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Rencontre avec Arthur Theate: « Au Standard ou à Genk, je n’ai pas vraiment eu d’explications »

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Formé à coups d’allées et venues entre le Limbourg et la Principauté, c’est finalement à Ostende qu’Arthur Theate a découvert les prés de l’élite belge. Rencontre avec le défenseur liégeois, révélation du début de saison au bord de la Reine des Plages.

La réussite se mesure-t-elle à un écran, intermédiaire obligé des internationaux qui passent face aux micros des journalistes en cette période d’incertitude sanitaire ? Il y a encore quelques mois, alors qu’il était classé parmi les excédentaires à l’Académie de Sclessin, Arthur Theate n’aurait sans doute pas imaginé retrouver si vite Jacky Mathijssen, devenu sélectionneur des Espoirs après avoir déjà croisé la route du défenseur liégeois dans les catégories inférieures des Diables rouges.

La success-story de celui qui, chez les jeunes, a multiplié les allées et venues entre Genk et le Standard se raconte désormais à la Côte, où il est l’une des révélations du spectaculaire Ostende d’Alexander Blessin. Sans se prendre la tête, bien protégée par une imposante chevelure qui lui a permis de remplacer sans dépaysement Wout Faes dans la charnière défensive des Kustboys.  » La seule chose qui a changé, c’est que je suis peut-être encore plus heureux qu’avant « , raconte le Liégeois. Le résumé d’un itinéraire tumultueux qui semble prendre la direction d’un happy end.

À Genk, le projet était plutôt dans la durée. L’objectif à long terme était l’équipe première. »

Arthur Theate

Tu te souviens de la première fois de ta carrière où tu as été scouté ?

ARTHUR THEATE : Oui, c’était à Melen, un club qui joue aujourd’hui en P1 liégeoise. C’est là que j’ai commencé le football, et j’y suis quand même resté jusqu’à mes neuf ans. C’était mon petit club de village. Je jouais avec les 1998, alors que je suis un 2000. J’étais tout gamin. On a joué un match contre les 98 ou les 99 d’Eupen. Je ne m’en souviens plus très bien, mais selon mon grand-père, j’ai fait un bon match (rires). Ils ont donné une petite carte à mon papa et ils lui ont dit que si je voulais signer à Eupen, c’était avec plaisir.

Tu étais déjà défenseur, à l’époque ?

THEATE : Pas du tout, j’étais attaquant de pointe. Je suis resté à ce poste-là jusqu’en U14. L’année où Eupen remonte en D1, je fais une grosse saison chez les jeunes comme attaquant, je marque énormément de buts. Genk appelle mon papa, et ils me demandent si je veux y aller. Je signe, je fais encore une saison en 9, avec de nouveau énormément de buts, mais au bout de la saison, ils transfèrent un nouveau joueur, du coup je me retrouve décalé en flanc gauche. Mais là, j’étais moins performant, je me sentais moins à l’aise, ce n’était pas trop mon truc. De là, je me retrouve donc arrière gauche, puis défenseur central. Le recul classique.

Tu étais en famille d’accueil, du coup ?

THEATE : Non, je suis toujours resté chez moi, jusqu’à mon déménagement à Ostende cet été. Mon papa a fait énormément de trajets pour moi. Il m’amenait à l’entraînement, jusqu’à un certain âge où là, c’est Genk qui venait me chercher et me ramenait. Je suis arrivé là-bas comme le premier Wallon de l’équipe, j’avais onze ans et tout le monde parlait le flamand, moi je ne parlais pas un mot de néerlandais. J’ai appris sur le terrain, sur le tas. J’ai dû apprendre mot par mot, puis petit à petit j’ai été capable de faire des phrases. Tout ça m’est bien utile aujourd’hui.

 » Entre ce qu’on m’avait dit et ce qu’il s’est passé, ce n’était pas vraiment la même chose  »

Après, c’est le début de tes allers-retours entre Genk et le Standard.

THEATE : Je fais trois ans à Genk, puis je vais au Standard, où je reste aussi trois ans. À ce moment-là, je pense que le club ne comptait pas vraiment sur moi, et Genk rappelle mon papa via Koen Daerden, pour savoir si je veux revenir, toujours sans contrat. J’accepte et au bout d’un an, ils me donnent un contrat, je suis resté un an supplémentaire, mais j’ai vu qu’entre ce qu’ils disaient et ce qu’il se passait, ce n’était pas toujours très cohérent. Le Standard est revenu avec un contrat de trois ans, j’ai signé, mais de nouveau, entre ce qu’on m’avait dit et ce qu’il s’est passé, ce n’était pas vraiment la même chose.

Theate :
Theate : « Je n’ai pas hésité à aller en test à Ostende parce que je n’avais rien à perdre. »© INGE KINNET

Qu’est-ce qu’on t’avait promis ?

THEATE : À Genk, le projet était plutôt dans la durée. L’objectif à long terme était l’équipe première. Au final, j’ai fait une préparation avec Felice Mazzù. J’avais fait, à mes yeux, une très bonne pré-saison, mais on m’a quand même dit de partir, donc je pense que les dés étaient un peu pipés.

Felice Mazzù ne t’a pas donné d’explications ?

THEATE : C’était assez spécial. Le jour où la préparation allait se terminer, ils partaient en stage et quand il annonce sa sélection, je ne suis pas dedans, et je comprends vite que je retourne en U21. Comme j’avais fait, à mes yeux, une bonne préparation, je frappe à sa porte et je lui demande si je peux lui parler cinq minutes. Il a accepté, je me suis retrouvé dans le bureau avec lui, et je lui ai demandé s’il pensait qu’il y avait quand même une opportunité pour moi, si je restais en U21. Je ne me souviens plus dans les détails, mais au final, des explications, je n’en ai jamais vraiment eu, d’aucun des deux clubs. Et je n’en demande pas en fait, ce n’est pas du tout ce que je cherche. C’est la vie d’un footballeur.

Au Standard, je n’ai jamais, mais vraiment jamais reçu ma chance. »

Arthur Theate

Tu gardes de la rancoeur de cet épisode ?

THEATE : Je ne lui en ai jamais voulu, et je ne lui en voudrai jamais, parce que c’est un coach qui avait quitté sa zone de confort de Charleroi, où il était très bien, pour venir relever un challenge à Genk. Et prendre un gamin de 17 ans pour l’intégrer dans le noyau A, ça aurait été compliqué pour lui. Il venait d’arriver, sur le fil. D’ailleurs, on s’est revus en préparation pour un match amical entre Ostende et l’Union, on a parlé, mais on n’a même pas évoqué Genk, plutôt de lui et de moi. Je comprends tout à fait son choix.

 » Monsieur Nicaise a dit à mon agent que je faisais des contrôles de balle à quatre mètres…  »

Et au Standard, comment ça s’est terminé ?

THEATE : Déjà, à la base, je ne voulais pas trop y retourner, parce que je voulais tenter ma chance avec les hommes, même si avec le recul, je suis content d’avoir fait ce passage en U21 qui m’a beaucoup appris. Ils m’ont dit que l’idée était de faire un an en U21, et puis que l’objectif serait l’équipe première, voire avant si possible. Là, je n’ai jamais, mais vraiment jamais reçu ma chance. Sur toute ma saison au Standard, j’étais le plus âgé des U21, et j’ai peut-être fait deux entraînements.

C’est un peu paradoxal de ne pas avoir reçu ta chance, vu que le club a annoncé qu’il se tournait vers son Académie cet été.

THEATE : Oui… En plus, j’ai été formé à l’arrière gauche, j’étais plus focalisé sur ce poste que sur celui d’arrière central, une fois que j’ai reculé sur le terrain. Ils ont fait monter Damjan Pavlovic, qui a d’ailleurs joué chez les pros et qui fait ça bien, mais c’était un milieu défensif, il n’avait rien à voir avec cette position-là… Je n’ai pas eu d’explications. Enfin si, une petite, via Monsieur Nicaise, qui a dit à mon agent que je faisais des contrôles de balle à quatre mètres…

Au-delà de ton cas, le regard du club sur son Académie a quand même l’air d’avoir changé, non ?

THEATE : Ce que le coach Montanier fait, c’est respectable parce qu’il arrive à faire tourner l’équipe, en ne faisant pas toujours jouer les mêmes joueurs, et à intégrer des jeunes. J’adore ça, parce que je sais ce que c’est de ne pas avoir reçu sa chance. Nico ( Raskin, ndlr) et Michel-Ange ( Balikwisha, ndlr) qui marquent contre Charleroi, ça me fait super plaisir pour eux. Est-ce que ça a changé ? Ça a l’air, oui. Après, j’étais là il y a deux mois, et je n’ai pas reçu ma chance. Tout le monde ne peut pas la recevoir, c’est dommage, mais je suis content de ma décision. Si le Standard a changé, tant mieux, parce que je pense que c’est une bonne chose pour le futur du club s’ils arrivent à jouer avec leurs jeunes. Même pour les supporters, je crois que ça donne plus envie de venir au stade.

Tu n’as pas eu l’opportunité de te montrer à Montanier ?

THEATE : Je me suis entraîné deux fois, mais c’étaient des ateliers techniques. Et comme c’était le corona, on ne pouvait même pas se rentrer dedans, alors que je suis quand même un joueur qui aime les contacts. Là, c’étaient des passes au sol, des jongles… Je n’ai pas eu voix au chapitre.

Le club t’a fait comprendre que tu pouvais chercher autre chose ?

THEATE : Ils m’ont dit que si je trouvais autre chose, ils pouvaient envisager de me laisser partir. Après, ils m’auraient peut-être bloqué si j’étais arrivé avec quelque chose de gros, je n’en sais rien, mais ils m’ont en tout cas fait comprendre que je pourrais partir.

Arthur Theate en pleine intervention.
Arthur Theate en pleine intervention.© BELGA (KURT DESPLENTER)

 » Pourquoi ne pas envisager la colonne de gauche ?  »

Comment tu te retrouves à traverser tout le pays, pour aller faire un test à Ostende ?

THEATE : C’est Patrick De Vlamynck, mon agent, qui était en relation avec Ostende et m’a dit qu’il y avait peut-être une porte là-bas. On a foncé.

Tu n’avais pas de réticence ? En faisant toute sa formation dans des écoles prestigieuses comme Genk et le Standard, ce n’est pas évident de te retrouver à faire un test dans un club qui n’a quasiment plus de joueur sous contrat…

THEATE : Je n’ai pas hésité parce que je n’avais rien à perdre. J’avais encore deux ans de contrat au Standard, mais ils étaient d’accord. J’y suis allé, au début, je me disais que le club était en reformation, mais quand je vois ce qu’on fait aujourd’hui, je suis super content d’être entré dans ce projet et d’avoir accepté de faire ce test.

Tout le monde s’attend à ce qu’Ostende joue le maintien, mais on constate vite que le jeu ne sera pas celui d’une équipe de bas de tableau comme les autres.

THEATE : Quand j’arrive et que je fais mes premiers entraînements, avant même d’avoir signé, j’ouvre de grands yeux. C’est un truc de fou. Le coach, tout ce qu’il voulait, c’était de la défense offensive. On n’a jamais parlé de rester devant notre rectangle. C’est quelque chose qui plaît parce que quand on est défenseur et qu’on peut aller chercher haut, ne pas camper à onze dans notre rectangle, on aime bien. On ne savait pas si ça allait marcher, parce qu’on n’avait pas encore fait de match, avec le corona c’était compliqué…

Au final, ça a surpris vos adversaires.

THEATE : Tout le monde pensait qu’Ostende allait jouer avec un bloc bas et rester dans le rectangle, mais ça a été tout le contraire. Et ça, je pense qu’au début, ça a fait la différence.

Comment est-ce que vous vous êtes préparés à jouer comme ça ? Il y a eu des exercices spécifiques à l’entraînement ?

THEATE : Le coach a immédiatement instauré la règle des trois secondes. Quand on perd le ballon, il veut le récupérer dans les trois secondes, et on a beaucoup d’exercices de réflexion et d’intensité quand on perd le ballon. À chaque entraînement, on travaille là-dessus. Maintenant, dès qu’on perd la balle, on le fait naturellement. Beaucoup d’équipes jouent le solo pressing, avec un joueur qui va courir tout seul, mais nous, sur nos reconversions, on est parfois huit à courir vers un homme. On l’a beaucoup travaillé en préparation, et avec les automatismes c’est devenu un déclic.

C’est vraiment la marque de fabrique du coach ?

THEATE : Il a beaucoup insisté sur ces moments de transition, mais aussi sur le football. On joue aussi au ballon. Si on parle pressing, qu’on récupère la balle mais qu’on ne sait pas quoi faire avec, c’est un problème.

Du coup, est-ce que rêver du maintien, ce n’est pas un peu réducteur, vu ce que vous montrez depuis plusieurs semaines ?

THEATE : Pour l’instant, on est sur une bonne lancée. Si on continue, pourquoi ne pas essayer d’être dans la colonne de gauche ? Au vu de ce qu’on montre pour l’instant, c’est envisageable. Mais la priorité, ça reste de se sauver le plus vite possible.

Rencontre avec Arthur Theate:
© INGE KINNET

 » On brûle parfois très vite de jeunes joueurs  »

Le plus gros changement entre le foot en U21 et en D1A, c’est quoi ?

ARTHUR THEATE : La rigueur, je pense. En U21, beaucoup de joueurs veulent surjouer pour prouver qu’ils méritent leur place en D1A. J’en ai peut-être fait partie, un peu. Et je pense que c’est une des pires choses à faire, vouloir surjouer devant un coach. Il faut juste jouer son jeu à soi, et montrer qu’on est mature.

C’est plus facile à dire qu’à faire, non ? Chez les jeunes, on a parfois l’impression de voir un sport individuel dans un sport collectif.

THEATE : Tout dépend du club, de l’éducation qu’il donne à ses joueurs, mais c’est vrai que dans certains clubs, on voit onze individualités, mais pas une équipe.

Surjouer, c’est aussi quelque chose qui menace les joueurs en test. Comment as-tu fait pour ne pas tomber dans le piège ?

THEATE : Je suis parti en test dans une optique où j’avais tout à gagner. Même en cas d’échec, j’avais quand même encore un contrat au Standard, une équipe avec laquelle m’entraîner. Je me suis dit que j’allais juste être moi-même sur le terrain, montrer au coach que j’avais envie, mais je n’ai pas couru partout sur le terrain ou essayé de dribbler onze joueurs, parce que ce n’est pas mon jeu. Je crois que c’est ce qui a plu au coach, le fait d’être resté naturel.

Tu as côtoyé Nicolas Raskin et Evangelos Patoulidis chez les jeunes au Standard. Le premier explose plus tard que prévu, le second ne l’a pas encore fait. Ça te surprend, que ça traîne autant ?

THEATE : Dans le football, on brûle parfois très vite de jeunes joueurs, qui jouent beaucoup vers l’âge de seize ans mais qui, ensuite, se retrouvent à 19 ou vingt ans sans jouer. Nico voulait jouer, il n’attendait que ça, et au final ce n’est pas plus mal d’avoir tellement attendu sa chance parce que dès qu’il l’a reçue, il a tout explosé.

Tout est parfois trop facile jusqu’à l’arrivée chez les pros, pour les joueurs qu’on présente très vite comme des futures stars ?

THEATE : Je ne pense pas que c’est le joueur lui-même qui se considère comme un phénomène. C’est plutôt une image qu’on construit autour de lui. Quand tout ne marche plus naturellement alors qu’on a été mis dans cette optique de jeune superstar, c’est clair que c’est plus difficile, que ça se passe moins bien. Il faut avoir la dalle.

C’est cette dalle qui permet de passer le moment de la post-formation, qu’on présente souvent comme le plus compliqué pour un jeune ?

THEATE : Si ça se passe bien à Ostende pour moi aujourd’hui, c’est peut-être parce que je me suis un peu fait jeter de Genk et du Standard. J’étais préparé à m’entendre dire qu’on ne voulait pas de moi, parce que je l’avais déjà connu. Et en même temps, je me disais que cette chance-là, je ne devais pas la laisser passer, parce qu’on n’en a pas mille non plus. J’ai eu des coups durs et quand on les a surmontés une ou deux fois, je pense qu’on est prêt.

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