Besoin d’un miracle

L’AS Eupen avait bien commencé le tour final de D2, mais n’a plus son sort entre les mains.

Il faudrait désormais un petit miracle pour qu’Eupen réalise son rêve de rejoindre la D1. battus à Heusden-Zolder puis face à une équipe de Zulte-Waregem qui joua pourtant 70 minutes à dix, les Frontaliers ont clairement manqué de ressources physiques pour conclure en beauté une saison qui leur aura cependant apporté de belles satisfactions. Un espoir subsiste d’ailleurs puisqu’une victoire ce jeudi à Denderleeuw conjuguée à un succès de Zulte-Waregem sur Heusden, ouvrirait à Eupen les portes de la D1.

Assis au milieu du vestiaire, ClaudyChauveheid partage la déception de ses hommes. A 51 ans, cet homme très proche de ses joueurs relativise parfaitement tout ce qui arrive à son club. Il accepterait bien sûr un rendez-vous avec la D1, qu’il n’a connue que l’espace d’une saison comme adjoint de RobertWaseige au FC Liège mais a vécu ce tour final avec énormément de distance, loin de l’euphorie qui s’était emparée de la cité germanophone.

Il faut dire que l’une des caractéristiques de cet enseignant est d’avoir toujours su garder ses distances vis-à-vis de la mentalité qui fait bien souvent loi dans le monde du football.  » Les modes me laissent complètement insensible, même si on peut en retirer des choses intéressantes. Je suis d’une vieille école : partout où je suis passé, j’ai toujours gardé ma ligne de conduite « .

Joueur, il refusa ainsi de rejoindre des clubs de D1 parce qu’il voulait terminer ses études en éducation physique puis parce qu’il trouva rapidement un emploi. Formé à Stavelot, il se contenta donc d’évoluer à Andenne et… Eupen avant de devenir joueur entraîneur à l’Elan Dalhem (1ere Provinciale puis Promotion) puis Aubel (Promotion et D3).

Il accepta alors de devenir l’adjoint de Robert Waseige au FC Liège mais n’hésita pas à prendre du recul et à devenir directeur technique de l’école des jeunes lorsqu’il se rendit compte que sa philosophie de travail ne correspondait pas vraiment à celle de son chef.

Laisser une empreinte

Un an après la fusion entre Liège et Tilleur, il préféra également tirer sa révérence plutôt que continuer à travailler dans un club où le carrousel des transferts tournait trop vite pour espérer l’éclosion des jeunes qu’il formait patiemment.

Il signa alors à Eupen où il travaille depuis 1996, à l’exception d’un intermède de cinq mois à Namur.  » Nous venions de disputer le tour final de D3 et avions laissé partir trois ou quatre joueurs de base que le club avait remplacé par des Allemands trop faibles pour ce niveau. J’estimais qu’on n’avait pas suffisamment tenu compte de mon avis sur ce coup-là et je suis parti « .

RaphäelQuaranta assura l’intérim et le maintien mais, en fin de saison, Eupen rappela Chauveheid. On raconte que Monsieur Nutten, le sponsor actuel, insista beaucoup.  » Le président Steffens s’essoufflait un peu et était heureux de voir débarquer un mécène à l’américaine, quelqu’un qui demandait un droit de regard sur ce qu’on faisait de son argent « , dit Claudy Chauveheid.  » Je ne sais pas si je lui dois d’être revenu mais, depuis mon retour, je sens enfin cette communion qui faisait tellement défaut au cours de mon premier passage. Les résultats sont venus cimenter cela et je pense que tout le monde a tiré les leçons de cet épisode. Nous vivons une aventure formidable mais il ne faudrait pas qu’elle se termine mal à cause d’un coup de coeur. Nous savons que nous devons étoffer notre effectif mais nous avons surtout besoin de joueurs dotés d’une bonne mentalité à des positions bien spécifiques. Et plutôt qu’acheter le gars dont on pense qu’il fera la différence chaque semaine ou qu’il nous permettra de doubler notre assistance, je préférerais qu’on s’intéresse à nos conditions de travail, parce que c’est un message qui ne passe pas toujours bien : pour bien travailler à long terme, il faut soigner les infrastructures « .

Car Claudy Chauveheid aime laisser son empreinte partout où il passe. Si l’on fait exception de ses cinq mois à Namur, où il estime avoir été trompé sur la marchandise ( » Les joueurs n’étaient pas payés et, une semaine après mon arrivée, le club laissait partir son seul attaquant « ), il s’est toujours inscrit dans la durée.

 » Je ne suis pas un entraîneur-coach ni un entraîneur-manager. Je veux travailler à la base, former des joueurs, laisser une trace de mon passage. Il est rare qu’un entraîneur de D1 dise qu’il préfère qu’on investisse dans les terrains d’entraînement plutôt qu’acheter un joueur mais je suis comme cela. J’ai largement assez avec un noyau de 20 joueurs en D2, 22 ou 23 en D1. Je n’ai pas besoin de types qu’on paye grassement et qui font deux ou trois apparitions sur la saison. Bien sûr, cela suppose qu’on n’abandonne pas ceux qui sont dans le creux, qu’on fasse en sorte que personne ne soit largué « .

Pourquoi pas Gillet ou Fassotte ?

Et que l’on ose lancer des jeunes dans le bain. Or, Eupen n’a pas la réputation de club formateur. Lorsqu’on parle des gamins d’Eupen, il s’agit plus souvent de ceux du FC (3e Provinciale) que de ceux de l’AS. Et même si les relations entre les deux clubs s’améliorent, on est encore loin du rapprochement qui pourrait pourtant profiter aux deux parties. La plupart de ses jeunes, Claudy Chauveheid est donc allé les chercher au Standard ou à Liège. Dans le noyau disputant le tour final, ils sont ainsi sept à être passés par Rocourt : Couturier, Cali, Verbeeren, Habets, Legros, MarcChauveheid et Gdowski.

 » Eupen a longtemps compté sur les opportunités que son ancien manager, PaulBrossel, dénichait en Allemagne « , explique Claudy Chauveheid.  » Mais maintenant, le club n’a plus nécessairement les moyens de passer la frontière. Nous essayons donc d’amener chaque année des jeunes dans le noyau A, ce qui correspond à la philosophie du tandem Marchandise-Waseige à Liège. Depuis trois ou quatre ans, le club a mis en place une structure permettant la formation mais il faudra encore attendre au moins autant de temps pour qu’elle porte ses fruits, surtout si on ne soigne pas les infrastructures et que les juniors doivent continuer à s’entraîner dans la gadoue en hiver. J’espère un jour pouvoir aligner une équipe de joueurs formés à Eupen. En attendant, j’essaye de récupérer des gars de la région, avec qui j’ai travaillé par le passé et dont je connais bien la mentalité. Pourquoi pas un jour JeanFrançoisGillet ou LaurentFassotte ? Cette saison, Eupen a parlé avec DidierErnst mais le club ne peut pas lui offrir cinq fois le salaire moyen des autres joueurs « .

Côté tactique, Claudy Chauveheid se démarque aussi de la mode actuelle en évoluant avec un libéro : PascalJoost ou MohammedCourail.  » La défense à plat, c’est l’idéal avec deux malabars d’un mètre nonante qui ont un bon jeu de tête et sont rapides. Mais vous en connaissez beaucoup, en Belgique ? Moi, j’estime que ce n’est pas parce qu’on joue avec une défense à plat qu’on est négatif « .

Eupen n’a pas non plus de meneur de jeu. C’est ThierryHabets ou Marc Chauveheid qui, alternativement, décrochent d’une position d’attaquant.  » Au départ, nous jouons en 3-4-3 « , dit Chauveheid.  » DavidSamray et TotoCali sont davantage des récupérateurs que des distributeurs. Ce système, c’est à la fois notre force et notre faiblesse. Nous formons un véritable bloc et nous pouvons même produire un jeu spectaculaire par de beaux appels mais nous manquons parfois de talent individuel pour faire la différence. Heureusement, nous sommes forts sur les phases arrêtées avec d’excellents joueurs de tête comme Verbeeren, Courail ou Habets « .

Les joueurs font la police

Au tour final, ce bloc eupenois a parfois été décrié par les puristes. Pour pas mal de gens, Eupen doit avant tout sa réussite à la chute de qualité qui sévit actuellement en D2.  » En début de saison, tout le monde nous donnait descendants mais je remarque qu’aucune équipe ne nous a dominés de façon outrageuse. Alors notre réussite, c’est avant tout celle d’une équipe qui a su élever le collectif au rang de vertu « , lance Claudy Chauveheid.  » Nous jouions déjà comme cela en D3, parce que nos moyens l’exigent. Chez nous, celui qui n’est pas capable de travailler de la sorte se met automatiquement au ban de l’équipe. Je ne dois même pas intervenir : ce sont les joueurs eux-mêmes qui font la police. Je savais qu’il y avait beaucoup de caractère et de volonté dans ce noyau et cela s’est encore vérifié depuis le début du tour final. Quand je vois comment ce petit noyau de 15-16 joueurs reste déterminé malgré l’accumulation des matches, je suis fier et je me dis que nous n’avons pas du retard mais de l’avance par rapport à l’ensemble du football belge, qui revient tout doucement les pieds sur terre. Les clubs ont vécu au-dessus de leurs moyens puis se sont jetés beaucoup trop vite aux pieds des managers qui leur proposaient de mettre 15 Ivoiriens : ce sont des situations qui ne peuvent durer. Et j’aimerais savoir dans quelles conditions ces joueurs vivent. J’espère que l’Union Belge saura se montrer stricte à ce niveau « .

Eupen, en tout cas, ne se jettera pas dans la gueule du loup. Montée ou pas, ses joueurs continueront par exemple à travailler en journée et à s’entraîner en soirée. Mais ne risquent-ils pas de ressentir très vite la différence avec des adversaires qui travailleront huit fois par semaine au lieu de quatre ?  » On nous avait déjà dit cela en D2 mais je constate que nous avons souvent émergé au cours des dix dernières minutes « , souligne Claudy Chauveheid.  » Il ne faut pas se leurrer : en D1, hormis trois ou quatre entraînements, on ne fait que du remplissage, on gère des gars qui, s’ils ne sont pas mis sous pression, ne savent pas se soigner. Et dans leur tête, mes gars sont beaucoup plus pros que ceux qui s’entraînent huit ou neuf fois. D’abord parce qu’ils n’ont pas le temps de s’ennuyer et qu’ils ont faim de football. Ensuite parce que, bien que je le dise moi-même, ils peuvent compter sur un staff et des entraînements de qualité : on ne rigole pas beaucoup chez nous. Du 15 juillet au 30 avril, il y avait des objectifs à atteindre mais aucun joueur n’a rechigné, sauf de temps en temps Gdowski, l’artiste de la bande « .

Que ce soit en D1 ou en D2, cette philosophie ne changera donc pas.  » La seule différence, c’est que si nous montons, nous reprendrons les entraînements le 23 juin au lieu du 15 juillet. Mais nous veillerons à ce que chacun puisse avoir droit à au moins une semaine de vacances en juillet. A Eupen, tout le monde est bien conscient que le club ne peut pas vivre en D1. C’est une aventure et ça doit le rester : si nous voulons que cela se termine bien, ne commettons pas les mêmes erreurs que les autres « .

Claudy Chauveheid ne suivra pas non plus les cours d’entraîneur de la Pro Licence.  » Je suis dans l’enseignement depuis 30 ans et j’y suis bien, d’autant que je bénéficie maintenant d’un demi horaire. Dans quatre ans, je pourrai prendre ma pension et je ne cumulerai plus. Je ne vais quand même pas investir 6.000 euros pour quatre ans « .

Patrice Sintzen

 » J’essaye de récupérer des gars de la région,

avec qui j’ai travaillé par le passé «  » En D1, hormis trois ou quatre entraînements, on ne fait que du remplissage « 

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