BATMAN OU BAD MAN?

Il s’est auto-proclamé Batman de l’athlétisme mais, aux yeux de beaucoup, Justin Gatlin est juste un bad man, un ex-dopé qui ne devrait pas avoir le droit d’être sacré champion du monde du 100 mètres dimanche. Chronique d’un possible triomphe dans un climat lourd de soupçons.

Pékin, 23 août 2015, 13 h 15 (européenne) : finale du championnat du monde du 100 mètres. Ou le remake du Bon et du Méchant. A ma gauche, le Jamaïcain Usain Bolt (28) qui, en 2008, dans ce même Nid d’Oiseau, a conquis le monde grâce à ses pas de danse et, surtout, des records du monde impressionnants. Six fois champion olympique, huit fois champion du monde, c’est le meilleur sprinter de tous les temps.

A ma droite, l’Américain Justin Gatlin, pris deux fois pour dopage et que de nombreux athlètes propres veulent renvoyer aux oubliettes mais qui, à 33 ans, court plus vite que jamais. Tout le monde s’attend à ce que, pour la première fois depuis les JO de 2008, celui qui se surnomme The Renaissance Man sur Facebook devienne le champion du monde le plus impopulaire de l’histoire.

Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Aux Jeux olympiques d’Athènes 2004, furieux parce qu’un soi-disant officiel était entré dans la chambre d’appel pour faire une photo de ses tatouages, Gatlin avait battu le grand favori, Maurice Greene, pour décrocher la médaille d’or.

Une étoile était née. Gatlin avait 22 ans, une tête d’ours en peluche, un diamant à l’oreille, de bonnes manières et il jouait du piano. Un bon gars qui se disait ouvertement opposé au dopage et disait dans la presse américaine vouloir  » lutter pour rendre une bonne image à l’athlétisme.  »

Mais peu après la conférence de presse, dans les coulisses du stade olympique, une scène étrange avait lieu : son coach, Trevor Graham, confirmait que c’était lui qui, en 2003, avait déclenché la fameuse affaire BALCO en envoyant une aiguille infectée au THG (un stéroïde alors indécelable et fabriqué par le laboratoire BALCO) aux instances de lutte contre le dopage.

 » J’ai fait ce qui, à ce moment, me semblait juste « , disait Graham. Beaucoup considéraient cependant qu’il avait voulu se venger de Marion Jones et Tim Montgomery, ses anciens athlètes, ainsi soupçonnés de dopage. Etrangement, en 2006, c’est le coach lui-même qui allait être condamné pour son rôle dans l’affaire BALCO.

A Athènes, en 2004, tout cela ne se sait pas encore et les dénonciations de Graham ne semblent pas avoir d’impact négatif sur le titre olympique de Gatlin. On dit, au contraire, que celui-ci est propre et a gagné en l’absence de Tim Montgomery, soupçonné de dopage.

De plus, la nouvelle star a une belle histoire, comme les Américains les aiment : il a grandi dans une famille pauvre de Brooklyn, où il sautait au-dessus des bouches d’incendie dès l’âge de quatre ans, comme s’il s’agissait de haies d’athlétisme. Plus tard, lorsque ses parents déménagèrent en Floride, le jeune Gatlin allait plus vite à pied que ses camarades à vélo.

Devenu étudiant à l’université du Tennessee, il abandonnait les haies pour le sprint. A l’âge de 19 ans, il remportait six titres de champion universitaire et Nike lui offrait un joli contrat, voyant en lui un futur champion, malgré des troubles du déficit de l’attention avec hyperactivité (ADHD).

SUBSTANCE INTERDITE

C’est justement cette maladie qui, en 2001, entachait pour la première fois son blason : en 2001, Gatlin était pris pour dopage aux amphétamines et l’IAAF le suspendait pour deux ans avant de lever sa suspension parce que l’Américain démontrait que l’Adderall, un médicament luttant contre l’ADHD et qu’il prenait depuis tout petit, était à l’origine du contrôle positif.

Cette histoire était rapidement oubliée et Gatlin poursuivait sa route vers le sommet. En 2003, il était sacré champion du monde en salle. L’année suivante, il décrochait l’or olympique sur 100 mètres et le bronze sur 200. En 2005, il devenait champion du monde sur les deux distances et en mai 2006, à Doha, il égalait le record du monde du 100 mètres d’Asafa Powell dans un temps de 9.77. Il avait 24 ans, le monde était à ses pieds.

Mais un mois plus tard, le même Gatlin apprenait qu’en avril, lors d’un meeting au Kansas, il avait présenté un taux de testostérone trop élevé. L’athlète clama son innocence, prétendant qu’un soigneur lui avait massé le dos avec une pommade contenant une substance interdite.  » J’ai été volé et je vais me battre pour revenir « , dit-il.

Il risquait une suspension à vie – c’était la deuxième fois qu’il était pris pour dopage – mais, comme la première sanction avait été levée, il n’écopait que de huit ans. En décembre 2007, la peine était ramenée à quatre ans car Gatlin avait collaboré à l’enquête dans l’affaire BALCO, témoignant même contre Graham, son ex-coach.

Sa carrière semblait cependant terminée. Pendant sa suspension, pour garder la forme, il s’entraînait avec les Houston Texans et les Tampa Bay Buccaneers, des clubs de football américain. Il impressionnait par sa vitesse mais on ne lui proposait pas de contrat. Il passait alors de plus en plus de temps devant la télévision et grossissait de plus de dix kilos.

On le surnommait même Fat Boy. Plus tard, il dira avoir tiré beaucoup d’enseignements de cette période.  » Je n’ai jamais vraiment eu le temps de grandir. J’étais un jeune adulte qui travaillait et payait ses factures. Cette suspension m’a donné la chance de voir la vie comme un tout.  »

C’est donc un autre homme qui effectue son retour en 2010.  » La piste d’athlétisme, c’est mon monde, j’y suis chez moi « , dit-il.  » Je suis un livre dont vous n’avez encore lu que la moitié. Maintenant, vous allez découvrir la suite.  »

Au début, la deuxième moitié du livre ne semble pourtant pas très passionnante. Lors de sa première saison, il ne fait pas mieux que 10.09 et, en 2011, après avoir signé un temps de 9.95 lors des trials nationaux, il est éliminé en demi-finale des championnats du monde. On parle davantage de lui pour ses apparitions dans un show télévisé japonais qui lui a offert 25.000 $ pour courir le 100 m. en 9.45 avec l’aide d’une turbine à vent.

DE PLUS EN PLUS VITE

Peu de gens l’en croient encore capable mais, à partir de là, Gatlin se met à courir de plus en plus vite. Aux Jeux olympiques de Londres, il décroche même la médaille de bronze en 9.79, derrière Usain Bolt et Yohan Blake. Pendant son tour d’honneur, le public le hue mais il garde le sourire.

Alors que tout le monde pense qu’à 30 ans, ses meilleures années sont derrière lui, Gatlin se sent plus fort que jamais. En 2013, à Rome, il bat même Bolt, qu’on croyait invincible mais qui prend sa revanche lors des championnats du monde de Moscou, où Gatlin doit se contenter de la deuxième place.

Comme Bolt capte toute l’attention, Gatlin passe relativement inaperçu. Mais en 2014, lorsque Bolt passe plus de temps en discothèque que sur la piste, l’ex-champion olympique revient au premier plan. Il est invaincu pendant un an et, à 32 ans, il bat ses records personnel du 100 m. (9.77 au Mémorial Van Damme) et du 200 m. (19.68 à Monaco).

Plus ses temps diminuent, plus le scepticisme augmente. Sur les réseaux sociaux, les fans se déchaînent également, transformant le slogan de Nike en Just dope it. Mais Gatlin contre-attaque :  » Lorsque j’ai décroché la médaille de bronze à Londres et que je courais en 10.09, tout était cool. Not a peep. Mais maintenant que je cours vite, certains se sentent mal. Il est dommage de penser que celui qui se dope une fois se dopera toujours. Cela veut dire qu’on ne croit pas dans la lutte antidopage. J’ai purgé ma peine et on continue à me persécuter avec des choses qui me sont arrivées il y a dix ans.  »

 » Des choses qui me sont arrivées « … Voilà le genre de phrase qui dérange car elle démontre que, contrairement à Dwain Chambers, qui fait profil bas dans les médias, le New-Yorkais ne regrette rien. Il continue à prétendre qu’à l’époque, c’est un masseur qui l’a dopé à la testostérone.

Plus encore que son attitude, ce sont les chiffres qui le rendent suspect. Cette année, il a de nouveau amélioré ses records personnels du 100 m. (9.74 à Doha) et du 200 m. (19.57 lors des trials américains), devenant ainsi le cinquième sprinter de tous les temps sur les deux distances. A 33 ans et sans dopage, selon lui.

Or, de tous les athlètes qui ont couru le 100 m. en 9.80 ou moins, personne n’avait plus de 27 ans. Usain Bolt n’avait que 22 ans lorsqu’il a battu son record du monde. Yohan Blake aussi. Asafa Powell, Nesta Carter et Maurice Greene avaient 25 berges. Le plus vieux, c’était Tyson Gay, âgé de 27 ans lorsqu’il a couru en 9.69.

DES SOURIS ET DES HOMMES

Selon les critiques, il y a deux explications possibles aux progrès tardifs de Gatlin : soit il prend un produit indécelable, soit il bénéficie toujours des avantages de sa cure de testostérone de 2006 (voire d’avant). Ils appuient leurs dires sur une étude de l’université d’Oslo. Les enquêteurs ont injecté le produit à des souris dont les muscles, par un effet-mémoire, ont été stimulés longtemps après la prise.

Selon Gatlin, c’est absurde.  » Pourquoi, dès lors, courais-je moins vite en 2010 et en 2011 que maintenant ? On ne peut pas comparer les gens et des souris de laboratoire. De plus, de nombreux athlètes n’ont jamais retrouvé leur niveau après une suspension pour dopage. Moi oui, parce que j’ai travaillé dur.  »

Et d’ajouter froidement :  » Comme je n’ai pas fait d’athlétisme pendant quatre ans, je n’ai pas 33 ans mais 28 ou 29. J’ai traversé le temps, je ne suis pas usé. Je fais juste ce que je sais faire de mieux : courir vite.  »

A moins qu’Usain Bolt ne retrouve subitement la forme (hormis deux fois 9.87 le 24 juillet à Londres, on ne l’a pas encore vu cette saison), il y a de fortes chances que personne ne va courir plus vite que Justin Gatlin dimanche après-midi à Pékin. S’il bat le Jamaïcain dans le Nid d’Oiseau et s’il répète cet exploit dans un an à Rio, un ouragan de critiques s’abattra sur celui qui sera plus que jamais bad man, le symbole d’un athlétisme sali par le dopage.

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS BELGAIMAGE

A cause de Gatlin, les fans se sont déchaînés, transformant le slogan de Nike, Just do it en Just dope it.

L’âge aidant, plus les temps de Justin Gatlin diminuent, plus le scepticisme augmente.

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