Autopsie d’une pomme pourrie

Le médian français a quitté le Standard, qui l’avait relégué en dehors du noyau, pour le néo-promu.

J an Ceulemans est venu en voisin, avec son chien. On n’est pas à Westerlo mais à Kessel, le centre d’entraînement du Lierse. Dans d’autres pays, on appellerait cela de l’espionnage industriel. Pas ici. On a beau être dernier, on n’est pas tombé dans la paranoïa. Il n’y a pas vraiment de quoi après la pléthore de transferts effectuée lors de la dernière semaine du mercato. Le Lierse a des ambitions et a attiré notamment un médian qui a disputé une quinzaine de matches de coupes d’Europe et a été sacré champion de Belgique, il y a un an.

Benjamin Nicaise, 30 ans à la fin du mois, débarque après sa pause de midi, décontracté. A la fin de l’interview, il insiste sur le fait qu’il ne veut pas paraître pour quelqu’un d’aigri. Il ne l’est pas. Il est juste lui-même, avec ses opinions tranchées dans un monde du football trop hypocrite.

Comment le Lierse vous-a-t-il convaincu de signer pour lui ?

Benjamin Nicaise : J’avais entendu que le club avait une grosse envie de revenir au plus haut niveau. Le président était motivé et puis, il y a une histoire, ici. Je suis arrivé après trois défaites et depuis lors, il y en a eu encore deux. C’est un peu compliqué, mais le Lierse a fait les efforts nécessaires pour se renforcer. Le mercato est maintenant terminé et on a quatre mois pour travailler en vase clos. Il n’y aura plus de chamboulements. C’est important pour la vie d’un groupe.

Quel rôle va-t-on vous confier ?

On m’a pris pour faire ce que je sais faire.

C’est-à-dire ?

Agir comme un médian relayeur. Et apporter offensivement ce que je n’avais pas le droit de faire au Standard. Avec Laszlo Bölöni, je ne pouvais pas attaquer et avec Dominique D’Onofrio, c’était un peu pareil. J’étais là pour boucher les trous, faire le sale boulot pendant que les autres s’amusaient.

Le Lierse constituait-il votre premier choix ?

Non. Dans un premier temps, j’ai essayé d’avoir une aventure à l’étranger. Pas parce que j’estimais avoir fait le tour du championnat de Belgique mais parce que je voulais découvrir une autre culture, un environnement différent (NDLR : Chaque année, Nicaise part découvrir un nouveau pays lors de ses vacances. Il s’est déjà rendu en Thaïlande, Corée, Vietnam et Indonésie). Mais c’est difficile de travailler quand on ne connaît pas son prix.

Vous estimiez que le Standard était prêt à vous laisser partir dans un club belge mais demandait une somme trop élevée quand il s’agissait d’une formation étrangère ?

C’est un peu ça. Comme s’ils voulaient récupérer de l’argent sur un joueur… mis à l’écart. J’ai eu des contacts avancés avec Michel Preud’homme. C’est lui qui m’avait attiré au Standard avant de partir ; il avait déjà tenté de me faire venir à Gand et il a encore essayé à Twente. Mais le Standard a demandé une somme qui a bloqué la transaction.

Combien ?

Il s’agissait de bonus aux matches joués. Mais quand Preud’homme, qui est le meilleur entraîneur belge de ces cinq dernières années et qui fut autrefois meilleur gardien du monde, veut travailler avec toi sur ces trois derniers clubs, ça te rassure sur tes qualités. Et sur tes prestations réalisées au Standard. N’en déplaisent à certains !

Quand avez-vous accepté de discuter avec le Lierse ?

J’avais des propositions de Grèce et d’Allemagne mais la situation de cet été ne m’a pas été favorable. A un moment donné, il faut gérer sa carrière en bon père de famille. J’ai vu que ça ramait en Grèce et j’ai aussi fait l’erreur d’accepter des tests. Pour la première fois de ma carrière. Or, les tests, c’est bon pour quelqu’un qui n’a plus joué depuis six mois ou un an, pour se rendre compte de ce qu’il vaut. Moi, j’avais quand même disputé la Coupe d’Europe.

Pourquoi avoir accepté ?

J’étais tellement assoiffé de ballons…

Et cela s’est mal déroulé ?

Au Maccabi Tel-Aviv, on a écrit que j’avais blessé un joueur. Or, c’était totalement faux. Il s’agissait d’un prétexte du club pour ne pas me faire signer. Evidemment, cela n’a pas arrangé ma réputation. Et à Crystal Palace, cela a bloqué sur le plan financier. Finalement, ils ont opté pour Edgar Davids qui a accepté de se faire payer au match joué.

 » Qu’est-ce que j’ai fait pour être traité de la sorte au Standard ? »

Vous êtes déçu du Standard ?

Je ne m’attendais pas à grand-chose mais je me demande quelles sont les erreurs que j’ai commises. Qu’est-ce que j’ai fait pour être traité de la sorte ? Mais je n’étais pas le seul. Mohamed Sarr, qui y a joué cinq ans, a reçu le même traitement. Comme Cédric Collet ou Wilfried Dalmat. Et d’autres suivront. C’est dommage pour un grand club !

Que leur reprochez-vous ?

Je n’ai aucun problème avec le fait qu’on puisse se séparer d’un joueur. Tant que c’est fait honnêtement et franchement. Pourquoi ne m’avoir pas laissé l’opportunité de m’entraîner avec le groupe ? Et pourquoi nous faire passer pour des gens irrespectueux ou des pommes pourries ? Pommes pourries, ça, c’est la grande expression que les clubs emploient pour se débarrasser de certains. Moi, j’ai toujours tout donné pour le Standard, même si je savais qu’on me considérait comme la cinquième roue du carrosse, ce qui n’est jamais évident. J’ai les cuisses propres. Les matches de playoffs 2, quand certains ne voulaient pas les jouer ou commençaient à avoir mal au dos ou à la cheville, moi, j’étais là. Je n’ai jamais snobé le maillot.

On vous sent un peu en colère…

Je ne suis pas aigri. La vie continue mais il faut me comprendre. A chaque fois que je montais et que je faisais des matches corrects, je retournais sur le banc. Ces allers-retours incessants, à force, ça use.

Vous le preniez comme une injustice ?

L’injustice, c’est un grand problème de ma personnalité. Je déteste ça. Au Standard, certains joueurs avaient le droit de ne pas être… très bons, on va dire. Et d’autres n’avaient tout simplement pas le droit d’être bons.

Comment vous expliquait-on votre retour sur le banc ?

Bölöni ne me l’expliquait pas et D’Onofrio me disait qu’il fallait me préserver pour les matches à venir en Coupe d’Europe.

Comment analysez-vous ces retours ?

Les dirigeants avaient, dans leur tête, une hiérarchie bien établie avec les Defour, Witsel et compagnie. Il suffisait de regarder et on comprend cela très vite. Or, dans la carrière d’un joueur, un petit passage sur le banc quand on ne joue pas bien, cela ne fait pas de mal. Au contraire, cela peut même faire du bien. Or, ils étaient très jeunes et très sollicités…

Avez-vous l’impression que les Defour et Witsel jouaient avec cela ?

Non, non ! Ils sont trop jeunes pour tricher !

Enviiez-vous la position de Defour et Witsel ?

Non. Je n’étais pas jaloux de m’asseoir à côté d’un mec qui vaut 20 millions d’euros. On est dans la même galère, le même club. On n’a juste pas subi la même progression.

Quand vous a-t-on dit que vous deviez vous entraîner à l’écart du groupe ?

Une semaine avant la reprise.

Vous le sentiez venir ?

Je savais qu’on ne comptait pas sur moi mais s’il avait fallu, j’aurais presté ma dernière année au Standard.

Lors d’une mise au vert, vous aviez fait le mur et votre nom, ainsi que celui de Dalmat, avait été dévoilé dans la presse. Avez-vous l’impression d’avoir été trahi ?

On était huit à avoir fait le mur. Tout le monde, en interne, connaissait le nom des huit. On aurait pu les trahir mais on ne l’a pas fait. Et c’est tout à notre honneur de ne pas avoir lâché les noms. C’était plus facile de dire que Dalmat et Nicaise étaient sortis puisque Wilfried était, à cette époque, en désaccord avec la direction et que moi, j’étais son ami. Sans compter que Bölöni aurait bien voulu que je parte. Malheureusement, ceux qu’on a couverts ne nous ont jamais renvoyé l’ascenseur.

Vous attendiez qu’ils vous supportent en se dénonçant ?

Non, j’attendais juste un merci.

Cependant, vous étiez censés être les plus âgés. C’est peut-être pour cela que vous avez été punis ?

Oui mais l’acte est le même quel que soit l’âge !

Mais à 29 ans, on attendait de vous que vous serviez d’exemple ?

Je dois sans doute être encore jeune dans ma tête ( Il sourit).

Etait-ce une erreur ?

Je n’ai pas d’excuse à faire valoir. J’ai commis une erreur et ce qui est fait est fait.

 » Le public du Standard n’est pas difficile à séduire. Si tu te bats, la moitié du stade te suit « 

Quel était votre rapport avec la direction du Standard ?

Quasi inexistant. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir demandé un entretien pour connaître la position du patron ( NDLR : Lucien D’Onofrio). Mais à chaque fois que je demandais un rendez-vous, il me répondait que ce n’était pas possible, pas tout de suite, pas maintenant, on réfléchit, etc. Chaque club a son mode de fonctionnement mais quand tu demandes un dialogue et qu’on te le refuse, je trouve ça… bizarre. Cependant, je peux comprendre : il avait d’autres cas à gérer que le mien.

Quel bilan tirez-vous de vos deux ans au Standard ?

Je retiens un titre de champion, des matches à Liverpool, Arsenal, Belgrade, Athènes. Je regrette juste de ne pas avoir reçu pleinement ma chance. On ne m’a jamais laissé jouer cinq matches d’affilée. Quand j’étais titulaire, je rejouais un mois plus tard. Avec Bölöni, il n’y avait que les onze titulaires qui comptaient. Et moi, je m’entraînais de mon côté pour pouvoir saisir ma chance quand on me la donnait. Pour certains, je n’avais pas le niveau mais qu’on fasse le test avec n’importe quel joueur, qu’on le laisse jouer une fois tous les deux mois et on verra si c’est facile. Et heureusement que dans ces conditions, j’arrivais à encore sortir l’une ou l’autre bonne rencontre !

A part le titre et les 15 matches européens, vous gardez certaines satisfactions ?

Oui. Je me souviens notamment de la seule fois où Bölöni m’a convoqué dans son bureau pour m’expliquer pourquoi il ne m’alignait pas. Il ne l’avait jamais fait auparavant. Je lui ai répondu – J’ai gagné car jusqu’à présent vous ne m’aviez jamais fourni une seule explication. Pour moi, le fait qu’il s’explique signifiait simplement qu’au fond de lui-même, il savait que je méritais de jouer.

Votre statut n’a que légèrement changé avec l’arrivée de DD…

C’est trop délicat de juger cette période-là. Dominique D’Onofrio est arrivé à un moment où nous n’étions nulle part en championnat et où la Coupe d’Europe avait envahi notre esprit. Il a cependant quand même donné un élan à ce groupe qui était dans une logique pessimiste.

Pensez-vous que le Standard actuel peut lutter pour le titre ?

On verra si leur logique est la bonne, à la fin de la saison. Et comme le dit Pierre François, on fera l’autopsie à ce moment-là. Le problème, c’est qu’une autopsie ne se pratique que sur les morts. J’espère donc pour eux qu’ils ne feront pas l’autopsie en fin de saison ( il rit).

On reproche au Standard de n’avoir conservé que deux titulaires de son premier titre. Fallait-il modifier ce noyau arrivé en fin de cycle ou le conserver ?

Je me rappelle de mon dernier match à Mons en 2007. C’était contre Anderlecht. A l’époque, il y avait déjà dans l’équipe Deschacht, Proto, Juhasz, Boussoufa, Van Damme et Biglia. Cette base est toujours là. Anderlecht a laissé passer les deux années sans titre sans s’affoler, en faisant confiance à ses joueurs.

Quel souvenir pensez-vous avoir laissé à Sclessin ?

Les supporters savent que je ne suis pas Zizou mais bien un joueur qui mouille son maillot. Le public de Sclessin n’est pas difficile à séduire. Si tu te bats, la moitié du stade te suit. Depuis la fin de l’arrêt Bosman, on n’a pas arrêté de parler de mercenaires mais il peut y avoir des joueurs qui, comme moi, vont de clubs en clubs et se donnent à fond. Je pense qu’avec mon club formateur, Nancy, et Mons, le Standard restera dans mon c£ur. C’est dans ces clubs-là que j’ai pris le plus de plaisir. Et le plaisir, finalement, c’est ce que tu retiens à la fin de ta carrière.

par stéphane vande velde – photos: belga

« Le public de Sclessin sait que je ne suis pas Zizou mais que je mouille mon maillot. »

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