« Aujourd’hui, j’irais au Real »

En 62, l’attaquant liégeois refusa une offre du club de Santiago Bernabeu.

Au coeur de Liège, dans son appartement du boulevard d’Avroy, P’tit Léon se sent des fourmis dans les jambes. Bien remis d’un quadruple pontage coronaire, il pense sérieusement à reprendre une activité dans un club. En mars, Bastogne, encore en Promotion, le contacta comme entraîneur, mais la chute en Provinciale fit avorter le projet. Son palmarès impressionne: 35 sélections A, 16 saisons ailier droit du Standard (5 titres, 2 coupes) et 17 comme entraîneur-adjoint du club (il était sur le banc avec Goethals à la finale de la Coupe des Coupes, en 82 à Barcelone). Il fut aussi joueur-entraîneur à l’Union Namur, entraîneur à La Louvière, Tilleur et Seraing. Et recordman rouche avec 47 sélections européennes.

Au moment où le Standard retente sa chance en Europe, nous avons replongé avec le n°7 dans son histoire européenne : « J’ai suivi des gradins de Sclessin, le démarrage européen du Standard, en 58-59 contre le Sporting Portugal. Et le quart de finale contre le Stade de Reims, reste vivace dans ma mémoire, 2-0 ici, et défaite 3-0, à Paris. A la TV, je revois Nicolay stopper un penalty à 0-0, et puis le Standard s’effondrer en 20 minutes sur des buts de Piantoni et de Fontaine« .

Deux ans après, Léon, successeur de Popeye Piters, entrait en Coupe des Champions avec un noyau renouvelé, sans Givard, Jadot, Mathonet, Piters et Marnette, mais avec Paul Bonga Bonga, Lucien Spronck, l’Irlandais Johnny Crossan, Roger Claessen, et le Hongrois Istvan Sztani, premier étranger à Sclessin : « A cette époque, cela prenait beaucoup de temps, Sztani et Crossan durent d’abord jouer un an en Réserve avant d’être sélectionnables, mais Bonga, belgo-congolais avant l’Indépendance du Congo, était admis d’office ».

Baptisé européen, le 6 septembre 61, à Sclessin, Léon était vraiment ému. Le modeste Frederickstad norvégien n’en était pas la cause : « Aujourd’hui, la multiplication des matches est dans les habitudes, mais, à cette époque, la perspective de se frotter aux Bayern Munich, Leeds, Liverpool, Real Madrid, Inter et AC Milan remuaient les tripes. Pour Spronck, Claessen et moi, tous trois venus de la Basse-Meuse, et qui faisions carrière ensemble, c’était un sacré challenge. Et une fameuse motivation qui dépassait l’argent : 7.500 francs de fixe et 2.500 le point en championnat, mais une prime doublée pour l’Europe plus celle – progressive – de la qualification. La plupart d’entre-nous travaillaient aussi hors du foot, et, pour peu qu’il soit économe, bien sûr, un joueur pouvait s’offrir une maison à la fin de sa carrière ».

Le Standard pro fin des années 60

Frederikstad, tombeur d’Ajax la saison précédente, fut plus dur que prévu, 2-1 seulement, à Sclessin. « Pas si étonnant », remarque Léon. « Les Norvégiens tournaient déjà à plein rendement en championnat alors que nous venions juste de démarrer. On ne reprenait qu’en août, avec, au début, 2 entraînements quotidiens, puis un seul par jour par la suite. Une ébauche de professionnalisme, mais le Standard est réeellement devenu pro vers la fin des années 60 sous René Hauss« .

Au retour, 30.000 spectateurs à Frederikstad, et 64 marins belges, en mission de ravitaillement avec leur garde-côte, au Bislet Stadion d’Oslo. Claessen y planta ses deux premiers buts d’une série de 22 en Coupe d’Europe. Suivit un hat-trick de Roger, 5-1, face à Valkeakosken, en huitièmes de finale : « Pénible expédition ce retour en Finlande, on a appris ce que voyager voulait dire. Un parcours en bus interminable dans une forêt de sapins, un terrain très boueux, sur un ancien lac… mais, heureusement, un match assez facile. J’ai marqué un de nos 2 buts ».

Nonante minutes de jouissance, voilà ce que vécut Sclessin, le 7 février 62, en quarts contre les Glasgow Rangers. « LE match européen du Standard », estime Léon. « Par la qualité des Ecossais, notre manière de jouer, l’enthousiasme partagé entre joueurs et public, et enfin, par ce 4-1 final. Inimaginable de nos jours ce qui se se passa ce soir-là. Des 35.000 spectateurs, quelques centaines se tassaient contre les lignes de touche, dans la zone neutre, et certains s’aggripaient même aux filets pour rester debout. Pour tirer un corner, je demandais aux supporters de s’écarter un peu. L’arbitre espagnol a fermé les yeux… et il ne s’est rien passé, pas de casse, rien ».

Fête pour fête, à Ibrox Park, sur une pelouse gelée, P’tit Léon, Vliers, Crossan, Sztani, Houf et cie affrontèrent pour la première fois de leur carrière une masse de 76.000 Scots, plus Jimmy Baxter (un grand de l’époque), Scott, McMillan, Millar, sûrs de leur qualification. « Ils ne nous ont pourtant pas fait mal, leur deuxième but sur penalty, n’est entré qu’à 2 minutes de la fin. S’il faut citer un grand bonhomme de toute cette période-là, je pointerais Denis Houf ».

Premier club belge en demi

Premier club belge en demi-finale de la Coupe des Champions, le Standard se cogna alors au Real Madrid, celui des légendaires Di Stefano, Puskas, Gento et Santamaria : « Offensivement, nous ne faisions vraiment pas le poids là-bas, pas une réelle chance de but. Un très logique 4-0 donc. Quelques heures après, j’appris avec émotion que Di Stefano avait tenu des propos flatteurs sur Jean Nicolay et sur le n°7. De là à supposer que quinze jours plus tard, il y aurait une proposition du Real… »

Au retour : 0-2, une partie mieux équilibrée, et face à une tribune qui n’accueillit jamais autant de hautes personnalités, le roi Baudouin et la reine Fabiola, les ministres Spaak, Leburton… « Après la rencontre je fus approché par un ami de Puskas, Janos Pintye, un entraîneur hongrois installé à Liège. Roger Petit m’appela dans son bureau, et m’annonça qu’il n’était pas opposé à un transfert, mais il fallait faire vite. C’est moi qui devais décider. J’ai refusé pour des raisons privées, mon papa venait de décéder et c’aurait été un arrachement de quitter la famille dans un moment pareil. De plus, il y a un quart de siècle, très peu de joueurs belges s’expatriaient pour la grande aventure. Pas comme de nos jours. Je n’ai pas de regrets. Vingt-cinq ans plus tard, je me serais peut-être laissé convaincre de partir. Aujourd’hui, je considère qu’un joueur commettrait une faute professionnelle en n’acceptant pas le pactole proposé à l’étranger. Il faut comprendre celui qui s’en va, c’est un pro. Certains disent qu’on va trop loin dans le transferts, que les sommes sont folles. C’est l’évolution économique de la société qui veut ça, elle joue dans le monde sportif comme ailleurs. Il est évident qu’à ce train-là, nos clubs ne peuvent plus suivre. Fini chez nous, le temps des étrangers de première cote internationale, comme jadis les Rensenbrink et Haan à Anderlecht, et Tahamata et Sigurvisson au Standard ».

De ces transferts conclus tous azimuts, Léon estime toutefois qu’un aspect positif se dégage pour notre foot, les Diables Rouges engagés à l’étranger apportent, en effet, un plus à l’équipe nationale. « Cet apport a joué aussi à plein pour l’équipe de France dans sa conquête de la Coupe du Monde; la grande majorité de ses internationaux exercent leur métier dans les grands clubs espagnols, italiens, anglais et allemands. Sur un plan plus général, le joueur d’aujourd’hui est plus complet, s’engage plus et avec plus de rythme. Le travail quotidien paye, et celui qui dit que de son temps c’était mieux, n’est pas crédible », estime Léon.

Très vif et habile en débordement, travailleur et accrocheur en ligne médiane, l’ex-n°7 de Sclessin avait-il un modèle? « Pas vraiment, parce que la TV n’était pas encore omniprésente et que je ne voyais donc que peu de talents étrangers à l’oeuvre. Aujourd’hui, il y en a des tas à l’écran. J’ai progressivement formé moi-même ma manière de jouer, et tactiquement j’évoluais dans une période de transition. Rapide et physiquement résistant, j’étais bâti pour ce rôle d’ailier en décrochage. Goethals m’a pris en équipe nationale à la condition que je joues dans le même style qu’au Standard. Mon rôle était très bien défini, très spécifique. Aujourd’hui le travail est mieux réparti entre les joueurs ».

Henry Guldemont

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