L’Australien a franchi très tôt une immense étape dans sa jeune carrière.

A 20 ans, Lleyton Hewitt est entré dans une autre dimension en remportant les Internationaux des Etats-Unis à Flushing Meadow. L’Australien s’offrit la cerise sur le gâteau en battant en finale Pete Sampras, finaliste l’an dernier, ancien numéro un mondial et quatre fois vainqueur à New York.

Au-delà du résultat acquis en trois sets, il y eut la manière. Malgré son jeune âge, Hewitt a une fois de plus démontré qu’il était doté d’une force de caractère exceptionnelle. Malgré l’importance de l’enjeu (il disputait sa première finale d’un Grand Chelem), le fiancé de Kim Clijsters sut allier détermination, calme et assurance. Un cocktail détonnant.

Pouvez-vous revenir sur votre victoire sur Sampras?

Lleyton Hewitt: Quand vous montez sur le court aux côtés de Pete pour disputer votre première finale d’un Grand Chelem, soit le match le plus important de votre carrière, vous éprouvez un sentiment incroyable. Un sentiment qui vous accompagnera jusqu’à votre mort. Pete est probablement le plus grand joueur de tous les temps encore en vie. J’étais très nerveux avant le match mais j’ai réussi à me contrôler. Après la balle de match, j’ai subitement réalisé que je devais aller lui serrer la main!

Justement, vous avez semblé tout au long de la finale extrêmement calme, comme si vous disputiez un match comme un autre. Comment avez-vous fait?

J’attendais ce moment depuis longtemps. Une finale de Grand Chelem est quelque chose à part. Je ne voulais pas laisser passer ma chance. J’étais prêt et surtout, je m’étais senti mieux au fil de mes rencontres durant toute la quinzaine.

Qu’avez-vous pensé au moment de brandir le trophée?

Avant de le recevoir, il était posé sur une table juste en face de moi. J’ai regardé les noms qui étaient gravés dessus et quand j’ai vu que le mien y était déjà, j’ai été parcouru d’une sensation de bonheur intense. Difficile de la traduire en paroles. Chaque joueur rêve d’une victoire dans un Major. J’ai vu je ne sais combien de grands champions s’imposer sous mes yeux à Melbourne. C’est ce genre d’instants auxquels vous rêvez. Mais y parvenir à mon âge, c’est vraiment fantastique!

« Il y a 4 ans, j’étais junior à Flushing »

Longtemps après la victoire, vous sembliez être perdu, comme si vous ne croyiez pas ce qui vous arrivait.

Oui parce qu’il y a quatre ans, j’étais venu à Flushing Meadow pour y disputer le tournoi junior. C’est d’ailleurs toujours la photo de l’époque que je portais sur mon badge. J’avais perdu au deuxième tour, je crois, contre Taylor Dent devant… nobody. Et là, j’étais devant les caméras du monde entier. Dans les vestiaires, j’ai dit à Kim: -Il faudra bien que je me réveille un jour.

Quelle importance le tie-break a-t-il eu, selon vous, dans le match?

Une énorme importance, c’est sûr. Il m’a permis de prendre un ascendant psychologique indéniable. Je savais que je devais absolument prendre un bon départ, sinon Pete m’aurait chargé sans arrêt dans la deuxième moitié du tie-break. J’ai réussi un superbe passing-shot à 4-3 et à partir de là, tout s’est mis en place à la perfection.

Pour mettre davantage de chances de votre côté, aviez-vous visionné la cassette de la finale de l’an dernier entre Sampras et Marat Safin afin de voir comment le Russe avait réussi à neutraliser l’Américain?

Je me souviens avoir regardé un set avant de rentrer en Australie parce qu’après avoir perdu en demi-finale, je n’avais aucune intention de m’éterniser à New York! Marat a su gérer lui aussi sa première finale d’un Grand Chelem. Je savais simplement qu’en croyant en moi, j’avais les moyens de gérer la pression et de m’imposer. Vous savez, pour un garçon de 20 ans à peine, je crois avoir déjà traversé pas mal de situations tendues, en Coupe Davis notamment, et je crois ne pas m’en être trop mal sorti.

Etiez-vous nerveux à la veille de la finale?

Oui. Si vous ne l’êtes pas avant un événement pareil, vous n’êtes pas un être humain. J’ai eu du mal à manger correctement. Le dimanche matin, je me souviens avoir eu beaucoup de difficultés à avaler mon petit-déjeuner. Franchement, il y a beaucoup d’autres gars moins dangereux que Pete à se farcir pour le premier grand rendez-vous de votre carrière!

« Sampras reste un immense champion »

Pensez-vous que l’aura qui entoure encore Sampras va maintenant diminuer après ses deux échecs successifs à New York?

Pas du tout! C’est un immense champion, sur et en dehors des courts. Après ce qui a été écrit sur lui suite à sa défaite en huitièmes de finale contre Federer à Wimbledon, il a voulu prouver à tout le monde qu’il était encore capable de gagner un Grand Chelem. J’en suis moi-même persuadé.

La veille de la finale, vous avez parlé à Patrick Rafter. Il s’est lui aussi retrouvé dans la même situation que la vôtre en 1997. Que vous a-t-il dit?

De monter sur le court et d’en profiter au maximum. C’est exactement ce que lui avaient dit Tony Roche et John Newcombe à la veille de sa propre finale. J’ai essayé de l’écouter mais je dois bien avouer que ce ne fut pas facile.

Et Kim Clijsters, vous a-t-elle donné un conseil?

Elle m’a dit de ne pas avoir peur et de profiter de l’instant présent. En gros, c’était ça. Elle est passée par là récemment et elle savait bien sûr qu’il s’agissait d’une grande opportunité pour moi. N’oublions pas qu’elle est passée à deux points de la victoire à Roland Garros. Elle a dû souffrir dans les tribunes comme moi à l’époque. Il est beaucoup plus facile de se retrouver sur le court, croyez-moi!

Cette victoire va-t-elle changer votre vie et si oui, comment?

Je ne sais pas. Je resterai la même personne. De retour chez moi en Australie, j’ai été heureux comme d’habitude de revoir les copains, ceux avec qui je jouaient au rugby quand j’étais plus jeune. A chaque fois que j’en ai l’occasion, on se retrouve avec un immense plaisir. On boit un coup ensemble et on rigole. Sur un plan purement sportif, ma victoire va m’ôter un fameux poids des épaules.

Une chose est sûre, à votre âge, aux Etats-Unis, vous n’avez pu fêter votre succès en buvant une bière.

( il rit) C’est vrai, il faut avoir 21 ans aux Etats-Unis! Aucun problème, en revanche, en Australie.

« Mon jeu en finale était naturel »

Le fait que vous réussissez à garder votre calme, croyez-vous que cela soit dû à votre personnalité?

Je n’en ai pas la moindre idée. C’est peut-être dû au fait que je suis très vite devenu le numéro 1 australien chez les juniors. Tout le monde voulait alors me battre et j’ai dû gérer très jeune la pression. Mentalement, je me suis très vite constitué une espèce d’armure qui s’est encore renforcée en grandissant.

L’an dernier, après sa victoire, Marat Safin disait qu’il ne reconnaissait pas le joueur qu’il avait été tout au long de la finale tant son tennis avait été brillant. Vous-même, considérez-vous votre performance comme un exploit ou comme quelque chose de naturel?

Plutôt quelque chose de naturel, je crois, qui est venue graduellement. Depuis que j’ai réussi à me qualifier pour l’Open d’Australie, en 1997, ce qui constitue à mon sens le véritable point de départ de ma carrière, mon classement n’a cessé de s’améliorer. Et puis il y a certains matches, et je pense ici à ma victoire en trois sets contre Kuerten en Coupe Davis, qui m’ont fait réaliser que j’avais un gros potentiel. Cela m’a procuré une énorme confiance en moi pour les rencontres où tout se retourne contre vous.

Sampras a déclaré que vous étiez le meilleur retourneur du circuit. Qu’en pensez-vous?

Que c’est un énorme compliment! Le retour de service est l’un de mes points forts, c’est certain. Mais il a fallu que je travaille plusieurs secteurs de mon jeu pour y arriver parce que je ne possède pas le service le plus performant. Je ne suis ni le plus grand joueur, et encore moins le plus fort physiquement du Tour. La seule solution pour moi était de parvenir à repousser les assauts des gros frappeurs. Quand j’avais neuf ou dix ans, je me retrouvais souvent face à des gars plus grands et plus costauds. Cela étant, le meilleur retourneur du circuit, pour moi, c’est Agassi.

« Mes idoles étaient plutôt suédoises »

Voilà bien longtemps qu’un Australien n’a plus gagné l’Open d’Australie ou Wimbledon. Curieux pour des joueurs qui viennent de remporter trois des cinq derniers US Open. Où est le problème?

Bonne question! C’est étrange, si quand je suis arrivé sur le circuit on m’avait demandé quel serait le tournoi du Grand Chelem que j’aurais pu remporter en premier, j’aurais probablement cité l’Australie. Reste que la surface utilisée à Flushing Meadow est assez similaire à celles sur lesquelles j’ai grandi.

Quels sont les joueurs australiens que vous avez le plus admiré pendant votre croissance?

A mon époque, le tennis australien vivait une période plutôt maigre. Pat Cash était le seul gars qui réussissait des choses dignes de susciter l’admiration.

Vous n’avez eu aucune autre idole?

J’aimais Mats Wilander. Il jouait un jeu similaire au mien. Il y avait aussi Stefan Edberg. Deux Suédois, bizarre non?

Vous jouissez en Australie d’une popularité mitigée. Vous avez par exemple longtemps refusé toute interview aux journalistes australiens. Croyez-vous que votre victoire va faire taire les critiques et que les gens vont se mettre à vous embrasser davantage?

Ce serait génial! Vous savez, j’adore jouer devant mes compatriotes. Je suis certain que l’Australie entière voulait me voir gagner la finale. J’appartiens à un pays qui aime supporter ses athlètes de haut niveau, quel que soit la discipline qu’ils pratiquent.

« Pat Rafter va continuer à m’aider »

L’histoire du sport a toujours comporté deux catégories de joueurs: ceux dotés d’un grand talent et ceux qui affichent une forte personnalité et à qui l’on a toujours dit de faire ou de ne pas faire ceci ou cela. Vous appartenez à cette deuxième frange. L’US Open va-t-il changer votre comportement sur les courts?

Quand je sentirai que j’en aurai besoin, vous me verrez encore crier ou lever le poing pour me donner le coup de fouet nécessaire. Cela fait partie de mon caractère et je ne changerai jamais cela. Reste que mes trois derniers matches à New York ont prouvé que je pouvais rester aussi très calme sur un terrain. C’est obligatoire dans un tournoi aussi long qu’un Grand Chelem où il faut s’économiser si l’on veut arriver frais au bout de la quinzaine.

La période qui s’est ouverte devant vous s’annonce particulièrement délicate en matière de sollicitations diverses. Et cela va aller en augmentant car l’Open d’Australie n’est pas si lointain finalement. Quelles sont les personnes qui vont vous aider et dont vous voudrez recevoir des conseils?

Il y en aura beaucoup. Avant toute chose, mon coach et les membres de ma famille. Puis il y aura Pat Rafter. Il a tout connu avant moi et sait de quoi il retourne. Il m’a pris sous son aile protectrice depuis que j’ai commencé. Je lui dois beaucoup, à commencer par mon succès new-yorkais. Certains se sont sans doute demandé pourquoi il faisait ça avec un joueur qui allait forcément représenter un danger mais Pat est comme ça. C’est quelqu’un de bien qui aide beaucoup les juniors australiens. Enfin, j’irai demander conseil à John Newcombe et à Tony Roche, les deux anciens. Eux aussi m’ont beaucoup guidé jusqu’ici.

Les allégations à caractère raciste proférées durant votre match du deuxième tour face au joueur afro-américain James Blake vous ont-elles appris quelque chose?

Je ne me suis pas retrouvé dans une position très enviable, je dois l’admettre. Ce n’est pas le genre d’incidents auquel on rêve lorsqu’on est en plein tournoi du Grand Chelem. Mais il a fallu faire avec. Mentalement, j’ai dû fermer la porte à tout cela et je suis extrêmement fier d’y être arrivé. Il a fallu que je retourne dans l’arène alors que tout le monde avait le regard braqué sur moi.

Ce fut la plus mauvaise expérience de votre carrière?

L’une des plus mauvaises. Vous savez, je n’ai rien voulu dire de mal pendant ce match, tout a été monté en épingle très rapidement. J’ai été attaqué au bazooka et cela a été très pénible parce que je savais au fond de moi-même que j’étais innocent.

Le lendemain de l’incident, vous avez tenu une conférence de presse pour réexpliquer votre point de vue. Une épreuve particulièrement pénible pour un jeune de 20 ans.

C’est une expérience qui va me permettre de progresser, j’en suis sûr. J’apprendrai à mieux gérer mes relations avec la presse. Pour devenir une meilleure personne et un meilleur joueur, il faut parfois passer par des moments difficiles sur et en dehors des courts. New York a constitué une étape importante en la matière.

Florient Etienne

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