Basta, Gumienny !

Le Limbourgeois est désormais considéré comme notre meilleur arbitre mais aura du boulot pour se refaire une virginité.

F rank De Bleeckere a définitivement quitté la scène le week-end dernier. Le phare de notre arbitrage s’est éteint. Pour prendre sa place, la Commission centrale des arbitres (CCA) a tranché, Serge Gumienny devient le referee belge numéro 1. Gumienny : 39 ans, né et résidant à Saint-Trond, un look de shérif, un homme cassant et distant voire inabordable, un diplôme universitaire en commerce, un boulot de manager chez Ford Genk.

Le choix de la CCA étonne parce qu’il est l’un des arbitres les moins appréciés par les dirigeants de clubs, les entraîneurs et les joueurs. Son palmarès dans le concours de l’Arbitre de l’Année est sans équivoque : depuis ses débuts en 1999-2000, il n’a jamais figuré sur le podium. Et il ne s’est classé qu’une fois dans le top 10 ! Quand le blondinet est au sifflet, l’incident menace. Retour sur ses plus grosses sorties de route.

Dindane, son meilleur ennemi

En décembre 2002, Aruna Dindane, d’un coup de coude accidentel dans le feu d’une discussion, blesse Gumienny à la lèvre et est exclu. Deux ans plus tard, l’arbitre offre un penalty imaginaire à l’Anderlechtois lors d’un match contre Ostende et cela fait hurler Dimitri Habran, le gardien du littoral, qui prend en plus une carte rouge et quitte le terrain en pleurs :  » Gumienny est incompétent, il ne mérite pas d’arbitrer en D1. Il joue avec notre argent.  »

Il y a aussi une histoire de penalty contestable contre La Louvière. Dindane est soupçonné d’avoir simulé, Gumienny dit :  » S’il s’est à nouveau laissé tomber, c’est très grave. En agissant ainsi, il trahit le football belge, son club et lui-même. A l’avenir, plus aucun arbitre ne sifflera encore penalty pour lui.  » Et en fin de saison 2004-2005, nouveau clash Gumienny-Dindane. Au Club Bruges, l’Ivoirien est dégoûté par plusieurs décisions de l’arbitre et veut quitter le terrain avant la demi-heure. Il va vers le banc et demande son remplacement. Frankie Vercauteren et ses adjoints lui imposent de rester au jeu. Après coup, Dindane lance :  » Tout le monde se déplace pour voir un Bruges-Anderlecht. C’est un grand événement mais une personne avait décidé de tout gâcher. Chaque fois que je réalisais une action, Gumienny sifflait.  » Après la rencontre, on rappelle à Dindane qu’il avait dans le passé deux fois trompé le Limbourgeois en plongeant dans le rectangle. Il répond :  » S’il a voulu se venger, c’est une attitude enfantine.  »

Ballon crevé, Pauwels et ophtalmo

Fin 2004, Walter Baseggio envoie un obus dans le but de Silvio Proto lors du match Anderlecht-Louvière. Au moment de remettre le ballon en jeu, des Louviérois constatent qu’il est explosé. La TV montrera qu’il a éclaté entre le moment où Baseggio le touchait et son entrée dans le goal. D’après le règlement, le but ne devait pas être validé, il fallait interrompre le jeu puis le reprendre par une balle – gonflée ! – à terre. Gumienny n’aurait pas pu voir que le ballon explosait. Mais cette anecdote fait longtemps la une parce que La Louvière demande qu’on rejoue le match. La CCA lui donnera tort.

Stéphane Pauwels, manager de l’époque à La Louvière, a fourni un conseil au referee :  » Il est incompétent, il doit changer de métier ou consulter un ophtalmologue.  » Le Limbourgeois veut attaquer Pauwels en justice, la Fédération classera l’affaire. Bien plus tard, l’arbitre avouera :  » Cette histoire m’a poursuivi pendant des mois. La Louvière était sur mon dos, les médias aussi. J’ai consulté le psy de la CCA, il m’a appris à gérer mon stress. Ce fut la période la plus difficile de ma carrière. On m’a renvoyé à des matches de D2 et même de D3, je devais à nouveau prouver que j’avais le niveau.  »

Brussels-Mons dégénère complètement

En mars 2005, Jos Daerden, entraîneur de Mons, critique Gumienny pendant un match au Brussels et est exclu de la zone neutre. Après la rencontre, c’est le chaos sur le chemin des vestiaires, l’arbitre doit être protégé par des stewards et est éc£uré :  » Il me reste 12 ans de carrière, mais si ça continue comme ça, je ne sais pas si j’irai au bout.  »

L’Union belge a la main lourde : trois mois d’interdiction de zone neutre et 5.000 euros d’amende pour Daerden, 1.250 euros pour Marc Schaessens (Mons), 250 euros pour Ivan Willockx (Mons), suspension de zone neutre et 250 euros pour le délégué montois Mario Leone, 500 euros pour le dirigeant Geo Vanpyperzeele.

75e arbitre belge

Octobre 2005. Un Club Bruges-Westerlo finit mal. Les Flandriens gagnent grâce à Gumienny qui leur a accordé un penalty imaginaire. Herman Helleputte, le coach de Westerlo, affirme en fin de soirée :  » Je suis furieux contre Gumienny. Nous n’avons pas perdu contre Bruges mais contre lui. Tout le monde a vu que Ronny Gaspercic n’avait pas touché Bosko Balaban sur ce soi-disant penalty. Je lui ai dit à la mi-temps qu’il n’était pas le n° 4 du pays mais le n° 75.  » Helleputte a été immédiatement expédié en tribune.

 » Il se trouve super, on ne sait pas parler avec lui « 

Novembre 2006, défaite d’Anderlecht à Gand et frustrations dans le vestiaire mauve. OlivierDeschacht :  » Gumienny a commis une erreur qui n’est pas acceptable à ce niveau.  » Bart Goor :  » On ne sait pas parler avec Gumienny. Il se sent trop fort et trop puissant puisqu’il décide tout. Bref, il se trouve super.  » Jelle Van Damme :  » L’arbitre n’était pas à la hauteur. Je ne veux plus trop avoir ce Gumienny comme arbitre.  »

Réaction de la cible :  » Je comprends la frustration des Anderlechtois. Ce n’est pas gai de perdre à Gand. « 

Menaces de mort et cure de D2

Genk et Gumienny, c’est une longue histoire de désamour. Il y a eu la terrible collision entre Logan Bailly et Joseph Akpala en 2008 lors du match à domicile contre le Club Bruges. Un moment inanimé, le Nigérian s’est finalement relevé et a reçu sa deuxième carte jaune. Alors qu’il n’avait pas touché volontairement le gardien de Genk. Cette image a scandalisé beaucoup d’amateurs de foot et Jacky Mathijssen, entraîneur du Club, a lancé de concert avec son gardien Stijn Stijnen :  » Ce n’est pas malin de désigner pour un match de Genk un arbitre qui habite à deux kilomètres du stade.  » Ils se trompaient. Gumienny travaille à Ford Genk mais réside à Saint-Trond, à une cinquantaine de kilomètres.

En octobre 2009, nouvel incident, cette fois au détriment du Racing. Après un match au Standard et à nouveau une sombre histoire de penalties – un coup de réparation cadeau qui permet aux Rouches de gagner, deux penalties refusés aux Bleus – Hein Vanhaezebrouck, coach de Genk, part à l’abordage :  » On m’avait prévenu que Gumienny ne voulait surtout pas être soupçonné d’avantager les clubs limbourgeois. Je n’y croyais pas. Maintenant, j’ai vu et j’y crois complètement.  » Erik Gerits, attaché de presse de Genk :  » Je n’ai rien contre l’homme, mais chaque fois qu’il nous arbitre, c’est la misère. Le fait qu’il travaille chez Ford devrait être un argument suffisant pour qu’on ne le désigne plus à nos matches. Paul Allaerts travaille chez Dexia et il ne siffle jamais le Club Bruges, dont son employeur est le sponsor principal.  »

Robert Jeurissen, patron de la CCA, décide d’écarter Gumienny de Genk pendant quelques mois :  » On ne veut pas non plus provoquer inutilement les clubs.  » Le Limbourg, c’est provisoirement fini pour lui car il n’arbitre jamais des matches de Saint-Trond, la ville où il réside.

Ce Standard-Genk provoque d’autres dégâts. Gumienny reçoit des menaces de mort par courrier et la police va patrouiller pendant plusieurs jours autour de son domicile. La lettre dit ceci :  » On va te démolir. Tes jours sont comptés. Supporters KRC Genk « . Le referee dédramatise :  » Ça ne m’empêche pas de dormir. Je suis assez fort dans la tête pour ramener des trucs pareils à des proportions normales. Et ce n’est pas la première fois que je reçois une lettre de menaces.  » Pour pourrir encore un peu plus sa vie, la CCA envoie Gumienny faire un mini-stage en D2. Il feint de s’interroger :  » Je ne sais pas si c’est une sanction.  » Jeurissen confirmera qu’il s’agit bien d’une punition suite aux événements de Standard-Genk.

La floche de sa vie

Décembre 2008, Anderlecht-Tubize. Nicolas Frutos botte un penalty et marque, mais Mbark Boussoufa est entré trop tôt dans le rectangle. Donc, le penalty doit être à nouveau tiré. Gumienny se plante, il accorde un coup franc à Tubize. A la mi-temps, l’arbitre et ses assistants consultent le règlement et se demandent s’ils n’ont pas commis une énorme bourde. C’est le cas. Gumienny avoue le lendemain qu’il a très mal dormi :  » C’est une erreur terrible, impardonnable à ce niveau. Mais une seule faute ne suffira pas à me faire douter de mes capacités.  » Un de ses juges de ligne, facteur dans le civil, dit :  » Au boulot, il y a au moins 20 types qui se sont foutus de ma gueule !  »

Si Anderlecht avait intenté un recours, le match aurait dû être rejoué. Mais les Mauves ont gagné facilement, il n’y a donc pas de suite à la Fédération. Jeurissen est fort critique :  » Je n’avais jamais vu une bourde pareille, c’est incompréhensible et inacceptable, surtout de la part d’un arbitre international. C’est tellement exceptionnel que notre échelle de cotations ne prévoit même pas ce cas de figure. Cela lui vaut en tout cas un très mauvais rapport pour ce match et il va devoir enchaîner les bonnes prestations pour obtenir sa moyenne en fin de saison. Son contrat est en jeu. Je ne doute pas des qualités de Serge mais cette histoire pourrait salir son image dans toute l’Europe. « 

Un journal flamand écrit qu’une floche comme celle-là est encore plus surprenante quand elle est commise par un arbitre qui en était à son 142e match en D1. Un autre signale :  » D’un homme qui touche 1.500 euros par rencontre, on attend au moins qu’il connaisse son règlement. « 

 » Beaucoup, beaucoup, beaucoup « 

Le triple  » beaucoup  » d’ ArielJacobs, après le Gand-Standard qui envoie les Rouches et Anderlecht à un double test-match en mai 2009 restera dans le livre d’histoire de notre foot. Quand il publie ses mémoires, le coach mauve donne l’explication. Il revient sur le penalty pour Gand, à la dernière minute : Bryan Ruiz tire, Sinan Bolat arrête l’envoi. Si le Sud-Américain avait marqué, Anderlecht aurait été champion le soir même.

Dans son livre, Jacobs rappelle que Gumienny avait tenu compte d’un joueur entré trop tôt dans le rectangle sur le penalty d’Anderlecht-Tubize. Et il dit :  » Sur celui de Ruiz, je vois trois ou quatre Standardmen pénétrer dans le rectangle avant le tir mais Gumienny ne bronche pas, il laisse le jeu se poursuivre après l’arrêt de Bolat. C’est ça qui m’interpellait beaucoup ! Rappelez-vous que cette phase a décidé du titre de champion. « 

Mathijssen raye définitivement l’homme

Mathijssen, coach de Lokeren, est démonté après un match à Mouscron en fin d’année 2009. Il a été expédié en tribune et ne le digère pas.  » Il y a eu un accrochage entre deux joueurs, rien de méchant mais Gumienny a donné deux cartes jaunes. Une sanction inutile dans un match très correct. Je me suis levé et j’ai interrogé le quatrième arbitre : -Pourquoi ? Comme il refusait de me répondre, j’ai posé la même question à Gumienny. Je n’ai rien dit d’autre. Si le mot pourquoi est impoli, alors oui, je suis un impoli. Grâce à lui, je vais devoir perdre mon temps à la Fédération pour m’expliquer. Là-bas, on m’annoncera que je suis innocent mais que je dois quand même payer une amende de 1.500 euros. Mais qu’est-ce qu’il faut faire dans la vie de tous les jours pour être condamné à une amende aussi élevée ? Il faut frapper un policier au visage ! Je continuerai à respecter l’arbitre Gumienny, mais pour moi, l’homme n’existe plus.  »

Anderlecht-Bruges, frustration partout

Le 2-2 qui sanctionne Anderlecht-Bruges en avril 2011 est un des matches les plus spectaculaires des play-offs. Une fois encore, l’arbitre trudonnaire est un acteur majeur. Après le match, tout le monde est mécontent. Carl Hoefkens :  » Sur le deuxième but d’Anderlecht, je reçois un coup de Romelu Lukaku. Tout le monde l’a vu, sauf Gumienny.  » Karel Geraerts :  » Il sifflait toutes les petites fautes en faveur d’Anderlecht.  » Boussoufa :  » J’avais l’impression qu’Anderlecht devait payer pour l’exclusion discutable de Ronald Vargas ( NDLR : à l’époque joueur du Club Bruges) la semaine passée. Je l’ai dit à l’arbitre.  » Proto :  » A cause de plusieurs mauvaises décisions arbitrales, nous sommes tous devenus nerveux.  » Jacobs :  » Il n’y a pas que mon équipe qui a perdu le contrôle en deuxième mi-temps. L’arbitrage a tué ce match.  »

Pietje Precies

Le dernier arbitrage contesté de Gumienny date du début de ce mois : Lokeren-Standard. Il siffle un penalty discutable commis par Réginal Goreux. Bolat râle et reçoit une carte jaune. Il dit :  » J’ai signalé à Gumienny qu’avec lui, c’était toujours la même chose. Il donne un penalty sur l’avis de son assistant qui était beaucoup plus éloigné de la phase que lui.  » Sébastien Pocognoli :  » Gumienny n’était pas du tout dans le match. Nous prenons trois cartes jaunes pour rouspétances alors que nous avons seulement essayé de lui parler sur un ton très poli.  »

Ce soir-là, il y a aussi l’histoire de la cagoule de CopaBoubacar. L’Ivoirien lancera après la rencontre :  » J’avais froid « . Mais il a dû jouer tête nue. Encore un coup de Pietje Precies. C’est le surnom qu’un quotidien flamand a donné à Gumienny. Le tatillon de service…  » Il applique beaucoup trop la lettre, il ne tient pas compte de l’esprit ou de circonstances particulières. Avec lui, le jeu est continuellement interrompu parce qu’il siffle pour un oui, pour un non. Ainsi, il se met sous les spots, il joue un rôle majeur dès qu’il monte sur un terrain. Alors que le propre d’un bon arbitre est justement de passer inaperçu.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : IMAGEGLOBE

Lettre anonyme :  » On va te démolir. Tes jours sont comptés. Supporters KRC Genk. « 

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