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Le Soulier d’Or 2008 a vécu une année traumatisante mais refait surface depuis un mois. Décryptage d’un retour.

Tous les ingrédients du film hollywoodien sont réunis si on analyse l’année 2009 d’ Axel Witsel… 21 janvier 2009 : costume sombre, chemise mauve, cravate quasiment ton sur ton, classe, Witsel remporte, à 20 ans et avec quatre petits points d’avance, le Soulier d’Or. Tout lui réussit. Il fait l’unanimité dans les deux parties du pays. Son jeu et sa technique plaisent. Son emprise grandit sur le jeune groupe du Standard. Emprise qu’il confirmera après un petit passage à vide en fin de championnat, en se chargeant notamment du penalty décisif à Gand.

31 août 2009 : les yeux fermés, un temps de retard, une jambe lancée aveuglément mais avec vigueur vers l’adversaire, jambe cassée pour le Polonais Marcin Wasilewski. Carte rouge largement méritée et commentée. Un Clasico qui tourne à la bataille de rue. Un séisme médiatique touche Witsel, qui lors de sa comparution devant l’Union belge, est accueilli hostilement par des supporters anderlechtois dégoûtés. La Belgique donne son avis. La fédération le sien : dix matches de suspension ramenés à huit en appel. C’est le début d’un calvaire pour le jeune Soulier d’Or.

31 octobre 2009 : deux mois après l’incident, Witsel fait son retour en championnat contre Mouscron. Malgré les matches de Ligue des Champions et ceux des Espoirs, Witsel manque de rythme, de compétition et surtout de confiance. Ses premières prestations sont hésitantes.

17 janvier 2010 : presque un an après le Soulier d’Or. Fin d’une année contrastée. Premier Clasico depuis l’affaire Witsel-Wasilewski. Une jambe en avant qui pousse le ballon. Une jambe tendue de trop. Les esprits sont conditionnés par le climat autour du match. Nouveau carton rouge. Mais les esprits se calment vite : Witsel échappe à toute autre sanction.

Ces quatre dates résument l’année de celui que d’aucuns considèrent comme un des joueurs les plus racés de notre championnat. Quatre faits qui suffiraient à remplir d’émotions (positives et négatives) une seule carrière. Witsel, lui, a vécu tout cela en 12 mois et le voilà qu’il revient avec force et fracas. Depuis le 23 décembre, il a inscrit six buts. Contre Salzbourg, c’est lui qui sonna la charge au match aller avec un penalty et un coup de tête ravageur. Au retour, c’est dans son registre technique, sa conservation de balle et ses fulgurances qu’il fit fureur. Advocaat n’y est certainement pas insensible puisqu’il l’a repris dans le noyau qui s’apprête à affronter la Croatie ce soir.

Pourtant, des questions subsistent. Est-il revenu à son niveau du début de saison dernière ? A-t-il progressé ou au contraire stagné en ayant vécu tous les événements ? Comment a-t-il fait pour ne pas couler mentalement ? Quel sera son avenir ?

Comment ne pas couler mentalement ?

 » Au départ, il a très mal vécu sa mauvaise passe « , explique son manager Jorge Vidal.  » Il a pu voir qui étaient ses amis et qui ne l’étaient pas. S’il s’en est sorti, c’est parce qu’il fut super bien entouré par sa famille. Ses parents l’ont toujours soutenu. Pourtant, cela n’a pas toujours été facile. On est venu frapper sur les volets de la maison ; on les a insultés. Mais honnêtement, je n’ai jamais douté à un moment de son retour. Il avait quand même disputé 80 matches avant sa suspension et il tirait à 20 ans, déjà, des penalties décisifs. C’est une preuve de caractère, non ? »

 » Comment a-t-on pu traiter de la sorte un joueur pour une faute qui, si elle est très grave, n’en reste pas moins un fait de jeu « , ajoute Henri Depireux.  » Les gens qui l’ont jugé n’ont jamais joué. A mon époque, tout le monde faisait des semelles et elles n’étaient sanctionnées que dans le championnat allemand. Les joueurs allemands ont rouspété et on n’a plus vraiment puni ce genre de geste. Sauf quand cela allait trop loin. Mon coéquipier Louis Pilot était un habitué de ce genre de faute. Je comprends qu’on donne une rouge à Witsel mais pas qu’on le maltraite et qu’on l’insulte comme on l’a fait. En Flandre, Il a même été comparé à des tueurs ! Si on avait voulu la tête de ce gamin, on n’aurait pas agi autrement.  »

 » Si des joueurs comme Romelu Lukaku ou Witsel réussissent si bien sans passer par un centre de formation comme en France, c’est parce qu’ils sont bien entourés par des parents qui connaissent le monde du football « , explique Philippe Saint-Jean.  » J’ai pu me rendre compte des liens qui unissent les Witsel père et fils lors du déplacement à Salzbourg, où j’officiais comme consultant pour AB3. Le père, Thierry Witsel, avait suivi son fils. Que ce soit dans l’avion ou dans l’hôtel, on a pu voir la complicité qui unit les deux. A dix minutes de la fin du match, lorsqu’Axel est touché aux adducteurs, son regard a immédiatement cherché son papa dans les tribunes. Un peu comme Justine Henin avec son entraîneur Carlos Rodriguez.  »

 » On voit que le noyau familial s’est fermé sur lui-même, a couvé le petit et a fait face à la tempête « , dit Marc Degryse.  » Cela lui a certainement été profitable. Aurait-il coulé sans cela ? Je ne sais pas. Un joueur n’est pas un autre. Certains se subliment dans l’adversité. D’autres pas.  »

Est-il revenu à son niveau ?

 » Il est sur le chemin du retour, oui « , estime Degryse.  » Au moment de sa rouge en janvier face à Anderlecht, je trouvais qu’il ne jouait pas très bien. Il n’essayait pas de faire évoluer son jeu. Sa non-suspension lui a fait du bien car il a replacé son esprit dans le jeu et pas dans l’extra-sportif. Maintenant, il ne faut pas exagérer dans l’autre sens, en lui faisant trop de compliments. Avec tous les événements qu’il a vécus, il a encore besoin de temps. « 

 » Si j’en juge ses dernières prestations, je pense qu’il est revenu à un bon niveau « , dit Guy Vandersmissen, ancien médian du Standard.  » A Salzbourg, je n’ai constaté aucune perte de balle dans son chef. Pourtant, lors de la défaite du Standard à Genk, j’avais été déçu par sa prestation. Je trouvais qu’il ralentissait le jeu. Mais là, on voit qu’il retrouve ce qui faisait sa force il y a un an. C’est normal que la machine doive se remettre en route petit à petit. Il faut être indulgent avec lui. Avec tout ce qu’il a connu, il lui manque des matches et mentalement, tout se remet en place. On ne peut donc pas trop comparer le Witsel de mars 2010 à celui de janvier 2009.  »

 » Non seulement, Witsel devait confirmer, dans le même club, le titre avec le Standard et son Soulier d’Or. Ce qui en temps normal n’est jamais évident « , ajoute Saint-Jean.  » Mais en plus, il a eu tous ces événements qui lui sont tombés dessus. Compte tenu de tout cela, je trouve donc qu’il n’a pas mal géré la situation. Son malheur fut de revenir dans une équipe qui ne tournait pas. Le retour de Steven Defour l’a libéré d’une tâche défensive mais également d’une pression. Il fut plus qu’excellent à Salzbourg. Il a montré de la créativité, de la maturité et de la force. Il a tout fait dans ce match. Lors de l’aller, il avait été plus en retrait mais il avait quand même marqué les deux buts.  »

 » On a retrouvé ses qualités : technique, engagement, fixation de l’adversaire et débordements « , conclut Depireux.

A-t-il évolué ?

 » Il est certainement plus mûr « , dit Degryse.  » C’est en connaissant des moments difficiles et en les surmontant qu’on s’améliore et qu’on grandit. Maintenant, il est prêt pour affronter d’autres épreuves. S’il a évolué mentalement, c’est déjà un grand pas en avant car la marge de progression d’un joueur se situe à 75 % dans la tête. Il reste alors 25 % d’amélioration possible dans le jeu. S’il regarde dans le rétroviseur et qu’il analyse son année 2009, il peut voir qu’il est devenu un joueur plus complet. « 

 » L’expérience qu’il a eue est unique et devrait le renforcer « , corrobore Saint-Jean.  » En sport, il est très difficile de se retrouver tout en haut et de garder l’équilibre. Lui, s’est retrouvé tout en bas et s’est reconstruit. Pour cela, il faut être très fort mentalement. « 

 » Lui-même le dit « , confie Jorge Vidal.  » Il a pris de l’avance sur les autres à cause de ces événements. Il a gagné quelques années. « 

 » Dans le jeu également, on peut voir une certaine évolution « , ajoute Depireux.  » Il a acquis plus de polyvalence et c’est une qualité internationale intrinsèque. Il est aussi bon sur le flanc, où il peut déborder comme ailier, que dans l’entrejeu, où il peut construire ou balayer. « 

Degryse souligne également sa régularité :  » Il est constant. Il n’est pas du calibre de Milan Jovanovic ou Dieumerci Mbokani qui sont des joueurs de grands matches. Lui, quand il n’est pas en forme, il peut encore travailler et jouer son rôle. Il est plus facile pour lui de rentrer un 7/10 à chaque rencontre.  »

Devait-il partir à l’étranger ?

 » A un moment donné, je me suis demandé s’il ne valait pas mieux pour lui de partir à l’étranger « , réfléchit Depireux.  » Là, il aurait retrouvé une certaine sérénité. Et puis, si Marouane Fellaini réussit par sa puissance technique, Axel peut le faire grâce à son bagage technique complet.  »

 » Parfois, il y a des offres que tu ne peux pas refuser « , concède Vandersmissen,  » mais il faut voir s’il est déjà assez mûr pour partir seul à l’étranger. Pour son évolution, c’est une chose qu’il doit envisager. Quand tu vas dans un championnat plus relevé, tu es obligé de progresser sinon tu ne joues pas. « 

Avis que ne partage pas du tout Saint-Jean :  » Il ne devait surtout pas partir ! Il doit encore rester un ou deux ans. Il est loin d’être le plus fort de Belgique et d’imprimer sa marque à son équipe lors de chaque rencontre, comme le fait par exemple Defour au Standard. Avant de rêver de progresser, il faut rester au sommet. « 

 » Lui n’a jamais voulu partir « , conclut Vidal.  » Il ne veut pas quitter le Standard sur une tache mais grâce à ses qualités footballistiques. « 

A quel poste doit-il évoluer ?

 » Il ne connaît pas encore sa véritable place. Nous, non plus « , lance Depireux en boutade.  » Quand il l’aura trouvée, il va faire un tabac. Pour le moment, le sélectionneur se dit – Je vais le mettre où ? et il le met où il y a un manque.  »

 » C’est un peu le problème : je me demande toujours quelle est sa meilleure position « , dit Vandersmissen.  » Son rendement est-il meilleur sur les flancs ou dans l’axe ? J’ai toujours dit que pour progresser, il devait évoluer dans l’axe mais il a fait un très bon match à Salzbourg à droite. « 

 » Je pense que sa meilleure place se situe juste derrière Mbokani « , tente Saint-Jean.  » Pour le moment, il se sacrifie à droite, ce que les autres ne savent pas faire. Je le vois comme futur meneur de jeu. Mais encore plus offensif. Il a un vrai sens du but et on ne peut pas le placer trop bas. Je dirais qu’il y a un Standard avec Defour, ce qui permet à Witsel de se sacrifier un peu moins mais il y a aussi un Standard avec Defour et Benjamin Nicaise, ce qui lui permet de jouer un cran plus haut, en créateur offensif. Finalement, il peut évoluer à quatre positions : à droite, à gauche, au centre défensif et au centre offensif.  »

Doit-il encore tackler ?

 » Le tackle qu’il a fait sur Roland Juhasz, je le vois toutes les dix minutes dans le championnat anglais « , explique Saint-Jean.  » Or, ce sont les mêmes règles qu’en Belgique, si je ne m’abuse. Certes, Witsel n’est pas un défenseur mais ce n’est pas non plus un garçon brutal. S’il se retire des duels, il sera enlevé du terrain par son entraîneur. Il ne doit pas changer son jeu, même s’il subit actuellement la loi des séries. Sans être méchant avec Mbokani, je pense que l’attaquant congolais est plus méchant que lui dans le jeu. Il doit simplement essayer d’oublier les conséquences de son acte et jouer le plus simplement possible.  »

 » Il doit apprendre la leçon mais il ne doit pas totalement changer son jeu « , conclut Vandersmissen.

Par Stéphane Vande Velde – Photos: Reporters

« On ne peut pas comparer le Witsel de mars 2010 avec celui de janvier 2009.

(Guy Vandersmissen) » »Il ne faut pas exagérer dans l’autre sens en lui faisant trop de compliments. (Marc Degryse) »

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