© KOEN BAUTERS

Béni des dieux

Il est l’artiste du Freethiel mais a du mal à concrétiser son talent. Beni Badibanga n’est pas le seul. Il s’est livré à coeur ouvert et son histoire est surprenante. Saviez-vous que son père avait été Premier ministre au Congo ?

Beni Badibanga :  » L’artiste du Freethiel, moi ? ( il sourit) Je fais de mon mieux. Maintenant, il faut que ça se concrétise par des statistiques car faire des beaux mouvements, c’est bien mais ce sont les chiffres qui comptent. Beaucoup de jeunes de ma génération ont le même problème : ils préfèrent le beau geste au rendement. Il faut dire que l’équipe manque trop d’occasions. Si j’analyse chacun de nos matches, je constate que j’ai délivré des bons centres mais que nous ne marquons pas facilement. Avec mon style de jeu, je dépends trop des autres. Normalement, ça devrait être l’inverse. Il faut que le déclic se produise. Je dois marquer plus aussi. Je tire très peu au but. Les joueurs importants doivent être décisifs et si je ne tire pas au but, ça n’arrivera jamais. Je pense que je dois aller plus souvent à l’essentiel. Mon rôle, c’est de forcer les choses. Ceci étant dit, c’est la première saison où je joue beaucoup. Mais je ne peux plus me réfugier derrière mon jeune âge. Je n’ai que 23 ans mais je suis pro depuis l’âge de 17 ou 18 ans.  »

Beaucoup de jeunes de ma génération ont le même problème : ils préfèrent le beau geste au rendement.  » Beni Badibanga

Cousin de Ziguy

 » Vous voulez que je vous raconte ma vie ? Je suis né au Congo mais n’y ai pas vécu longtemps. Mes parents sont Congolais mais habitaient à Londres. Ma mère étudiait, mon père faisait des affaires. Quand j’ai eu trois ans, nous avons déménagé en France, à Maubeuge, où j’ai commencé à faire du mini-foot à l’âge de cinq ans. Mon père, un homme très intelligent et indépendant, travaillait dur. Par la suite, il nous a emmenés en Belgique, où j’ai continué à jouer au football. Mon frère aîné jouait aussi, tout comme mes cousins, que je considère comme mes grands frères.

Il y en a un que vous connaissez : c’est Ziguy, qui a joué à Anderlecht. Pour moi, jouer au foot, c’était ce qu’il y avait de plus normal, tout le monde le faisait. Pour le fun. C’est pourquoi je n’étais pas tellement heureux de quitter Braine-l’Alleud puis Tubize mais mon père faisait souvent référence à Sonny Anderson, qui marquait des buts à la pelle avec Lyon. Il disait : Tu crois que quand il a quitté le Brésil, il a pensé à ses copains ? Si tu veux devenir pro, tu dois faire des sacrifices.  »

J’ai vite été autonome. J’ai beaucoup de grands frères et de grandes soeurs un peu partout et je fais comme eux. C’est ce que mon père m’a enseigné. On rencontre souvent des gens sans personnalité. Ce n’est pas que je ne les aime pas mais chacun doit suivre son chemin. En football aussi. Les amis, c’est bien mais si on doit se séparer, on se souhaite bonne chance et voilà. Je peux m’attacher à quelqu’un mais pas au point qu’il devienne indispensable à mon équilibre. C’est pareil quand quelqu’un meurt. S’il a bien vécu, je suis triste mais j’arrive à faire mon deuil. »

Papa Premier ministre

 » En équipes d’âges, j’ai rapidement appris à me tirer d’affaire. Mon père était souvent parti et ma mère n’avait pas de permis de conduire. Je devais donc veiller à arriver à l’heure au point de rendez-vous. C’était la seule chose que mon père demandait lorsqu’un club voulait me transférer : qu’on mette un transport à ma disposition. Nous étions six enfants et il était souvent à l’étranger. Ma mère ne pouvait pas se consacrer à un seul enfant. Toute la famille était bien organisée. À l’époque, mon père travaillait pour une multinationale qui cherchait des matières premières au Congo. Il négociait les contrats.

Par la suite, il a fait de la politique. Il a eu une vie difficile. Au début, il a dû se battre mais il est tellement intelligent qu’il est allé très loin. Il a même été Premier ministre du Congo. Il faisait sans cesse la navette entre Kinshasa et Bruxelles. C’était dur pour lui : sa femme et ses six enfants étaient en Belgique alors, dès qu’il le pouvait, il revenait. Quand j’ai signé mon premier contrat au Standard, il était là, alors qu’il avait beaucoup de travail. Il disait que c’était un moment important dans ma vie et il voulait y assister.

J’avais eu une première occasion d’aller au Standard à l’âge de 14 ans. Mon père m’avait observé et avait vu que je n’étais pas prêt. Il m’avait conseillé de rester à Tubize. Tout se passe bien, on verra plus tard. Je n’étais pas du tout d’accord, je me disais que le train ne repasserait peut-être pas mais il a gardé la tête froide. Il croyait beaucoup en moi. Un an plus tard, le Standard est revenu à la charge et je suis parti à contre-coeur. Mon premier entraînement avait lieu le jour de mon anniversaire et je n’avais pas du tout envie de m’entraîner ( il rit). Dieumerci Ndongala observait derrière la barrière et voyait que ça se passait bien. Techniquement, j’étais très fort car j’avais passé beaucoup d’heures en salle et dans la rue avec mes amis. Et quand un jeune est fort techniquement, ça se voit vite. »

Hervé Kagé, la référence

 » À Liège, j’étais à l’internat. Pour moi, c’était normal mais pour ma mère et mes petits frères et soeurs, c’était beaucoup plus difficile car soudain, je ne dormais plus à la maison qu’une fois par semaine : la nuit de samedi au dimanche. Aujourd’hui, je me rends compte que j’ai eu une jeunesse différente de celle de beaucoup de gens. À l’internat, il y avait d’autres sportifs : des volleyeurs, des rugbymen… Beaucoup d’entre eux rentraient chez eux le vendredi mais j’habitais trop loin. Le vendredi, je dormais donc dans un dortoir à l’académie. Je ne rentrais à Bruxelles que le samedi, en train. Le dimanche était consacré à la famille : le matin, nous allions à la messe. L’après-midi, nous restions ensemble. Je voulais être footballeur et je faisais tous les sacrifices nécessaires pour y arriver.

Béni des dieux
© KOEN BAUTERS

Je n’avais pas d’idoles mais il y avait beaucoup de joueurs que j’aimais bien. Nous regardions souvent Viva Football. Quand on joue dans la rue, on doit sans cesse apprendre de nouvelles choses, sinon on n’est plus dans le coup. Notre référence, c’était Hervé Kagé. Adel Taarabt, aussi. Des garçons qui savaient faire des trucs que j’aimais et que j’essaye de reproduire en club. Là, il faut faire preuve de maturité, ne pas dribbler 25 fois. C’est un dilemme : je veux m’amuser mais c’est aussi mon boulot. À la fin du mois, je dois gagner ma vie.

Quand on joue dans la rue, on doit sans cesse apprendre de nouvelles choses, sinon on n’est plus dans le coup.  » Beni Badibanga

Au Standard, j’ai débuté sous Slavo Muslin, en Europa League. Pour moi, c’était logique. Je me souviens encore que j’avais reçu mon diplôme de secondaire en présence de mes parents et que le Standard avait mis une voiture et un chauffeur à ma disposition pour m’amener immédiatement au club. Je m’entraînais déjà avec les pros depuis l’époque de José Riga, qui m’avait beaucoup fait progresser sur le plan physique. Une fois mon diplôme acquis, j’étais dans le noyau. Tout s’accélérait. »

Découverte du foot business

 » Je vous raconte les choses comme je les ai ressenties à l’époque. Je voulais sans cesse progresser, sans passage à vide. Mais en U19, j’en ai eu un. Mon père ne voulait pas que je signe un contrat tant que j’étais en équipe d’âge. Il ne voulait pas que je sois prisonnier. Les autres jeunes signaient alors qu’ils n’étaient pas nécessairement meilleurs mais cela leur permettait de jouer tandis que j’étais sur le banc. Ce n’était pas une question d’argent car je ne manquais de rien. Ce qui me dérangeait, c’était de ne pas pouvoir jouer. J’ai découvert l’autre face du football. Jusque-là, les meilleurs avaient toujours joué. Ici, il y avait un côté business.

Lors d’un match contre Anderlecht, un joueur des U21 devait céder sa place à un pro et je me suis retrouvé sur le banc. J’en ai eu marre. Je n’étais pas bête, je pouvais retourner à l’école et vivre une vie normale. Dans ma tête, c’était terminé. Quand quelque chose me gêne, je m’en débarrasse. Je suis un peu impulsif. Ce que je découvrais du monde du football me tapait sur le système. Au Standard, il y a beaucoup de concurrence et on est peut-être confronté à ce genre de situation plus vite qu’ailleurs.

Mais revenons-en à ce match : ce joueur s’est blessé à l’échauffement et j’ai dû jouer. J’ai tiré au but et j’ai marqué. Je me suis dit que c’était cool et j’ai marqué un deuxième but. Après le match, je me suis dit : Arrête de penser, Beni. Et joue. Aujourd’hui, je me dis que cette période m’a rendu plus fort et que celui qui veut devenir pro doit apprendre à gérer ce genre de coups durs. Mais à l’époque, j’étais trop jeune pour le comprendre. »

Des prêts successifs

 » Finalement, je n’ai pas percé au Standard. À cause de mes statistiques, déjà. Je ne jette la pierre à personne, je suis le premier responsable. De plus, le Standard était malade, mal classé. Ce n’était pas ma faute mais dans un tel club, ça ne pardonne pas. Il était logique que le club cherche à se renforcer. Le train était parti sans moi. De plus, j’étais impatient. Aucun joueur des U21 n’a percé, alors que cette équipe n’avait perdu qu’un match. Nous avions un bon groupe, solide et solidaire mais personne n’a franchi le pas. Pas au Standard, en tout cas. Certains ont réussi ailleurs. Ceci étant dit : nous n’étions pas prêts à tenir le club à bout de bras. Nous ne pouvions pas tous jouer dans la même équipe. Il n’y avait pas de projet pour cela.

J’ai d’abord été prêté à Roda, puis au Lierse. Il y a un an et demi, je suis parti à Waasland-Beveren à titre définitif. Aux Pays-Bas, j’ai découvert que les médias n’étaient pas toujours animés de bonnes intentions. J’étais en forme, tout allait bien : le stade, les supporters… Un journaliste de la télévision est venu vers moi et m’a demandé si je parlais néerlandais. J’ai répondu non et comme il ne parlait pas français, nous avons fait l’interview en anglais. Il m’a posé une question sur Kerkrade mais avec son accent hollandais, je n’avais pas compris et j’ai dit : Hé ? Alors, il a coupé. Ça donnait l’impression que je ne savais pas où j’avais atterri alors que je connaissais très bien le club car Maecky Ngombo, qui venait du Standard aussi, y avait joué. Ce jour-là, j’ai appris que les journalistes cherchent avant tout à vendre. Les gens ont commencé à se moquer de moi. Je m’en fichais mais mes parents étaient tristes. J’avais voulu être sympa et je passais pour un con… J’ai été naïf. »

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