Bataille royale

Barcelone-Real Madrid : le match qui passionne toute l’Espagne est l’un des grands duels du football mondial. En voici les raisons.

Le week-end prochain, le FC Barcelone reçoit le Real Madrid. Chaque année, ce duel attise les passions. Les villes de Madrid, capitale de l’Espagne depuis 1606, et de Barcelone, capitale de la Catalogne, sont séparées par 600 kilomètres, mais idéologiquement, la distance est bien plus grande. Madrid symbolise la centralisation du pouvoir politique alors que Barcelone symbolise la force de la périphérie, assortie de l’un ou l’autre sentiment indépendantiste.

En tant que clubs de football, le Real Madrid et le FC Barcelone ont véhiculé ces idéologies tout au long d’une histoire vieille de plus de cent ans. Néanmoins, au-delà des différences économiques, géographiques et historiques, la grande rivalité entre les deux équipes porte également le nom d’un footballeur : AlfredoDiStefano.

Domination catalane au départ

C’est Barcelone qui, le premier, vit la lumière du jour : fondé le 29 novembre 1899 par HansGamper Le Suisse a donné son nom au trophée Juan Gamper qui, chaque année, ouvre la saison des blaugranas. Trois ans plus tard, le 6 mars 1902, naquit le Madrid Football Club. Curieusement, à l’initiative d’un… Catalan : JuanPadros. Le club reçut l’appellation de Real en 1920 grâce à une concession du roi Alfonso XIII.

Le premier duel entre les deux entités se joua le 13 mai 1902. Barcelone l’emporta 3-1 dans la première édition de la Coupe. Jusqu’à la création de la Liga, en 1928, les deux équipes disputèrent leur championnat régional au sein duquel elles ne se rencontraient pas. Les seuls affrontements possibles avaient donc la Coupe pour théâtre. En cette période, la domination fut dans un premier temps catalane : Barcelone remporta dix Coupes, contre six à Madrid.

En 1929, Barcelone remporta la première édition de la Liga. Son rival inscrivit son nom au palmarès en 1932 et 1933. En 1936, le football – comme toutes les autres activités dans le pays – fut paralysé par une guerre civile déclenchée après le coup d’Etat du général FranciscoFranco. Le conflit se termina en 1939 et déboucha sur une dictature qui persista jusqu’en 1975. Sous le nouveau régime de Franco, tous les clubs furent subventionnés et leurs présidents furent élus par le gouvernement. La langue catalane fut interdite par les pouvoirs publics et le FC Barcelone dut modifier son écusson (les bandes du drapeau catalan furent réduites). Cette répression accentua le sentiment nationaliste, enfoui sous la privation de liberté, et le Barça (comme on l’a baptisé de façon populaire) s’érigea en symbole de celui-ci.  » Le club s’accapara ce sentiment d’appartenance catalane et les nationalistes utilisèrent le Barça pour l’exprimer. Les deux parties en tirèrent bénéfice « , analyse Xavier G. Luque, journaliste spécialisé dans l’histoire du football catalan.

En dépit de la répression politique, le club azulgrana vécut une période de splendeur dans les années 40 et 50. Emmené par le Hongrois LadislaoKubala, il remporta deux titres de champion et trois Coupes entre 1951 et 1953. De son côté, Madrid ne parvenait plus à remporter de titre depuis 1933. La rivalité entre les deux équipes n’allait pas au-delà de celle qui pouvait exister avec les autres équipes de la Liga. Tout changea à partir de 1953…

Di Stefano change l’histoire

Di Stefano avait brillé lors d’un match amical qu’il avait disputé à Madrid avec les Millonarios de Bogota. Suspendu par la FIFA pour avoir quitté River Plate afin d’émigrer en Colombie, le joueur argentin intéressa à la fois le Real Madrid et le FC Barcelone.

Les Merengues conclurent un accord avec les Millonarios, tandis que les Blaugranas – qui craignaient de perdre Kubala, atteint d’une tuberculose – s’entendirent avec River Plate. Confrontée à ce double contrat, la Délégation Nationale des Sports (anciennement Conseil Supérieur) rendit un jugement de Salomon : le joueur serait contraint dé défendre les couleurs des deux clubs de façon alternée (il jouerait une saison dans une équipe et une autre saison dans l’autre durant quatre ans). Barcelone refusa ce jugement et, soulagé à l’idée de récupérer Kubala qui se remettait physiquement, se résigna à laisser Di Stefano à l’adversaire.

Au fil du temps, cette décision fut perçue à Barcelone comme un acte de favoritisme à l’égard du club madrilène. BernardodeSalazar, historien du football espagnol, pense tout le contraire.  » Le gouvernement n’a nullement influencé cette décision « , estime-t-il.  » D’autant que peu de personnes, à l’époque, savaient qui était réellement Di Stefano. Franco n’aimait même pas le football. Toutes les légendes qui sont nées à Barcelone sont basées sur des fausses rumeurs et ont été accentuées à partir du moment où le joueur a remporté cinq Coupes d’Europe des Clubs Champions avec le Real Madrid « .

Et de fait : avec l’arrivée du joueur argentin, l’histoire du club présidé par SantiagoBernabeu changea radicalement. En 11 années de présence au Real Madrid, Di Stefano s’érigea en pièce maîtresse d’une équipe qui, outre cinq Coupes d’Europe, remporta également huit titres de champion. C’est à partir de ce moment que la courbe de résultats des deux clubs s’inversa et que les Madrilènes étoffèrent leur palmarès au détriment du rival catalan. A partir de 1953, ils s’adjugèrent 28 de leurs 30 titres, alors que parallèlement, Barcelone n’en remporta plus que 12 (sur un total de 18). Ils imposèrent leur domination à l’Espagne et à l’Europe entière. Le Real Madrid a remporté neuf Ligues des Champions (dont cinq d’affilée, entre 1956 et 1960), pour deux à Barcelone (la première seulement en 1992).

Le bilan des affrontements directs est également favorable au Real Madrid. Depuis leur premier duel en 1902, les deux clubs – qui ne sont jamais descendus en D2 – se sont affrontés à 201 reprises : 83 victoires blanches, 77 succès blaugranas et 41 partages. Le Barça se console en sachant qu’il est le seul à avoir été européen chaque année et qu’il possède un meilleur palmarès en Coupe du Roi (24 contre 17).

Plus qu’une rivalité sportive

Depuis l’envol du Real, la rivalité avec le FC Barcelone n’a cessé de s’accroître. Elle a atteint son apogée après la mort de Franco. Le retour de la démocratie accentua le sentiment nationaliste, adopté par le Barça. Il fit sien l’adage mas que un club (plus qu’un club). Ses victoires furent perçues comme des triomphes de la Catalogne sur le pouvoir central. C’est également l’avis de Salazar :  » Depuis le changement de régime, la rivalité est allée bien au-delà de l’aspect purement sportif. Aujourd’hui, les dirigeants des deux clubs entretiennent de bonnes relations, mais tout ce qui gravite autour contribue à attiser les passions « .

Les difficultés rencontrées par les Catalans pour remporter des titres (quatre fois champion en 38 ans, de 1953 et 1991) provoquèrent chez eux un sentiment d’infériorité, qu’on ne pouvait combattre qu’en battant (ne fût-ce qu’une fois par an) le grand rival. Quelques décisions polémiques favorables au Real Madrid accentuèrent également l’impression que le club de la capitale jouissait des faveurs du corps arbitral.

Le DreamTeam de JohanCruijff et l’équipe actuelle emmenée par Ronaldinho et SamuelEto’o ont permis de vaincre ce sentiment d’infériorité qui avait perduré durant de longues années. Mais, pour autant, le clásico n’a rien perdu de sa magie et attise toujours autant les passions. La Catalogne et Madrid continuent à s’affronter sur le terrain et tous les supporters, quelles que soient leurs couleurs, participent à cette rivalité.

par rafa jimenez (esm)

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