Axel Witsel veut qu’on dise LA VéRITé

 » On nous traite souvent de privilégiés parce qu’on n’a que deux heures d’entraînement par jour. C’est faux « , dit le jeune joueur du Standard,  » le club nous impose d’autres activités comme aller rendre visite à de jeunes malades à l’hôpital. On le fait toujours avec plaisir mais ça fait partie aussi de notre quotidien. Et si on est là, qu’on a la chance d’être joueur professionnel, c’est aussi grâce aux sacrifices consentis à 15, 16 ans. « 

Les premiers flocons de neige sont tombés à Hambourg. Cinq ouvriers entretiennent la pelouse de l’AOL-Arena, vingt autres nettoient les sièges et convertissent les places debout en assises. La man£uvre est rapide : elles retournent les blocs en béton, au bas desquels sont fixés des sièges bleus au dossier rabattable.

La tribune réservée aux supporters hambourgeois est marquée de la date de fondation du club : 1887. Le HSV est le plus vieux club actif en Bundesliga. Il est aussi le seul à n’avoir jamais quitté celle-ci depuis sa mise sur pied en 1963. Le Werder Brême suit, avec une saison, le VfB Stuttgart a été absent de l’élite deux saisons, comme le Bayern, qui n’a été promu qu’en 1965. Dans un coin du stade, une horloge marque ce haut fait : In der Bundesliga seit 44 Jahren, 93 Tagen, 19 Stunden, 15 Minuten, 20 Seconden.

Le couloir menant au restaurant est orné de photos d’équipes. Vincent Kompany n’est pas le premier Belge à défendre les couleurs du Hamburger SV. De 1984 à 1988, Gérard Plessers (ex-Standard) y a joué jusqu’à ce que le RC Genk, à peine fondé, rappelle le monument limbourgeois.

Deux Belges patientent dans la froidure, au terme de l’entraînement. Geralph Poelaert, de Viane, et Bart Haelterman d’Onkerzele, ont parcouru 600 kilomètres pour admirer leur idole en championnat. Après le match, ils ont attendu Vincent Kompany pendant une heure et demie. Le joueur a promis de les saluer encore aujourd’hui.

44 ans, 93 jours, 20 heures, 25 minutes et 25 secondes après les débuts du HSV en Bundesliga, Kompany pénètre dans la salle de presse :  » J’ai bavardé un moment avec mes deux supporters « .

Le fait qu’on vous attende ainsi vous touche-t-il encore ?

Vincent Kompany : Oui et c’est un must. Nul n’est né footballeur. Il faut travailler d’arrache-pied. Etre un joueur d’élite ne va pas de soi. J’éprouve autant de respect pour eux qu’ils en ont pour moi.

A qui avez-vous demandé des autographes ?

Olivier Doll, Pär Zetterberg et Bertrand Crasson ont été les premiers. Les jeunes et l’équipe fanion d’Anderlecht se trouvaient au même restaurant. J’ai demandé des signatures, imitant mes coéquipiers. Plus tard, après un entraînement de Marseille, j’ai reçu des autographes de Robert Pires et Fabrizio Ravanelli. Je n’ai jamais vraiment collectionné les autographes, même si j’avais des idoles, des gens que j’observais afin de progresser.

Combien d’autographes avez-vous déjà signés ?

Beaucoup. Après un entraînement, il n’est pas rare que 100 ou 200 fans m’attendent. Demander des autographes est habituel en Allemagne. Passer une heure dans le froid n’a rien de marrant mais je pense alors à ces gens qui patientent depuis longtemps. Je me plie à ce rituel après une défaite aussi. Ici, il faut se montrer quand on a perdu. La saison passée a été mauvaise, j’ai été longtemps blessé alors que j’étais le transfert le plus onéreux de l’histoire du club mais les supporters nous attendaient pour nous soutenir, pas pour nous insulter.

Quelles étaient vos idoles de jeunesse ?

Marcel Desailly. Son style est proche du mien. Dans d’autres sports, j’admirais Ayrton Senna et Muhammad Ali. Je ne l’ai jamais vu boxer mais j’ai vu beaucoup de photos de lui et j’ai lu des ouvrages qui lui étaient consacrés.

Quelle question auriez-vous aimé leur poser ?

J’ai accosté Booba, dont j’aime la musique. Je le lui ai dit, sans plus. Je n’ai pas la prétention de leur prendre du temps alors que nous ne nous connaissons pas. Je ne les aurais pas connus s’ils n’avaient été sportifs ou musiciens. En quoi leur célébrité me donne-t-elle le droit de les déranger ?

Quels posters ornaient votre chambre ?

Entre 14 et 16 ans, j’avais des photos de l’AC Milan, de Marseille et de Barcelone. Certaines appartenaient à mon frère, qui partageait ma chambre. Quand je pendais un poster de Milan, il en sortait un de l’Inter. Si je supportais Barcelone, il soutenait le Real.

Vive le travail !

Que répondez-vous aux jeunes qui veulent savoir comment devenir un bon footballeur ?

Il n’y a qu’une réponse : en travaillant. Le seul talent ne suffit pas. Les meilleurs footballeurs sont ceux qui ont travaillé le plus dur. Pour que le travail soit agréable, il faut être animé par la passion. Sans ce sentiment, on n’atteint jamais rien de particulier. J’ai connu des footballeurs talentueux qui n’ont pas réussi. Je ne citerai pas de noms : pourquoi leur rendre la vie encore plus dure ? Certains sont responsables de leur échec, d’autres ont été freinés par des blessures ou des problèmes familiaux. On ne peut empêcher de réussir quelqu’un qui allie volonté et courage, à moins qu’il ne soit gravement blessé. Pour extirper le meilleur de soi-même, il faut cependant disposer d’un encadrement professionnel et d’un bon environnement familial.

Votre réussite relève-t-elle du hasard ?

Il joue un rôle. J’ai éclaté à 17 ans puis j’ai été blessé pendant presque deux ans à partir de 19 ans. Si j’avais percé deux ans plus tard ou que je m’étais blessé plus tôt, je ne serais sans doute pas ici car pour guérir sans séquelles d’une atteinte au tendon d’Achille, il faut bénéficier d’un suivi médical de haut niveau. Je l’ai obtenu mais eût-ce été le cas si je n’avais pas eu de contrat professionnel ou si j’avais joué dans un club de moindre format ? Si vous devez étudier ou travailler, vous ne pouvez pas non plus vous permettre de consacrer tout votre temps à votre revalidation.

Tout tournait-il autour du football pendant votre jeunesse ?

Non. J’ai fréquenté les scouts et je me suis adonné à l’athlétisme. Mon quartier n’avait pas très bonne réputation. J’ai été en contact avec différents milieux et cultures. Ces influences, bonnes et mauvaises, ont fait de moi ce que je suis.

Vous étiez bon en athlétisme. Pourquoi avez-vous opté pour le football ?

Par passion. Le football me passionnait. Je n’aimais pas courir seul dans les bois mais je pouvais jouer pendant cinq heures avec des amis. L’athlétisme est un sport exigeant. On n’y réussit pas s’il ne constitue pas une priorité. Et je n’aime pas les activités que je ne pourrai pas mener à bien.

Les études

Est-il exact que vous avez été renvoyé de l’école ?

Oui, à 14 ans. Je traversais une période difficile, propice aux dérapages. Mon père avait perdu son emploi, il avait un projet intéressant mais pas d’argent pour le concrétiser. Mes parents étaient en plein divorce. Voyageant beaucoup pour le football, j’avais raté mes examens et j’ai doublé. Une blessure au genou m’a contraint à rester sur la touche quatre mois. J’étais tellement déçu que j’étais souvent absent alors que j’étais censé effectuer ma revalidation au club. J’avais aussi été écarté de l’équipe nationale pour raisons disciplinaires. J’étais très influençable, je passais beaucoup de temps en rue. J’étais à la croisée des chemins.

Comment êtes-vous sorti de cette spirale ?

En portant un regard positif sur ma situation. Je ne me sentais plus bien en équipe nationale. Il valait donc mieux en être écarté. Je ne me plaisais pas dans mon ancienne école. J’ai rejoint un établissement où je pouvais combiner football et études : l’Athénée d’Anderlecht. La tension entre mes parents s’est estompée et j’ai fait de mon mieux pour qu’ils conservent des liens. Je mettais à profit le temps que mes camarades passaient en équipe nationale pour faire mes devoirs. Je me suis entraîné trois fois plus qu’avant. Je partais à l’école à sept heures et demie et j’étais de retour à 22 heures. Je m’astreignais à des séances supplémentaires tous les jours : musculation, football, athlétisme, séances avec des plus âgés…

Peu de footballeurs mènent leur scolarité à terme…

Je n’aimais pas l’école. On me répétait que j’avais tout pour être un étudiant brillant si je me donnais un peu de peine mais ce n’était pas prioritaire à mes yeux. Je n’ai souhaité réussir qu’en changeant d’école, alors que j’étais à deux doigts d’un contrat professionnel. C’est pour achever ma scolarité que je n’ai pas voulu de transfert avant. Je viens d’un quartier où les gens sont poursuivis par la poisse. Je ne voulais rien laisser au hasard. Quand j’avais un problème, j’en parlais à mes parents ou à un professeur. J’avais besoin d’encouragements pour me motiver.

Vous avez entamé des études d’économie à la VUB. Pourquoi les avez-vous abandonnées ?

Je me suis blessé et j’ai sciemment tout mis de côté. Je ne voulais pas être distrait de ma revalidation. J’ai misé sur le football, sachant que j’étais à un tournant de ma carrière et que c’était le seul moyen de réussir.

Que seriez-vous devenu si vous n’aviez pas décroché de contrat ?

L’éducation que mes parents m’ont inculquée m’aurait préservé de la criminalité, bien que celle-ci existât dans mon quartier. J’aurais pu devenir ingénieur, pompier ou militaire.

Que ferez-vous au terme de votre carrière ?

J’aimerais travailler dans l’aide au développement, contribuer à l’enseignement des enfants dans les pays défavorisés, veiller à ce qu’ils bénéficient de soins médicaux. Je veux économiser assez d’argent pendant ma carrière pour mettre en branle d’autres choses. Pour avoir beaucoup d’impact, je dois réaliser une belle carrière.

Devenu votre profession, le football est-il toujours aussi amusant ?

Absolument. Je joue même pendant mes vacances. C’est une passion.

Jouer dans un petit ou un grand stade fait-il une différence ?

La première fois que j’ai joué dans un stade comble, à Anderlecht, devant plus de 20.000 personnes, j’ai été époustouflé. Ici, j’évolue chaque semaine devant près de 60.000 spectateurs. C’est le top ! C’est vraiment impressionnant. En pénétrant dans l’Arena, je sens qu’au-delà de ces 60.000 personnes, c’est toute une ville qui compte sur nous. C’est différent en Belgique car les clubs sont tellement proches les uns des autres qu’il y a des supporters du Standard à Bruxelles et d’Anderlecht à Liège. Ici, un cran en dessous, il y a St-Pauli mais il faut parcourir plus de cent kilomètres avant de trouver un club du niveau du HSV. Hambourg compte peu de supporters du Bayern. On ne défend pas seulement les couleurs du club mais celles d’une ville de plus d’un million d’âmes.

Le Congo

Vous vous êtes rendu au Congo l’été passé. Qu’en avez-vous retiré ?

Ce fut une grande leçon de vie. Je conseille à tous les parents de montrer un pays en voie de développement à leurs enfants, de leur montrer à quel point la vie y est dure. On porte un autre regard sur l’existence après.

Qu’est-ce qui vous a surpris le plus ?

Beaucoup de gens y vivent dans des conditions telles que beaucoup d’Européens se tireraient une balle dans la tête ; mais ils essaient de survivre. Ils rayonnent d’une énergie incroyable malgré leur situation misérable.

Vous n’avez pas été choqué ?

Je savais que je serais confronté à la misère, à la maladie et à la corruption. C’est sans doute cette dernière qui est la plus frappante. Tout est corrompu. Par principe, nous n’avons pas donné d’argent aux policiers et aux fonctionnaires mais nous les voyons d’un autre £il. Un soldat a une arme mais pas de salaire. Or, il a une femme et des enfants. Que dois-je répondre à cet homme ? D’aller travailler ? Il le fait, sans être payé. J’ai donné beaucoup d’argent aux gens qui n’en ont pas demandé.

Vous sentiez-vous chez vous ?

Oui, comme je suis chez moi en Belgique. Plus je voyage, plus je considère le monde comme mon foyer. Pourquoi ne serais-je pas le bienvenu, si je respecte les traditions locales ? A cette condition, un pays peut être le mien comme celui des gens qui y sont nés.

La Belgique

Bruxellois bilingue, que pensez-vous de la situation politique actuelle ?

Je mesure une chose : le fossé qui sépare l’opinion du peuple belge des objectifs des politiciens. Je trouve normal qu’on se sente Flamand, Wallon ou Bruxellois mais on va trop loin pour le moment.

Cela vous touche ?

Oui. Ces gens en costume représentent les communautés de Belgique. Ils se disputent sans arrêt. Cela m’énerve. Je ne me sens absolument pas représenté par les politiciens qui s’affrontent au parlement. Qui donne le droit à ces gens, qui s’enhardissent au fil de leurs apparitions télévisées, de scinder le pays ? Si nous en arrivons là, il faudra que ce soit pour des motifs fondés, pas à cause de gens qui pensent pouvoir réécrire l’histoire de l’Europe.

Comment résoudrez-vous l’impasse politique ?

Je n’ai pas à donner de leçons aux politiciens. Je me contente de donner mon avis personnel. Nous devons nous comprendre les uns les autres. C’est impossible quand certaines personnes sont à la table des négociations. Ma mère est décédée le mois passé. Elle était blonde aux yeux bleus. Elle m’a inculqué son aversion de l’extrême droite. Nous, les Belges, devrions être gênés de laisser autant de pouvoir à un parti d’extrême droite.

Un tiers des Flamands vote pour elle, Vincent.

Peu importe combien ils sont. Un moment donné 80 % des Allemands ont soutenu Hitler. Les 20 % restants avaient raison. Que l’extrême droite obtienne un tiers ou deux tiers des voix en Flandre ne me fera pas changer d’avis : je resterai contre. Ce parti reste lié au Voorpost, aux nazis, à mes yeux. Ces bandes n’ont pas disparu parce que quelques politiciens dégagent maintenant une impression sympathique ou présentent bien.

Pourquoi recueillent-ils des suffrages ?

Dans le monde entier, des tas de gens sont mécontents du système politique de leur pays. Voyager permet de comprendre que la Belgique vit bien par comparaison avec le reste du monde. L’intolérance ne mène nulle part. Elle n’est certainement pas constructive.

En entendant la Brabançonne, vous demandez-vous parfois qui vous représentez encore ?

J’aime jouer pour ma Belgique. Je n’ai pas connu d’autres couleurs. Je suis fier de jouer pour elle, moins fier en lisant les commentaires de la presse européenne. La nature humaine est ainsi faite : elle aime la sensation. Beaucoup de gens votent pour un parti parce qu’ils sentent que quelque chose bouge, que c’est intéressant et ils veulent en être.

Un journal s’est récemment demandé qui jouerait dans quelle équipe si l’équipe nationale était scindée. Vous étiez dans les deux équipes, la wallonne et la flamande. Où vous verriez-vous ?

Je prendrais la nationalité du plus petit pays au monde et demanderais qu’on me fiche la paix. Où devrais-je me sentir chez moi ? Je suis né à Bruxelles, je ne suis ni Flamand ni Wallon. Une scission engendrerait deux équipes de niveau médiocre et affaiblirait les deux pays en maints domaines. Je ne pense pas qu’on en arrive là. J’espère !

Des principes

Quel trait de caractère que vous n’avez pas vous marque-t-il chez d’autres ?

La faculté des politiciens à employer beaucoup de mots compliqués au lieu de répondre simplement.

Est-ce aussi le cas de certains entraîneurs ?

Ils sont souvent d’anciens footballeurs pros. Ils s’expliquent moins bien. Huub Stevens est un demi-psychologue. Il saisit ce que vous pensez rien qu’en observant votre comportement. Je l’admire aussi.

Quelles qualités doit avoir un bon entraîneur ?

Il doit se faire respecter de ses joueurs, par son attitude mais aussi ses connaissances. Un entraîneur qui a peu de connaissances a du mal à rassembler un groupe derrière lui. Pour être un grand coach, il faut connaître son métier, la nature humaine et posséder de l’aura.

Comment souhaitez-vous qu’on se souvienne de vous en tant que personne ?

Comme de quelqu’un qui était toujours prêt à aider les autres et qui a fait quelque chose pour eux.

Que voulez-vous transmettre à vos enfants plus tard ?

Ils devront savoir que leur grand-mère avait des principes. Ma mère m’a appris qu’il était parfois bon de se battre pour ses principes. A court terme, pareille attitude peut vous valoir des problèmes mais elle vous rend plus fort à long terme.

par geert foutré – photos : michel gouverneur

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