BELLE VITRINE

Le Brésil et l’Argentine ne sont pas les seuls réservoirs de leur continent. Les footballeurs équatoriens et costaricains rêvent aussi d’Europe mais les Mexicains restent au pays.

U nidos por una sola pasión… Les supporters équatoriens arboraient fièrement leur maillot en Allemagne. Pour la deuxième fois de suite, leur équipe était qualifiée, pour la première fois, elle a atteint les huitièmes de finale. La salsa a impressionné les habitants de la paisible Bad Kissingen. Alors que la sélection du Paraguay comptait deux tiers de joueurs exilés en Europe ou ailleurs, que les Argentins et les Brésiliens se produisent presque tous sur notre continent, les Equatoriens restent fidèles à leur championnat. Comme le Costa Rica, qui compte encore moins de joueurs en-dehors de ses frontières, il semble être une tache blanche sur la carte du football. Il n’a rien gagné en Amérique du Sud, ni en équipe nationale ni au niveau des clubs. Pas de Copa Libertadores, la variante sud-américaine de la Ligue des Champions.

Pourtant, le football est en progrès, comme le souligne un amateur de foot chilien qui a adopté l’Equateur, à Bad Kissingen, puisque son pays ne s’était pas qualifié. LDU Quito, le fournisseur principal de l’équipe nationale, est en quarts de finale et va bientôt défendre son avantage de 2-1 au match retour contre les Brésiliens de l’Internacional.

L’Equateur se met en marche

Quito est le centre de l’Equateur footballistique. C’est ici que se produisent les meilleures équipes. C’est pour cela qu’on a dénigré le football de ce voisin de la Colombie, en bordure de l’océan. Quito est situé dans les Andes, à 2.850 mètres d’altitude. Comme l’équipe a préféré les Andes à la côte pour jouer ses matches de qualification, on en a déduit qu’elle profitait de l’altitude. Iván Kaviedes, inoubliable en spiderman, l’admet après un entraînement.  » Cela nous avantage puisque nous sommes acclimatés mais ce n’est pas la seule raison de notre succès « .

Non, c’est un processus qui a commencé il y a neuf ans, explique Francisco, journaliste de la télévision équatorienne.  » Nous avons enfin eu un sélectionneur qui est resté en poste quelques années. Un Yougoslave. Il a constaté que nous n’avions pas le même bagage technique que le Brésil ou l’Argentine mais que nos joueurs étaient aussi forts que les Européens. Trois Colombiens lui ont succédé. Ils avaient plus d’expérience au plus haut niveau. Ils ont appris aux joueurs à conserver le ballon et à changer le rythme du match. Luis Fernando Suárez, le sélectionneur actuel, a parachevé le travail en inculquant plus d’assurance à nos footballeurs. La combinaison semble fonctionner, dans les clubs comme dans les compétitions continentales « .

Suarez accepte les interviewes avant un match. Il interprète ce succès en fonction de son expérience personnelle.  » J’en suis très fier. Ainsi, mon pays, la Colombie, revient dans l’actualité de manière positive. Sinon, vous présenter comme Colombien n’est pas facile. On vous regarde de travers en voyant votre passeport. La force de mon équipe ? Elle sait défendre, peut changer de rythme en cours de match et a beaucoup progressé tactiquement « . Le conte de fées s’est achevé en huitièmes de finales alors que l’Argentine et le Brésil ont poursuivi le tournoi.  » La logique est respectée. Ces pays sont trop forts pour nous, dans beaucoup de circonstances. Ce qui me satisfait, c’est que les observateurs de grands pays comme l’Espagne et l’Italie nous ont qualifiés de surprise agréable. Le seul inconvénient, c’est que la barre est désormais placée plus haut. Pour relever ce défi, nos joueurs doivent agir, passer le cap que les Argentins et les Brésiliens ont franchi bien avant eux, soit s’exiler « .

Les Equatoriens sont trop chers

C’est là que le bât blesse. Les inconnus ne sont pas courtisés et dans le passé, les transferts n’ont pas été couronnés de succès. Kaviedes joue en Argentine mais avant, il a tenté sa chance en Europe, à Pérouse, au Celta Vigo et à Porto. Agustín Delgado a rejoint l’Angleterre au terme du dernier Mondial mais a échoué à Southampton.

Ils rêvent tous de l’Europe, confirme Kaviedes. Si se puede, si c’est possible… Pourquoi cela ne marche-t-il pas ? Kaviedes soupire. Delgado fuit les questions. Suarez répond, lui.  » Delgado a été blessé, ce n’était pas un problème de mentalité. Je pense aussi que c’est lié à la trop haute estime qu’ont les Equatoriens de leurs footballeurs. Quand vous interrogez un dirigeant sur le prix d’un bon joueur, il vous répond : trois ou quatre millions de dollars, se référant aux prix brésiliens et argentins. C’est aberrant, on ne paie pas ça pour un Equatorien « .

Francisco approuve :  » Les clubs devraient vendre leurs footballeurs à meilleur prix, pour un million au lieu de quatre, car les clubs européens, échaudés par ces tarifs, ne connaissent même pas la valeur du football équatorien. Mieux vaudrait vendre des bons joueurs à un prix raisonnable afin que les clubs et les managers se familiarisent avec le marché puis augmenter les prix. Ce serait une meilleure stratégie. L’Uruguay, le Paraguay, le Pérou ont beaucoup plus de joueurs en Europe que nous alors que les nôtres sont meilleurs « .

Suárez croit en cet export vers l’Europe :  » Cela va faire progresser notre équipe nationale et injecter de l’argent dans les clubs, qui pourront ainsi améliorer leur formation. La pression va croître sur les joueurs, qui vont donc apprendre à la gérer. L’Argentine ne s’effondre pas quand JoséPekerman met la moitié de ses troupes au repos. Ce n’est pas notre cas. On l’a vu contre l’Allemagne « .

Le supporter chilien s’approche :  » Pourquoi le Chili a-t-il disputé la Coupe du Monde 1998 ? Grâce à MarceloSalas et IvanZamorano. Les autres se produisent au pays. Il faut quelques joueurs dotés d’une expérience de l’Europe. La Colombie en avait avant, comme le Paraguay maintenant. L’Argentine et le Brésil vont généralement jusqu’au bout de leurs tournois. L’Equateur a pris leur sillage mais n’a pas creusé de réel écart avec l’Uruguay, la Colombie, le Pérou ou même le Chili « .

Championnat mexicain : tuant mais gratifiant

Le Mexique, en Amérique Centrale, constitue une exception.

Suárez :  » Il n’est pas évident de gagner de l’argent avec le football en Amérique latine. C’est possible en Argentine mais on y va plutôt pour progresser car le championnat est plus relevé. Le Mexique paie très bien. Le championnat est très dur, se joue dans des conditions extrêmes, parfois à très haute altitude, parfois sous la canicule. C’est une compétition très pénible « .

L’équipe nationale, habituée du Mondial faute de concurrence dans sa région, hormis celle des USA, est sous la direction d’un Argentin, Ricardo La Volpe. Son équipe vient d’être éliminée en huitièmes de finale pour la troisième fois de rang mais a obtenu maintes louanges pour avoir résisté si longtemps à l’Argentine. Tout ça avec des joueurs qui sont restés au Mexique et n’ont pas d’expérience de grands tournois : seuls six Mexicains avaient participé à l’édition précédente.

Champion du monde avec l’Argentine en 1978, comme troisième gardien, La Volpe a émigré au Mexique en 1979.  » Après la Coupe du Monde, notre pays a été en proie à une crise économique grave. Les clubs ont dû vendre leurs vedettes. Certains joueurs ont trouvé embauche en Europe, d’autres ont dû tenter leur chance ailleurs en Amérique latine. J’avais le choix entre le Mexique et le Pérou. J’avais déjà joué au Mexique quelques années auparavant, à l’occasion d’un match amical. On m’avait parlé d’Acapulco, où on peut passer sa vie sur la plage toute l’année. Comme l’été ne dure que deux mois en Argentine, j’ai trouvé ça tentant « . Le gardien a donc émigré. Il a gagné trois fois plus qu’en Argentine et n’y est jamais revenu.

La Volpe a suivi de près l’évolution du football mexicain.  » Le football d’il y a vingt ans n’a plus rien à voir avec l’actuel ni avec ce que je connaissais en Argentine. On ne travaillait pas la tactique, il n’y avait pas de consignes, on n’exerçait aucune pression. Je me souviens que les supporters d’Atlante demandaient des autographes après une défaite. En Argentine, dans ce cas, mieux valait porter un gilet pare-balles et un casque. Au Mexique, tout était décontracté « .

Cela a changé. Les spécialistes du football mexicain disent que La Volpe a introduit verticalidad et velocidad, profondeur et vélocité. Quand internet a fait son entrée au Mexique, il a passé des heures à surfer, parfois jusqu’à l’aube.  » J’attachais énormément d’importance aux chiffres. Je cherchais des informations sur le nombre d’équipes qui gagnaient en évoluant en 4-4-2, sur le bilan des formations qui préféraient le 4-3-3 ou le 3-5-2 « . Il a finalement opté pour cette dernière variante avec l’équipe nationale du Mexique.

Il apprécierait de voir ses joueurs rejoindre l’Europe. La Volpe :  » Regardez RafaelMárquez (Barcelone) ou JaredBorgetti (Bolton). Le talent est suffisant, c’est de l’expérience qu’il faut. Je les comprends : quand on gagne autant dans son pays, pourquoi le quitter ? D’autant que ce qu’on dit d’Acapulco est totalement exact…  »

PETER T’KINT, ENVOYÉ SPÉCIAL EN ALLEMAGNE

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