. Valcke a annoncé la mise sur pied d’un groupe de travail. Cela s’est produit alors qu’à Bruxelles, toutes les sirènes d’alarme s’étaient déclenchées. Une enquête sur les pratiques des managers avait livré une image désastreuse de cette corporation en croissance constante. Traite d’enfants, afflux d’argent gris, syndicats obscurs. La Commission Européenne était catastrophée.

Afflux de charlatans

Le groupe de travail de la FIFA a avancé au rythme d’une procession d’Echternach. Il a fallu des années pour trouver un consensus qui agrée toutes les parties. Ce fut chose faite en mars 2014 : Sepp Blatter a apposé sa signature au bas d’un document scellant la disparition du manager traditionnel. Au lieu de s’attaquer aux agents malhonnêtes, la FIFA a décidé de supprimer les licences à dater du 1er avril 2015. Finis les examens, finis aussi les contrats types. Désormais, les managers s’appellent des intermédiaires et la porte est ouverte à tout le monde. Seule condition : une déclaration de bon comportement. Et un enregistrement auprès de la fédération nationale du pays dans lequel l’intermédiaire effectue une transaction, qu’il s’agisse de la prolongation d’un contrat de travail ou d’un transfert. Les contrats de représentation d’un joueur ne sont plus limités dans le temps. Fait surprenant, malgré la traite d’enfants qui a été constatée, les mineurs peuvent désormais se faire assister par un intermédiaire, même si celui-ci ne peut pas se faire payer pour ce service.

Les agents établis de cette jungle craignent maintenant que la limite soit si basse que la profession ne soit envahie par des charlatans. Puisque Valcke a reconnu que 75 % des transferts étaient arrangés par des managers illégaux, restaurateurs, facteurs et bouchers du coin s’occupent de facto déjà de la majorité des transferts. Toutefois, l’obligation de détention de la licence aurait fait reculer certaines personnes. D’aucuns estiment que la profession avait justement besoin de plus de réglementation.

Il y a quand même un aspect positif. Sur la base des chiffres de Valcke, la FIFA ne contrôlait qu’un quart des transferts, puisque le reste était réalisé par des personnes sur lesquelles elle n’avait aucune prise. En se focalisant sur la transaction en elle-même et plus sur le manager, la FIFA récupère un certain impact sur chaque transfert. La nouvelle liste des obligations touche davantage les joueurs que les clubs. La FIFA peut certes agir contre ceux-ci mais elle délègue cette responsabilité aux fédérations nationales. Le succès du nouveau règlement dépendra d’ailleurs de la volonté de ces fédés. Reste à voir si les joueurs sont conscients de ce qu’on attend d’eux avec ce nouveau système. Les plus optimistes sont en tout cas convaincus que les clubs vont devenir plus prudents.

Des indemnités de rupture criminelles

En Belgique, Stijn Boeykens, de Sporta, le syndicat des joueurs, n’a pas connaissance de la moindre initiative de l’Union Belge.  » Nous ne sommes en tout cas impliqués dans rien. Ce n’est pas grave car je ne m’attends pas à de gros problèmes. Sous la pression de l’Europe, le décret contraignant les managers à détenir une licence a déjà été assoupli en 2010. Depuis, tout le monde peut travailler comme intermédiaire. La limite des 7 % pour les commissions a également été abolie. D’accord, on essayait de contourner la règle par tous les moyens mais au moins la Communauté flamande exerçait-elle un contrôle, jusqu’à ce que l’Europe décide que le marché devait être totalement libéralisé. A ce moment-là, le contrôle et les sanctions ont été nettement moindres.

A ce moment, nous nous sommes vraiment fait du souci. Pas maintenant. Notre principale préoccupation est qu’un joueur puisse rompre à tout moment le contrat qui le lie à un manager, sans indemnités, pour qu’il ne soit pas éternellement tenu par un contrat abusif, incluant des indemnités de rupture criminelles. Cette protection a été maintenue, d’où notre quiétude. L’ancien règlement FIFA n’était pas conforme à notre législation. Quoi qu’elle décide maintenant, la Belgique dispose toujours d’une législation qui protège le joueur.

Les agents peuvent désormais conclure des contrats avec des mineurs. Ça ne change pas grand-chose non plus. C’était déjà le cas, malgré l’interdiction. Nous avons même vu des contrats de représentation de managers agréés qui dépassaient le délai de deux ans. Soyons honnêtes : l’ancien système ne fonctionnait pas. Mais je comprends que les managers se sentent menacés. Leur profession était déjà très peu protégée et maintenant, elle ne l’est plus du tout. Surtout, leurs pourcentages sont limités. Il est donc logique qu’ils s’émeuvent de ce nouveau règlement.  »

Affaires de managers

Theo van Seggelen a été impliqué dès la première heure dans les activités du groupe de travail de la FIFA. Le président néerlandais de la FIFPro se dit  » modérément positif  » à propos du résultat obtenu, malgré de grandes divergences d’opinions au sein même de ce syndicat international des joueurs.

Pourquoi a-t-on supprimé l’ancienne règle ?

Van Seggelen : Bonne question. Ce n’est pas uniquement dû aux 75 %. Grâce à l’introduction du TMS (le Transfer Matching System, un site sur lequel les deux clubs doivent mentionner les détails sur le joueur, le manager et les commissions versées), on a pris la mesure de l’importance des montants qui disparaissent dans les poches des managers. Pourquoi protéger un groupe limité de quelque 6.000 agents enregistrés avec une sorte de label si on ne parvient quand même pas à séparer le bon grain de l’ivraie ? Ces dix dernières années, des agents possédant cette licence ont abusé de leur situation grâce au TPO (Third Party Ownership : des tierces personnes, comme les agents, détiennent des droits sur les joueurs). Nous avions suffisamment de raisons de dire que le système ne fonctionnait pas. C’était un panier percé.

Qu’apporte le nouveau règlement ?

Avant tout, la transparence. Désormais, il est obligatoire de signaler le montant qui va à l’intermédiaire pour chaque transaction. Deuxièmement, il y a l’interdiction expresse de demander une commission aux joueurs de moins de 18 ans. Selon moi, il devient ainsi moins attrayant de signer des contrats de représentation avec des footballeurs mineurs. Ensuite, l’intermédiaire doit s’enregistrer auprès de la fédération du pays dans lequel il intervient avant chaque transaction alors qu’avant, les agents non enregistrés échappaient à tout contrôle. C’est justement le principal avantage : le nouveau système se base sur la transaction, pas sur la relation de longue durée avec un agent. Je ne vois plus aucune raison pour qu’un joueur se lie contractuellement à un intermédiaire.

Les agents établis ne sont pas contents. Ils redoutent un afflux de chasseurs de fortune.

Ce qui leur fait le plus mal, c’est la diminution des commissions. La FIFA recommande 3 % du salaire annuel brut. En Europe, des voix s’élèvent pour que cette recommandation devienne obligatoire. Toutefois, l’obligation de transparence va quasiment empêcher les clubs de verser une commission de 10 %.

La FIFA établit des obligations minimales et laisse toute latitude aux fédérations nationales de les compléter. Un pays peut être plus sévère que l’autre. Beaucoup prédisent le chaos. Pourquoi l’UEFA n’a-t-elle pas pris les devants pour assurer une harmonisation de ces obligations en Europe ?

Tout à fait d’accord. Initialement, l’UEFA voulait des règles plus dures que celles proposées par la FIFA. L’ECA, l’association des grands clubs européens, et l’EPFL, le groupement des ligues professionnelles, y étaient opposées. Jusqu’à la dernière réunion, il y a deux semaines. D’un coup, les clubs étaient prêts à accepter des règles plus strictes. Il ne va pas y avoir de grands changements à partir du 1er avril. Le véritable effet de ces nouveaux règlements ne se fera sentir que lors de la prochaine campagne de transferts. L’UEFA a donc encore deux mois pour intervenir.

D’après les juristes, cette réglementation et sa transparence vont à l’encontre du respect de la vie privée de l’intermédiaire.

Je suis content que les avocats des agents le disent. Cela veut dire qu’ils ne veulent pas de transparence et cela me renforce dans ma conviction que ce changement est une bonne chose. Il sera de toute façon meilleur que l’ancien système. Il va fonctionner, à une condition : que les fédérations nationales assument leurs responsabilités.

PAR JAN HAUSPIE

75 % des transferts mondiaux étaient réglés par des agents non réglementés.

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