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 » Aujourd’hui, je fais partie des leaders « 

Il déteste qu’on raconte ce qui se passe dans le vestiaire. Dino Arslanagic ne parle pas beaucoup, c’est un bosseur qui admet avoir un boulot de rêve.  » Le foot, c’est toute ma vie.  »

Si vous voulez connaître les derniers cancans de l’Antwerp, ce n’est pas à Dino Arslanagic que vous devez vous adresser. Après la séance photos, alors que nous nous apprêtons à entamer l’interview, nous croisons Lior Refaelov. L’Israélien vient dire bonjour et les deux hommes rigolent pendant un moment au sujet de la tenue du défenseur.

 » Tu as fait les photos habillé comme ça ? Aie, aie aie…  » Sur le plan sportif, Refaelov ronge son frein. Quand on lui demande ce qui ne va pas, il souffle :  » Demandez-le plutôt à Dino, il sait tout.  » Arslanagic rigole.  » Vraiment, je ne sais pas. Et même si je le savais, je ne le dirais pas. Je ne parle jamais de ce qu’il se passe dans le vestiaire. Je suis très discret (il rit). Ça commence bien, non ?  »

On va vérifier tout ça. La victoire sur Bruges vous a fait du bien ?

Dino Arslanagic: C’était une belle victoire, nous nous sentions mieux qu’après les matches des semaines précédentes. Nous avons déjà gaspillé au moins quatre points, c’est trop. Sans cela, nous serions mieux classés. Heureusement, nous avons battu Bruges. C’est bien pour les supporters aussi : pour eux, c’est toujours un match spécial.

Que pensez-vous de votre saison jusqu’ici ?

Arslanagic: Elle a mal commencé, avec une blessure au mollet dès la reprise des entraînements. J’ai traîné ça longtemps car l’hématome ne se résorbait pas. J’aurais pu être opéré mais nous avons choisi la voie naturelle et ça a pris plus de temps que prévu. Après, j’ai dû refaire mon retard. Un véritable chemin de croix. Une blessure n’arrive jamais au bon moment mais ici, ça tombait particulièrement mal.

Parce que ça vous a fait rater un transfert en Turquie ?

Arslanagic : C’est la presse qui a parlé de ça, pas moi. Je dis seulement que ce n’était pas le bon moment.

 » Je suis chiant, hein ?  »

Parce qu’on était en pleine période des transferts…

Arslanagic : C’est vous qui faites la liaison (il rit). Je suis chiant, hein (il rit encore). Il y avait peut-être des possibilités de transfert mais quand on est blessé, tout ça s’estompe. On doit s’entraîner seul pendant que les autres jouent. J’ai été repris pour la première fois à l’occasion des matches européens contre AZ mais, en comptant les vacances, ça faisait trois mois que je n’avais plus joué. J’ai dû retrouver le rythme, une place dans l’équipe. Depuis la rencontre à Anderlecht, à la mi-septembre, je joue tout et je progresse chaque semaine. Je retrouve du rythme. Un joueur a besoin d’aligner les matches.

Depuis la rencontre à Anderlecht, à la mi-septembre, je joue tout et je progresse chaque semaine.  » Dino Arslanagic

Votre rôle a-t-il changé par rapport aux deux dernières saisons ?

Arslanagic: ( il réfléchit) Je défends toujours et je pense que je le fais bien. Sur ce plan, je n’ai donc pas beaucoup évolué. Mais pour le reste… La première saison, j’ai souvent été associé à Dylan (Batubinsika, ndlr). La saison dernière, c’était Jelle (Van Damme, ndlr). Et maintenant, c’est Wesley (Hoedt, ndlr). Ne me demandez pas d’expliquer les différences. Les journalistes essayent parfois mais je préfère rester superficiel. Si je dis quelque chose de bien de l’un, l’autre peut mal le prendre. Et inversement.

Je ne veux de problème ou de malentendu avec personne (il rit). C’est pas marrant de m’interviewer, hein ? Ce qui a changé, je pense, c’est ma place au sein du groupe. Au début, j’étais nouveau. Maintenant, je fais partie des leaders. Je ne crie pas et ne fais pas de grands gestes mais s’il faut coacher sur le terrain, je suis là. Je ne pense pas qu’en défense, un joueur ait davantage d’importance qu’un autre. Wesley et moi sommes relativement semblables, je trouve (silence). Vous posez des questions bizarres.

Dino Arslanagic :  Avoir un beau stade, c'est bien. Mais c'est mieux d'avoir un stade qui vit, comme celui de l'Antwerp.
Dino Arslanagic : Avoir un beau stade, c’est bien. Mais c’est mieux d’avoir un stade qui vit, comme celui de l’Antwerp. « © inge kinnet

 » L’Antwerp, c’est super  »

Je me demande juste qui dirige. Au sein d’une défense, on doit communiquer. Or, Bolat et vous êtes les éléments stables puisque vous êtes là depuis deux ans et demi et que vous jouez tous les matches.

Arslanagic: Ah, ok, je vois ce que vous voulez dire. Qui est le leader ? On peut être un leader naturel mais après deux matches, c’est un peu tôt. C’est quelque chose qu’on a ou pas mais ça vient surtout au fil des rencontres. Je n’ai jamais dirigé mais ça ne veut pas dire que je n’encourage pas, que je ne motive pas.

Comment étiez-vous lorsque vous étiez blessé ?

Arslanagic: Je me sentais mal mais c’est normal. Une semaine après ma blessure, tout le groupe est parti en Allemagne et je suis resté tout seul à me soigner, à faire des exercices. Je n’étais au courant de rien, je devais sans cesse demander ce qui se passait. Ce n’était pas drôle.

Vous avez essayé de trouver du réconfort en famille ?

Arslanagic: Pas vraiment car, quand on est blessé, on passe encore plus de temps au club. Je suis séparé, je n’ai pas de copine, pas d’enfant. Il me reste mes parents et mes amis mais je suis un solitaire, surtout quand ça ne va pas. Je ne parle pas beaucoup, je préfère qu’on me laisse tranquille. J’étais donc tout le temps tout seul.

Il y a eu pas mal de transferts l’été dernier, des joueurs connus. Vous sentez le club plus ambitieux ?

Arslanagic: Pas plus ambitieux : ça fait trois ans que l’Antwerp veut redevenir un grand club. Ça se voit à l’extension du stade, aux transferts de joueurs réputés. L’an dernier, il y avait eu Mbokani et Refaelov, maintenant, on continue. Et puis, il y a du mouvement dans les clubs chaque saison. Parfois c’est bien, parfois pas. Ici, c’est super à mes yeux.

 » On devrait parfois être plus dur  »

Mais l’équipe est-elle plus expérimentée ? Plus talentueuse ?

Arslanagic: Sur papier, oui. Seulement, ça ne s’est pas encore vu aux résultats.

Question logique : pourquoi ?

Arslanagic: Bonne question, aussi ! Si j’avais la réponse, je serais coach (il réfléchit). Je trouve que nous devrions parfois être plus durs, comme contre Bruges. Jouer avec le couteau entre les dents. Nous avons une équipe technique et physique mais nous ne sommes pas toujours assez tranchants. Nous manquons parfois aussi un peu de chance mais ne me dites pas que la chance sourit toujours aux audacieux. Contre Bruges, j’ai compris que nous allions gagner lorsque, sur un tacle de Wesley ( Hoedt, ndlr), le ballon a lentement lobé Sinan mais est passé au-dessus.

Je ne veux de problème ou de malentendu. Avec personne.  » Dino Arslanagic

Quelques semaines plus tôt, il serait rentré à coup sûr. Ce sont des choses qu’on ressent sur le terrain. Attention : on ne gagne pas un match rien qu’avec de la chance. Il faut du talent et un bon collectif. De l’engagement, aussi. Je pense que nous avons une bonne équipe et de très bons joueurs. Notre noyau est un des meilleurs de Belgique mais nous devons obtenir des résultats en nous battant chaque semaine sur tous les ballons.

La saison dernière, vous étiez meilleurs en déplacement qu’à domicile. Cette fois, c’est le contraire. Comment expliquez-vous cela ?

Arslanagic: Tant mieux pour les supporters mais je n’ai pas d’explication, c’est juste une statistique.

 » Tenir le zéro est plus difficile cette saison  »

Les statistiques, il faut les analyser et en tirer les conclusions.

Arslanagic: Je pourrais le faire mais je ne veux pas prendre la place du coach. Je suis défenseur, pas entraîneur. Nous avons des joueurs capables de faire basculer un match mais il y en avait l’an dernier aussi.

Moins ?

Arslanagic: Peut-être. Ou alors ils sont plus efficaces cette saison ? Contre Bruges, Didier (Lamkel Zé, ndlr) a traversé tout le terrain et son centre a abouti dans le but. Ivo (Rodrigues, ndlr) est capable de cela aussi. Et il y a encore Rafa, Kevin (Mirallas, ndlr), Mbo, Miyoshi. Derrière, nous avons des guerriers. Devant, des artistes.

Plus le public ?

Arslanagic: Oui mais l’an dernier, nous gagnions moins facilement à domicile. Cela veut-il dire qu’il nous soutenait moins ? Vous voulez que j’aie des problèmes ( il prend un air sérieux puis éclate de rire). Avec ce genre de questions, on crée des problèmes sans le vouloir. Mais je réfléchis à ce que je dis.

Est-ce une question de discipline ? D’esprit de groupe ?

Arslanagic: ( il ne répond pas) Vous voulez vraiment que j’aie des problèmes avec tout le monde ! Ce sont des questions à poser à l’entraîneur. Je vois seulement que, ces dernières semaines, nous avons toujours ouvert le score, que ça se passait bien mais que nous ne parvenons pas à garder le zéro derrière alors que c’était notre force la saison dernière. J’en reviens toujours au match contre Bruges mais là aussi, Siebe tire, le ballon rebondit et surmonte le gardien. Si ça avait été un beau tir, je n’aurais rien eu à dire, juste : Bravo. Mais un but pareil… La saison dernière, nous marquions, nous faisions le gros dos mais nous tenions bon ou nous doublions le score. Maintenant, nous marquons puis quelque chose ne va pas. Ne me demandez pas quoi ni pourquoi, je ne le sais pas moi-même. Reculons-nous trop ? Ça arrive souvent sur phases arrêtées. Pourquoi ?

 » Je cherche toujours à me protéger  »

J’ai l’impression que l’Antwerp cherche encore une nouvelle identité, qu’il veut jouer davantage au football tout en conservant son esprit de battant.

Arslanagic: Possible, oui. Si nous parvenons à combiner les deux, nous pouvons aller loin. Un jour ça va marcher, le plus vite possible, j’espère.

Vous vous sentez à l’aise dans le monde du foot ?

Arslanagic: A vrai dire, je n’ai jamais rien connu d’autre. A 16 ans, j’étais à Lille. Puis à Mouscron, au Standard, à l’Antwerp. Il y a beaucoup de pression mais aussi des avantages. On tombe parfois sur des gens pas corrects mais c’est pareil dans tous les milieux.

Vous êtes méfiant quand on vous soumet une idée ou un projet ? Un plan d’investissement, par exemple.

Arslanagic : Je me méfie de tout le monde. Même des journalistes. J’ai eu des mauvaises expériences et je cherche toujours à me protéger. Je suis prudent, correct et expérimenté. Il est possible que des gens se laissent avoir mais pas moi. Ce qui se passe dans le vestiaire reste dans le vestiaire. J’ai horreur des gens qui parlent trop.

Le groupe doit-il protéger Lamkel Zé ?

Arslanagic: Pourquoi lui ? Et pourquoi le protéger ? C’est un joueur comme les autres. Le protéger, ça voudrait dire que quelqu’un veut lui faire mal, l’attaquer.. Pour moi, un groupe doit être solidaire, dans les bons comme dans les mauvais moments. On peut ne pas être content de quelque chose qui s’est passé à l’entraînement ou dans le vestiaire mais ça ne doit jamais sortir. Ça me dégoûte, vraiment. Nous vivons ensemble, nous formons une famille. Et les problèmes de famille, ça se règle en interne, pas en public.

 » Bruges et Gand peuvent nous servir d’exemples  »

Mais n’est-il pas difficile de forger un esprit de groupe dans un monde qui met justement en exergue les prestations individuelles ?

Arslanagic : C’est l’un des rôles essentiels du coach. Le plus important n’est pas d’être un grand tacticien mais de faire en sorte que tous les joueurs tirent à la même corde. Même en étant nul tactiquement, il y a moyen d’arriver à quelque chose quand on a les joueurs derrière soir. Mais bon, je suis un défenseur, je raisonne peut-être différemment.

C’est pour ça que les défenseurs sont souvent de bons entraîneurs.

Arslanagic : Si je vous comprends bien, Faris (Haroun, ndlr) doit arrêter tout de suite les cours d’entraîneur ( il rit).

Où l’Antwerp se situe-t-il par rapport à Bruges et à Gand ?

Arslanagic: Je n’aime pas me comparer à eux mais ils peuvent nous servir d’exemples. Nous avons beaucoup de potentiel offensif. Nous avons arrêté Bruges, à nous de continuer, de faire une série et de rendre des clean sheets. Surtout pour Sinan. Nous sommes frustrés. Nous préférerions gagner 1-0 que 3-1.

Et 4-3 ?

Arslanagic: C’est bien pour vous mais pas pour nous. Cela voudrait dire que les attaquants ont bien bossé mais pas les défenseurs. Je préfère être mal coté dans le journal et ne pas encaisser qu’avoir un 9 après un 4-3. D’ailleurs, ça n’aurait pas de sens.

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 » L’Antwerp, c’est l’ambiance, le stade et le terrain  »

Vous êtes satisfait de votre parcours à l’Antwerp ?

Dino Arslanagic: Lorsque l’Antwerp m’a appelé, je me souvenais surtout du passé du club. J’ai beaucoup réfléchi mais les noms qu’on m’a cités m’ont convaincu, tout comme la présence de D’Onofrio et de l’entraîneur. La ville, aussi. Je savais que le président voulait la faire revivre. J’ai pesé le pour et le contre puis j’ai donné mon accord. Je n’avais aucune certitude mais tout s’est bien passé. La fin de la première saison fut très frustrante car nous avons manqué les play-offs I de justesse. A mes yeux, ça a gâché les six premiers mois. Lors de la deuxième saison, j’ai tout joué et nous nous sommes qualifiés pour la Coupe d’Europe. Je pense que j’ai le droit d’être satisfait.

Vous êtes en fin de contrat. Il y a des discussions ?

Arslanagic : Je préfère ne pas en parler car ça ne peut que me distraire. Je ne sais pas ce qui se passera en juin mais ce n’est pas comme si je ne jouais pas, comme si je devais me faire du souci. Plus ça va, mieux ça va.

Vous habitez à Wijnegem. La vie en Flandre est-elle différente ?

Arslanagic :Mon père n’est pas content parce que je n’apprends pas le néerlandais. J’ai eu des cours quand j’étais à l’école à Mouscron mais par la suite, à Lille, j’ai appris l’anglais Je comprends le néerlandais mais je mélange toutes les langues et ça ne ressemble à rien. Pour le reste, la Flandre, c’est quand même la Belgique, non ? Je ne vois pas beaucoup de différence.

Vous vivez quand même dans la ville du séparatisme. Enfin… Du confédéralisme, pour utiliser leur langage imagé.

Arslanagic : Ne comptez pas sur moi pour en parler. Mes voisins me parlent en néerlandais, je fais de mon mieux. La plupart du temps, on n’échange que quelques mots car je ne parle pas bien. Mais les gens sont super-gentils. Même au supermarché. Je n’ai pas à me plaindre de la mentalité. Dans les grandes villes, il n’y a pas de cancan. J’aime Anvers. C’est une belle ville, propre, avec des magasins et des restaurants. Et puis, ce n’est qu’à une heure de Mouscron.

Et les fans sont chauds, comme à Liège.

Arslanagic : J’adore. Pendant un match, ça se sent, ça me motive. La saison dernière, avant le match contre Charleroi, décisif pour l’Europe, ils nous attendaient avec des fumigènes et tapaient sur le bus. Nous étions remontés.

Agiriez-vous de la sorte si vous étiez supporter ?

Arslanagic :Je ne sais pas, je n’ai jamais été fanatique. Sans doute pas. Mais je sais que ça met la pression sur l’arbitre. Avoir un beau stade, c’est bien. Mais c’est mieux d’avoir un stade qui vit, comme celui de l’Antwerp.

Vous comprenez les fans qui craignent que la transformation de la tribune 2 casse l’ambiance ? L’Antwerp devient-il trop chic ?

Arslanagic : Le football se modernise, le club aussi. C’est du business et en affaires, il faut gagner de l’argent. Mais il ne faut pas minimiser l’importance des supporters. Sans eux, il n’y a pas d’âme. Moi, dans cinq ans, je ne serai peut-être plus à l’Antwerp. Eux bien. Un club doit pouvoir associer public et business, confort et ambiance. Il faut conserver l’équilibre car l’Antwerp, c’est l’ambiance, le stade et le terrain.

Et les résultats ?

Arslanagic :Ils pourraient être meilleurs mais tout le monde le sait. A commencer par nous.

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