» AU STANDARD, j’ai mis 44 buts en 81 matches ! « 

Après une carrière qui l’a notamment mené à Gand, Anderlecht et au Standard, l’attaquant norvégien est en passe de boucler la boucle à Tromsö, le club de ses débuts.

L’espace d’une rencontre amicale face aux Buffalos, Ole-Martin Aarst (38 ans ce 19 juillet) était brièvement de retour en Belgique, fin juin, avec Tromsö. Tandis que ses équipiers sacrifiaient au sightseeing, à Gand, l’ex-meilleur buteur du championnat (30 buts en 1999-2000) nous invitait à partager sa table au Grand Hôtel Reylof de la Cité d’Artevelde. Au menu : le passé et le présent d’une trajectoire de près de 20 ans.

Qu’est-ce qui vous fait encore courir ?

Ole-Martin Aarst : L’envie, tout simplement. Voici trois ans, on ne donnait plus cher de mes chances de rejouer. Je souffrais d’une hernie inguinale qui hypothéquait ma fin de carrière. Après deux saisons en spectateur à l’IK Start, j’étais prêt à remiser définitivement les boots. Mais la direction m’a encouragé à tenter une ultime opération, la cinquième déjà, chez la réputée spécialiste Ulrike Muschaweck, à Munich. Le hasard, qui fait parfois bien les choses, a voulu que mon ancien coéquipier Ivica Dragutinovic ait, lui aussi, été admis dans la même clinique en cette période. Nous avons d’ailleurs subi une intervention chirurgicale en tous points semblable, le même jour. Et, ce qui ne gâte rien, nous avons été tous les deux remis sur pieds. Drago a rejoué au FC Séville et je pouvais enfin en faire de même pour mes couleurs.

Le défenseur serbe était trentenaire lorsqu’il a quitté Sclessin. Vous en aviez à peine 27 à l’heure de retourner au pays. N’était-ce pas trop tôt ?

Oui, mais des raisons extra-sportives m’avaient poussé. Ma s£ur luttait en ce temps-là contre l’emprise de la drogue. Mon père était diminué physiquement et ma mère n’était plus de ce monde. En qualité de seul fils de la famille, j’estimais avoir des responsabilités vis-à-vis de ma frangine. Et j’ai rebroussé chemin pour l’aider. En près de dix années pro, je m’étais constitué un petit bas de laine, que j’ai investi essentiellement dans des kots d’étudiants, à Tromsö, ville universitaire. Cet apport-là, couplé à mon salaire, me permettait de bien gagner ma vie. Même si le total était risible par rapport à ce que j’aurais pu empocher ailleurs. Durant mes années au Standard, j’ai eu des offres parfois mirobolantes. Mais j’y ai toujours renoncé, au nom des miens. Chez moi, la famille l’a toujours emporté sur toute autre considération.

En jet privé aux côtés de Luciano D’Onofrio et Bernard Tapie

Est-il vrai que vous avez refusé un passage au Sporting du Portugal en raison de la naissance de votre fille aînée, en 2001 ?

Tout à fait. La naissance de Mina était prévue le 5 juillet. Ma compagne, Elin, avait eu des complications durant sa grossesse. Pour ne pas la laisser seule en Belgique, j’avais demandé au club l’autorisation de rester avec elle jusqu’à la date de l’accouchement. Mais l’équipe était en stage de préparation en France, et Luciano D’Onofrio tenait à ma présence. En cas de problème, il m’avait promis une solution pour me rapatrier. J’ai compris, après la venue au monde de Mina, de quoi il retournait. Car après avoir assisté à la naissance de ma fille, je suis retourné à Aix-les-Bains, auprès de mes partenaires, à bord du jet privé de Luciano. Celui-ci a même fait une halte à Paris pour prendre au passage l’un de ses potes, Bernard Tapie ( il rit). De retour à Liège, surprise : le Sporting du Portugal voulait m’enrôler. C’était du sérieux car des journalistes d’ A Bola et de Globo faisaient le pied de grue devant ma porte. Le Standard et moi avions beau faire une affaire financière juteuse, je n’avais pas envie, en tant que jeune papa, de tout plaquer. Et c’est pourquoi j’ai préféré rester chez les Rouches.

La naissance de votre deuxième fille, Nora, a fait jaser aussi !

Le jour J, le 1er novembre 2003, Tromsö joue son maintien lors de l’ultime journée de championnat à Rosenborg. Et l’équipe doit absolument gagner à Trondheim si elle veut sauver sa peau. Entre le football et l’enfant, mon choix est vite fait. Et je décide donc de ne pas entreprendre le déplacement. Certains font preuve de compréhension. D’autres estiment que je manque de respect envers un club qui a été très chic en me recueillant après mon départ de Sclessin. Finalement, tout est bien qui finit bien ce jour-là. Deux heures avant le début du match, je suis papa pour la deuxième fois. Et Tromsö l’emporte in extremis grâce à un but signé lors du temps additionnel. Je n’oublierai donc pas de sitôt cette fameuse journée. Et je me suis racheté une conduite, par la suite, en paraphant pas mal de buts : 45 au total en 103 matches entre 2003 et 2007.

Pourquoi être parti à l’IK Start, ensuite ?

Le football était en plein renouveau. Après des années de règne sans partage, Rosenborg a dû subitement composer avec la concurrence de Valerengen, Brann Bergen, Stabaek et Molde. Start avait des ambitions aussi. Ses dirigeants voulaient en faire le club n°1, non seulement du pays mais de toute la Scandinavie. Ils ont eu les yeux plus grands que le ventre et se sont royalement plantés. Aujourd’hui, l’IK est en D2. Quant au meilleur club du nord de l’Europe, c’est incontestablement le FC Copenhague ( NDLR : où Ariel Jacobs a signé). Nous sommes loin de ce niveau à l’échelon de nos clubs, ainsi que de l’équipe nationale d’ailleurs. A présent, le Danemark et la Suède nous ont supplantés. Il y a dix ans, nous les devancions aisément.

Snobé par le sélectionneur Nils Arne Semb

Comment expliquer cette chute ?

On ne progresse qu’en se frottant aux meilleurs. Rosenborg, qui a fait cavalier seul chez nous de 1988 à 2004, ne s’est bonifié durant tout ce temps qu’au contact de la Ligue des Champions. Et encore son aventure a-t-elle fréquemment tourné court à ce niveau. Chaque saison, le club a tenté de remettre le couvert avec les mêmes joueurs, avec l’espoir de progresser d’un, voire plusieurs crans. Mais les opposants étaient trop forts et, chaque année, les joueurs du cru vieillissaient d’un an. Tout le monde a, sans doute, encore en mémoire les noms des joueurs qui ont contribué à la grandeur de ce club durant cette période. Comme Harald Brattbakk, Stig Inge Björnebye, Sigurd Rushfeldt, Mini Jakobsen ou Bent Skammelsrud. Aujourd’hui, bien malin qui pourrait, à l’étranger, citer cinq joueurs de son équipe de base…

Les titres de Valerengen, Bergen, Stabaek et Molde ont tous été, à des moments différents, des one-shots. Pour quelle raison ?

Aucune de ces équipes n’a les reins assez solides pour s’inscrire dans la durée. La Norvège est également victime, dans une grande mesure, de l’essor des surfaces synthétiques. Tromsö a été le premier club à y recourir, en 2006. Mais c’était normal : il est difficile de jouer constamment sur une bonne pelouse lorsqu’on est situé au-dessus du cercle polaire. Dans la foulée, bon nombre d’autres nous ont imités. Même au sud du pays, où le climat est pourtant beaucoup plus clément. Il en résulte qu’en Tippeligaen, D1 norvégienne, la moitié des équipes jouent sur des pelouses artificielles. Or, la transition est grande d’un revêtement à l’autre. Il est plus facile de passer du synthétique au gazon que l’inverse. Avec pour conséquence des résultats parfois surprenants de semaine en semaine. Jadis, notre élite n’était pas une compétition intéressante pour les firmes de paris, tant les résultats étaient prévisibles. A présent, ce n’est plus le cas : tout le monde peut l’emporter contre tout le monde.

Quid de l’équipe nationale ?

Là aussi, les cadres n’ont pas été renouvelés. Si j’avais dix ans de moins, j’y serais titulaire les doigts dans le nez. A mon époque, c’était une tout autre histoire, avec Ole-Gunnar Solskjaer, Tore-André Flo, Steffen Iversen ou John Carew. Tous ceux-là avaient la chance de jouer en Angleterre ou en Espagne, alors que j’évoluais en Belgique. C’était un désavantage car tout au long de mes années ici, à Anderlecht d’abord, puis à Gand et enfin au Standard, j’ai été allégrement snobé par le sélectionneur Nils Johan Semb. J’ai été appelé trois fois durant cette période ! Ce n’est qu’après mon retour à Tromsö et le remplacement de Semb par Age Hareide que 19 caps se sont ajoutées jusqu’à la dernière, en 2007. Avec le recul, j’aurais pu en compter davantage si, en 2000, au lieu de prendre la route de Liège, j’avais rejoint l’Angleterre : Tottenham, Everton et Leeds étaient alors intéressés par mes services. Mais le passé est le passé.

Mister 50 %

Des regrets ?

Un énorme : je n’ai jamais participé à la phase finale d’un grand tournoi avec la Norvège. J’ai failli toucher au but en 2000 car je faisais partie de la sélection élargie en vue de l’EURO. Mais quand le groupe a été réduit de 28 à 25 unités, le couperet est tombé pour moi. Dommage, car c’est chez moi, à Tromsö, finalement, que j’ai assisté au match entre la Norvège et la Yougoslavie. Et, pour retourner le couteau dans la plaie, il avait lieu au Standard, où je venais d’être transféré. En principe, j’aurais dû livrer ma première sortie, devant mon nouveau public, avec l’équipe nationale ce jour-là. Malheureusement pour moi, Semb en avait décidé autrement.

Que retenez-vous de vos trois années à Sclessin ?

Que du positif. Au départ, les gens m’y attendaient au tournant, vu que je venais de terminer meilleur buteur du championnat, à égalité avec Toni Brogno de Westerlo. Je pense avoir répondu pleinement à l’attente en marquant 44 buts en 81 matches. Au même titre qu’à Tromsö, j’étais aux alentours des 50 %. A Start aussi, j’ai inscrit 34 buts en 66 matches. D’un bout à l’autre de ma carrière, j’ai donc toujours scoré à la moyenne d’une rencontre sur deux. Il n’y a qu’à Anderlecht, avec 11 buts en 36 apparitions, que je suis resté en dessous de cette barre.

Le Sporting, c’était une erreur de casting ?

Non. J’ai eu la poisse d’arriver là au mauvais moment. René Vandereycken venait d’être nommé coach et c’est un secret public qu’il n’était pas partisan d’un football offensif. En début de saison, je formais la paire, aux avant-postes, en compagnie d’Oleg Iachtchouk ou de Dan Petersen. Et on ne voyait quasiment jamais le ballon. Quand Arie Haan a pris la relève, après trois mois, je me suis senti revivre. J’ai même terminé meilleur réalisateur de l’équipe avec 10 goals, devant Bart Goor qui en totalisait 8. L’année suivante, j’ai été victime du départ foireux du Sporting. J’ai surtout fait les frais de notre débâcle 6-0 à Westerlo. Je n’avais pas touché le cuir ce jour-là. Après coup, le tandem formé de Jean Dockx et Frankie Vercauteren a pris la relève. Oleg, souvent blessé auparavant, a été épargné par les blessures, comme par enchantement. A ses côtés, Tomasz Radzinski, nouveau-venu, faisait flèche de tout bois. Comme il n’y avait de la place que pour deux joueurs devant, j’étais réduit au rôle de réserviste. Il n’empêche que je me suis quand même régalé. Comme lors du 0-6 infligé au Standard, en fin de saison. Ou le 2-5 à Genk, sur le terrain-même des futurs champions.

Enzo Scifo, le meilleur

Quels joueurs vous ont particulièrement marqué en Belgique ?

Au Sporting, Enzo Scifo. C’est de loin le meilleur joueur que j’aie connu dans ma carrière. Pour compléter le podium, je citerai Pär Zetterberg et Alin Stoica, même s’il n’a pas exprimé tout son potentiel. Au Standard, j’ai vécu le même phénomène avec Robert Prosinecki. C’était souvent un ravissement pour l’£il à l’entraînement mais en match, on ne le voyait guère. Chez les Rouches, j’ai de bons souvenirs aussi d’Almani Moreira. Et de Dragutinovic également, avec qui je suis toujours en contact.

Vous êtes retourné à Tromsö, le club où vous avez entamé votre carrière pro, en janvier dernier. C’est votre troisième passage là-bas. Le dernier aussi ?

En principe, bien que je n’ose jurer de rien. Quand j’étais revenu une première fois en 2003, je pensais que ce serait pour de bon. Mais l’offre de Start a changé la donne. A présent, il m’étonnerait toutefois qu’un autre club de D1 s’intéresse à moi, qui vais sur mes 38 ans. J’ai un contrat jusqu’en décembre, avec option pour une saison, qui doit être levée en octobre. Avant, je songeais en termes d’année. A présent, je vis de mois en mois. Et même de semaine en semaine car une blessure est vite arrivée.

A quoi ressemblera votre après-carrière ?

Un emploi m’attend à la Sparebank 1 Nord Norge. On m’y propose un job dans le département des ressources humaines. Je souhaite rester dans le milieu du football aussi, mais je ne sais trop dans quel rôle. Il me plairait d’entraîner des jeunes ou d’occuper un poste de directeur sportif. Et je ne serais pas opposé non plus à un travail de prospecteur. Mon ami Rune Lange le fait pour le compte de Bruges. Je pourrais aider Gand ou le Standard dans ce sens-là aussi. Je ne dirais pas non à Anderlecht non plus, mais je pense que les scouts ne manquent pas là-bas.

Mohamed Abu, de Strömsgodset, figurait naguère dans le collimateur des Mauves. Idem pour Markus Henriksen. Que valent-ils ?

A choisir, je prendrais Abu. Il est, de loin, le meilleur milieu de l’élite norvégienne. En deuxième place, je citerai mon coéquipier Ruben Yttergard Jenssen, qui a fait l’objet d’un suivi de la part du Standard à un moment donné. Henriksen est le n° 3.

Que vous a inspiré l’EURO ?

Je m’attendais à une finale Espagne-Allemagne mais je ne suis pas fâché que l’Italie ait déjoué mon pronostic. La Squadra m’a vraiment plu. Pour moi, elle est la révélation de ce championnat, au nom du football généreux qu’elle a montré. Pour le reste, il n’y a pas eu de surprises : les quarts de finaliste étaient ceux que l’on attendait. Les représentants nordiques, Danemark et Suède, n’avaient pas les qualités pour s’illustrer. A l’analyse, le véritable manquant, c’était la Belgique. Je ne comprends vraiment pas pourquoi elle a loupé le coche. A mon époque, les Diables Rouges étaient moins talentueux. Pour le futur, j’ai davantage foi en eux qu’en la Norvège.

Pour quel motif ?

La plupart des joueurs de l’équipe belge évoluent aujourd’hui dans des grands championnats : Angleterre, Espagne, Allemagne, Italie. A l’image de la Norvège auparavant. Maintenant, on est loin du compte chez nous. Dans l’effectif actuel, tout le monde joue au pays, à quelques rares exceptions près. Comme John Arne Riise à Fulham, Erik Huseklepp à Portsmouth, Morten Gamst Pedersen aux Blackburn Rovers ou Havard Nordtveit à Hanovre. De mon temps, la plupart des recruteurs avaient le regard tourné vers la Scandinavie. A présent, ils lorgnent le talent belge. C’est significatif.

PAR BRUNO GOVERS – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ KETELS

 » Si j’avais dix ans de moins, je serais titulaire les doigts dans le nez, à présent, en équipe nationale. « 

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