Avec des frites chez Louis Michel

Une année 2002 inoubliable pour l’ex-capitaine des Diables. Mais comment envisage-t-il la suite?

Le 17 décembre, lors du prestigieux Gala FIFA, Marc Wilmots montait sur la scène du Palais des Congrès de Madrid pour retirer le prix du fair-play octroyé par la FIFA à la Belgique lors de la dernière Coupe du Monde.

Le lendemain, il montait sur la pelouse de Santiago Bernabeu pour participer au match de gala du centenaire du Real Madrid entre l’équipe immaculée et le reste du monde.

Dans les semaines qui précédaient, Willy s’était vu attribuer le Mérite Sportif Belge et on annonçait qu’il rejoindrait les rangs du MR, convaincu par le grand sachem libéral, Louis Michel.

Avant l’intermède madrilène, malheureusement, Schalke 04 était éliminé de la Coupe de l’UEFA et de la Coupe d’Allemagne. Mais au moins, le Kampfschwein (traduction: cochon de combat, un surnom horrible mais considéré comme laudatif à Gelsenkirchen et dans toute la Bundesliga!) rejouait après avoir subi une douzième opération.

On allait l’oublier: quelques mois seulement après avoir annoncé sa retraite définitive des Diables Rouges, Marc avait aussi annoncé que cette saison serait sa dernière.

Une année 2002 inoubliable? « Je crois que sportivement j’ai atteint le sommet », admettait-il il y a une semaine dans le lobby d’un hôtel de grand luxe de la capitale espagnole. « Etre invité par la FIFA et par le Real…quelles reconnaissances. Et puis, j’ai un beau projet de reconversion, hein! ».

Parlons-en. Dès qu’il avait annoncé sa retraite sportive, on voyait Wilmots devenir entraîneur ou agent de joueur. Mais il précisait bien vite qu’il pourrait aussi reprendre du travail à la ferme parentale et faire du recrutement pour Schalke. Et puis éclatait la nouvelle de son entrée en politique.

« Ce n’est que pour la fin de la saison », rétorque-t-il en calmant le jeu. Calmer le jeu? Voilà du nouveau. Willy n’a jamais calmé le jeu, ni sur le terrain ni à côté où il a toujours dit ce qu’il pensait et tant pis pour les grincheux.

« Mais je vous assure que je veux prendre mon temps », insiste-t-il. « Je termine ma carrière de joueur et j’ai le temps de retourner dans le monde du football. Je pense d’ailleurs que je le retrouverai, comme entraîneur pourquoi pas? Je veux passer mon diplôme pour ça. A l’aise. En me disant aussi que la concurrence est très forte et qu’il ne faut pas nécessairement commencer dans un grand club. Mais mon premier objectif post carrière de joueur, c’est le MR. A 34 ans, je suis très heureux de pouvoir essayer autre chose. Le foot, je le connais et je le connaîtrai toujours. Puis, il y a eu cette idée de Louis Michel. La politique? C’est un bien grand mot, moi ce que je veux c’est utiliser tout ce que j’ai appris dans le sport et au cours de ma carrière pour le mettre au service de nouvelles idées concernant le sport et la jeunesse ».

A l’origine, ce fut la rencontre avec Louis Michel qui fut déterminante: « Je le connais depuis 10 ans, c’est un ami mais aussi un grand capitaine. Récemment, il m’a demandé de venir jouer dans son équipe politique. J’ai dit oui et ça va occuper une bonne partie de ma vie active. Quel pourcentage? 40%. Je ferai aussi autre chose ».

Du rattrapage avec Courtois pendant la trêve

Pendant la trêve, Marc rencontrera un autre transfert du MR, Alain Courtois avec qui il va échanger des idées. « J’ai déjà travaillé sur le sujet », nous a dit parallèlement Courtois. « C’est le projet du parti et Marc est comme moi: on veut foncer Evidemment, il ne termine sa carrière qu’en mai et on a donc des choses à planifier En fait, je ne sais pas encore comment il envisage tout ça ».

Nous non plus. « J’aimerais bien que le sport aide la Belgique à croire en elle, à être optimiste, dynamique, à pousser les jeunes », dit Marc. « Vous avez vu Oliver Kahn sur le podium du Joueur FIFA de l’année? Il n’a pas arrêté de faire la tête pendant toute la cérémonie. C’est clair: il râlait de n’être que deuxième. En Belgique, on est trop vite content du résultat, pas en Allemagne. Moi je suis un grand supporter d’ Henin et de Clijsters. Quand elles jouent bien, je suis fier comme un paon ».

La rencontre de Willy avec le monde de la politique s’est faite de manière on ne peut plus naturelle. Au départ, il n’y avait rien de calculé: « Quand on rentrait en Belgique avec les gosses et les chiens, on pensait mon épouse et moi à d’abord caser tout notre petit monde et puis il était neuf heures et on n’avait toujours rien mangé. Alors hop, on allait s’acheter un sachet de frites et on sonnait chez Louis Il était dix heures, mais on se mettait à table et on commençait à discuter de la vie, de la manière dont les Allemands voyaient les Belges…et puis il était quatre heures du matin et on n’avait pas fini de refaire le monde. Tout a commencé comme ça, vraiment. On s’est sans doute trouvé sur la même longueur d’onde parce qu’on a tous les deux vu notre carrière s’accélérer au même moment, à la fois sur le plan belge d’abord et international plus tard. J’aime bien sa manière de parler, de penser. Et puis, on a tout de suite été d’accord sur un point: un Belge doit être bilingue autrement c’est impossible de s’entendre avec ses compatriotes. On veut que les gens se rapprochent ».

Si Louis Michel, actuellement ministre des Affaires étrangères, n’avait pas demandé à Willy de le rejoindre, il n’aurait jamais pensé à une reconversion pareille: « J’ai uniquement dit oui parce que c’était lui ». Le gaillard est coutumier du fait: ses meilleures performances avec les Diables Rouges ont été livrées avec des entraîneurs qui avaient une foi indéfectible en ses qualités de joueur et de leader: Georges Leekens et Robert Waseige, et qui le faisaient d’office jouer en bâtissant leur équipe autour de lui. « C’est vrai, à part le fait que c’est Wilfried Van Moer qui m’a lancé en équipe nationale comme je le souhaitais », précise -t-il.

Mais se voit-il déjà sénateur comme on l’a derechef parachuté? « Une chose à la fois: le MR m’a placé à la quatrième place pour le Sénat, mais ce que je veux d’abord c’est que les gens réalisent qu’ils doivent prendre soin de leur mental et de leur physique…et que les deux vont ensemble ».

Pour commencer, Marc doit commencer à convaincre Michel à prendre soin de lui! « C’est vrai, on en parle, mais tout le monde est dans le même cas. La condition physique des jeunes Belges est déplorable. Comment voulez-vous avoir des bons résultats sur la scène internationale dans ces conditions? »

« Je ne ressens aucune pression »

Sans parler des frais de la sécurité sociale? « Bien sûr. Ecoutez, le MR a des idées et un programme, mais il avait besoin d’aides de gens du monde du sport. C’est pour ça qu’il a transféré Courtois et Wilmots. Je ne me vois que comme étant une pièce dans un ensemble bien huilé. C’est pour ça que je ne ressens aucune pression. D’ailleurs, il était prévu que je ne me mette en route pour le MR qu’une fois ma carrière finie. Ce n’est pas parce que la nouvelle est sortie plus tôt que prévu que je vais m’énerver. Comment l’info est-elle a-t-elle été rendue publique? Cela venait du MR je pense. Ce n’était pas prévu ».

C’est grave? « Non, je ne vais pas me formaliser pour ça ».

Il change le bonhomme! Comme joueur, Wilmots a toujours été contre les fuites venant du groupe des joueurs. Et il a toujours repris les journalistes de volée quand il estimait que la critique était non fondée. N’a-t-il pas conscience de se diriger vers un milieu où la presse et les gens qu’il va côtoyer seront encore plus à l’affût de la moindre erreur de sa part?

« Je ne pense pas », affirme-t-il. « D’ailleurs, mes premiers contacts avec les journalistes politiques se sont très bien passés. Ils ressentent positivement mon arrivée dans leur secteur. Maintenant, je m’attends à être critiqué évidemment. Mais si la critique est juste et fondée, je n’ai aucun problème. Je ne me crois pas infaillible. Surtout dans un domaine que je vais découvrir. Et puis, franchement, je ne vois pas les choses comme ça. On parle de ma reconversion mais je le répète: je viens pour m’intégrer à un ensemble ».

Il est loin le temps où sa personnalité avait obligé Leekens et Waseige à épouser ses vues s’ils voulaient avoir recours à ses services. Il ne voit apparemment pas vraiment les choses de la même manière pour son entrée en politique

« Ce qu’il y a de bien dans toutes cette histoire, c’est que je n’ai pas besoin de la politique. A aucun niveau. Je me suis engagé uniquement parce que je trouve ça intéressant et que je n’y connais encore rien. Je veux aider à créer quelque chose. Je n’ai pas peur, je me retrousse les manches comme j’ai toujours fait. Je suis toujours le même, je ne vais pas changer. Je pense que j’ai du bon sens et que je suis toujours prêt à discuter. Mais fondamentalement, je suis là pour servir. Le sport m’a apporté beaucoup de choses et ce sera ma manière de rendre une partie de ce que j’ai reçu. La politique a besoin de locomotives pour faire passer certains messages? Je serai là pour ça. Attention, je le répète, je resterai moi-même. Si je suis d’accord avec des idées, je les appuierai mais ma meilleure arme pour convaincre est que je ne suis pas là pour faire carrière. Je reste libre dans ma tête et c’est important. Quand je me suis engagé sur un terrain, pour un club, pour un entraîneur ça a toujours été parce que j’étais à 100% d’accord avec les lignes directrices. Louis Michel sait tout ça ».

Et que se passerait-il s’il n’était pas d’accord avec certaines vues du parti et sur les choses qu’on voudrait lui faire faire? Serait-ce automatiquement le clash? »Marc Wilmots sera toujours Marc Wilmots », laisse-t-il tomber en plantant son regard dans le vôtre pour faire comprendre que les compromis ce n’est pas son genre.

Un vrai libéral!

Quitte à exposer des idées qui pourraient sembler saugrenues pour un sportif comme ses vues sur le tabac et l’alcool? En France, par exemple, où un ministère des Sports veille au haut niveau et à une vraie politique sportive, aucun sponsoring sportif ne peut venir de que d’aucuns considèrent comme des fléaux pour la jeunesse. Qu’en pense Wilmotsalors que la Belgique a été secouée par l’annulation du GP de F1 à Francorchamps mais ne trouve pas anormal qu’une marque de bière sponsorise le championnat de foot de D1?

« Outre le fait que la disparition du GP constitue une catastrophe, il ne faut jamais se mettre des oeillères », dit-il. « Je connais des joueurs, qui fument cinq ou six cigarettes par jour, et n’ont jamais tué personne et ce n’est pas parce qu’il y a des pubs à Spa que j’irai acheter un paquet de clopes ».

Un vrai libéral! « J’ai aussi déjà pris quelques cuites dans ma vie et je n’en suis pas mort. Il ne faut pas opérer des restrictions absolues, il faut éduquer les jeunes, leur faire prendre compte des limites. Il faudra aider les parents à remplir leur rôle à ce niveau. Ce ne sont pas les enseignants qui doivent éduquer les jeunes, quand même! »

Marc n’a pas peur de se lancer dans des dossiers qu’il ne connaît pas encore. Son épouse est juriste, sa famille a un passé dans la politique locale et puis: « Je n’ai jamais eu recours à des managers pour faire mes transferts et signer mes contrats. S’il y a une question de droit que je ne comprends pas, je demande un avis, on m’explique et je prends ma décision. Pas toujours vite et parfois en me trompant, mais je décide. En ce qui concerne mon transfert au MR, j’ai quand même réfléchi pendant trois mois ».

Ce n’était pas une question d’inquiétude et encore moins de peur. Quand il est parti à Schalke et qu’on lui prédisait de la souffrance en Bundesliga, il a haussé les épaules. Et avant le match contre le Brésil, il a rappelé qu’il ne fallait pas avoir peur de Ronaldo et de ses partenaires.

« J’étais parti en Allemagne pour prouver que je savais faire ce que faisait un Allemand. Si on part courir en forêt avec Schalke, les autres vont aussi dégueuler si je dégueule, hein! Et puis, les Brésiliens ont deux jambes comme nous. Mon père m’a élevé comme ça. Il m’a toujours dit de mordre sur ma chique. Il ne comprend toujours pas que j’arrête parce que j’en ai un peu marre de mes bobos. J’ai subi douze opérations dans ma période de joueur (cinq aux genoux, cinq à la cheville, une à l’épaule et une aux adducteurs) et j’espère que c’est terminé Mais pour lui, ce n’était jamais grave. Ce n’était pas ça qui allait m’empêcher de jouer ».

Willy pourrait très bien continuer. Il jure que quand il se lève le matin, il n’a mal nulle part: « J’ai été très bien opéré à chaque fois, mon suivi en kinésithérapie a été idéal et j’ai toujours affiché une volonté farouche de revenir. Quand on additionne ces trois paramètres, ça passe…Actuellement, je suis toujours capable de courir pendant une heure à 160 pulsations à la minute. Je suis toujours au top de ma condition. Cela va me servir à réussir ma fin de carrière de joueur. A Schalke – où mon contrat se termine en mai -, il ne reste plus que le championnat pour briller. On verra. Et on rentrera à Dongelberg. Dans la maison que j’ai fait construire il y a sept ans avant de partir. Si je l’ai louée quand on était en Allemagne et un an à Bordeaux? Ca ne va pas non? C’est ma maison, c’est personnel ».

John Baete, envoyé spécial à Madrid

« Un jour ou l’autre, je reviendrai dans le football »

« Quand Henin et Clijsters jouent bien, je suis fier comme un paon »

« Pas peur des dossiers: je n’ai jamais eu besoin de manager »

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