BÀSE ZIWANI

Divock Origi est né en Belgique mais ses racines sont au Kenya. Son père, trois oncles et neuf cousins ont été internationaux dans ce pays d’Afrique orientale dont les Origi sont dès lors la plus grande famille footballistique.

Si Dennis porte un polo du FC Liverpool, ce n’est pas seulement parce que Divock Origi y joue. Il signale qu’il est fan depuis les années 70, à l’époque où le club du pays qui a colonisé le Kenya régnait sur le football européen en pratiquant un jeu attractif. Dennis Oboa est un ami de la famille Origi. En championnat interscolaire, il a joué contre Austin, un frère du père de Divock. Plus tard, ils ont travaillé dans la même entreprise de nettoyage. Aujourd’hui, Dennis est chauffeur. La plupart du temps, il transporte des touristes vers les parcs animaliers dans un minibus à toit ouvrant mais ce matin, c’est dans son véhicule personnel qu’il nous emmène chez le plus âgé des frères Origi encore en vie.

La saison des pluies a débuté mais il fait sec. Comme dans la plupart des grandes villes africaines, le trafic est chaotique, surtout dans les ronds-points. Des vendeurs se faufilent entre les voitures, armés de journaux ou de bananes mais aussi d’essuie-glaces, de porte-manteaux et d’écharpes. Des chariots chargés de téléviseurs ou de pneus tentent aussi de se frayer un chemin. Des taxis collectifs folkloriques et couverts de slogans religieux sont en travers de la chaussée tandis que, sur le bord de la route, un homme dort, comme s’il était mort. Sur les arbres et les panneaux de signalisation, des cigognes guettent le moindre déchet pour fondre dessus.

 » L’est de Nairobi, où la plupart de la population de la capitale du Kenya vit dans des bidonvilles, est terriblement pauvre, sale et dangereux « , dit Dennis.  » L’ouest de la ville est bien plus riche.  » Il nous montre des enfants de la rue sous un pont et nous raconte l’histoire des sniffeurs de colle, des enfants qui reniflent de la glu, de la colle de cordonnier, afin de se sentir mieux. Mais ce geste entraîne souvent leur mort précoce. Les dealers de colle sont surtout des femmes qui font cela afin de pouvoir nourrir leurs propres enfants.

UNE AFFAIRE DE FAMILLE

Austin Origi vit au neuvième étage d’une résidence surveillée. L’ascenseur ne fonctionne pas mais il y a un escalier. L’accueil est cordial et le thé au lait est délicieux. La veille, lors du derby contre Everton, Divock a quitté le terrain en civière et ces images inquiétantes défilent en boucle sur SuperSportBlitz. Divock est le sixième Origi à se faire un prénom dans le monde du football. Austin fut le premier.

DENNIS: Austin était vraiment un grand joueur, vous savez. On le surnommait Makamou.

AUSTIN: Vous parlez à une légende. (il rit)

DENNIS: Oh yeah.

AUSTIN: Beaucoup d’enfants de cette époque portent mon prénom.

Et c’est vraiment une légende. Austin Origi était libero et capitaine de l’équipe nationale ainsi que du FC Gor Mahia, seul club kényan de l’histoire à avoir remporté une Coupe d’Afrique, la Coupe d’Afrique des Vainqueurs de Coupe, en 1987. Le match international qu’il livra face au Liberia de George Weah, seul Africain à avoir été élu Meilleur Joueur du monde, est également entré dans l’histoire. A la fin de sa carrière, il joua encore deux saisons à Oman, tout comme son jeune frère Mike.

Mike Origi, le père de Divock, fut le premier Kényan à devenir professionnel en Europe. En 1999, il fut champion de Belgique avec Genk après avoir débarqué à Ostende en 1992 et être passé à Harelbeke quatre ans plus tard. Dans son pays, il avait connu son heure de gloire en 1991 en inscrivant face au Soudan le but de la qualification pour la Coupe d’Afrique 1992.

AUSTIN: Mike a commencé à jouer au but, comme moi, mais il est devenu attaquant tandis que j’ai été médian puis défenseur. Il a effectué ses débuts en équipe nationale en 1989. A l’époque, j’y jouais toujours. Il faisait partie de la pré-sélection pour la Coupe d’Afrique 1990 en Algérie mais n’a pas été retenu. Par contre, il était là au Sénégal deux ans plus tard et il a impressionné des recruteurs belges. Fernand Goyvaerts est alors venu chez moi pour les négociations.

Deux autres de leurs frères, Anthony et Jarred Origi, ont également été internationaux.

AUSTIN:Nous avions encore un petit frère qui était médian dans un petit club de Nairobi mais il est décédé très jeune. Tony a joué avec Mike et moi en équipe nationale. En 1999, Jarred a bénéficié d’une bourse pour partir étudier à Oklahoma et il y resté, tout comme Mike s’est établi en Belgique.

ZIWANI ESTATE

Le premier terrain de la famille Origi se trouve à ZiwaniEstate, un quartier à deux kilomètres de l’appartement d’Austin. Il est à moitié entouré d’un mur de terre rouge, ne compte pratiquement pas d’herbe mais est très boueux et rempli de flaques. Lors de notre visite, on y joue sur un quart de la surface et ça ressemble à du football : des gamins tentent de faire avancer le ballon dans la boue. Ce n’est pas évident mais ils ont quand même l’air de s’amuser.

La maison parentale des Origi se trouve une bonne centaine de mètres plus loin, derrière une haie. On la voit à peine car elle est entourée de baraques faites de boîtes métalliques. Mais pour les Origi, c’est ici que tout a commencé.

AUSTIN:Nous fabriquions un ballon en enroulant du papier et un sachet plastique. Derrière la maison, nous délimitions deux buts avec des pierres et nous jouions pieds nus. On peut encore en voir les traces sur mon corps (il rit). Aujourd’hui, tout est construit, il n’y a plus d’espace et c’est dommage. Avant, c’était un bon quartier. Même le bourgmestre de Nairobi y habitait.

DENNIS: Le manque de place constitue un problème dans tout Nairobi. Avant, il y avait énormément de terrains de football, au moins un dans chaque quartier. Mais tout est construit, les enfants n’ont plus de place pour jouer et s’exprimer. C’est un gros problème pour une communauté.

Le premier terrain des Origi a également failli disparaître, notamment à cause de la formation des bidonvilles.

AUSTIN: En 1998 ou 99, ils ont voulu en faire un parking afin de générer des revenus mais les gens ont protesté, le bourgmestre est intervenu et ça ne s’est pas fait.

Dans la famille Origi, on dénombrait dix enfants. Trois d’entre eux sont décédés. Austin dit que s’ils ont réussi en football, c’est parce qu’ils étaient doués, bien éduqués et qu’ils avaient de la personnalité.

AUSTIN:Mon père était chauffeur, il guidait des touristes pour le compte d’une agence britannique. Parfois, il partait en safari pour deux semaines ou au Congo pour un mois. C’était un homme calme, humble et généreux. Avec nous, il était très strict. Nous le respections et le craignions. Lorsque nous commettions une faute, nous étions punis. Nous essayions donc de suivre ses recommandations.

Lorsqu’il n’était pas à la maison, ma mère y veillait. Elle faisait tout pour nous et travaillait dur pour entretenir la maison. Cela nous stimulait. Nous ne sommes pas des gens excessifs. Mes frères sont de bons gars. Ils sont calmes et consciencieux, ils dialoguent et considèrent Dieu comme leur guide. En fait, nous sommes tous comme Mike, tel que vous le connaissez en Belgique : calmes et humbles.

FC NYOI

Notre éducation nous a permis de faire ce qu’il faut faire dans la vie. Nous avons eu la chance de fréquenter de bonnes écoles, même des écoles de l’Etat. On y jouait beaucoup au football. C’est sous l’influence des Anglais que le football est devenu le sport numéro un au Kenya et cela se remarque au système d’éducation qu’ils ont mis en place ici. Finalement, nous sommes tous issus du football scolaire. Mike a été découvert lors d’un championnat interscolaire avant d’être transféré au FC Shabana à Kisii puis aux Kenya Breweries. Moi, c’est grâce à des tournois interscolaires que j’ai pu aller à Gor Mahia, pareil pour Tony qui est arrivé aux Kenya Breweries via Mumias Suga et pour Jarrred, qui a joué au FC Utalli.

Pour nous, il n’y avait rien de plus important que le football. Nous aimions cela et notre père aussi. Il était supporter du FC Nyoi, le plus grand club de Ziwani, qu’il allait parfois voir jouer. C’est probablement lui qui nous a donné son talent mais nous n’en sommes pas certains parce qu’il n’a jamais eu l’occasion de le montrer. Il était encore enfant lorsque son père est mort et il a dû se prendre en charge. Je crois qu’il n’avait que douze ou treize ans lorsqu’il est parti travailler dans une ferme. Plus tard, il est venu à Nairobi pour y devenir chauffeur et entretenir sa famille. Mon père n’a jamais eu la chance de jouer au football comme je n’ai jamais eu la chance de jouer en Europe.

Aujourd’hui, la deuxième génération fait encore mieux que la première. Arnold Origi (32), le fils d’Austin, est gardien au SK Lilleström (Norvège) et en équipe nationale kényane. Quant à Divock, le fils de Mike, il joue à Liverpool et en équipe nationale belge. Il est le premier joueur d’origine kényane à s’imposer dans un grand club anglais, à avoir joué la Coupe du monde et à y avoir marqué.

AUSTIN:Nos fils réussissent en effet mieux que leur père. Nous leur avons montré la voie et nous avons prié pour remercier Dieu de nous donner le don de persévérance. Si la vie avait été ce qu’elle est aujourd’hui, nous aurions tous joué en Europe.

Dans les médias, on parle beaucoup de l’Américaine Caitlyn Origi, future star of the US women’s national team. C’est la fille de Jarred, nièce d’Austin et Mike, cousine d’Arnold et Divock.

On ne peut plus parler de hasard.

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE, ENVOYÉ SPÉCIAL AU KENYA. – PHOTOS PG

 » Si la vie avait été ce qu’elle est aujourd’hui, tous les Origi auraient joué en Europe.  » AUSTIN ORIGI, L’UN DES ONCLES DE DIVOCK

Mike Origi, le père de Divock, fut le premier Kényan à devenir professionnel en Europe en 1992. A Ostende.

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