BELGES gâtés

Les confessions de Carl Maes, l’entraîneur de Kim Clijsters pendant des années, qui cherche maintenant des talents en Angleterre.

Un triste après-midi hivernal à Londres. Outre-Manche, on pratique le tennis en salle, même si la pelouse du Queen’s Club, à Barons Court, est d’un vert printanier et semble fraîchement tondue. Même le court en terre battue fait l’objet de soins quotidiens…

La Lawn Tennis Association de la fédération britannique de tennis est sise au Queen’s et Maes fait partie de ses 70 employés. Il a mis fin à sa collaboration avec Kim Clijsters il y a un an et demi. Il était las de cette vie de tzigane et son rôle était terminé, d’après lui. Maes a rejoint l’Angleterre, d’abord comme entraîneur en chef d’une des quatre écoles de tennis britanniques. Depuis octobre, il est Performance Manager des û 14 ans et ne regrette toujours pas le circuit pro.

Vous avez un travail passionnant, dans un cadre prestigieux, mais ne préféreriez-vous pas être en Australie ?

Carl Maes : Oui. Vraiment. L’Australie demeure mon continent préféré. Peut-être y retournerai-je un jour. Le climat et la mentalité me plaisent. Pour l’heure, je m’amuse ici avec les jeunes britanniques. Depuis que je suis manager, je suis moins sur le court, ce qui me manque. Le reste ? Non. J’ai eu des contacts avec des joueuses du top-20 mais le circuit professionnel ne m’attire pas pour l’instant. On y vit à la semaine, on ne travaille que des détails car on ne peut pas apporter grand-chose à un joueur de haut niveau. Ici, je travaille dans un cadre, à long terme. J’ai davantage le sentiment d’apporter quelque chose.

L’Angleterre cherche depuis des années un joueur capable de gagner Wimbledon. L’avez-vous trouvé ?

On ne naît pas champion de Wimbledon. Il est plus important d’avoir d’abord une série de joueurs dans le top-300. Difficile car le tennis anglais se porte mal. Le tennis ne vit que deux semaines par an ici, c’est le problème. Les jeunes ne s’y intéressent guère et il est très onéreux. Louer un terrain coûte environ 12 euros par heure, sans parler du moniteur. Ça reste donc un sport d’élite, surtout qu’il n’y a pas beaucoup de courts. Il y a 1.100 salles de tennis dans toute l’Angleterre alors que la Belgique, tellement plus petite, en compte 1.200. A cause de la tradition de Wimbledon, il y a beaucoup de gens de 50 ou 60 ans qui squattent les courts, avec leurs hautes chaussettes, et qui ne veulent pas céder la place aux juniors. Il est presque impossible d’élaborer un agenda intéressant pour les jeunes. Ici, l’argent ne manque pas mais on l’utilise mal. Tout va à l’élite, aux happy few. On oublie la base.

Le Belge Carl Maes parvient-il à imposer ses idées dans ce bastion de tradition et de conservatisme ?

Malgré ma réputation, je reste un étranger. La critique ? Je l’appellerais plutôt un feedback positif (il rit). Il faut attendre. Je veux travailler de toutes mes forces pendant deux ans. On verra alors si mes idées sont acceptées. Je ne détiens pas la vérité. Le fil rouge, c’est l’efficacité. Ici, tout a l’air très professionnel mais, par exemple, avons-nous vraiment besoin de 70 personnes pour gérer le tennis dans ce pays ? Il y a quand même fort peu de joueurs. Les entraîneurs ont tout ce qu’ils veulent, ici : ordinateur, téléphone, auto. Leur travail est confortable. Pourtant, je n’ai pas l’impression que ça nous aide à former de bons joueurs. Si j’avais vraiment mon mot à dire, je changerais l’optique générale. Ils ont tout compliqué. Moi, je simplifierais.

Comment égaler 2003 ?

Vous avez suivi la merveilleuse saison 2003 de loin. Ça ne vous attriste pas un peu ?

Je ne ressens aucune frustration. Je sais, comme d’autres personnes, ce que j’ai représenté pour Kim mais je sais aussi quelle vie mène maintenant Marc Dehous. Elle a ses bons côtés mais aussi ses moments difficiles. Maintenant, je me lève à six heures trente, je vais dormir à dix heures et ma journée est bien remplie. Avant, je ne savais plus que faire de mes loisirs. Au petit déjeuner, le principal sujet de conversation était de savoir quand nous déjeunerions ; puis, à ce moment, quand nous dînerions. Je n’étais parfois qu’un zombie. J’ai toujours eu d’autres centres d’intérêt. J’ai été représentant des joueuses à la WTA mais ce n’était plus possible de combiner les deux tâches.

Deux Grands Chelems, deux fois numéro un mondial, les Masters : un pessimiste dirait que l’année 2004 ne peut qu’être décevante pour les Belges ?

Faire mieux est difficile. Rééditer la même saison serait déjà fantastique. Nous pourrions aller à Lourdes à genoux. Le danger, c’est que la presse peut démolir le tennis en étant négative si les filles perdent une fois en demi-finale. Rien n’est assez bon, désormais, alors que pour le reste du monde, ça constituerait quand même une performance, pour un si petit pays. Nous sommes trop gâtés.

Le rôle de la presse est déjà apparu l’année dernière. Kim a cessé de parler et Justine a invité quelques équipes TV à son stage en Floride pour démentir les insinuations de dopage.

J’ai suivi ça de loin. On a exagéré la remarque de Kim sur le comportement peu sportif de Justine à San Diego, comme on l’a fait avec les insinuations de Lei. Sans doute la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, d’où ce boycott de la presse. Est-ce la meilleure solution ? Je suis heureux que ça ne soit pas arrivé quand je travaillais avec Kim car ça m’aurait mis très mal à l’aise, puisque moi-même, j’ai toujours eu de bonnes relations avec la presse. Je n’aurais sans doute pas invité des équipes TV à un stage. L’essentiel, c’est que les personnes importantes sachent ce qu’on fait, pas ce que les gens en pensent. C’est sans doute une décision prise par tout le staff.

Justine semble mener une offensive de charme : un match d’exhibition contre Yannick Noah, un fonds pour les cancéreux, le lancement de son parfum…

Elle semble éprouver le besoin d’être acceptée et d’être considérée comme une fille sympathique. Le parfum met peut-être en évidence son côté féminin mais c’est aussi un bon investissement. Jutine veut peut-être vraiment ce fonds pour les patients cancéreux ou alors elle le fonde pour se défaire de son image. Tim Henman, qu’on trouve très ennuyeux ici, a fait beaucoup de choses pour devenir plus accessible. Kim a moins besoin de ça et tout paraît plus naturel de sa part.

Qu’elles soient elles-mêmes

L’absence des s£urs Williams diminue l’ampleur du succès de Kim et Justine, affirme notamment John McEnroe. A-t-il raison ?

Les absents ont toujours tort mais, de fait, c’eût été plus difficile si les Williams avaient joué. Dans un bon jour, elles sont capables d’infliger une leçon à nos filles. Mais Kim et Justine sont-elles pour autant trop bien classées ? Elles méritent leur place si Venus et Serena ne jouent pas selon les règles et disputent des tournois moindres. De quoi s’occupent-elles ? De mode, de cinéma ? Evidemment, elles ont été blessées. Serena vient encore de déclarer forfait pour l’Open d’Australie. C’est très dommage car on a besoin de ces femmes. Il ne suffit pas d’avoir deux rivales. L’élite féminine est déjà beaucoup plus étriquée que celles des hommes. Evidemment, si on n’observe que les résultats, j’ai envie que Kim et Justine disputent les quatre finales des Grands Chelems et continuent à occuper les deux premières places mondiales, mais j’espère que la saison ne se résumera pas à ce duel Kim-Justine et qu’on verra des matches passionnants.

Les deux finales de Grand Chelem ayant opposé Kim et Justine n’ont pas été relevées. Pourquoi, d’après vous ?

Pour la simple raison qu’elles ont rarement livré un bon match l’une contre l’autre. Il y a toujours un problème, d’un côté ou de l’autre. Si Kim a été trop nerveuse ? Possible. Justine voulait-elle davantage la victoire ? Foutaises. On dit que Kim n’est pas assez affamée de victoire alors qu’il y a un an, on vantait son aptitude à relativiser les choses. Ça devrait l’aider à mieux jouer car elle a toujours battu Justine, qui se mettait elle-même sous pression. Maintenant, c’est Justine qui gagne et on dit que Kim n’a plus assez de rage de vaincre. Expliquez-moi ça !

Les gens ne comprennent pas que Kim accepte aussi aisément une défaite, surtout dans une finale du Grand Chelem.

C’est ridicule car c’est un atout précieux. Je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’elle serait meilleure si elle se laissait affecter. Prenez Filip Dewulf : dès qu’on l’a trop poussé dans une certaine direction, il a coincé. Dès qu’il n’a plus pu aller boire un verre avec ses copains, il n’a plus été heureux et n’a plus bien joué. Ces critiques m’énervent. Pourquoi veut-on changer Kim ? Profitons du moment, levons-nous la nuit pour assister à une finale belge du Grand Chelem.

C’est aussi typique : pour Kim, le meilleur moment de 2003 a été la demande en mariage de Lleyton.

C’est bien. La connaissant, quand elle aura 30 ans et qu’elle se souviendra de sa carrière, elle dira : -Je me suis bien amusée pendant 15 ans. Elle préfère ça à avoir une série de tournois en plus à son palmarès. Ce sera sans doute différent pour Justine. J’espère maintenant que Lleyton ne pensera pas trop vite à avoir des enfants (il rit).

Justine elle-même avoue s’être débarrassée du complexe-Clijsters. Kim a- t-elle maintenant un complexe-Henin ?

Une fois c’est l’une, une fois c’est l’autre. Kim n’a sûrement pas de complexe. Justine a simplement un avantage, pour le moment. C’est une autre façon de voir les choses. Kim a quand même gagné leur dernier duel, à Filderstadt. Elle est peut-être relancée. On ne peut parler de complexe que quand on se focalise trop sur quelque chose. Justine l’a sans doute fait dans le passé. Elle est aussi plus exposée car elle a une approche plus rationnelle de son sport. Kim ne court pas ce danger car elle est très différente. Cette attitude est un peu bizarre lors d’une finale de Grand Chelem car elle la considère comme un match normal alors que la presse attend qu’elle gagne son premier tournoi majeur… Plus la situation s’éternise, plus elle est désagréable. Pensez à Ivan Lendl : combien de finales n’a-t-il pas joué avant d’en gagner une ? Il n’en est pas moins un grand champion.

Justine 30 % meilleure ?

D’après Carlos Rodriguez, Justine peut progresser de 30 %. Et Kim ?

30 % ? Ça veut dire que Justine va tout gagner ? Comment peut-on mesurer ça ? Je ne pense pas que Kim et Justine vont jouer nettement mieux que l’année dernière. Elles vont être plus précises, plus solides, mais sans plus. J’espère aussi que cette lourde saison ne va pas avoir d’effets pervers. Kim a disputé énormément de tournois, trop. On remarque souvent dans d’autres disciplines que les sportifs doivent lever le pied l’année qui suit les Jeux Olympiques, pour recharger leurs accus. J’espère que la blessure à la cheville de Kim n’est pas une conséquence de cette saison.

Kirsten Flipkens va passer son grand examen en seniors. Qu’attendez-vous d’elle ?

Kirsten a une année exceptionnelle derrière le dos, avec ses titres juniors à Wimbledon et à l’US Open. Elle a énormément de talent, de la technique, elle a un jeu varié, un peu comme Justine, au fond. Le fait qu’elle ait gagné tant de matches à la fin de son passage chez les juniors est positif. C’est un fameux stimulant au moment de passer chez les seniors. Avant, sa force mentale posait peut-être problème mais la voilà maintenant armée pour intégrer rapidement le top-100. Kirsten est très extravertie, plus émotionnelle que Kim et Justine. J’espère qu’elle sera bien protégée et qu’elle restera les pieds sur terre. Alors, elle pourra aller loin.

Et Xavier Malisse, est-ce maintenant ou jamais ?

On connaît la chanson. Nous ne pouvons qu’attendre et espérer que ça marche car il a du talent. Il a usé quelques entraîneurs et n’a apparemment jamais trouvé le bon. Peut-être celui-ci n’existe-il pas. Il est difficile de trouver le bon équilibre avec Xavier. D’une part, il faut veiller à ce qu’il se sente bien, et de l’autre, il faut la discipline nécessaire. C’est peut-être là un travail de psychologue, même si le boulanger du coin a peut-être la bonne manière. Il a le temps, de toute façon, il n’a que 24 ans. Chez les hommes, c’est encore jeune. Xavier s’est souvent compliqué la vie mais ne l’oublions pas trop vite.

Enfin, qui peut gagner l’Open d’Australie ?

Avant la blessure de Kim, j’aurais dit Kim Clijsters et Lleyton Hewitt. Un v£u réaliste, disons. Lleyton doit se racheter, je crois. S’il le veut vraiment, il peut rendre la vie impossible à n’importe qui, même s’il n’est pas le meilleur joueur. Pour moi, c’est Roger Federer, bourré de classe. Un poète. Il devrait pouvoir gagner le tournoi. Et Kim ? Elle est au faîte de sa carrière. Si sa blessure la laisse tranquille, qu’elle gagne ce premier Grand Chelem, dans sa seconde patrie. Ça la délivrera de tous ces commentaires. Encore faut-il qu’elle guérisse car un forfait serait très pénible. Evidemment, dans ce cas, nous pouvons encore compter sur Justine.

Inge Van Meensel

 » Pourvu que Lleyton ne veuille PAS DES ENFANTS TROP VITE ! « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire