AUBERGE ESPAGNOLE

Pierre Bilic

Du Lierse au Celta Vigo, en visite européenne ce jeudi à Sclessin : le nouvel entraîneur rouche a définitivement retrouvé les terrains.

Revenu dans la cuisine du Standard, désertée par Johan Boskamp pour insuffisance de résultats, Michel Preud’homme sait que le football n’est qu’une immense paella. Ce plat du pauvre a conquis le monde et permet des combinaisons de moules, de crustacés, de viandes, de chorizo. Le chef doit aussi accorder toute son attention à la cuisson du riz coloré par une épice rare : le safran. En a-t-il sous la main ? Pas beaucoup, tout au plus deux pincées mais celui lui a suffi afin de composer la première bonne recette de son club à la table du Lierse : 1-3.

Pourtant, le cuistot sait que rien ne sera facile dans son auberge espagnole. Il n’y a trouvé que ce que la direction y a apporté, pas plus. Et les temps sont durs dans ce resto qui a perdu, à une allure record, ses étoiles et ses toques dans tous les guides du football. Sclessin redeviendra-t-il vite un Comme chez soi du football belge ? Dans cette célèbre maison de bouche, Pierre Wijnants compose les menus, dirige une armée de cuisiniers, surveille sa cave à vins, va à la rencontre des clients. C’est un peu tout cela que Michel Preud’homme doit faire après un étonnant virage dans son plan de carrière.

Dans les grands pays qui nous entourent, ses idées lui auraient permis de trouver sa place dans les sphères dirigeantes. En Belgique, c’est plus compliqué avec des barons qui guerroient sans cesse pour préserver leur zone d’influence : un sportif a du mal à se frayer un passage dans cette jungle. Michel Preud’homme a probablement compris qu’il n’atteindrait jamais le top de l’Union Belge ou de la Ligue Professionnelle avant de revenir vers l’univers qu’il connaît le mieux : le terrain. Ce ne sera pas facile, il le sait. Mais l’homme semble détendu, comme libéré.  » Je suis entraîneur… « , dit-il.  » Totalement coach, rien que coach, et Bruxelles, l’Union Belge, la Ligue Pro, c’est fini « .

Cette belle victoire au Lisp s’explique-t-elle par l’effet Preud’homme ou par le retour inattendu de Sergio Conceiçao ?

Michel Preud’homme : J’avais mon équipe en tête dès vendredi, je l’ai dit mais il y avait des variantes : avec ou sans Sergio tout en gardant deux possibilités si notre capitaine ne pouvait pas répondre présent. Conceiçao a été opéré du ménisque il y a trois semaines et trois jours seulement. Si son retour et la qualité de son match ont étonné les observateurs après un délai aussi court, ce n’était pas mon cas. Moi, il m’avait déjà épaté à l’entraînement, en semaine. C’était phénoménal. Mais nous avons tout étudié tous les jours : les réactions de son genou, sa forme, sa résistance, ses capacités de récupération, etc. Il était convenu de faire le point après l’échauffement au Lierse et c’était alors à lui de décider. Je n’ai pas parlé de tout cela en semaine à la presse, car, compte tenu de son statut, cela aurait multiplié les attentes de tous et donc la pression sur ses épaules. C’est bien, non, quand un maestro revient comme un maestro ? Quand j’ai appris la nouvelle aux joueurs avant le match, j’ai senti que cela leur faisait du bien.

Même à Steven Defour qui a entamé le match sur le banc ?

Je n’ai pas fait de choix entre Sergio Conceiçao et Steven Defour. Je ne retiens pas les 11 meilleurs joueurs. J’essaye toujours de composer le meilleur collectif possible, le plus complémentaire, pour un match. Je dois tenir compte des circonstances, des atouts adverses (taille, tactique,…), de nos blessés, de nos suspendus, de nos malades éventuels, etc. Au Lierse, Milan Jovanovic n’était pas là car nous avions opté pour la prudence en raison d’une pointe d’élongation. Je ne voulais pas prendre le risque de le perdre pour un mois. Marouane Fellaini et Ricardo Sa Pinto sont suspendus pour le match aller de Coupe de l’UEFA contre Vigo. J’ai besoin de tout le monde. Au Lierse, Sergio a été fantastique car il nous a mis sur le velours dès le début du match avec deux assists. C’était encourageant. Il a offert une troisième passe décisive à ses équipiers après la pause. Cela en dit long sur son talent et son importance chez nous. Mais il n’y a pas que lui. Tout le groupe avait la grinta, désirait ce premier succès, s’est battu. Cette volonté a toujours été présente même quand cela ne rigolait pas et je me souviens de réactions à Genk, ou chez nous en deuxième mi-temps contre Zulte-Waregem. Cette hargne a été gagnante au Lierse même si je retiens aussi un point négatif : à 1-3, nous avons trop reculé alors que j’attendais un quatrième but de notre part. Mon objectif est et restera le même : préparer le prochain match.

 » Je n’attends personne  »

C’est-à-dire le Celta Vigo : le succès au Lierse a fait du bien avant ce rendez-vous européen…

Quand on travaille bien, on avance. Le cadre sera différent mais il faudra aborder ce rendez-vous européen avec la même envie, le même goût du travail, le même désir de prouver que beaucoup ont eu tort de déclasser pas mal de joueurs en affirmant qu’ils n’étaient pas dignes du Standard.

Il est vrai que Sclessin ressemblait plus à une auberge espagnole qu’à un club de football ?

Mais non. Le changement de donne s’est effectué à un moment idéal car, en raison d’Arménie-Belgique, la D1 a fait l’impasse sur une journée de championnat. Malgré cela, j’ai été privé de quatre internationaux que je n’ai retrouvés que jeudi, deux jours avant le déplacement au Lierse. Je leur ai expliqué, au tableau, ma façon de voir les choses que ce soit en match ou au quotidien, ce que j’attendais d’eux et du groupe, etc. Je n’ai pas accordé une grande importance au résultat de notre match amical face à Valenciennes (défaite 3-0). Au repos, le marquoir aurait pu indiquer 1-3 en notre faveur mais, il faut le dire aussi, ce fut mauvais après le repos. Nous avons procédé à des essais, tenant compte des atouts de notre effectif, et j’aime bien une phrase souvent prononcée par Dominique D’Onofrio : -Peu importe le système choisi, c’est l’animation qui est importante. J’aime voir un bloc qui attaque et défend ensemble. Tous les entraîneurs en rêvent. La réalité est parfois différente mais on va essayer d’y arriver. Je fais avec les joueurs qui sont là et je n’attends personne. Tout le monde sait qu’Igor De Camargo est blessé et que c’est la seule vraie tour offensive du groupe. C’est ainsi et même si elles en rêvent, beaucoup d’équipes européennes jouent sans pivot. On peut résoudre ce problème et d’autres. Au Lierse, ce n’était pas un match à six points mais il était important de relancer la mécanique.

Cet effectif est-il comparable ou pas à celui que vous aviez repris en décem- bre 2000 ?

Je ne me suis jamais posé la question. On pourra faire des comparaisons quand le groupe sera au complet. Quand j’ai quitté Benfica pour revenir à Sclessin, le Standard était troisième et on a gardé cette place tout en se qualifiant pour l’Europe. En 2000, j’ai rencontré des gens que je connaissais et d’autres pas et il me restait à redécouvrir la D1 belge. L’équipe était en place mais il y avait des choix à faire, des changements, des adaptations avec, notamment, l’affirmation d’Ali Lukunku, devenu titulaire à temps plein, si je puis dire. J’ai tapé, c’est vrai, sur le même clou avec mon souci de bien verticaliser le jeu (utiliser les espaces et jouer dans le dos des autres), c’est l’arme du football moderne qui fait le plus mal à l’adversaire. Cela a fait ses preuves et j’y reviendrai mais il faut que les choses se mettent en place. Johan Boskamp avait une autre vision. Il n’y a pas eu d’erreurs de casting. Non, quand un club choisit un entraîneur, c’est avec la certitude qu’il peut apporter quelque chose. Cela n’a pas pris. Il faut trouver le bon mix, alterner le souci de bien gérer la circulation de la balle et la nécessité de s’exprimer aussi, au bon moment, via la profondeur. Si une équipe ne vit que par un jeu latéral ou profond, elle n’est pas surprenante. Je veux que tout le monde parle, que chacun accepte d’être coaché par un équipier quand c’est nécessaire. C’est cela le véritable esprit de groupe.

 » Dix fois plus fort qu’il y a six ans  »

En 2000, il fallait garder le contact avec le top mais, pour le moment, il convient de s’éloigner au plus vite des sables mouvants de la D1, non ?

C’est cela, si vous voulez…

Est-il normal à ce niveau de ne pas avoir de préparateur physique ?

Le Standard n’a toujours pas de préparateur physique, c’est vrai, mais nous sommes proches d’une solution et Guy Namurois pourrait nous aider en étant, plus en retrait, une espèce de consultant car il connaît bien le groupe. En attendant, je m’occupe du travail physique avec Manu Ferrera qui en connaît un bon bout sur la question. Mon adjoint a de l’expérience et ce n’est pas un fonctionnaire : il vit sa passion pour le football 24 heures sur 24. Tout le nouveau staff est comme cela. Mes collaborateurs savent ce que travailler veut dire. Il n’est pas rare que nous quittions le stade très tard alors qu’il n’y a qu’un entraînement, le matin. Nous réfléchissons, nous analysons et nous discutons beaucoup ensemble. J’aime cette atmosphère et si l’un de nous a envie de se tailler tout de suite, cela ne va pas. Par rapport à 2000, je n’ai pas besoin de temps d’adaptation car la D1 et ce club n’ont plus de secrets pour moi. Tout ce que j’ai vécu et connu dans mes différentes fonctions, que ce soit au Standard ou à l’Union Belge, m’a donné une image plus complète de notre milieu. C’est important aussi en tant qu’homme. Je me sens dix fois plus fort qu’il y a six ans. Mais cela ne veut pas dire dix fois meilleur. J’en sais plus sur tout. En 2000, je faisais confiance à un désir que j’estimais logiquement partagé d’y arriver ensemble. J’ai été déçu par ce groupe de joueurs. Je n’ai pas senti venir certaines choses dans le chef de certains. Cela m’a extrêmement touché. L’envie de créer un groupe tirant dans le même sens est toujours là mais je redoublerai d’attention, notamment à propos des comportements en dehors du terrain. Je veux des joueurs qui luttent pour le collectif, pas pour leurs intérêts individuels. Les temps ont changé. J’ai été directeur technique car il y avait un vide à combler. Aujourd’hui, Dominique D’Onofrio a repris ce rôle et Lucien est beaucoup plus présent qu’à l’époque.

Avez-vous demandé des renforts à  » votre  » direction ? Songez-vous à Ali Lukunku ?

Non, je n’ai pas demandé de renforts à la direction.

C’est pour quand ?

Le Standard reste attentif comme toujours. Il l’a été fin août mais cela n’a pas pu aboutir. Quant à Ali Lukunku, cet ancien joueur de la maison se relance chez nous après des blessures graves et des opérations assez lourdes. Je ne sais pas ce que l’avenir lui apportera mais comme il s’entraîne avec nous, le Standard l’a près de lui et le garde à l’£il. Nous avons déjà 26 joueurs, c’est pas mal.

Johan Boskamp a déclaré que vous n’aviez rien à dire en tant que directeur technique au Standard : cela vous a touché ?

Absolument pas. Les décisions prises par la direction sont assumées par tout le monde. Nous ne sommes pas toujours d’accord durant les discussions mais quand un cap est fixé, tout le monde s’y tient. J’ai donné mon avis qui fut parfois prépondérant. Mais il y a un patron qui tranche en tenant compte des impératifs de la gestion financière du club.

Lucien D’Onofrio aurait incité Johan Boskamp à lancer Marouane Fellaini dans la bagarre afin de résoudre son problème de taille dans l’entrejeu : bonne idée mais est-ce que cela signifie aussi que le coach doit écouter sa direction et qu’il ne fait pas l’équipe à 100 % ?

Non. Dans un club, il y a des réunions et des discussions. Quand il y a dans la direction des gens qui connaissent le football, ils donnent des idées. Après, l’entraîneur fait la synthèse s’il en a envie et c’est toujours lui qui décide. Moi, en tant que directeur technique, j’ai eu des discussions avec Johan Boskamp à propos de l’équipe mais, dans son boulot, il tranchait.

Quand on sait que Johan Boskamp s’était disputé avec Ogushi Onyewu à la mi-temps de Steaua Bucarest-Standard, n’est-ce pas inquiétant ?

Non, cela chauffe souvent dans les vestiaires, presque à chaque match, et notre Américain n’a pas supporté certaines remarques. Mais l’incident était clos. Il y a encore de la vie dans ce vestiaire.

 » Une décision radicale  »

Ne vous avait-on pas poussé vers l’Union Belge et sa présidence ?

Afin d’alléger la trésorerie du Standard, c’est cela ? Des bêtises. J’aurais encore pu rester cinq ans directeur technique ici. Et si je le désirais, je pourrais passer deux ans sans travailler. Mais je n’en ai pas envie. Je ne devais pas me recaser. Je n’ai jamais pleuré pour me retrouver à la Fédération ou à la Ligue Professionnelle. J’ai été disponible afin de faire avancer le football. J’ai eu des idées qui ont été suivies, comme le choix du coach fédéral, la professionnalisation de son staff. Je me suis intéressé à la formation des jeunes. On n’avait jamais autant parlé de football à la Fédération. Je crois que cela a été apprécié. La Commission Technique a abattu du bon boulot et mon successeur, Antoine Van Hove, m’a dit qu’il continuait dans le même esprit. Je suis satisfait. Redevenir entraîneur n’est pas un pas en avant, en arrière ou sur le côté par rapport à cela, c’est une décision radicale. Je ne sais pas si j’aurais pu devenir un jour président de l’Union Belge ou de la Ligue Professionnelle. Cela ne me préoccupait pas. Non, ce n’est pas le bordel là-bas et il y a des gens qui travaillent bien, comme Jean-Marie Philips qui est brillant mais ne peut pas tout faire seul. J’ai arrêté l’école à 18 ans et je n’ai pas eu peur de dire que j’aurais eu besoin d’un juriste près de moi à Bruxelles. Je ne me sens pas vaincu parce que je ne demandais rien pour moi-même. Je ne nourrissais pas d’ambitions personnelles. Si je me suis présenté à l’élection présidentielle de l’Union Belge, c’était dans le cadre de la stratégie de la Ligue Professionnelle. Je voulais bien faire mon boulot. Puis, il y a eu un problème au Standard. Alors, peut-être à cause de certaines hésitations, j’ai franchi le pas. Je travaille spontanément quand je prépare un entraînement. A la Fédération, j’y arrivais mais mon boulot était plus forcé, moins naturel. Je suis redevenu entraîneur avec un contrat jusqu’en 2008, pas entraîneur/directeur technique. Je veux réussir et rester longtemps entraîneur au Standard.

PIERRE BILIC

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