« Avant, j’étais cinglé… »

Le gardien de Courtrai a une histoire et des avis extraordinaires.

Hooglede, dans la périphérie de Roulers. Ses champs à perte de vue. Et ses bêtes rares importées… Glenn Verbauwhede (24 ans), gardien à Courtrai mais toujours fan pur-sang du Club Bruges où il débute en D1. Son chien d’origine chinoise n’a que quatre orteils par patte au lieu de cinq.  » C’est extrêmement rare « , dit Verbauwhede en parlant de ce craquant ramassis de bourrelets. Et ces quatre alpagas, espèces de lamas des hauts plateaux d’Amérique du Sud ?  » Ils appartiennent à ma voisine et je m’en occupe quand elle est absente. Fais gaffe : si tu les approches de trop près, tu assumes. Ils sont parfois très agressifs. Et tu sais que ce petit cheptel vaut 6.000 euros ? »

Le meilleur de joueur de la saison (!) selon notre Top Foot les a surnommés : Caje (Jan Ceulemans), Emilio (Ferrera), Jacky (Mathijssen) et Georges (Leekens). Trois anciens entraîneurs à Bruges et son coach actuel à Courtrai. Pourtant, les trois premiers ne l’ont pratiquement jamais fait jouer !  » Ça n’enlève rien à mon respect. Ceulemans est arrivé à un mauvais moment. Il passait après Trond Sollied qui avait gagné deux titres et deux Coupes. Quand Ceulemans a débarqué, des piliers sont partis : Timmy Simons, Peter Van der Heyden, Nastja Ceh, David Rozehnal. Ferrera est le meilleur tacticien que j’ai rencontré et un pro hors pair : il était au stade de 7 heures du matin à 7 heures du soir. Et Mathijssen n’a pas eu beaucoup de chance. Il a travaillé dans des conditions extrêmement difficiles. « 

Bruges, et encore Bruges. Une lettre vient d’atterrir sur la table du salon : le Club l’informe que l’option sur sa tête vient d’être levée. Il était sous contrat jusqu’en 2010, c’est prolongé de deux ans. Ce n’est pas une surprise. Jusqu’à l’été dernier, il traînait une étiquette de gardien fantasque. Aujourd’hui, il est fantastique.

Il faut être un peu fou pour devenir gardien. Et certains sont encore un peu plus fous que les autres, non ?

Glenn Verbauwhede : Avant, oui, j’étais cinglé. Plus maintenant. Depuis quelques années, j’ai compris pas mal de choses. Et la naissance de ma fille, il y a six mois, a achevé de me changer. Cette petite, elle doit manger et s’habiller. Ce ne serait pas possible avec un père qui continuerait à faire le fou. Aujourd’hui, je suis un gars responsable qui a compris : si tu ne vis pas à 100 % pour ton métier, tu ne peux pas faire une bonne carrière. C’est Marc Degryse qui m’a fait comprendre tout ça quand il était directeur sportif du Club.

Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Je faisais partie d’une génération dorée en Espoirs et Degryse nous demandait de vivre comme des pros. Mais tout le monde ne l’a pas compris. Nicolas Lombaerts a tout saisi et s’est retrouvé à Saint-Pétersbourg, au top européen. Beaucoup d’autres sont allés moins haut. Jeanvion Yulu-Matondo est à Roda JC, Dieter Van Tornhout à Chypre, Vincent Provoost à Roulers, Günther Vanaudenaerde à Westerlo, Bram De Ly avec moi à Courtrai. Et Jason Vandelannoite vient d’être viré par Tubize : il n’a toujours rien compris alors qu’il avait déjà eu des problèmes disciplinaires au Club. C’est hyper important de bien négocier son début de carrière. Tu es jeune, tu gagnes beaucoup d’argent, tu fais souvent la fête, ça roule. Degryse m’a pris entre quatre-z-yeux et m’a fait comprendre que je courais un fameux risque si je ne changeais pas. Il m’a expliqué qu’on se faisait vite une réputation, bonne ou mauvaise. Mais qu’il fallait très longtemps pour transformer une mauvaise étiquette en bonne image.

Pertes totales, paralysie faciale, gyrophare,…

Tu sortais, tu cassais des voitures, et quoi d’autre ?

J’ai notamment fait une perte totale en allant à un entraînement au centre de l’Union belge à Blégny. J’étais en retard, j’ai appuyé sur le champignon, et dans un virage serré, j’ai tiré le frein à main pour me marrer. Je me suis retrouvé sur un pylône. En tout, j’ai eu quatre accidents graves. Et une paralysie du visage, mais pas à cause d’un accident de la route. A 16 ans, avec des copains, j’avais parié que je ferais tout notre trajet avec la tête en dehors de la voiture : 42 km et il faisait moins 3. Tout ça pour 30 euros : quelle connerie ! Je m’amusais aussi avec mon gyrophare. Un jour, j’ai voulu arrêter Sandy Martens sur l’autoroute, après un match de Bruges. Je me suis mis sur la bande d’arrêt d’urgence et je l’ai attendu pour lui faire peur avec mon gros feu bleu. Pas de chance, c’est la voiture de Sollied qui s’est arrêtée. Mon coach ! Heureusement qu’il savait aussi faire la fête. Mais il m’a quand même conseillé de me calmer. Elle était assez terrible dans la région, ma réputation. Quand j’ai approché ma copine d’aujourd’hui, Leen, elle n’a pas voulu entendre parler de moi. Elle m’a dit que je faisais trop de bêtises, que ce n’était pas pour elle. J’ai dû la poursuivre pendant quatre mois pour la faire craquer. Nous sommes ensemble depuis quatre ans et nous avons un enfant : magnifique, non ?

Tu aimes toujours autant la provocation !

Pour moi, provoquer, c’est faire un doigt d’honneur aux supporters adverses. Je ne l’ai jamais fait. Contre le FC Malines, j’ai joué volontairement avec un maillot vert : la couleur du Racing, le grand rival. (Il éclate de rire). Et je n’hésite pas à lever le poing après un bel arrêt. C’est ma manière de dire : -Yes, I feel good et si vous voulez me siffler, allez-y, je me sentirai encore plus fort. C’est aussi ma façon de montrer aux joueurs adverses que je suis là et qu’ils devront être forts pour me mettre un but. Le foot est un sport d’expressions et d’émotions. Je connais des gardiens qui ne réagissent jamais à rien mais sont bouffés par le stress. Moi, je suis plutôt du type macédonien, comme Cedo Janevski. Je l’avais comme coach en Espoirs à Bruges, il savait rester calme longtemps, mais quand l’équipe ne tournait pas, il se transformait, il commençait à fumer comme un pompier et à se déchaîner devant son banc.

Ton comportement peut passer pour de l’arrogance.

Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas arrogant. Mais si on m’attaque, je réagis. Philippe Vande Walle m’a par exemple dit : -Si on te jette un briquet depuis les tribunes, essaye de le reprendre de la tête. Une façon de montrer ce que je suis aux supporters. Mais là encore, je n’ai pas de problème. Je préfère prendre une bière sur la gueule qu’entendre des insultes sur ma mère. C’est le genre de truc qui me rend fou. La Fédération fait toute une campagne sur le fair-play mais des arbitres n’arrêtent toujours pas des matches pendant lesquels des supporters chantent : -X ou Y, ta mère est une putain. Même des joueurs participent à ce cirque. Et si tu es noir, marocain ou turc, tu as plus de chances de te prendre des insultes pareilles.

 » Je n’aurais pas dû impliquer Dufer « 

Tu as eu ton insulte pour les joueurs du Standard : des imbéciles.

C’était une interview à la radio, on a beaucoup coupé au montage. Mais c’est vrai que cette phrase, je l’ai prononcée. J’ai juste commis une erreur en disant que Gregory Dufer m’avait confirmé ce que je pensais de quelques joueurs du Standard. Je n’aurais pas dû l’impliquer. Je m’excuse auprès de lui.

Il t’a confirmé qu’il y avait des imbéciles là-bas, oui ou non ?

Oui… Mais qu’on arrête de parler de ça. Dans chaque club, il y a des fortes têtes. Plus dans les grandes équipes que dans les petites. J’ai par exemple été le coéquipier d’Andres Mendoza. Un phénomène. Si tu lui disais qu’un truc était blanc, il te répondait que c’était noir. Quand quelqu’un du Club lui disait : -Park you car here, il répliquait : -Je mets ma voiture où je veux

Qui a déclenché la bagarre dans le couloir des vestiaires après le match de Coupe contre le Standard ?

Le kiné du Standard. Je comprenais leur frustration, ils venaient de se faire éliminer par le petit Courtrai après avoir notamment raté un penalty. Mais tout le monde avait quand même bien vu que mon choc avec Axel Witsel, qui a tout déclenché, était involontaire. On oublie. Je n’ai rien contre ce club et j’ai même un respect énorme pour Dufer, pour Steven Defour, pour Milan Jovanovic.

Tu arriveras un jour à ne plus être obsédé par le Club Bruges ?

Je dois tout au Club, il faut comprendre. Chaque fois que je passe près du stade, j’ai des frissons.

Tu penses toujours que tu as un avenir là-bas ?

Il y a trois solutions. 1. Je retourne à Bruges cet été. Mais tout dépendra de l’avenir de Stijn Stijnen. Il est impossible à détrôner, et moi, j’aurai du mal à reprendre ma place sur le banc après la saison que je fais. Je pourrais peut-être rester réserviste un an, mais pas plus. 2. On prolonge mon prêt à Courtrai. Ce serait la meilleure option. 3. Je signe dans un autre club, belge ou étranger. Je ne suis pas pressé. Je me donne au moins jusqu’au 15 avril pour en savoir plus. L’avantage de disputer les play-offs 1, c’est que plein de scouts vont suivre nos matches. On a cité récemment des contacts avec Genk et le Germinal Beerschot mais il n’y a rien eu du tout.

Tu ressentiras un manque si tu ne t’imposes finalement jamais dans le but de Bruges ?

Certainement. Depuis longtemps, j’ai l’espoir secret de devenir au Club ce que Stijnen y représente pour le moment. Si je n’y arrive pas, ce ne sera pas un échec mais quand même une sacrée déception.

 » Je me retrouve en Oliver Kahn « 

Tu fais une saison de fou mais tu n’aurais peut-être pas joué du tout si Kristof Van Hout n’était pas parti au Standard tout à la fin de la période des transferts ! Un cadeau du ciel ?

Pas du tout. J’ai prouvé dans les matches de préparation que je méritais d’être titulaire. J’ai gagné ma place comme un grand, comme un pro. J’ai bossé comme un animal ! Je pesais 95 kg quand les entraînements ont repris, j’en ai perdu huit au cours des deux premières semaines et je suis maintenant à 84.

Tu es le Walter Baseggio flamand ?

Si je ne fais pas attention, j’arrive à 100 kg en un rien de temps. Du temps de Bruges, il m’est arrivé de prendre cinq kg en un week-end, un city-trip à Rome avec des copains. Nous avons vécu comme des pachas, comme des Italiens, et ma balance a directement hurlé. Mais avec Vande Walle, je n’ai pas le choix. Il ne me lâche pas une seconde, il surveille tout, dont mon poids. Chaque semaine, il m’oblige à étudier quelques pages sur l’adversaire. Il exige que mon armoire soit toujours nickel, que mes godasses et mes gants soient toujours parfaitement propres. Il me fait aussi étudier des consignes qui traitent de la communication, de l’habillement, des émotions. Avec lui, je bosse à l’allemande. Il est encore allé récemment là-bas pour suivre un entraînement donné par Andreas Köpke, le préparateur des gardiens de l’équipe nationale.

Et ton idole, c’est Oliver Kahn, non ?

Oui. Je sais plein de choses sur lui et je me retrouve un peu en lui. Il disait qu’il fallait lui foutre la paix dans sa préparation d’un match, que si sa femme le faisait chier, il était capable de la mettre dehors ! Je serais bien comme ça aussi. Et j’aimais son charisme, sa présence, ses expressions sur le terrain. J’ai eu la chance de le rencontrer quand j’étais sur le banc de Bruges pour un match européen contre le Bayern. La veille, j’ai assisté à son entraînement et j’ai pris plein de notes. Et après le match, il m’a offert ses gants et son maillot. Il prenait toujours une nouvelle paire de gants à la mi-temps, par exemple : c’était une de ses manies. J’ai aussi les miennes… Le jour d’un match, je porte des lunettes, je ne mets pas de gel et ma casquette ne me quitte pas. Une heure avant le coup d’envoi, je place mes lentilles et je balance plein de gel dans mes cheveux.

Tu n’as pas eu peur d’être isolé dans le groupe quand tu es revenu à Courtrai l’été dernier ? On t’avait viré l’année passée parce que tu n’avais pas été très collectif !

Toujours cette vieille histoire… Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Avant notre match contre Malines, j’ai dit à Vleminckx que s’il voulait marquer contre notre gardien titulaire, Peter Mollez, il n’avait qu’à tirer comme Baseggio l’avait fait peu de temps avant. Rien d’autre. On a tout gonflé dans les journaux et Courtrai m’a écarté. En novembre,… donc je suis resté presque une saison sans m’entraîner avec des pros. A partir de janvier, j’ai travaillé avec les Espoirs de Bruges mais ça n’avait rien à voir. C’est aussi cela qui explique ma prise de poids, en plus d’une blessure.

Et tu es donc rentré à Courtrai comme si tu retrouvais plein d’amis ?

Quand Georges Leekens m’a contacté, j’ai exigé une discussion avec certaines personnes du club. Je voulais juste comprendre pourquoi on avait cru tout ce que Hein Vanhaezebrouck avait raconté alors qu’il n’y avait aucune preuve. On m’a rassuré et le groupe m’a accueilli à bras ouverts.

Sterchele l’appelle en pleine sortie fatale

Tu avais aussi consulté un psy : pourquoi ?

J’ai eu trop de problèmes graves en peu de temps. La mort de mon arrière-grand-mère : j’y étais terriblement attaché. Deux copains d’études se sont tués sur la route puis François Sterchele a suivi. C’était vraiment mon pote. Pendant des mois, il m’avait dit : -Il paraît que tu es un sorteur, on fera une bonne guindaille en fin de saison. Le soir de son accident, il m’a appelé vers 22 heures. Il voulait que j’aille le retrouver à Anvers. J’ai hésité puis j’ai laissé tomber parce que ma copine n’aurait pas apprécié que je parte seul. Si j’y étais allé, je serais probablement revenu avec lui dans sa Porsche ! Aujourd’hui, je regarde sa photo avant chaque match et je lui parle, ça fait partie de mon rituel. Dans la même période, ma mère est tombée gravement malade : elle est tout pour moi parce que mon père m’a abandonné.

C’est-à-dire ?

Je vais te raconter un truc dingue. Il y a quelques semaines, un supporter vient me féliciter à la sortie du stade après un match de Courtrai. Il me dit les banalités d’un supporter qui est content et me dit avant de partir : -Je sais que tu ne veux plus parler du passé mais tu dois savoir que ma porte te sera toujours ouverte. J’ai réfléchi, et quelques minutes plus tard, j’ai compris que c’était mon père. Il a quitté ma mère quand j’avais six mois. J’ai continué à aller chez lui un week-end sur deux jusqu’à l’âge de huit ans et j’ai décidé à ce moment-là que je ne voulais plus le voir. Il est donc revenu vers moi plus de 15 ans plus tard. Mais moi, je n’ai pas changé d’avis : c’est fini.

par Pierre Danvoye

Mon père veut me revoir après plus de 15 ans sans contact ; pour moi, c’est non.

Je préfère prendre une bière sur la gueule qu’entendre des insultes sur ma mère.

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