Avec M comme Marseille

Pierre Bilic

L’OM et Bernard Tapie ont jeté leur dévolu sur la tour de contrôle de Sclessin.

Marseille avait envie de découvrir, la semaine passée, le « géant belge » de Bernard Tapie. Marius et la presse de la capitale de la bouillabaisse ne parlaient plus que de « Big Dan » et de Joseph Yobo, les protégés de Tomislav Ivic. L’OM a repris l’entraînement dès jeudi passé avant de partir, vingt-quatre heures plus tard, vers les hauteurs de Font-Romeu pour un bon stage de préparation. Douze gars à peine ont pris de l’altitude dans les Pyrénées car Bernard Tapie veut vendre une bonne vingtaine de joueurs. Daniel Van Buyten n’avait pas encore son billet d’avion en poche en fin de semaine passée mais, à Froidchapelle, il avait déjà préparé son sac de sport et sa valise. Un contrat de cinq ans attendait son paraphe et Tomislav Ivic voulait déjà l’avoir au plus vite à ses côtés.

Sa carrière s’emballe, ses ambitions ont pris un solide coup de booster. Est-ce que cela va trop vite? « Je ne crois pas », dit-il sans la moindre petite hésitation dans la voix. « Quand j’ai quitté Charleroi, on a affirmé qu’il aurait été plus intéressant pour moi de patienter une saison de plus parmi les Zèbres. Je ne pense pas avoir fait un mauvais choix car j’ai progressé dès mon arrivée à Sclessin : les deux saisons que je viens d’y passer m’ont fait du bien. Je n’ai pas eu de craintes en relevant le défi liégeois et je suis animé par le même état d’esprit par rapport à ce qui m’attend à Marseille. J’y vais pour travailler, pour donner de l’ampleur à mes ambitions. J’y débarquerai avec modestie car j’ai tout à prouver. Quand on sait ça, on ne marche pas à côté de ses pompes. Mon éducation est un atout dans tout ce qui m’arrive. J’en profite, je suis heureux mais je sais aussi que tout est très fragile. Mon père est là pour me le rappeler… »

Il y a cinq ans, « Big Dan » évoluait encore à Somzée. Le coach de ce club l’emmena avec son frère afin de tester, raconte la légende, un bel appareil dernier cri pour des tests physiques et avoir deux « cobayes » lors de ses examens pour obtenir son diplôme d’entraîneur. Michel Bertinchamps faisait partie du jury et fut immédiatement intéressé et emballé par l’énorme potentiel athlétique de Daniel. Il en parla tout de suite aux Zèbres, Mario Notaro pista les deux frangins et après un match avec les Espoirs auquel assista Robert Waseige, Charleroi engagea la paire Van Buyten. L’actuel coach fédéral déclara à l’issue du match qu’il était là pour observer Luciano Djim mais qu’il avait été impressionné par le gabarit des frères Van Buyten : « Nous allons les verser dans le noyau B, c’est de la graine de bons footballeurs ».

Un peu plus tard, après une saison passée en réserve (Daniel était médian défensif et il marqua des buts à la pelle), le Mage de Rocourt le lança en D1. A Couvin-Mariembourg, on a dû s’en mordre les doigts : ce club de 1e Provinciale jugea Daniel insuffisant après un test contre un club régional, Macon. Nul n’est prophète dans son terroir.

Daniel avait déjà passé des tests au Sporting de Charleroi quelques années auparavant: Hervé Royet ne l’avait pas retenu. ll faillit jouer aussi à Marchienne. Aujourd’hui, c’est l’OM. Avec M comme Marseille, pas Marchienne: à quoi tient un destin?

Un jour, Daniel Van Buyten mit le grand Jan Koller dans sa poche. C’est probablement après cette performance que les Rouches décidèrent de s’intéresser à lui. Il jouait en D1 depuis un an. Luciano D’Onofrio s’intéressait à Laurent Wuillot mais, madré, demanda à Charleroi de prévoir Van Buyten dans le cadre des transferts et échanges entre les deux clubs. Un deal vite fait, bien fait : le Colonel D’Ono venait de réaliser une bonne affaire, Charleroi pas tellement.

Tomislav Ivic ne jurait que par lui : « Je n’ai jamais vu une telle puissance de la nature. Daniel est phénomémal. Mais il ne se contente pas de vivre sur ses acquis et multiplie ses atouts par un énorme travail au quotidien. Daniel Van Buyten en veut toujours plus : personne ne connaît encore ses vraies limites. Techniquement et tactiquement, il a beaucoup progressé au fil de ces deux championnats passés au Standard. Ce n’est qu’un début. Il atteindra les sommets du football européen et même mondial car il est le prototype du grand arrière de demain. Il a tout et surtout un mental en acier. Van Buyten ne se décourage jamais ».

Quand on note de tels propos, impossible de s’étonner en apprenant que le technicien dalmate voulait à tout prix l’engager. L’OM avait entendu parler de l’intérêt de Leeds United et de Schalke 04 pour Daniel Van Buyten. Robert Louis-Dreyfus, actionnaire principal du Standard et de l’OM, préfère le garder jalousement dans son giron. La trésorerie du Standard encaisserait cent cinquante bons millions de francs belges pour le moment avec de solides pourcentages sur la plus-value, plus tard, en cas de revente. Dreyfus est gagnant à tous les coups. Si l’OM se redresse et que la Belgique se qualifie pour la prochaine phase finale de la Coupe du Monde, la cote de Daniel Van Buyten sera à la hausse. Il faut bien sûr inscrire l’intérêt pour ce joueur dans ce contexte même si cela ne l’intéresse pas trop. Si ce scénario se confirme, son passage au stade Vélodrome ne sera pas long : deux ans tout au plus.

Et si l’OM ne sort pas du trou, Luciano D’Onofrio aura tôt fait de lui trouver un club dans un des grands pays du foot européen. Daniel songe surtout à un nouveau cap sportif. « Ivic me veut et je lui dois beaucoup car il m’a fait progresser », lance-t-il. « Waseige et Ivic sont les coaches qui me connaissent le mieux. Ivic me fit débuter au back droit à Sclessin et même si cela ne me plaisait pas trop, j’ai vu et retenu des tas de choses à cette place, notamment en ce qui concerne le placement, la façon de contrôler, de ne pas attaquer tout de suite un attaquant très rapide, etc. J’ai été très heureux de revenir dans l’axe avec ce bagage tactique en plus. Physiquement, je bossais de plus en plus après chaque entraînement. J’en avais besoin car la charge de travail n’était quelque part pas assez suffisante pour moi. J’en veux plus et, pour cela, je dois partir. En France, et je le dis avec le désir de ne froisser personne, le niveau est tout de même plus élevé qu’en Belgique. Je me suis battu pour que le Standard retrouve l’ambiance européenne. Je ne la découvrirai pas avec mes anciens équipiers mais je me réjouis à l’idée de me mesurer bientôt à des joueurs comme Sonny Anderson, Nicolas Anelka, etc. Je dois passer par là, par cette nouvelle tension, par cette découverte afin de savoir jusqu’où je peux aller ».

Dans sa tête, l’OM sera un tremplin : « Je sais que ce ne sera pas facile et ce n’est pas le but du jeu. L’OM a des supporters très exigeants. Ils font régner une ambiance de folie dans leur stade. Ça me plaira. Je me suis déjà entretenu avec le big boss : Bernard Tapie. Il a esquissé les ambitions de l’OM à propos de la prochaine saison. C’est emballant ».

Tapie n’a pas le choix : il a placé la barre assez haut. L’OM a terminé les deux derniers exercices à bout de souffle, évitant la descente dans la dernière ligne droite et c’est évidemment indigne d’un tel club. Les espoirs des supporters sont immenses. Daniel Van Buyten ne s’engage-t-il pas un peu tôt sur les pentes de ce volcan? Ce joueur est une grande promesse, même une future valeur sure mais son vécu est encore limité alors que l’OM aura aussi besoin de vieux pirates pour canaliser les tensions.

Il ne s’embarrasse pas de ces raisonnements. Daniel Van Buyten mise sur la foi de sa jeunesse. « Je ne serai pas là pour philosopher mais pour jouer au football », dit-il. « C’est sur le terrain que cela se passera et l’OM aura forcément des leaders, des joueurs qui connaissent tous les profils du football français. Bernard Tapie a été très direct en me disant avec ses mots à lui : -Tu as été bon en Belgique, est-ce que tu veux devenir un des meilleurs arrières d’Europe grâce à Marseille?J’ai envie de jouer bientôt en Ligue des Champions : et toi? Je ne pouvais que répondre positivement. Tapie a de l’ambition mais il n’a jamais dit que Marseille viserait le titre la saison prochaine. Les trois premiers sont qualifiés pour la Ligue des Champions. On ne me demandera pas l’impossible. Ivic sait ce que je peux apporter mais il mesure aussi mes limites. Michel Preud’homme voulait me garder. Il me l’a dit mais sait mieux que personne qu’on résiste difficilement à l’appel d’un grand club comme Marseille. De toute façon, je reste dans la famille ».

A un moment, Roger Henrotay tenta de décrocher un peu plus pour son poulain dans le contexte de ce transfert. Il fut immédiatement neutralisé par Luciano D’Onofrio. « Je voulais obtenir d’autres avantages mais Luciano m’a tout de suite dit que c’était impossible car l’OM a fixé tous ses budgets pour la prochaine saison », dit Van Buyten. « Henrotay est mon conseiller, et il m’est précieux, mais tout a évidemment été réglé entre l’OM et le Standard. On m’a proposé un contrat de cinq ans et j’y vois la preuve d’une grande confiance. Marseille m’offre aussi du temps ».

L’équipe nationale a apporté de l’eau à son moulin. Après son but de Glasgow, contre des Ecossais éberlués par sa détente aérienne, les contacts se sont multipliés avec Leeds United. Par rapport à l’OM, Leeds a une équipe solidement installée dans ses ambitions, qui a signé une brillante campagne en Ligue des Champions. On compare souvent Daniel Van Buyten à Philippe Albert, le Prince de Newcastle: un transfert en Angleterre n’aurait-il pas mieux cadré avec tous les atouts de son arsenal personnel?

« Personne ne peut répondre à cette question. On fera le point à la fin de ma carrière. J’ai effectué un choix. Marseille, Dreyfus, Tapie et D’Onofrio souhaitaient que je me prononce en faveur de l’OM. Je l’ai fait car je sens que c’est la meilleure façon pour moi de poursuivre un plan de carrière. Si j’avais opté pour Leeds ou un club allemand, j’aurais également été au bout de mes idées. On ne m’a pas imposé Marseille, j’ai préféré cette possibilités à d’autres. En Angleterre, j’aurais eu moins de crédit au départ, la pression aurait été plus forte car il faut toujours justifier un grand transfert. D’autant plus si un montant important est avancé pour réaliser la transaction. Quand on n’a pas d’appuis sur place, c’est plus difficile en cas de pépins. Si cela ne tourne pas tout de suite à plein régime, Ivic saura me protéger, me conseiller, me relancer, expliquer qui je suis. Ce furent des facteurs de réflexion décisifs. Je serai éternellement supporter du Standard et de Charleroi mais j’ai hâte de découvrir la fameuse ambiance marseillaise. Je partirai seul. Je n’ai pas de petite amie mais ma famille sera souvent à mes côtés. Le soleil leur fera du bien aussi ».

Daniel Van Buyten ne souffre plus de sa fracture du pied. « Cet accident m’a tout de même fait perdre du temps », conclut-il. « Il y a deux mois que je n’ai plus rien fait. D’habitude, je suis presque prêt avant la reprise des entraînements. J’ai un peu de retard, je manque un peu de souffle. Il est temps de reprendre le boulot ».

Il affirma tout cela en espérant, évidemment, que rien ne vienne compromettre le film de ses ambitions marseillaises…

Dia 1

Pierre Bilic

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