Pierre Bilic

Le buteur de la Venise du Nord a retrouvé de la poudre sèche et le chemin des filets.

La plaine qui entoure la cathédrale du football flandrien est parsemée d’un chapelet de terrains de football mieux entretenus les uns que les autres. Quels magnifiques outils de travail pour des joueurs de l’élite.

C’est là, en toute simplicité, qu’ils cultivent leur football. Les derniers orages médiatiques se sont éloignés. Tennis ballon à trois contre trois, exercices de démarquages, tirs au but, jonglages et autres gammes techniques : c’est le lot des joueurs n’ayant pas été retenus par leur équipe nationale au début de la semaine passée.

Sur le parking, Cedo Janevski, l’ex-joueur devenu coach des Espoirs s’active au pied de l’autobus qui va emmener l’équipe Réserve vers le Lierse. Là, pas de gardes du corps élevés au b£uf de Kobe pour éloigner les supporters. C’est la simplicité au quotidien avec des joueurs qui ne se jettent pas dans des 4×4 dignes des aventuriers de l’avenue Louise pour échapper à leurs admirateurs.

Des fans francophones du vieux club brugeois demandent à Bosko Balaban (25 ans) s’il veut bien poser pour une photo : aucun problème. Ils ont le sourire : ce moment restera gravé à jamais dans leur mémoire. Explosif, solide, décidé, rageur, efficace, le buteur croate est à la hauteur de sa très belle réputation depuis le début de la saison. Bosko (prononcez Bochko) a déjà marqué deux buts en championnat. Il ne devrait pas en rester là.

L’attente entre votre arrivée à Bruges, en janvier dernier, et vos grands débuts, fin juillet face à Plovdiv, ne fut-elle pas trop éprouvante ?

Bosko Balaban : Forcément, je ne peux que répondre : – Oui. Je m’étais soigneusement renseigné et je savais que Bruges était le club idéal afin de me relancer. Avec mon passage à Aston Villa, j’étais en déficit de temps de jeu, de sensations sur le terrain, de plaisir balle au pied. Mon intention était de refaire ce retard dans le cadre d’un championnat éprouvant, de gagner quelque chose, de retrouver ma place en équipe nationale avant la phase finale de l’EURO 2004. La malchance ne m’a pas permis de réaliser ces objectifs. Non, je n’étais pas du tout blessé à mon arrivée comme certains l’ont dit. Ce sont vraiment des bêtises. J’ai été touché au genou par Hans Cornélis lors d’un entraînement. C’est la vie et, les ligaments touchés, j’ai perdu quelques mois, une demi-saison. Ce ne fut pas facile à vivre, même frustrant, car mes attentes, et forcément celles d’un club ayant misé sur moi, étaient freinées. J’étais venu à Bruges pour vivre autre chose. J’ai faim de football, de victoires, de trophées. Je n’ai pas laissé tomber les bras. Je suis un battant, j’ai bossé tout en observant le style brugeois et les tendances de la D1 belge. En été, je n’ai pas baissé le ton : j’ai bien travaillé avec des amis d’un club amateur de Rijeka. J’étais bien dans ma tête, prêt physiquement, pour la reprise des entraînements à Bruges. Cela dit, j’ai mûri dans cette adversité et j’ai tourné la page. La saison passée est dans le rétro et je me concentre uniquement sur le présent.

 » Bruges sera champion  »

Bruges est en tête du championnat mais l’ambition première en ce début de saison était de prendre part à la Ligue des Champions. Comment avez-vous expliqué et digéré cette déception ?

Tout le monde sait que nous avons gaspillé nos chances de qualification au match aller, au Shakhtar Donetsk. Les Ukrainiens disposent d’une excellente équipe mais nous avons eu les moyens de forger un bon résultat sur leur terrain. Hélas, nous n’avons pas su en profiter. L’écart était forcé là-bas et ne représentait pas la différence entre les deux équipes. Si nous étions revenus avec un 2-1, au lieu de ce maudit 4-1, je suis persuadé que Bruges, porté par son public, se serait qualifié pour les poules de la Ligue des Champions. Quand je vois le Groupe F de cette première phase, je ne peux que rêver : Bruges aurait pu se mesurer à Barcelone, au Celtic Glasgow et à l’AC Milan. En tant que joueur, il y a de quoi nourrir des regrets. J’en rêvais de cette Ligue des Champions qui attire tous les regards. C’est quand même là que cela se passe, en Ligue des Champions. It’s the place to be, pour nous et pour le club qui a perdu beaucoup d’argent.

Au lieu de Barcelone, Glasgow et Milan, vous héritez de Châteauroux : grandeur et décadence ?

Non, l’objectif, maintenant, est la qualification pour les poules de la Coupe de l’UEFA qui inaugure une nouvelle formule. C’est important. Châteauroux, c’est un bon tirage pour nous. Cette équipe a des problèmes en L2 française et elle ne devrait pas nous poser de gros problèmes. Si Bruges n’est pas capable de sortir Châteauroux en Coupe de l’UEFA, ce n’est pas la peine d’avoir des ambitions européennes.

Pendant ce temps-là, Anderlecht se mesurera à Valence, à l’Inter et au Werder Brême. Est-ce un résumé de ce qui sépare Anderlecht de Bruges ?

Là, c’est la conclusion de la lutte pour le titre qui répondra à la question. Bruges et Anderlecht vont ferrailler jusqu’au bout. Et je suis persuadé que c’est Bruges qui émergera et sera champion de Belgique. Notre noyau est large, complémentaire. Cela dit, Anderlecht a mérité sa qualification contre Benfica grâce, notamment, à une seconde mi-temps solide, impressionnante, basé sur un football moderne face à des Portugais monopolisant plus le ballon mais moins efficaces.

Ce fut un succès tactique des Bruxellois, réalistes, qui jouèrent en contres durant une bonne partie de la rencontre. La lourde défaite à Donetsk n’est-elle pas synonyme de la faillite ponctuelle de la traditionnelle occupation de terrain de Bruges ?

Non, pas du tout : il y a eu des erreurs individuelles en Ukraine. Sans cela, personne n’aurait douté de rien.

 » Je suis à 75 ou 80 %  »

Le 4-3-3 de Trond Sollied vous convient-il totalement ?

Oui et le temps nous en apprendra plus. Je n’ai jamais travaillé sous les ordres d’un coach soignant autant les automatismes que Trond Sollied. Il a son système et s’y tient. Tout comme d’autres ne jurent que par le 4-4-2, en Belgique ou ailleurs. En Angleterre, le 4-4-2 est le plus souvent un système immuable et les clubs ne changent pas d’occupation de terrain après une défaite. En Belgique, le 4-3-3 est le plus intéressant des systèmes quand on a la prétention de lutter pour le titre. Cela garantit un jeu offensif. Pour percer des murs et gagner, il faut attaquer. Bruges va de l’avant. Mais, je l’avoue, c’est la première fois de ma vie que j’évolue en 4-3-3. En Croatie, en 4-4-2 et en 3-5-2, ou en Angleterre, j’étais un des attaquants de pointe. Bruges a adopté le 4-3-3 depuis cinq ans et comme le noyau est stable, beaucoup de joueurs évoluent les yeux fermés. Il n’y a qu’un gros mois que je suis titulaire. Je ne connais forcément pas le système de fond en comble comme les anciens mais je progresse.

Il y a quelques semaines, en plein boum, vous déclariez qu’on n’avait pas encore vu le vrai Balaban : quand atteindrez-vous votre vrai rythme de croisière ?

Je suis à 75 ou 80 % de mes possibilités. Je le devine, je le sens, je sais qu’il y a encore des tas de choses en moi qui seront utiles au groupe. Cela passe, toujours, par les progrès, et la découverte de plus en plus poussée de mon rôle. Dans ce système, je dois décrocher aussi quand il le faut, me décaler sur le côté et être aussi, avec les autres attaquants, une des mailles de la première ligne défensive. Les attaquants ont donc du pain sur la planche. Il faut beaucoup courir, utiliser sa tête, aider la ligne médiane, plonger en profondeur, être présent à la conclusion. Je peux démarrer un match à gauche mais, au fil du match, tout le monde bouge, tourne, se déplace. Victor est en pointe, se déporte ; Gert Verheyen voyage dans le système, les autres aussi. Moi, je me dis que c’est différent de ce que je connaissais, et que cela ne peut que m’enrichir en tant que footballeur. Cela m’arrange bien car tout le monde peut marquer. Le danger peut survenir de partout et l’attention des arrières adverses n’est pas focalisée que sur un seul attaquant. J’apprends des choses que je ne connaissais pas encore. Je suis dans une phase de retour et il y aura forcément des creux dans la courbe de mes progrès. Mais je me sens bien dans mon corps et solide dans ma tête.

La concurrence n’est-elle pas moins forte en pointe depuis le départ de Bengt Saeternes ? Il n’y a plus que quatre joueurs pour trois places…

Il ne faut pas avoir peur de la concurrence, au contraire. Sans opposition dans le groupe, on ne progresse pas. La concurrence est tout à fait indispensable quand on veut progresser tous les jours.

Bruges est co-leader de la D1 mais avait déçu à Beveren : que s’était-il passé et avez-vous désormais une photographie plus complète du football à la belge ?

En ce qui concerne Beveren, nous n’étions pas encore remis de notre éprouvant voyage en Bulgarie, à Plovdiv. Les bonnes intentions étaient présentes mais les jambes étaient fatiguées. Cela explique ce match nul (1-1). Bruges a remis les pendules à l’heure en recevant Gand (5-0) avant de se rendre à Ostende. Là, ce ne fut pas un match de football. Ostende ne songea qu’à nous rouer de coups et on ne compta pas les fautes, les brutalités, etc. Nous avons ensuite émergé contre le Lierse (1-0) et cela nous permet de marquer notre territoire en tête de la D1. La présence de La Louvière à nos côtés ne m’étonne pas. Cette équipe est sur son nuage, profite bien de son bon début de championnat et tentera de surfer le plus longtemps possible sur cette vague. Chaque année, une petite équipe sort du lot, comme c’est le cas actuellement d’Inker Zapresic en Croatie qui dame le pion aux clubs plus huppés. En général, ces révélations rentrent dans le rang après une dizaine de journées. Mais, n’empêche, c’est magnifique. Le football est évidemment beaucoup plus engagé en Belgique qu’en Croatie. La D1 belge, c’est solide. Il ne faut rien lâcher, s’engager à fond dans les duels, se battre pour chaque balle. Je me concentre là-dessus : gagner, c’est ce qui m’intéresse. C’est pour cela que je joue au football.

 » Dindane est le plus fort en D1  »

Préférez-vous jouer avec Nastja Ceh, Jonathan Blondel ou Alin Stoica derrière vous ?

Vous savez, Gaëtan Englebert joue parfois aussi derrière moi comme contre le Lierse. Cela m’est égal. Ce sont les choix du coach. C’est à lui de répondre à cette question.

Qui est le meilleur joueur de D1 ?

Difficile mais, au bout du compte, j’opte pour Aruna Dindane, très régulier et hyper fort contre Benfica, le plus fort en D1. Il s’est fâché ? Quand on a un joueur de ce format, c’est simple, on augmente son contrat…

Si Anderlecht a vécu sa crise, il en fut de même pour Bruges quand Trond Sollied fut chahuté par le public face au Lierse…

Bruges a des supporters fantastiques. C’était, je crois, l’expression d’un désir offensif. On a gagné, c’est ce qui compte. Il y a forcément du stress et de la pression dans un club ambitieux, cela fait partie du jeu. Bruges se nourrit d’ambitions nationales et européennes depuis des années. Cela déclenche des exigences importantes.

Votre brio retrouvé n’a-t-il pas encore attiré le regard de clubs étrangers ?

J’ai entendu parler d’intérêts divers mais, pour moi, ces rumeurs ne sont que des bêtises auxquelles je n’accorde pas d’importance. Je suis à Bruges, totalement à Bruges avec mes idées et mes ambitions. J’ai un contrat jusqu’en 2006 et c’est la seule chose qui m’intéresse. Tout le reste s’efface devant le plus important : le terrain. Je l’ai retrouvé et je suis heureux.

Et la vie en Belgique ?

Très agréable. J’ai découvert un beau pays. J’adore cette ville mais aussi les promenades en famille, à la mer : Knokke, par exemple, c’est magnifique. Nous vivons tranquillement : c’est l’idéal pour moi.

Pierre Bilic

 » Trond SOLLIED SOIGNE plus les AUTOMATISMES que n’importe qui  »

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