Besoin de tendresse et mère malheureuse

Votre saison s’est terminée prématurément à la suite d’une tendinite. S’agit-il d’un choix de vie de votre part?

Rik Verbrugghe (27 ans): Tout à fait. Je me montre vigilant concernant ce qui touche à la santé. Je pouvais participer au championnat du monde. Pour cela, il aurait fallu m’injecter de la cortisone. Je veille à tout. Non seulement je consulte les médecins de l’équipe Lotto, mais il m’arrive de demander conseil à mon propre docteur. Ainsi, j’estime être l’abri de mauvaises surprises. J’ai envie de dorloter ma fille le plus longtemps possible, si vous voyez ce que je veux dire. Pousser l’organisme trop loin risque de provoquer des traumatismes irréversibles.

En clair, vous consentez des sacrifices afin de profiter pleinement des vôtres plus tard?

C’est ça. Les deux tiers d’une année civile, je les passe sur mon vélo. Une carrière ne dure pas éternellement. Nécessaire d’engranger. Toutefois, je le répète, pas à n’importe quel prix. Il existe des moments réellement durs. Les départs notamment. Avec Valérie, nous avons convenu que la petite ne nous accompagnerait plus à l’aéroport. Elle sanglote. S’accroche à moi. Je pars le coeur gros. Par contre, lors du retour, elle a le droit de venir. Ça, c’est gai. Entre-temps, on se téléphone. Beaucoup. Je ne vous raconte pas le montant des notes.

Quand pensez-vous le plus intensément à Valérie et à Daphné? Lorsque vous réalisez une belle course où quand ça ne rigole pas?

Tout le temps. Dans les deux cas. Une victoire, on souhaite la partager en compagnie de ceux que l’on aime. C’est pour eux finalement que je me bats. Puis parfois, il est important d’avoir une épaule sur laquelle on pleure sans retenue. S’entretenir avec une personne proche. Qui comprend. Remonte le moral. Quand tout roule, les gens se pressent autour de vous. Chacun se plaît en votre compagnie. En cas de défaite, nous n’intéressons plus grand monde. Ne restent que les intimes.

Lorsque les Tours se succèdent, n’éprouvez-vous jamais le besoin de contacts intimes avec votre épouse?

Si, bien sûr. L’appel sexuel peut même jouer de mauvais tours si cela tourne à l’obsession. Je ne prétends pas faire le grand soir après chaque étape. Ni rester éveillé durant la nuit. Cependant, un moment de tendresse apporte du bien-être. Libère l’esprit.

Accroché au guidon, sentant vos muscles se tordre sous la douleur, vous arrive-t-il de penser à votre famille et ainsi de puiser dans cette image un surcroît d’énergie?

Tout dépend du niveau de fatigue. Lorsque la douleur se fait trop intense, l’adrénaline prend le dessus. On ne sent plus grand-chose. On ne voit plus rien. On n’entend plus les spectateurs. Le cerveau agit en anesthésiant. Le fonctionnement du corps devient robotisé. Pousser sur les pédales. Encore. Toujours. Par contre, avant cet état second, oui, je me fustige pour Valérie et pour Daphné. Mes pensées volent également vers elles juste après la ligne d’arrivée. Chacun puise la motivation où il le veut. Peu importe. De toute manière, le grand champion est celui qui va chercher la force au fond de son âme.

En tant que parents, quelles grandes valeurs tenez-vous absolument à inculquer à votre bout de femme?

D’abord la reconnaissance. Nous vivons dans un monde égoïste. Impératif de briser cette barrière. Je vous raconte une anecdote. Durant le Giro, je portais le maillot rose au moment où j’ai chuté. Je me trouvais dès lors distancé. Apprenant la nouvelle, Mario Cipollini a stoppé le peloton. L’Italien a fait courir la consigne qu’il fallait m’attendre. En remontant le groupe, j’ai remercié tout le monde. Le lendemain, au départ, je suis allé trouver Cipollini personnellement, bien que ne le connaissant pas. Je tenais avant tout à lui signifier combien j’avais trouvé grand son geste. Il m’a répondu que j’étais le meilleur et qu’il était illogique de profiter d’un accident pour m’attaquer. Cet épisode m’a marqué. Armstrong a d’ailleurs adopté une attitude identique à l’égard d’Ullrich au Tour de France. C’est bien. Cela démontre que tout n’est pas pourri. Ensuite, j’enseignerai à Daphné que l’argent ne représente pas le fondement de l’existence. Par contre, la tolérance, l’acceptation de l’autre, le respect de la différence constituent de véritables richesses. Il arrive qu’une fleur ou une parole sincère procure davantage de plaisir qu’un chèque de 100.000 francs.

Si votre mari ne prend pas les risques d’un pilote de Formule 1, vous arrive-t-il de frissonner en le voyant descendre des cols?

Valérie Delhez (28 ans): Vous savez, en cyclisme aussi, des coureurs perdent la vie sur la route. Donc, j’avoue une appréhension au départ de chaque course. Circonstance aggravante, je trouve Rik quelquefois imprudent. Notamment parce qu’il rechigne à porter un casque. Néanmoins, je ne peux m’empêcher de regarder. Soit sur place. Soit à la télévision. C’est plus fort que moi. Je dois me sentir à ses cotés. Ne rien rater. Le stress s’envole lorsque la ligne d’arrivée est franchie.

Sur le trajet d’un grand tour, n’est-il pas frustrant de dialoguer avec votre époux seulement entre deux portes?

Oh non! Je suis déjà très contente de l’apercevoir. De discuter un peu le soir. Surtout de constater que tout va bien. Nous devons comprendre qu’une grande discipline s’avère nécessaire. Si n’importe qui pouvait se rendre n’importe quand dans les hôtels, ce serait quotidiennement le branle-bas de combat. Et l’anarchie. Après une étape, ils ont besoin de calme. De tranquillité. Impossible à trouver si toute la famille est là, avec les gosses qui courent partout.

Quand on évoque le doping, vous êtes-vous déjà inquiétée à son sujet?

Rik sait ce qu’il fait. Il jouit de ma totale confiance. De toute manière, au sein de son équipe, le suivi médical se veut sain. Je trouve d’ailleurs regrettable l’amalgame effectué par l’opinion publique. Jeter tout le monde dans le même sac ne correspond nullement à la réalité. La plupart des coureurs que je connais respectent des trains de vie réguliers. Evitent les sorties, les fêtes. Se concentrent sur leur travail. L’entourage, par contre, suscite parfois diverses interrogations. Des gens « qui vous veulent du bien » rôdent. Là aussi, je dors sur mes deux oreilles. Mon époux est capable d’effectuer un tri. Il ne se laisse pas berner. Après le cyclisme, la vie continue. Il le sait.

Une éclipse du style de celle vécue par Frank Vandenbroucke ne vous effraye pas?

Une mésaventure semblable n’arrivera pas à Rik. Concernant Frank, c’est moche. Cependant, s’il le veut, il reviendra. Ce n’est pas le talent qui lui fait défaut.

Votre petite Daphné a deux ans. Elle ne doit pas souvent jouer avec son papa.

Pas assez à son goût en tout cas. Situation d’autant plus dure à vivre qu’elle est portée vers son père. Ben oui, c’est une fille! La grosse privation a éclaté à partir du Giro de cette année. Cauchemars à répétition. Interrogations constantes. Pleurs en réclamant son papa. Daphné le voit à la télévision, regarde ses photos dans les journaux, l’entend au téléphone, mais il n’est pas à ses cotés. Pas évident d’expliquer une telle situation à un bébé.

Finalement, n’est-ce pas pour la maman que c’est le plus cruel?

Si. Je suis deux fois malheureuse. D’abord, Rik me manque. Ensuite, je suis triste en constatant le malheur de notre fillette. Il faut gérer.

Considérez-vous votre rôle à la manière d’un travail à temps plein?

Il y a peu de temps, je tenais encore un magasin de fleurs. Je me suis trouvée devant l’obligation de le remettre. Ce n’était plus possible car c’est moi qui conduis Rik à gauche et à droite. Cela demande une disponibilité importante.

En outre, il vous est impossible de prendre vos vacances durant les beaux mois. A ce moment, la saison bat son plein.

Nous devons attendre novembre. Ce qui nous oblige à opter pour des horizons lointains afin de bénéficier du soleil. Cette année, nous partons à destination de l’Ile Maurice. Quinze jours après, l’entraînement reprend.

Quel type de villégiature appréciez-vous?

Beau temps obligatoire. En dehors de cet aspect, le repos passe avant tout. Nous multiplions les activités avec la petite. Nous faisons ce que nous n’arrivons pas à réaliser durant l’année. La dolce vita constitue notre unique motivation. Visiter? Puis quoi encore! Nous passons déjà le plus clair de notre temps sur les routes. Alors là, pas question d’enfiler des kilomètres.

Durant la trêve, Rik arrive-t-il à décompresser? A adopter des horaires moins pointus?

Il a tendance à se lever tôt quand même. Et à se coucher relativement tôt aussi. Quoi qu’il en soit, nous possédons notre réveil matin personnel. Daphné sonne le clairon vers 8 heures au plus tard. Nous n’avons pas à nous plaindre, cela dit. Je connais des gens dont les rejetons sont éveillés dès l’aurore.

Daniel Renard

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