Bain TURC

Pierre Bilic

L’arrière liégeois a lié son destin à celui de Fenerbahce. Ses parents l’ont suivi à Istanbul.

Vendredi passé, la fierté régnait calmement dans la salle et la cuisine du restaurant Oba de la famille Turaci, à Saint-Nicolas, sur les hauteurs de Liège. La plupart des clients étaient au parfum : Onder Turaci venait de signer un contrat de quatre ans avec le prestigieux Fenerbahce, entraîné par Christoph Daum, champion de Turquie en titre.

A 18 heures, l’ancien joueur du Standard était dans avion l’emmenant vers la Suisse où il devait passer la nuit avant de prolonger son voyage, le lendemain, vers le Bosphore. Branchée en permanence, une télévision turque évoqua la venue de VicenteDel Bosque à la tête de Besiktas, montra la séance de signature du contrat de Bernd Thijs à Trabzonspor et signala que Fenerbahce avait recruté Onder Turaci au Standard de Liège.

Le foot, c’est la folie au quotidien au pays de Mustapha Kemal Pacha Atatürk, le père de la Turquie moderne. Les radios et les télévisions conjuguent le football à tous les temps. Les kiosques sont envahis par des myriades de journaux et hebdomadaires sportifs. Cette fièvre est incomparable.

 » Je suis incroyablement heureux « , dit Onder.  » Je réalise un rêve de gosse. Fenerbahce, c’est géant, je fais un immense pas en avant. Je vais progresser, jouer en Ligue des Champions, prendre mes marques dans un grand championnat et une des meilleures équipes nationales au monde. Mais si tout cela s’est réalisé, c’est aussi grâce au Standard, qui a activement collaboré afin que mes ambitions deviennent réalité. Je dois beaucoup aux Rouches qui m’ont formé, permis de me roder à Visé et à La Louvière avant que je devienne une valeur sûre de la D1 à Sclessin. Je ne l’oublierai jamais « .

Marre d’attendre sa chance en équipe nationale ?

Ce transfert va changer tout le rythme de vie de la famille Turaci. Samedi passé, sur le coup de cinq heures du matin, les parents d’Onder prenaient la route de l’aéroport de Cologne.  » Fenerbahce nous a offert deux billets d’avion pour Istanbul « , dit Olcay Turaci, la maman d’Onder.  » Et, en fait, nous y arriverons avant notre fils qui débarquera une heure plus tard en provenance de Suisse avec, notamment, Alex de Souza, l’international brésilien de Cruzeiro, qui renforcera aussi Fenerbahce. Les dirigeants des champions de Turquie ont insisté afin que nous voyions de nos propres yeux l’accueil que les supporters réserveront à Onder « .

Istanbul, c’est la perle du Bosphore, la porte de l’Orient, avec son pont qui unit l’Europe et l’Asie, ses quartiers byzantins, sa basilique Sainte-Sophie, sa Mosquée bleue,… Même si Ankara est la capitale de la Turquie, l’ancienne Byzance est évidemment la ville la plus prestigieuse de Turquie. Mehmet, le papa d’Onder, est passé par là un jour, au fil d’un voyage, mais ne connaît pas les richesses de ce carrefour entre la Mer Noire et la Mer de Marmara.  » Moi, je n’y suis jamais allée « , signale Olcay Turaci.

Elle n’imagine pas l’effervescence qui règne à Bayran Paça où des norias d’autobus arrivent de partout avant de s’en aller vers les quatre coins du pays. Puis, il y a Topkapi, ancienne résidence des sultans de l’Empire ottoman, qui fut le lieu de grandes aventures de James Bond. A Istanbul, les Turaci auront certainement l’occasion d’apprécier un thé à la menthe ou un café bien serré à l’Hôtel Pera où, le soir, des danseuses du ventre donnent l’impression d’attendre Mata Hari ou Lawrence d’Arabie.

 » Nos familles sont originaires de Konya, à plus de 800 kilomètres d’Istanbul « , ajoute Olcay Turaci.  » Je vais bien ouvrir les yeux « …

Onder aura Istanbul à ses pieds alors que les siens avaient quitté leur terre natale sans faire de bruit afin de gagner leur tartine quotidienne en Belgique à la sueur de leur front. Pas difficile d’imaginer tout ce que la reconnaissance sportive obtenue par Onder Turaci a déclenché dans le c£ur de ses parents.

Pourtant, il y a quelques mois encore, ce magnifique scénario n’était pas à l’ordre du jour. L’avenir d’Onder Turaci était totalement belge, surtout dans son chapitre sportif. Il avait fait du chemin avec les Espoirs belges, confirmait sans cesse ses progrès au Standard, attendait une première sélection, qui aurait été méritée, en équipe nationale. C’était un Diable Rouge en puissance. Aimé Anthuenis ne parlait-il pas souvent de lui dans la presse avant d’oublier son nom à l’heure de communiquer ses sélections ?

 » Je ne veux pas parler de cela « , dit l’ancien Standardman.  » J’ai fait un choix. Ersun Yanal, le coach d’une des meilleures équipes nationales actuelles, la Turquie, troisième de la dernière Coupe du Monde, me suit depuis des années, a fait appel à mes services : c’est ce qui compte, pas du tout le reste qui fait désormais partie du passé « .

Ses parents, eux, seront un peu plus formels.  » Onder a compris qu’on ne lui ferait jamais confiance comme Diable Rouge quand le coach fédéral a retenu Anthony Vanden Borre en équipe nationale « , lance son papa.  » L’arrière droit anderlechtois avait tout au plus disputé quatre matches entiers en D1. Onder en était à quatre ans de présence à ce niveau et sa progression était constante. Il y avait deux poids, deux mesures. Son ambition était freinée et il a fait un choix correspondant à son désir d’avancer sur un terrain « .

Olcay Turaci abonde dans le même sens :  » Onder ne le dira pas, car c’est un garçon poli qui s’entend bien avec tout le monde, mais il était dégoûté. Il en avait marre d’attendre sa chance comme Diable Rouge, de lire dans la presse qu’Aimé Anthuenis songeait à lui sans jamais ajouter le geste à la parole. A 23 ans, il a revu le cadre de ses ambitions et s’est tourné vers la Turquie qui l’a accueilli à bras ouverts « .

Transféré pour deux millions d’euros

En mai, le sélectionneur national turc le contacta et l’assura qu’il y avait une place en équipe nationale turque.  » Il y a des années qu’il suit Onder « , certifie Olcay Turaci.  » Quand mon fils jouait à La Louvière, Ersun Yanal entraînait Ankaragucu Sports et il avait l’ambition de transférer Onder. Mais Onder rêvait alors de Belgique. Dès qu’il prit l’équipe nationale en mains, Ersun Yanal songea tout de suite à lui. En mai, mon fils opta donc pour l’équipe nationale turque. C’était un choix sportif, sentimental, mais aussi un nouveau cap pour sa carrière. Même blessé, il s’est rendu à la Keirin Cup, en Corée. Il lui était impossible de jouer mais Yanal insista afin qu’il vive cet événement avec le noyau de l’équipe nationale. Pour lui, ce fut une expérience fabuleuse et il est revenu transfiguré, totalement optimiste, de ce séjour en Asie, plus certain que jamais d’avoir pris la bonne option « .

Un peu plus tard, trois des grands clubs turcs prirent contact avec lui : Besiktas, Galatasaray et Fenerbahce. Selon nos sources turques, Besiktas fut le premier à tenir la corde. Le nouveau club de Vicente Del Bosque entretient de bonnes relations avec la direction de Galatasaray et il se retira, permettant à ce dernier d’entamer les négociations avec Onder.  » Mon fils avait même signé un protocole d’accord avec Galatasaray « , affirme sa maman.  » Mais la réalisation du transfert dépendait du résultat des négociations entre Galatasaray et le Standard. J’ignore pourquoi les deux clubs n’ont pas trouvé d’accord « .

Il s’avère, quand on creuse, que Galatasaray ne proposait qu’un million d’euros pour ce transfert avec un joueur en prime : Ali Lukunku, revenu sur les rives du Bosphore après avoir été prêté une demi-saison à Lille. Cette solution ne convenait pas aux Liégeois. Sans être bétonné, le prix du transfert devait tourner autour des 2 millions d’euros. Début juin, Onder Turaci prit des vacances à Bodrum, sur la riviera turque. Constatant l’échec de Galatasaray, Fenerbahce se lança à son tour dans la bagarre. Jeudi passé, une délégation de ce club attendait Onder Turaci à l’aéroport de Cologne. A partir de ce moment-là, tout se précipita. L’ancien joueur du Standard accepta le préaccord. Dès le lendemain, les négociateurs de Fenerbahce prirent rendez-vous avec le top du Standard. L’affaire fut rondement menée avec, à la clef, un contrat de quatre ans pour le joueur (qui avait encore un contrat de deux ans à Sclessin) et deux gros millions de plus dans la caisse du Standard.

Son père et sa mère l’accompagnent à Istanbul

Les Liégeois avaient préparé ce départ. Ils n’ignoraient pas que la valeur financière d’Onder Turaci, et de ses 23 ans, était intéressante. De plus, ils avaient anticipé cette vente en engageant Eric Deflandre, arrivé en en fin de contrat sous les cieux lyonnais. Onder Turaci craignait-il la concurrence du solide Diable Rouge ?  » Pas du tout « , certifie sa maman.  » Il était prêt à se battre pour sa place comme il l’a toujours fait « . Avant de signer son contrat, Onder Turaci a eu une conversation téléphonique avec Christoph Daum, le coach allemand de Fenerbahce. Ce dernier apprécie la polyvalence défensive d’Onder Turaci mais il y a gros à parier que ce dernier se retrouvera souvent dans l’axe. C’est dans ce secteur que le coach de l’équipe nationale turque compte l’utiliser aussi.

En attendant que tout cela se précise, Onder Turaci s’installe à Istanbul. Son père et sa mère partageront la même demeure que lui.  » Il n’est pas souhaitable qu’Onder vive seul à Istanbul « , affirme Olcay, sa maman.  » Mon fils a tout de suite insisté afin que nous l’accompagnions. Pour les Turcs, la famille est une valeur importante. Cela permet de garder la tête sur les épaules, d’être soutenu lors des moments difficiles. Quand il sera marié, ce sera différent et il volera de ses propres ailes. Mon mari et moi, nous nous partagerons entre Istanbul et Liège. Ma fille, Selma, et son mari ont leur restaurant à Saint-Nicolas. Quand notre rôle auprès d’Onder sera terminé, nous reviendrons pour de bon. Mon père et ma mère vivent en Belgique. Ils sont émus par tout ce qui arrive à Onder. Eux, ils étaient venus ici pour travailler dans les charbonnages. Onder, lui, fait le chemin inverse, afin de vivre une grande aventure sportive. Je n’en reviens pas, nous rêvons, c’est magique « .

Pierre Bilic

 » Onder a compris qu’on ne lui ferait JAMAIS CONFIANCE COMME DIABLE ROUGE « 

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