© BELGAIMAGE

Beach please

Passé sous pavillon américain, dirigé par un trentenaire français et coaché par un formateur allemand, le KVO entame sa mue internationale à coups de pressing haut, de cours de philosophie et de data révolution.

Dans les rues de la reine des plages, les remous se sont déplacés vers la mer, comme une marée qui se retire en milieu de journée. Cet été, ce sont les allées et venues masquées sur la digue qui font le plus de bruit, alors que le KVO voisin prépare sa saison en toute quiétude. Quelques mois plus tôt, alors que la plage apprenait à vivre avec la solitude d’un printemps venteux et confiné, le club était en plein tumulte. Il a fallu l’intervention du bourgmestre Bart Tommelein pour mettre un terme aux débats houleux entre Alychlo, la société de Marc Coucke, et les Américains de Pacific Media Group.

Notre modèle économique, c’est de ne pas investir d’argent sur des joueurs qui ont plus de 25-26 ans.  » Gauthier Ganaye

Ces derniers, candidats à la reprise du club depuis l’hiver, refusaient de s’engager sans régler le problème de la nouvelle tribune de la Versluys Arena (devenue Diaz Arena, du nom de l’entreprise du président Frank Dierckens), toujours possédée par le propriétaire d’Anderlecht. Un conflit finalement réglé on the buzzer, quelques heures avant de passer devant la CBAS pour l’obtention de la licence, refusée en première instance. La nouvelle histoire côtière pouvait enfin commencer. Avec, dans le rôle du metteur en scène, Gauthier Ganaye, un Français tout juste trentenaire, installé par les nouveaux propriétaires dans le costume de président exécutif le 6 juin dernier.

La rencontre entre le Nordiste, supporter de longue date du RC Lens, et les nouveaux investisseurs américains remonte au bout de l’année 2017.  » Via un cabinet de recrutement, j’étais devenu CEO de Barnsley en juin. PMG a racheté le club en décembre, et c’est comme ça qu’on s’est rencontré. Le feeling est bien passé « , raconte l’intéressé, téléphone à la main. À tel point que Paul Conway, le grand patron, l’installe ensuite quelques mois à la tête de l’OGC Nice, avant de lui confier les clés de son nouveau jouet ostendais.

CHOISIR UN COACH

À quelques hectomètres de la plage, Gauthier Ganaye reçoit dans un bureau où il n’a pas encore eu l’air d’avoir eu le temps de s’installer. L’écran de télévision, l’ordinateur portable et le bureau sont les seuls artifices d’une pièce sans âme, dont on ne soupçonne toutefois pas la taille quand on entre par cette porte presque dissimulée au coin du couloir.  » Il n’y a jamais de timing idéal pour arriver dans un club, c’est toujours un peu la course « , justifie celui qui ressemblerait presque à une créature sortie tout droit d’un laboratoire de la RTBF, sorte de croisement improbable entre David Houdret et Alex Vizorek.

En bon enfant de la start-up nation, le Français fait les choses très vite, pour remporter son contre-la-montre face à l’approche de la reprise du championnat. Il rencontre  » entre cinq et sept  » candidats pour s’installer à la tête de l’équipe. Tous sélectionnés selon des critères bien précis. À Ostende, Pacific Media Group veut installer un football spectaculaire, inspiré de la nouvelle école allemande du pressing tout-terrain. Le groupe se plonge donc dans les bases de données pour en tirer le portrait-robot de son entraîneur idéal :  » On a dû travailler vite, il fallait faire avec des gens qu’on connaissait et qui connaissent notre travail. Des analystes externes « , détaille le CEO.  » On est notamment tombé sur Alexander, et le feeling est rapidement passé.  »

Alexander Blessin, puisque c’est de lui qu’il s’agit, débarque d’Allemagne. Plus précisément de Leipzig, où cet ancien attaquant (sept bouts de matches en Bundesliga) officie depuis douze ans au sein du centre de formation, avec en point d’orgue une saison en Youth League à la tête des U19 du nouveau riche du football allemand. Dans ses valises, il emmène un paquet d’idées, détaillées entre deux terrains du centre d’entraînement ostendais :  » Mon objectif, c’est que mes joueurs puissent réagir très vite sur le terrain. Pas en suivant des patterns, plutôt en ayant des principes de jeu. Parce que les patterns, c’est bien, mais combien de fois est-ce que ça fonctionne vraiment dans un match ? Les joueurs doivent surtout savoir comment réagir dans telle ou telle situation « , professe celui qui jugera sa saison réussie  » si on se maintient et que les observateurs me disent qu’on voit notre philosophie sur le terrain.  »

La saison sera réussie si on se maintient et que les observateurs me disent qu’on voit notre philosophie sur le terrain.  » Alexander Blessin

CHOISIR UN ADN

La philosophie est à sur toutes les lèvres, à tous les étages. Notamment au premier, là où Gauthier Ganaye poursuit sa présentation du nouveau projet côtier.  » Ce style de jeu qu’on veut mettre en place, ça doit devenir l’ADN du club. Il faut savoir que la durée de vie moyenne d’un entraîneur, c’est trois ans. Si on n’a pas de continuité dans le style, qu’est-ce qu’on fait tous les trois ans ? On change notre stratégie de recrutement ? Ça n’a aucun sens.  »

La stratégie, justement, est parfaitement rodée, au fil des années d’expérience dans le secteur. Elle explique qu’Ostende aligne, avec une moyenne de 24,1 ans, le cinquième onze le plus jeune de l’élite depuis le coup d’envoi de la saison, alors que les Kustboys étaient plutôt de l’autre côté de la pyramide des âges l’an dernier (26,9 ans de moyenne, neuvième équipe la plus jeune de l’élite). Cet été, outre le vétéran Bram Castro, qui risque d’être assez rare sur le terrain, les onze autres recrues enregistrées par les nouveaux investisseurs présentent une moyenne d’âge de 22,2 ans.

Kevin Vandendriessche, le capitaine des Côtiers.
Kevin Vandendriessche, le capitaine des Côtiers.© BELGAIMAGE

 » On me parle toujours d’expérience, de joueurs âgés. Parfois on a besoin de ça, mais je pense que dans le style qu’on veut jouer, on peut un peu oublier cet aspect « , affirme Blessin, déterminé à produire un football vitaminé. Le credo colle à la perfection avec le mode de fonctionnement prôné dans les bureaux.  » Notre modèle économique, c’est de ne pas investir d’argent sur des joueurs qui ont plus de 25-26 ans. Pour nous, ça n’a pas de sens. Le pic de performance et de valeur d’un joueur est à 27-28 ans. Plus tôt vous faites l’acquisition du joueur, plus il reste de valeur potentielle à acquérir « , présente Gauthier Ganaye.

CHOISIR DES JOUEURS

Venus de Mattersburg, de Barnsley, d’Orléans ou du noyau B de Lyon, les nouveaux visages du KVO n’étaient pas de nature à rassurer ceux qui faisaient déjà la moue en voyant l’équipe confiée à un coach vierge d’expérience chez les pros. Pour l’essentiel, ils ont été recrutés sur base des datas, système qui a fait la renommée de Pacific Media Group depuis le début de ses investissements dans le football. À Barnsley, Paul Conway s’est ainsi associé avec Billy Beane, le personnage principal de Moneyball. Dans ce livre, adapté au cinéma avec Brad Pitt dans le rôle de Beane, l’auteur raconte comment ce directeur général des Athletics d’Oakland a créé une équipe de baseball compétitive malgré les difficultés financières de sa franchise, en se basant sur une approche statistique. Une success story qui sert toujours de référence aux adeptes de l’utilisation de plus en plus étendue des datas dans le football.

 » Aujourd’hui, tout le monde dit qu’il recrute sur base des statistiques « , explique Conway dans les colonnes du Nieuwsblad.  » Mais en réalité, la politique de transferts d’un club reste souvent déterminée par un directeur sportif, un agent, ou un coup de coeur pour un joueur qui fait par hasard un bon match contre eux.  » Des biais qui semblent exclus à Ostende, où le scouting se fait en scrutant 27 championnats à travers le monde, dont certains ont des ressemblances physiques et techniques avec la Pro League.  » Mais on regarde surtout la manière dont on veut jouer « , précise Gauthier Ganaye  » Notre jeu demande un niveau athlétique important, mais aussi d’être bon dans l’utilisation du ballon. En défense centrale, ça veut dire des mecs assez rapides parce qu’ils vont être haut sur le terrain, et qui savent jouer avec le ballon pour reconstruire de derrière. Ce sont des profils techniques très précis.  »

Une approche qui n’exclut pas les recours ponctuels à un scouting plus traditionnel, voire à des tests comme celui d’ Arthur Theate, jeune espoir du Standard pour lequel le KVO ne disposait pas d’images ou de datas en suffisance, et qui a donc décroché un contrat au bout d’une période d’essai, pour finalement s’installer dans la charnière centrale des Côtiers dès le coup d’envoi du championnat.  » Plus on a d’informations en amont de la décision, meilleure elle sera. On réduit la marge d’erreur « , poursuit le CEO.  » Mais ce n’est pas pour ça qu’on s’interdit d’avoir de bonnes idées en-dehors de notre système de fonctionnement.  »

Ils font le pressing partout sur le terrain, je suis vraiment fan.  » Vincent Kompany

CHOISIR LE JEU

Les bonnes idées, Ostende les présente déjà sur le terrain. Pas encore avec constance et sans véritable efficacité offensive, ce qui explique ce deux sur douze initial et cette quête encore inassouvie d’une première victoire, mais toujours avec panache. Au soir de la deuxième journée, conclue par une défaite dans le Pays Noir, le KVO récolte les compliments de Nicolas Penneteau :  » C’est une belle équipe, qui nous a pressés et qui nous a vraiment ennuyés en première mi-temps.  » Une analyse confirmée en conférence de presse par Karim Belhocine :  » Ils développaient un pressing haut et arrivaient à gagner pas mal de duels pendant 30-35 minutes. On s’y attendait, mais ça nous a quand même surpris.  »

Un coup d’oeil aux chiffres confirme l’impression visuelle. Après quatre journées, Ostende présente le PPDA (passes autorisées à l’adversaire par action défensive) le plus bas – et donc le meilleur – de l’élite, avec 7,21 ; les Côtiers affichent également les meilleurs chiffres en challenge intensity, avec une moyenne de 8,4 actions défensives (duels, tacles et interceptions) par minute de possession adverse.  » Le championnat belge est très athlétique, et les moments de transition y sont très importants. C’est une bonne chose pour notre style « , expliquait déjà un Alexander Blessin visiblement bien préparé, quelques jours avant le coup d’envoi de la saison.

Les premiers pas du nouvel Ostende ont même déclenché des louanges princières.  » Ils font le pressing partout sur le terrain, je suis vraiment fan « , explique Vincent Kompany avant d’affronter les Kustboys.  » Ils amènent une chouette philosophie dans notre championnat. Il y aura du spectacle dans les matches d’Ostende cette saison.  »

 » On peut déjà voir de bonnes séquences, mais pas encore sur tout le match « , nuance Blessin.  » On a encore beaucoup de hauts et de bas. L’objectif, au fil des mois, ce sera d’avoir de plus en plus de hauts.  » Gauthier Ganaye confirme et conclut :  » À moyen terme, on veut qu’Ostende soit le plus haut possible dans le classement. C’est un travail de longue haleine. Cette année, on pose la première pierre et pour l’instant, on est vraiment focus là-dessus. On est en train de poser les fondations, et c’est un projet à long terme. On y va step by step, ça prendra le temps qu’il faut. Ce qui est important, c’est qu’on a posé un cap avec une philosophie de jeu. On va le suivre, et on verra où on arrive.  »

Beach please
© BELGAIMAGE

Choisir Ostende

 » On regardait en Belgique depuis un moment, parce que le championnat se développe énormément à tous points de vue depuis cinq bonnes années. En plus, c’est l’une des ligues les plus scoutées en Europe « , explique Gauthier Ganaye, à l’heure de justifier le choix de Pacific Media Group pour le KVO, parmi le large éventail de clubs belges mis sur le marché.

Mais alors, pourquoi Ostende plutôt qu’un autre ?  » On aimait bien les infrastructures, avec un centre d’entraînement dernier cri et un stade parfait, à taille humaine. Et puis, c’est le seul club à être basé sur la côte belge. C’est un positionnement très particulier, et c’est plutôt attirant.  »

Définitivement convaincus par le soutien local important, aussi bien de la part des autorités communales – qui ont joué un rôle de médiation important dans la reprise – que par les supporters et les sponsors côtiers, les nouveaux patrons du KVO font donc aujourd’hui partie des huit clubs de l’élite détenus par des investisseurs étrangers. Une part du gâteau belge destinée à s’accroître, selon le président exécutif des Kustboys :  » Il n’y a plus beaucoup de clubs disponibles pour les investisseurs étrangers, et je suis persuadé que d’ici quelques années il n’y en aura plus aucun. Plus il y aura d’étrangers, plus les clubs seront structurés et plus le niveau de la ligue sera élevé.  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire