BERGERS HONGROIS

Bruno Govers

En prélude au derby, la rencontre entre les deux arrières magyars.

Ils ont été tous deux coéquipiers, l’espace d’une saison, au MTK Hungaria. Avec succès d’ailleurs, car au bout de cette campagne 2002-03, ils se sont parés du titre avec le club de Budapest. Pour le reste, ils ont surtout été adversaires, car si Roland Juhasz a toujours juré fidélité aux Bleu et Blanc de la capitale hongroise, Zoltan Petö, lui, a pas mal bourlingué. Non seulement au pays mais également à l’étranger (v. cadre).

Le week-end prochain, à l’occasion du derby bruxellois, ils seront pour la première fois opposés hors frontières. En principe, l’affrontement aurait dû avoir lieu le 17 septembre dernier déjà, au stade Edmond Machtens, mais pour s’être fracturé le pied la veille du match, le néo-Anderlechtois, la mort dans l’âme, avait dû renoncer aux retrouvailles. Une longue attente qui sera récompensée au Parc Astrid, sous peu.

Quels souvenirs avez-vous gardés du match initial entre vos clubs ?

Petö : Le Brussels avait obtenu un point amplement mérité. Le Sporting avait ouvert la marque grâce à un but de Hannu Tihinen, annihilé en fin de partie suite à un coup de réparation transformé par Wery Sels. Pour le reste, la rencontre avait été fort animée, mais sans grandes opportunités franches pour autant. Au plan personnel, je me souviens avoir livré quelques beaux duels avec Christian Wilhelmsson et Mbo Mpenza. Jusqu’à cette sixième journée de compétition, l’international belge était parvenu à inscrire au moins un but à chacune de ses apparitions. A Molenbeek, il était toutefois resté muet. Preuve, s’il en est, que la défense et moi-même avions disputé un bon match.

Juhasz : Quelques jours avant le derby, contre toute attente, j’avais été appelé à effectuer mes grands débuts pour le compte d’Anderlecht, lors du déplacement en Ligue des Champions à Chelsea. Face à Didier Drogba, quoique je le dise moi-même, je m’étais plutôt bien débrouillé. En toute logique, j’espérais confirmer contre le Brussels. Mais au cours du dernier galop d’entraînement, je m’étais malheureusement blessé. Plâtré le jour même, j’ai dû me résoudre à vivre l’événement chez moi, dans un fauteuil. J’ai bien cru, à un moment donné, que le plus dur était fait, en raison du goal d’avance que l’équipe s’était forgé. Mais les joueurs locaux ont égalisé in extremis. Dans l’ensemble, le résultat était équitable.

Bougeotte contre fidélité

Un derby a-t-il la même saveur à Budapest ?

Petö : Les confrontations entre les ténors de la capitale, qu’il s’agisse de Ferencvaros, Vasas, Kispest-Honved, Ujpest ou MTK Hungaria, n’y véhiculent pas la même passion qu’ici, en tout cas. Ujpest et le Vasas sont séparés de trois kilomètres à peine, à l’image de la distance qui sépare Anderlecht de Molenbeek. Chez vous, les deux stades affichent toujours complet dans ces conditions. A Budapest, en revanche, l’engouement n’est pas du tout le même. Les assistances n’y excèdent jamais les 5.000 personnes. Et encore ! J’ai souvenance d’un MTK Hungaria-Ujpest qui n’avait attiré que 1.500 spectateurs.

Juhasz : En ce qui me concerne, ces événements m’ont toujours marqué mais pour une tout autre raison. Allez savoir pourquoi mais les jours de derby m’ont toujours inspiré en matière de productivité. L’année où Zoltan et moi avons été champions, j’ai inscrit à deux reprises le but de la victoire contre Ujpest, et une fois face à Kispest-Honved. Il est vrai qu’à cette époque, j’évoluais encore comme attaquant, la place de mes débuts. Mes statistiques n’étaient cependant pas comparables à celles des deux autres réalisateurs de l’équipe, Bela Illes et Gabor Zavadzsky, auteurs de 21 et 10 buts cette saison-là. Aussi, à l’instigation du coach, l’ancien Standardman György Bognar, j’ai terminé ladite campagne en défense. Depuis lors, je n’ai plus jamais quitté ce poste.

Petö : Roland est l’exemple même du braconnier devenu garde-chasse. Intransigeant en défense, il a conservé de beaux restes comme attaquant. Son magnifique own-goal au Standard en est la parfaite illustration (il rit). Sérieusement, j’ai eu souvent maille à partir avec lui, dans la mesure où il a toujours évolué sur l’aile droite en Hongrie, et que moi-même j’ai invariablement joué à la place de back gauche. Je l’avoue tout de go : mon pote n’était franchement pas un client. J’ai poussé un ouf de soulagement au moment où il a été titularisé pour de bon en défense.

Juhasz : Zoltan est le genre de joueur qu’on préfère avoir avec que contre soi. C’est la raison pour laquelle je regrette qu’on n’ait joué qu’une seule saison ensemble. Mais il a toujours eu la bougeotte, contrairement à moi, qui n’ai jamais été le joueur que d’un seul et même club : le MTK Hungaria.

Petö : Si j’avais eu la chance de commencer là, comme Roland, ma carrière aurait été à coup sûr moins mouvementée. J’ai accompli mes premiers pas à Debrecen, à 200 kilomètres de la capitale. Le VSC, club local, n’était pas un sans-grade, loin s’en faut. Toutes proportions gardées, il s’apparentait à Westerlo en Belgique. Pour se faire un nom, toutefois, un passage par l’un des cercles de Budapest constitue un must. C’est pourquoi j’ai mis le cap sur le MTK Hungaria à la fin des années 90, avant d’y revenir quelques années plus tard après un crochet par la Belgique, et le Verbroedering Geel plus précisément, puis Ujpest.

Invasion hongroise à Geel

Comment aviez-vous abouti en Campine ?

Petö : C’est une longue histoire. A l’époque, il y avait pas mal de mouvements, dans le domaine footballistique, entre les deux pays. D’un côté, le manager anversois Louis De Vries s’était investi à Kispest-Honved, confiant d’ailleurs cette équipe aux bons soins de l’entraîneur Dimitri Davidovic, figure bien connue chez vous. Au MTK Hungaria même, le président Gabor Varszegi, richissime homme d’affaires, songeait pour sa part à une implantation en Belgique. Après avoir pris langue avec plusieurs clubs, son projet prit finalement forme au Verbroedering Geel. J’ai débarqué là en même temps que trois autres compatriotes : Istvan Szeker, Sandor Preisinger et Csaba Feher. Les Campinois étaient alors dirigés par un certain Paul Put qui, en cours de saison, céda le relais à Dimitri Mbuyu, celui-là même qui allait être à l’origine de ma signature, cinq ans plus tard, au Brussels. Le topo, au Verbroedering Geel, était d’assurer le maintien parmi l’élite. Hélas, en bout de course, il nous aura manqué deux petits points pour parvenir à cette fin. Echaudé par cette expérience, Gabor Varszegi a retiré ses billes et ses joueurs. Du coup, il m’a bien fallu rebrousser chemin. Mais pour avoir goûté à une expérience à l’étranger, je n’avais pas du tout envie de rentrer au pays. Dans la foulée, je me suis disputé avec l’homme fort du MTK Hungaria au point de signer chez l’ennemi juré, Ujpest. Par la suite, nous nous sommes réconciliés et j’ai eu le bonheur de savourer avec ce club le seul titre de ma carrière. Au bout de quelques mois, il me tardait malgré tout de repartir. En définitive, au terme d’un court détour par la Turquie d’abord, à Kayserispor, je suis revenu en Belgique. Au Brussels, cette fois. A choisir, j’aurais préféré m’inscrire dans la durée ici, dès mon arrivée en 1999. Et je me dis qu’il en eût été ainsi si nous étions parvenus à nous maintenir. C’est franchement dommage car au jeu des comparaisons, le Geel que j’ai connu n’éprouverait aujourd’hui aucune difficulté à assurer sa survie parmi l’élite par rapport aux mal lotis actuels que sont le Lierse et Saint-Trond. A cet égard, c’est sûr, les faibles sont devenus beaucoup plus faibles ici. Quant aux forts, je ne peux pas dire qu’ils se sont bonifiés. J’ai connu Anderlecht en 1999-00. Désolé mais avec Jan Koller et Tomasz Radzinski en pointe, c’était autre chose. Cette équipe-là était autrement plus performante qu’aujourd’hui.

Juhasz : Je suis évidemment incapable de m’exprimer sur ce sujet, entendu que je n’ai pas vécu le Sporting à cette époque. Mais une chose est sûre : les trois premiers du championnat, en Belgique, survoleraient les débats s’ils étaient engagés parmi l’élite du football hongrois. De manière ponctuelle, certains clubs font parfois l’un ou l’autre résultats chez nous, tel Zalaegerszegi, par exemple. Mais la constance fait régulièrement défaut. Ici, c’est différent : ces dernières années, la Belgique a chaque fois compté un représentant, au moins, en phase des poules de la Ligue des Champions. Je ne cache pas que c’est ce constat-là qui m’a orienté vers votre pays, et Anderlecht, plutôt que vers d’autres destinations. Plusieurs opportunités s’offraient à moi l’été passé : Roda JC Kerkrade en Hollande et Wigan Athletic ainsi que West Bromwich Albion en Angleterre, notamment. Si je ne désespère pas, un jour, m’illustrer aux Iles, le RSCA n’en constitue pas moins, à mes yeux, le tremplin idéal. Avant d’aboutir dans une compétition relevée, comme la Premier League, la Liga ou le Calcio, une étape intermédiaire s’impose. J’ai pu m’en rendre compte en donnant la réplique, sur la scène européenne, à des teams comme Chelsea, Liverpool ou le Betis Séville. Même si, à l’analyse, je ne suis pas mécontent des prestations que j’ai livrées contre ces formations. Museler Didier Drogba à Londres, Peter Crouch et Djibril Cissé chez les Reds et Ricardo Oliveira du côté des Espagnols, ce n’était pas donné.

Langage universel

Votre entrée en matière n’est pas passée inaperçue car vous avez été lancé d’emblée dans le grand bain à Chelsea, sans la moindre minute de jeu en championnat…

Juhasz : Par la suite, sans la moindre transition, j’ai aussi été aligné à Anfield Road sans transition aucune après ma fracture au pied. Pourtant, dans ce double contexte, je ne pense pas avoir détoné. Il est vrai que je me suis d’emblée senti à l’aise à côté de Hannu Tihinen, qui donne constamment de la voix sur le terrain. On m’avait dit que le Finlandais, appartenant au même groupe de langues finno-ougriennes que le hongrois, présente des similitudes avec l’idiome que j’ai toujours utilisé. Mais il y a loin entre la théorie et la pratique. De fait, le seul terme commun entre les deux parlers est le mot cul. Mais on ne l’emploie pas souvent sur un terrain (il rit). Sans manier le français, le néerlandais ou l’anglais, j’ai compris à Bruxelles que le football est avant toute chose un langage universel. Quand on est bon, on s’adapte immédiatement.

Petö : C’est peut-être d’application quand on joue à l’arrière, comme nous. Mais plus un joueur occupe une position plus avancée sur la pelouse, plus la difficulté se corse. La preuve par Marius Mitu ou Nicolas Frutos. Tous deux sont manifestement de très bons joueurs, mais ils n’ont pas encore donné leur pleine mesure depuis leur arrivée au Parc Astrid. Je ne m’en plains pas : j’aime autant qu’ils s’adaptent après le derby (il rit).

Précisément, que vous inspire cette rencontre ?

Petö : Pour moi, Anderlecht peut être champion. A une condition : qu’il nous laisse la victoire dans le derby. De la sorte, Roland et moi aurons deux raisons différentes d’être satisfaits.

Juhasz : Désolé, mais nous devons à tout prix viser un succès. Non seulement parce que nous évoluons à domicile mais aussi en raison du fait que nous ne pouvons plus nous permettre de gaspiller trop de points si nous voulons être champions.

Quelle sera la clé du match ?

Petö : A l’aller, le coach, Albert Cartier, avait fait fort en se privant d’Igor De Camargo et de Kristof Snelders. A leur place, il avait opté pour Musaba Selemani en pointe, épaulé par un cinquième médian en la personne de Mario Espartero. C’est un schéma qui avait donné ample satisfaction et qui avait d’ailleurs été répété pour préserver la victoire à domicile contre le Racing Genk. Je présume que, cette fois encore, l’entraîneur aura une bonne idée en tête.

Juhasz : Anderlecht dispose d’une kyrielle de joueurs capables de déjouer une toute bonne organisation. Je songe à Wilhelmsson, Serhat Akin et Mpenza. Sans oublier Frutos, bien sûr, qui progresse de sortie en sortie. Parfois, j’ai affaire à lui à l’entraînement. C’est pas vraiment un cadeau (il rit).

Pas de tension

Qui sera champion ?

Petö : L’équipe qui se montrera la plus régulière, tout simplement. Dans cet ordre d’idées, je condamne d’ores et déjà le Standard, qui n’a jamais brillé par sa constance. En réalité, parmi les trois grands, le Club Bruges est le seul à avoir trouvé son rythme de croisière. Anderlecht doit encore prouver qu’il maîtrise son sujet match après match. Sur le papier, il possède les meilleures individualités. Il lui reste à former une équipe digne de ce nom, à présent, pour aller au bout de ses ambitions.

Juhasz : Face à Genk, les joueurs ont démontré leurs capacités à faire bloc. Il faut s’inspirer de cet exemple jusqu’en fin de saison.

Que doit-on attendre du Brussels ?

Petö : Beaucoup dépendra de la manière dont l’équipe digérera le départ d’Igor De Camargo. Qu’on le veuille ou non, il était un pion important.

Juhasz : Le Brussels ne glanera sans doute plus le même nombre de points que lors des matches aller : 28. Mais il sera toujours capable de l’une ou l’autre performances. Mais pas contre nous, s’il vous plaît (il rit) !

Vous êtes heureux dans notre capitale ?

Petö : Si les filles étaient aussi jolies qu’à Budapest, tout serait réellement parfait. Malheureusement, contrairement à Vaci Uca, la rue piétonnière de notre capitale où on voit passer une beauté toutes les minutes, je n’ai pas encore vu la même chose rue Neuve (il rit).

Juhasz : Le football est de toute façon meilleur et c’est là l’essentiel. Personnellement, je n’ai pas encore regretté un seul instant mon passage au Sporting.

Dans quelle mesure la mini crise anderlechtoise ainsi que l’affaire des matches soi-disant truqués ont-elles plombé l’atmosphère dans vos vestiaires respectifs ?

Juhasz : Honnêtement, je n’ai pas ressenti une plus grande tension ces dernières semaines que lors de mon arrivée. Ici, c’est bien simple, il faut toujours gagner. Et je m’en accommode bien. Cet état d’esprit correspond à mon tempérament.

Petö : Chez nous aussi, la sérénité est restée la même. Mais j’ai quand même eu un choc en apprenant que des sommes démentielles avaient été misées sur le match Charleroi-Brussels. Je ne comprends pas. Et je refuse de croire à une quelconque magouille en tout cas.

BRUNO GOVERS

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